Roger Corman

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Profondo Rosso
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Re: Roger Corman

Message par Profondo Rosso »

Le Masque de la Mort Rouge (1964)

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L'Italie, au XIIe siècle. La peste fait rage. Prospero, un prince adorateur de Satan, a étendu son pouvoir sur toute une province, asservissant les paysans. Un jour, en l'honneur de nobles voisins, il organise un somptueux banquet. Il y convie également les habitants du village, à qui il ne laisse pourtant que les reliefs du festin. Certains profitent de l'occasion pour se révolter, poussés par la prédiction d'une vieille femme qui leur a annoncé la fin du règne du tyran. Celui-ci les fait arrêter. Lors d'une nouvelle fête, il se cloître avec ses invités et ses serviteurs dans son château. Un mystérieux étranger, tout de rouge vêtu, se glisse parmi les convives...

Le Masque de la Mort Rouge est la septième et sans doute la plus réussie de la série des huit adaptations d'Edgar Allan Poe par Roger Corman entre 1961 et 1965 (La Chute de la maison Usher, La Chambre des Tortures, L'Enterré vivant, L'Empire de la terreur, Le Corbeau, La Malédiction d'Arkham et La Tombe de Ligeia). Le Masque de la Mort Rouge était avec La Chute de la maison Usher la nouvelle favorite de Corman mais craignant les similitudes avec Le Septième Sceau (1957) il optera pour la seconde pour sa première adaptation. Le film est un immense succès qui appelle à d'autres transpositions, Corman repoussant constamment faute de script satisfaisant et sans doute un peu intimidé Le Masque de la Mort Rouge. Une patience finalement bien récompensée puisque ses producteurs Samuel Z. Arkoff et James H. Nicholson vont parvenir à un accord de co-production avec la société anglaise Anglo-Amalgamated Productions. En échange d'un tournage en Angleterre, le film bénéficie ainsi de l'aide d'état Eady Levy, Corman bénéficiant d'un budget et d'une durée de tournage plus important (cinq semaines contre les trois habituelles des autres films de la série) même s'il pestera contre la lenteur des techniciens anglais, très syndicaliste et à cheval sur les horaires (la fameuse pause thé qui rendra fou plus d'un réalisateur étranger). De plus Corman a la chance de pouvoir recycler les décors d'une précédente production adaptée de Beckett, ce qui donnera un de ses films les plus formellement réussis.

Le scénario est très fidèle à la courte nouvelle qu'il rallonge en la mélangeant notamment à un autre récit de Poe, Hope Frog - ainsi que quelques élément empruntés à la nouvelle La Torture par l’espérance de Auguste Villiers de l'Isle-Adam. Vincent Price dans le rôle du Prince Prospero assure la continuité avec les autres films de la série et oriente certains choix du film. L'acteur est parfait en noble arrogant et cruel comme le montre une superbe entrée en matière où il malmène les villageois. A cette lutte des classes se conjugue un combat bien plus ancestral entre le bien et le mal. Le Prince Prospero est ici un suppôt de Satan adepte des forces occultes, cette noblesse démoniaque s'opposant à la pureté et l'innocence des démunis représentée par la malheureuse Francesca (Jane Asher) dont Prospero rêve de corrompre l'âme autant que la chair. Roger Corman orchestre ainsi la dépravation des nantis à deux niveaux, celui de leur décadence à travers les scènes où ils s'avilissent dans les beuveries, orgies et jeux grotesque puis celui de la damnation de leurs âmes avec les scènes de magie noire. Le grand guignol dérangeant domine dans le filmage chaotique des fêtes tandis que le réalisateur déploie une tonalité oppressante et onirique quand se manifeste le surnaturel, avec un photo - signée d'un certain Nicolas Roeg - gorgée de philtres de couleurs, une musique planante et une frayeur jouant plus sur l'atmosphère que les effets chocs faciles, à une scène près. Cela fonctionne par le jeu sur le décor, la salle de bal filmée en plongée nous offrant un monde de chaos et de luxure tandis que les pièces de couleurs témoignent du seul esprit torturé et maléfique de Prospero. A cette surcharge visuelle s'oppose la sobriété des apparitions de la Mort Rouge, l'austérité voir l'abstraction des décors studios ténébreux renforçant sa présence inquiétante et hiératique, ainsi que le rouge écarlate de sa tunique - sans oublier le phrasé glaçant de John Westbrook. D'ailleurs Corman ne s'y trompe pas et rend les apparitions de la Mort Rouge fugace au milieu des convives tandis qu'il écrase Prospero de sa puissance lorsqu’ils se trouvent isolés dans les pièces de couleurs. La Mort Rouge punit un monde mais plus particulièrement le plus vil des hommes.

