L'histoire
Stéphane Bertin (Victor Lanoux) est le patron de la tannerie de Favière,s en Charente. En faisant vivre directement ou indirectement tous les habitants grâce à son entreprise florissante, il tient en quelque sorte le village sous sa coupe, le maire lui-même étant à sa merci s'il veut garder ses fonctions. Lorsque le juge d’instruction Noblet (Jean Carmet) vient l’interroger, suite à la mystérieuse disparition de sa femme, le soupçonnant fortement de l’avoir tuée, il a du mal à mener à bien son enquête, Bertin étant soutenu par tous les villageois, y compris Muriel (Valérie Mairesse), l’institutrice, sa maîtresse du moment. Il faut dire que s’il venait à être inculpé, c’est la survie de la commune qui serait également en jeu…
Analyse et critique
Avant dernier film pour le cinéma tourné par Etienne Périer, avant Rouge Venise en 1985 (sorte de giallo de très bonne tenue d’après mes anciens souvenirs, dont l’intrigue prenait place durant le carnaval de Venise au 18ème siècle), Un si joli village avait quasiment disparu des radars depuis sa diffusion en prime time un dimanche soir sur TF1, au milieu des années 80. Il n’avait pas laissé indifférents les téléspectateurs de l’époque (dont je faisais partie) qui s’étaient amusés à juste titre d’y découvrir une sorte de savoureux Columbo Made in France, se déroulant dans la verdoyante campagne charentaise, pas loin d’Angoulême. Sur environ une quinzaine de titres que compte la filmographie du réalisateur belge, seuls ceux qu’il réalisa durant les années 70 eurent en France un petit succès d’estime, aussi bien en salles que lors de leurs passages dans la petite lucarne, que ce soient Un Meurtre est un meurtre, La Main à couper ou La Part du feu, trois honnêtes œuvres de veine ‘crimino-chabrolienne’ se déroulant en milieu bourgeois, cependant en deçà de la réussite que constitue le long métrage qui nous concerne ici et qui est aujourd’hui souvent considéré comme son meilleur. Son début de carrière mériterait cependant d’être découvert, n’étant jamais à l’abri d’une belle surprise.
Puisque l’on a évoqué la célèbre série Columbo, avec Peter Falk dans le rôle-titre du fameux lieutenant à l’imperméable élimé, en plus évidemment du personnage de juge d’instruction que joue Jean Carmet, énormément d’autres éléments du film de Périer y font penser, et ce dès sa séquence initiale. En effet, comme c’était toujours le cas dans la série, même si ici on n’assiste pas vraiment au meurtre, on comprend d’emblée qu’il vient très certainement d’avoir lieu, le personnage interprété par Victor Lanoux nettoyant en toute vraisemblance une scène de crime : on le voit ramasser un chandelier avec des traces de sang qu’il s’empresse d’effacer, laver une blessure qu’il vient de se faire à la tête, remplir un sac de voyages de vêtements appartenant à sa femme, qu’il va ensuite brûler dans la chaudière de son entreprise, déposer une pelle dans le coffre de sa voiture… A moins de jouer la roublardise, ce qui aurait pu germer dans la tête des scénaristes - mais avec un résultat à la clé sûrement moins probant car trop 'petit malin' - les auteurs semblent vouloir sans manipulation que les spectateurs aient un temps d’avance sur les policiers, n’ayant d’emblée, contrairement à ces derniers, absolument aucun doute sur l’identité du criminel. Très peu de temps après, tout le village est au courant que l’épouse du grand industriel a mystérieusement disparu, ce qui ne chagrine personne, cette dernière ne s’étant jamais vraiment intégrée à la communauté, contrairement à sa maîtresse, la gironde institutrice du village, le dernier ‘trophée’ du notable, personnage tenu par une convaincante Valérie Mairesse, avant son passage à la pure comédie.
