Critique de film
Le film
Affiche du film

Un pistolet pour Ringo

(Una pistola per Ringo)

L'histoire

Le shérif de la ville de Quemado vient d’arrêter Ringo, dit « Visage d’ange », après qu’il a abattu 4 hommes, bien décidé à le faire condamner pour une fois, lui qui échappe à tous ses crimes au motif de la légitime défense. Mais des hors-la-loi viennent cambrioler la banque de la ville et parviennent à s’enfuir pour une hacienda proche, celle du Major Clyde et de sa fille Ruby, la fiancée du shérif. Les notables de la ville font alors appel à Ringo pour s’introduire dans l’hacienda, gagner la confiance des bandits, et sauver les otages.

Analyse et critique

Après avoir déjà exploré plusieurs genres pour ses quatre premiers films, du péplum (Les Titans) au film de procès en costume (Le Procès des doges), en passant par le film d’espionnage (Du Grisbi au Caire), Duccio Tessari se lance pour son cinquième film dans le Western, avec Un Pistolet pour Ringo. Il est l’un des premiers cinéastes à se lancer dans le genre, presque immédiatement après le succès de Pour une poignée de dollars. Mais, s’il surfe sur la vague et utilise une trame scénaristique déjà classique, Tessari imprime un virage au genre, qui ne se concrétisera que bien plus tard dans la masse des productions, en donnant un ton distancié à son film et en utilisant une forme qui lui est propre. C’est bien le succès du film de Leone qui incita Tessari à se lancer dans la production de son propre western, qu’il écrit et réalise en 1965, en s’inspirant de manière lointaine du bandit américain Johnny Ringo pour sculpter un personnage à l’opposé de l’Homme sans nom : volubile, propre sur lui et rasé de près. Un véhicule parfait pour Giuliano Gemma, qui tourne ici sous le pseudonyme de Montgomery Wood pour attirer un public friand d’acteurs américains, et dont la carrière va exploser grâce au succès du film.


Produit presque simultanément au second western de Leone, Et pour quelques dollars de plus, Un Pistolet pour Ringo partage avec lui quelques ficelles scénaristiques, fait totalement logique lorsque l’on sait que les deux cinéastes s’appréciaient et se rendaient régulièrement visite durant le montage de leur film, et que Fernando Di Leo et Enzo Dell'Aquila, deux des scénaristes non crédités du film de Tessari, avaient également écrit le premier traitement du film de Leone. Duccio Tessari s’éloigne par contre nettement du maitre. Pas de zoom, pas ou peu de gros plans, la mise en scène de Tessari est un modèle de sobriété, le cinéaste ne cherchant pas à rendre ses effets visibles, en privilégiant les plans larges et les mouvements d’appareils fluides, pour faire la part belle à des images mettant en scène des groupes de personnages. Un trait récurrent de son cinéma qui devient une singularité dans un genre souvent associé à certains codes de mise en scène. Autre distinction, Tessari opte pour un ton à première vue résolument léger, à quelques rares exceptions comme l’agression de Ruby par Pedro, l’un des sbires du bandit Sancho. Le film met d’ailleurs l’accent sur les dialogues, et particulièrement l’intelligence et l’espièglerie de son personnage principal, Ringo, et sur des moments qui font sourire plutôt que sur la violence typique du genre. Même si les scènes d’action sont bien présentes, et les morts aussi, Tessari les traites sans complaisances, sans insister, et en leur donnant même parfois une forme ludique, comme le duel final entre Ringo et Sancho, qui fait plus penser à une scène de film de cape et d’épée qu’à un intense combat à mort. Et lorsque la cruauté s’invite, comme quand Sancho abat l’un des serviteurs du Major Clyde, puis sa femme, la mise en scène de Tessari, qui laisse les victimes à l’arrière-plan, les dialogues et la musique désamorcent la situation. La forme et le ton d’Un Pistolet pour Ringo sont parfaitement cohérents, Tessari filme ses personnages de plus loin pour prendre plus de distance avec son sujet et réussit son coup : son film s’impose comme un imparable divertissement, rythmé et porté par la sympathie qu’inspirent plusieurs de ses personnages.


Pourtant, malgré cette dimension presque comique, le film ne se départit pas d’un certain pessimisme. Si on y regarde de plus près, on remarque certains motifs récurrents, comme celui du tir dans le dos, ou sur un homme désarmé. C’est le fait des bandits bien sûr, mais aussi celui des représentants de la loi comme le shérif, qui abat à la carabine quelques-uns des bandits qui fuient la ville, après le cambriolage de la banque. Un Pistolet pour Ringo a plusieurs degrés de lectures et, passé l’apparente légèreté, tout ne tourne pas rond dans le monde construit par Tessari. C’est le cas notamment de la justice, auquel le cinéaste consacrait l’intégralité du Procès des doges, et qui est ici inquiétante. Ringo, que nous avons vu tuer de sang-froid quatre hommes en début de films, et alors que nous avons compris que ce n’était pas les premiers, est relaxé en quelques secondes lors d’une parodie de justice. Pour sauver des otages bien sûr, mais aussi pour préserver les intérêts des notables de la ville, qui veulent surtout retrouver l’argent dérobé, ou, dans le cas du shérif, sa fiancée vivante. Tessari peint un univers individualiste. Les bandits comme les habitants de la ville pensent avant tout à eux, et se distinguent finalement très peu. Si les bandits tuent, certains citadins assoiffés de sang espèrent le massacre des occupants de l’hacienda, otages compris, par l’intervention de l’armée. Au milieu de tout cela, Ringo apparait comme le plus pur. Avec son « Visage d’ange », surnom qui sied particulièrement à Giuliano Gemma, il apparait comme un enfant et est présenté comme tel, jouant à la marelle pour sa première apparition à l’écran. Indifférent aux femmes, joueur, espiègle, il ne porte pas encore les travers des adultes. Sauf un, la violence. Dès qu’il a un pistolet, il devient une machine à tuer, c’est une marque du monde dans lequel il vit à laquelle il ne peut échapper, comme l’illustre la cicatrice sur son visage, volontairement accentuée par les maquilleurs lors du tournage.


Ce qui fait la réussite d’Un Pistolet pour Ringo, c’est la capacité de Tessari à faire cohabiter ces deux niveaux de lecture, sans sacrifier l’un pour l’autre, même ponctuellement. Le film est à la fois un western léger et une vision plutôt sombre du monde, à chaque moment, comme l’illustre l’étonnante musique qui accompagne le cambriolage de la banque, la composition de Morricone alternant très rapidement entre des notes très joyeuses et une atmosphère bien plus menaçante dans la même séquence. Alors que le genre n’en est qu’à ses débuts, le cinéaste parvient presque à le commenter totalement, montrant sèchement la violence qu’il dépeint et sa dimension divertissante, jusqu’à l’aspect comique qui dominera plus tard la production des westerns italien. Il crée également un des personnages emblématiques du genre, Ringo, et fait de Gemma, parfait dans le rôle, une star. Le cinéaste et l’acteur en tourneront une suite dans la foulée, puis onze autres productions mettront en scène Ringo, sans Gemma et sans Tessari, illustration du mode d’exploitation des filons à l’italienne. Dans une forme de contrepoint aux films de Leone, Un Pistolet pour Ringo contribue sans discussion aux lancement de l’un des genres les plus prolifiques et emblématiques du cinéma transalpin.

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La fiche IMDb du film

Par Philippe Paul - le 1 août 2024