D'ailleurs même sur ce point le film ne cède pas à un total manichéisme. Vincent Price privilégie la subtilité au grand guignol et confère d'étonnantes nuances à son méchant, impitoyable mais soudainement capable d'épargner un enfant ou de demander grâce à la Mort Rouge pour Francesca dont il est sincèrement amoureux - les adieux réciproquement émus laissent supposer que l'inverse est vraie aussi. Le final est absolument flamboyant, Roger Corman propageant la mort par une photo écarlate qui sature l'image et la peau des protagonistes. Les débordements d'hémoglobine en deviennent presque abstrait avant un épilogue poétique et existentiel ou effectivement Le Septième Sceau n'est pas loin. Le réalisateur tout en reprenant certaines idées formelles de la Hammer amène sa patte par son sens de l'excès et des allusions sexuelles osées pour l'époque. On peut sans doute y deviner certains germes du Suspiria (1977) de Dario Argento qui n'a sans doute pas manqué de voir ce classique de l'épouvante gothique. 5/6
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MJ
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Re: Roger Corman

Message par MJ »

Podcast très recommandable de Roger Corman chez Maron (commence à 40''). Recette gagnante (cf Val Lewton ou Jason Blum): avoir un sens du budget + valoriser les talents sous-évalués. Evoque aussi ses poulains, l'évolution des financements, les points communs qu'il voit entre les 60's et la période actuelle, ses engagements de distributeurs (Bergman, Herzog). Dire qu'il a passé les 90 ans (il avait l'air de se porter comme une fleur cet été au Festival de Locarno... des choix de vie qui conservent bien, visiblement). Chic type, simplement.

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Re: Roger Corman

Message par lecoinducinéphage »

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Annoncé pour le 21/06

Présentation On l’a baptisé « le roi de la série B ».
Il a réalisé ou produit des centaines de films de tous genres : épouvante, fantastique, films de gangster, science-fiction, western...
On lui doit des classiques comme La Petite Boutique des horreurs, La Chute de la maison Usher, Le Masque de la mort rouge, Les Anges sauvages ou Bloody Mama. Il a distribué aux États-Unis des films de Truffaut, Fellini, Bergman, Resnais, Kurosawa, Herzog...
Il a lancé les carrières de toute une génération d’acteurs, cinéastes et scénaristes : Jack Nicholson, Martin Scorsese, Francis Ford Coppola, Joe Dante, Monte Hellman, Peter Bogdanovich, James Cameron, Jonathan Demme, Ron Howard...

Dans cette autobiographie, Roger Corman détaille les clés de sa réussite : faire un film pour quelques centaines de milliers de dollars, boucler un tournage en moins de dix jours, garder un contrôle total sur la production, ne jamais perdre d’argent. À son récit truffé de conseils et d’anecdotes se mêlent les témoignages de ceux, célèbres ou non, qui ont côtoyé cette légende du cinéma hollywoodien.
ROGER CORMAN SERA EN FRANCE A L'OCCASION DE SA MASTERCLASS
DANS LE CADRE DU FESTIVAL SOFILM SUMMERCAMP

22€ / 416 pages / Format : 12,2 x 19 cm
ISBN 979-10-239-0300-3 / Diffusion Harmonia Mundi