Comme dans la série, ce n’est évidemment pas la découverte du coupable qui importe (et pour cause, sa culpabilité ne fait aucun doute) mais la manière qu’aura le juge d’instruction de mener l’enquête, de titiller le suspect et de le pousser d’une manière insidieuse dans ses derniers retranchements jusqu’à ce qu’il avoue son méfait. Car l'homme de loi est très déterminé à aller jusqu’au bout pour rendre justice malgré les pressions exercées de toutes parts, qu'elles viennent des villageois, des politiques, comme de sa hiérarchie. L’intrigue va surtout reposer sur la confrontation entre cet homme de loi pinailleur et tenace et l’industriel arrogant, seul garant de l’économie locale et qui, par ce fait, tient le village sous sa coupe. Les séquences au cours desquelles ils sont réunis rehaussent l’ensemble, d’autant que le duo Lanoux/Carmet – que l’on avait déjà admiré dans le glaçant Dupont Lajoie d’Yves Boisset –, tout comme leurs dialogues, s'avèrent constamment savoureux. On peut également louer le fait que les auteurs n’aient pas écrit un scénario manichéen, le personnage joué par Lanoux, malgré tous ses côtés haïssables (égocentrique, manipulateur, menaçant, violent…), parvient parfois à nous être attachant par sa complexité. D'après le cinéaste, ce n’était parait-il pas le cas dans le roman de Jean Laborde (inspiré d’une affaire à Bruay-en-Artois, en 1972), auteur - sous le pseudo de Raf Vallet - d’autres livres adaptés au cinéma comme le génial Mort d'un pourri de George Lautner ou le succulent Adieu poulet de Pierre Granier-Deferre. Lorsque Bertin se retrouve mis en cause, sa première réaction est de menacer de fermer son entreprise, de mettre tout le monde au chômage et déstabiliser ainsi l'économie locale. Il nous semble alors pourtant moins détestable que ses employés, qui font fi d’un besoin de justice et sont prêts à tolérer un meurtre ignominieux si c’est pour préserver leur travail et leurs intérêts financiers. Bertin, tellement influent pour la survie de la commune, parviendra donc à liguer tous les villageois contre le juge ‘fouineur’, à l’isoler et à le rendre pratiquement infréquentable. L'inculpation de l'entrepreneur risquant de déclencher un marasme économique et social, elle inquiète même les hommes politiques de la région faisant pression pour que le juge bâcle son enquête afin de le disculper : "Il y a évidemment des coupables qui arrangent et d'autres qui dérangent".
Comme Columbo, Noblet (Carmet dans l'un de ses meilleurs rôles), est un quinquagénaire assez malingre, vêtu d’un imperméable avachi pas spécialement adapté à sa carrure, conduisant une vieille guimbarde (ici une 204 Peugeot blanche, Columbo avait une 403) qui peut tomber en panne à tout instant. C’est d’ailleurs ce qui lui arrive lors de sa première apparition dans le film, au bout de seulement 30 minutes, quand face à lui son adversaire roule dans une Range Rover flambant neuve ! Le nonchalant juge d’instruction semble passionné par toutes sortes de choses à priori éloignées de son univers et de son métier, telles les fleurs ou les montres anciennes, et a des habitudes tout sauf banales comme se rouler des cigarettes sans jamais les fumer, ou faire écouter à son chat 'la truite' de Schubert sur son magnétophone. Il a des problèmes d’estomac, ne boit que de l’eau et préfère une tranche de jambon blanc à un plat de viande en sauce. Un personnage ô combien délectable pour le spectateur, mais client peu intéressant pour l’hôtelier/restaurateur du village, interprété par un jeune Gérard Jugnot. Outre l’enquête et la captivante chronique de mœurs villageoise qui sert de toile de fond, ce qui intéresse surtout Etienne Périer et son scénariste André-Georges Brunelin (qui avait entre autres superbement adapté Le Désert des Tartares pour Valerio Zurlini, roman de Buzatti pourtant jugé inadaptable), c’est la réflexion sur le pouvoir et l’influence des "patrons" de villages sur leurs concitoyens. En l’occurrence, Bertin est non seulement le directeur de la seule entreprise du coin mais il loue à ses employés leurs logements : "La loi, par la force des choses, c'est un peu Stéphane".
Etienne Perier se met au service de son efficace scénario et de ses superbes comédiens pour nous offrir un bon polar campagnard, à la réalisation soignée à défaut d’être mémorable, au thème de Paul Misraki très ‘sardien’, aux excellents dialogues non dénués d’humour, et à la justesse de l’écriture dans la description détaillée d’un petit village et de ses habitants. Nous louerons enfin l’audacieux final que nous éviterons de dévoiler ici, sauf à dire sans que ça ne déflore grand chose que tout le monde se retrouvera plus ou moins perdant. On pourrait décrire ce film comme une sorte d'harmonieux mélange entre le cinéma de Chabrol et celui de Boisset, mixant description assez acerbe des travers de notables de province et charge politique et sociale quant aux abus de pouvoir de certains ayant quasiment droit de vie et de mort sur ceux qui l’entourent ("Bertin fait partie de ces rapaces qui ont délimité une fois pour toutes leur territoire de chasse : là où ils sont assurés d'être les maîtres"). En n'oubliant pas les pressions exercées par certains puissants sur la justice pour faire infléchir le cours d'une instruction. Fluide et jamais ennuyeux, une chronique de mœurs policière à priori capable de satisfaire le plus grand nombre et que l'on est ravi que Studiocanal ait enfin pu éditer.