Critique de film
Le film
Affiche du film

Violence à Jericho

(Rough Night in Jericho)

L'histoire

Sur la route qui va à Jericho, une diligence est attaquée par un mystérieux tireur embusqué qui blesse le conducteur, Ben Hickman (John McIntire). Le seul passager est Dolan (George Peppard), ex-Marshall devenu joueur professionnel. L’homme qui a tenté de les décourager de poursuivre leur chemin n’est autre qu’Alex Flood (Dean Martin), un shérif autrefois embauché pour nettoyer Jericho de sa "racaille" mais qui y fait désormais régner la terreur. IL est propriétaire à 51 % de toute la ville sauf de la société de diligences tenue par son ancienne maîtresse, Molly (Jean Simmons), qui refuse de partager son gagne-pain avec un homme que désormais elle hait. C’est cette dernière qui a fait appel à Ben - ex-homme de loi lui aussi - pour l’aider à mettre un terme aux exactions du tyran local puisque ses concitoyens apeurés préfèrent laisser faire. D’abord réticent à les aider, Dolan va finir par se laisser convaincre devant la violence que fait régner un Alex n’hésitant pas à lyncher le premier venu ou à battre les femmes...

Analyse et critique

Le cinéaste Arnold Laven - dont la carrière télévisuelle est bien plus conséquente que la carrière cinématographique - n’aura réalisé sur onze longs métrages que quatre westerns, tous durant les années 60. Son premier, Geronimo - avec Chuck Connors personnifiant le célèbre chef apache - se révélait assez ridicule en raison principalement d’un script manquant totalement d’inspiration, ce qui était fort dommage car l’exécution était plutôt honnête, le cinéaste prouvant qu’il savait correctement filmer une chevauchée, assez bien rythmer une séquence mouvementée et même savamment cadrer de somptueux paysages. Son deuxième, Les Compagnons de la gloire (The Glory Guys), était d’une toute autre trempe, un western militaire très intéressant et assez réussi, écrit par et pour Sam Peckinpah et dont l’histoire était basée - en modifiant expressément noms et lieux - sur les derniers jours du Général Custer et évidemment sa défaite cuisante à Little Big Horn (en emportant dans la mort tous ses hommes avec lui). Un mélange assez détonnant - mais parfois déséquilibré et inharmonieux - de gaillardise et de grande brutalité, comme c’est aussi le cas dans ce Violence à Jericho qui s'avère néanmoins aussi un très honnête divertissement. La dernière incursion d"Arnold Laven dans le genre sera en 1969 avec Sam Whiskey, dont les trois têtes d’affiches seront Burt Reynolds, Clint Walker et Angie Dickinson.

L’histoire de Rough Night in Jericho est celle - assez traditionnelle dans le western urbain, de Femme ou démon à L'Homme aux colts d'or - d'un tyran local que l’on cherche à déloger - voire à éliminer - en faisant appel à un homme étranger à la ville, une ville qui a besoin d’être débarrassée de tous ses "éléments perturbateurs". Bref, en un mot comme en cent, celle d’un nettoyeur requis pour faire place nette. Sauf que le scénario très habile écrit par le duo Sydney Boehm (les excellents The Big Heat de Fritz Lang, The Raid de Hugo Fregonese, Violent Saturday de Richard Fleischer) et Marvin H. Albert est rempli de détails assez nouveaux ou (et) insolites. Le despote est devenu cet homme impitoyable après qu’il a précédemment été mandaté en tant que shérif pour "faire le ménage" une première fois ; c’est le sauveur de la ville qui s’est donc transformé en son dictateur, prenant 51 % des parts de chaque établissement afin d’avoir la mainmise et le droit de regard sur tout. La seule personne qui lui résiste est son ancienne maitresse, qui n’a pas apprécié la tournure qu’a prise l’administration de sa ville sous le règne de son nettoyeur ; une femme forte et deux fois veuve qui ne s’en laisse pas compter et qui, très persévérante, se battra jusqu’au bout sans jamais douter de sa victoire. Les hommes à qui on a fait appel pour remettre de l’ordre sont eux aussi deux anciens hommes de loi, l’un à la retraite et l’autre qui a préféré devenir joueur professionnel, un métier bien moins dangereux à son goût. D’ailleurs ce dernier, dans un premier temps, va refuser d’intervenir, conseillant au contraire à la jeune femme de, soit quitter les lieux, soit accepter de se faire racheter son affaire elle aussi par l’autocrate local.

