Critique de film
Le film
Affiche du film

Une robe noire pour un tueur

L'histoire

Florence Nat est un ténor du barreau, renommée pour ses succès dans la défense de cas désespérés et son engagement contre la peine de mort. Mais elle n’a pas réussi à éviter cette condamnation à Simon Risler, qui s’évade sous ses yeux, juste avant son exécution. Blessé par la police, Risler se cache chez son avocate. Aidée par son ancien Amant Alain Rivière, elle va le soigner et l’aider à faire la lumière sur son cas, découvrant bientôt la corruption d’agents de la brigade financière.

Analyse et critique

José Giovanni est incontestablement un personnage indissociable du paysage cinématographique français de sa grande percée comme scénariste du Trou en 1960, jusqu’au milieu des années 80. D’abord uniquement scénariste, et même parfois auteur de la source littéraire des films auxquels il collabore, il passe ensuite à la réalisation et devient un auteur complet, tenant les principaux postes créatifs. Mais alors, s’il répond à la définition de l’auteur, comment le caractériser ? On pourrait imaginer deux pistes. D’abord celle d’un cinéma d’hommes, souvent des criminels, ou l’on traite de loyauté et de traitrise, d’amitié et de vengeance. Ensuite, sujet peut-être moins récurrent mais tout de même régulier de son œuvre, le sort du criminel, son rapport à la justice, et particulièrement la question de la peine de mort, qu’il combattra ardemment et qui est le sujet explicite de deux films, le sublime Deux hommes dans la ville d’abord, dernière rencontre entre Gabin et Delon à l’écran puis Une Robe noire pour un tueur, la réalisation qui nous occupe ici.


Il est indispensable, à nouveau, de rappeler brièvement le passé de Giovanni pour lire son film. A un comportement trouble pendant la guerre, durant laquelle il est associé à la fois à la résistance et à la collaboration, il se retrouve associé à des faits divers après la libération jusqu’à être associé à un triple meurtre à Suresnes en mai 1945, qui lui vaudra une condamnation à mort en 1948, qui sera commuée en 20 ans de travaux forcés en 1951 avant sa libération après remise de peine en 1956. Un passé qui influe forcément sur le discours de l’homme devenu cinéaste, qui ne lutte pas contre la peine de mort seulement par idéal, mais aussi dans une logique de réhabilitation personnelle. Si cet aspect est atténué dans Deux hommes dans la ville par la formidable mécanique du récit, il est un peu plus visible dans Une Robe noire pour un tueur où la prise de position se fait lors des toutes premières scènes du film, à froid. Un discours tenu par Florence Nat, l’avocate incarnée par Annie Girardot, brillant, convainquant, implacable, mais un peu artificiel suivi de l’évasion de Simon Risler, un autre de ses clients, condamné, qui évite la sentence à la dernière minute pour se lancer dans une cavale qui sera une quête de vérité. Le premier moment est une déclaration théorique contre la peine de mort, le second véhicule l’idée que tout condamné l’est, au moins en partie, à tort, et c’est cette juxtaposition qui crée une ambiguïté dans l’esprit du spectateur, qui relie la séquence à la vie de son auteur.


Après cette ouverture forte, le récit va petit à petit changer de forme. Avec l’évasion de Risler, nous basculons d’un film à thèse, un manifeste social et politique, à un pur polar, dans lequel Risler et son avocate plonge dans un monde corrompu, dans lesquels des flics ripoux agissent pour le compte d’organisations dont les ramifications atteignent les plus hautes sphères de la justice française. Nous entrons dans le registre du thriller politique et paranoïaque, peu exploré en France, et dont Giovanni offre une déclinaison intéressante. Un récit vif, oppressant et rythmé qui décline efficacement tous les codes du genre et éclaire rétrospectivement de manière convaincante l’évasion de Risler. José Giovanni y fait preuve d’un savoir-faire déjà largement démontrer dans la mise en scène de récit policier, en solide artisan. Le cinéaste est en terrain connu, sauf pour un point : son héros est une femme. C’est Florence qui guide la quête de Risler, et qui est le principal moteur du récit. Giovanni affirmera avoir écrit ce rôle d’avocate pour Annie Girardot, déclarant : « Ça m’intéressait de la voir évoluer dans un personnage qui est une femme de caractère, qui fait face à des situations difficiles, des situations de “polar” ».


Une déclaration d’intention intéressante mais qui ne se traduit pas en une réussite absolue. Girardot semble plaquée dans le monde de Giovanni, elle fait du Girardot, délivrant une petite musique que nous avons le sentiment d’avoir souvent entendu, sans adaptation particulière. Plusieurs critiques de l’époque seront d’ailleurs sévères avec sa performance, soulignant une interprétation banale, qui se renouvelle peu par rapport à ses rôles habituels. Pourtant Giovanni n’est pas un mauvais directeur d’acteur, loin de là. Il l’a prouvé dans de nombreux films, et le prouve également dans Une Robe noire pour un tueur lorsque l’on voit les performances de Claude Brasseur en Risler et de Bruno Cremer dans le rôle d’Alain Rivière, ancien amant de Florence, ancien chirurgien, reconverti dans la réinsertion de drogués. Alors peut-être que Giovanni n’est pas un grand directeur d’actrice, ni un grand écrivain de rôles féminins. Il s’y est peu confronté dans son cinéma d’hommes et le résultat donne ici l’impression qu’il a laissé sa star en roue libre, sans la guider vers une interprétation particulière, sans lui offrir un rôle suffisamment consistant.


Si Une Robe noire pour un tueur laisse une impression positive, particulièrement grâce à une conclusion sombre et marquante, elle est affaiblie par l’utilisation de son actrice principale et par une introduction qui manque de finesse. Giovanni a fait mieux mais son savoir faire offre tout de même un film plaisant à suivre malgré quelques défauts qui en feront une œuvre oubliable dans son excellente filmographie.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Philippe Paul - le 12 septembre 2024