Ce beau gosse un peu lâche de prime abord, c’est l’impassible et décontracté George Peppard que l’on avait déjà croisé dans La Conquête de l’Ouest (How the West Was Won) et qui s’avère ici très sympathique par sa nonchalance mais très éloigné de l’héroïsme par son pragmatisme qui le fait ne pas s’impliquer ni prendre part au combat, estimant la lutte très inégale au vu des forces en présence : une vingtaine de tueurs à gages face à un groupe de trois dont un "vieillard" et une jeune veuve. Car le shérif a préféré quitter ses fonctions en laissant lyncher un innocent et les autres habitants de la cité ne comptent pas bouger d’un pouce, trop apeurés pour agir. Dolan bénéficie donc de la décontraction et du physique imposant de son interprète qui aura au bout du compte quand même à prendre partie, et par exemple à se battre à poings nus contre Slim Pickens, une bagarre - qui débute au fouet - peut-être la plus brutale vue jusqu’à présent dans un western - bien plus efficacement montée et filmée que celle pourtant plus réputée dans le Chuka de Gordon Douglas la même année - et qui démontre une montée supplémentaire de la violence dans le genre en cette année 1967. Une violence cependant un peu atténuée par un ton globalement assez léger du fait de l’interprétation d’ensemble assez goguenarde, même Dean Martin a du mal à nous inquiéter malgré son personnage ignoble, lynchant à tour de bras et frappant des femmes sans aucun scrupule. Le comédien trouvait là l’un des seuls rôles de bad guy de sa carrière et il s’en sortait relativement bien sans cependant trop nous effrayer. C’est ce mélange légèreté/cruauté déjà présent dans le précédent western de Laven qui fait que Rough Night in Jericho, malgré sa violence inhabituelle - jets de sang bien rouges, coups qui résonnent et qui font mal, tirs à bout portant... -, n’apparait pas comme trop rude contrairement aux westerns italiens de la même époque.

Le troisième homme est interprété par l’un des plus grands seconds rôles du cinéma hollywoodien - notamment dans le genre qui nous concerne ici -, John McIntire ; citer tous les chefs-d’œuvre du western auxquels il a participé deviendrait vite laborieux tellement ils sont nombreux. Comme les deux autres personnages principaux - ce qui constitue l’un des autres éléments originaux et cocasses du scénario -, Ben est également un ancien shérif ; un homme vieillissant et qui va rester alité plus d’une bonne moitié de la durée du film. Lorsqu’il sera à nouveau debout, il endossera un cache-poussière qui rappelle ceux des protagonistes des films de Sergio Leone. Il va sans dire que le comédien s’avère une fois de plus parfait. Tout comme Jean Simmons qui, loin des rôles qui l’ont rendu inoubliable (Angel Face d'Otto Preminger, The Big Country de William Wyler, Elmer Gantry de Richard Brooks...), se sort néanmoins avec les honneurs de celui de cette femme courageuse et déterminée, à l’origine de l’idée de l’éviction du tyran. Il faut l’avoir vue le fusil à la main ou lors d’une scène mémorable de biture avec George Peppard où ils finissent tous les deux après une difficile montée d’escalier... dans le lit de la jeune femme... en tout bien tout honneur cependant. Et d’ailleurs les auteurs ont eu la bonne - ou mauvaise idée, c’est selon - de faire quasiment abstraction d’une quelconque romance si ce n’est que l’on comprend qu’une des raisons pour lesquelles Dolan décide de rester se battre ce sont les beaux yeux de la jolie veuve. Parmi les autres détails inédits dans le genre : les vigiles du saloon cantonnés dans des sortes de guérites surplombant la salle de jeu, le personnage de la propriétaire du saloon jouée par Carol Anderson totalement soumise et amoureuse de son amant, allant presque jusqu'à lui lécher les bottes, le shérif qui tourne le dos au lynchage qu’il réprouve mais qui va s'amender en participant à la lutte sans qu'on lui ait reproché sa lâcheté...

Arnold Laven est un cinéaste assez impersonnel mais son travail se révèle cependant une fois de plus très efficace et professionnel. Son film possède un rythme soutenu, une belle photographie, une piste musicale dynamique, des dialogues bien "punchy" et un scénario habile au déroulement implacable ; quant à la brutalité de l’ensemble, elle devrait plaire aux amateurs d’action trépidante et d’émotions fortes. Un western cependant assez prévisible, ce qui ne l’empêche nullement d’être curieux et divertissant, paradoxalement aussi violent que goguenard et dont on regrette qu’il ne se soit pas terminé par la violente fusillade urbaine car la trop longue séquence finale en extérieurs entre George Peppard et Dean Martin, qui aurait dû représenter le climax du film, s’avère bien moins puissante que ce qui a précédé. Malgré ses défauts et le fait d'être un western mineur, il s'agit une bonne surprise qui mérite le détour !

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 13 mai 2017