Contact : presse@capricci.fr / 01 83 62 43 81 / http://www.capricci.fr
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Re: Roger Corman

Message par Rick Blaine »

Super intéressant ça !
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Re: Roger Corman

Message par Flol »

Lu en VO et c'est effectivement passionnant.
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Re: Roger Corman

Message par Barry Egan »

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Depuis le temps que je voulais voir "The Wild Angels", c'était chose faite hier soir ! Et j'ai pas été déçu. C'est un classique, dans le sens où on y sent l'invention inconsciente de quelque chose, la mise en place de l'atmosphère prend quelques secondes, Peter Fonda assure, Bruce Dern est splendide, même Nancy Sinatra, plutôt raide, est parfaite pour son rôle. Diane Ladd dans ses quelques apparitions prend aux tripes. Quand ça part en mode exploitation (comme dans cette scène hystérique dans une église redécorée avec des croix gammées), ça garde tout de même quelque chose à dire, les symboles nazis ne sont pas là par hasard, s'invitant à l'écran comme le symbole d'un malaise ou d'une culpabilité, d'une angoisse. 1966, les hippies n'ont même pas encore fêté l'Été de l'Amour, et ce film montre déjà les germes d'Altamont. La musique de Davie Allan & The Arrows, bien que datée, reste teigneuse et colle aux images (quels superbes plans larges !). La photographie terne annonce le climat des 70s, plus qu'"Easy Rider" (qui achève les 60s sans se projeter sur autre chose). Certes, la psychologie des personnages n'est pas très développée, mais le constat collectif est cinglant. Un classique, je vous dis !
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Re: Roger Corman

Message par Monnezza »

Découvert Not from this earth grâce au coffret "Monstres de l'espace" sorti chez Artus et très agréablement surpris. Au passage, la copie est très correcte !

Je m'attendais à un film ringard mais Corman démontré encore une fois qu'il est sacrément rusé pour tirer le maximum d'un budget qu'on imagine extrêmement serré.

La toute fin, c'est It follows avant l'heure ! :mrgreen:
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Jeremy Fox
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Re: Roger Corman

Message par Jeremy Fox »

Le Masque de la mort rouge chroniqué par Justin
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Re: Roger Corman

Message par Jeremy Fox »

La Malédiction d'Arkham par Justin Kwedi.
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Re: Roger Corman

Message par frédéric »

Le Corbeau

Grosse curiosité ce film fantastique avec 3 grosses pointures du cinéma et un débutant Jack Nicholson. Un duel de magiciens plutôt sympathique avec un certain humour et des effets kitsch mais qui se laisse voir avec un petit côté Seigneur des Anneaux amusant. Pas le plus mauvais Corman, mais très curieux avec une assez jolie photographie.
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Profondo Rosso
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Re: Roger Corman

Message par Profondo Rosso »

L'Invasion secrète (1964)

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En 1943, les Nazis emprisonnent un général italien qui s'apprêtait à se ranger du côté des Alliés. Ces derniers, sous l'impulsion d'un officier anglais, réunissent cinq hommes condamnés à de lourdes peines de prison et leur confient la tâche de libérer le général tenu captif en Yougoslavie. S'ils réussissent cette mission périlleuse, chacun des cinq sera gracié.

Les années 60 sont une sorte d'âge d'or du film de "commando", sous-genre du film de guerre popularisé par le succès de Les Douze salopards (1967) de Robert Aldrich et qui aura nombre d'avatars divertissants dans le cinéma hollywoodien tout comme le cinéma bis italien. Et pourtant le filon ne naît pas du film d'Aldrich mais plutôt de Roger Corman avec L'Invasion secrète avec lequel, une fois n'est pas coutume, il se trouve initiateur plutôt que suiveur opportuniste d'une mode. Le postulat est effectivement quasi similaire à Les Douze Salopards avec ce groupe de reprise de justice engagé pour une mission suicide en échange de leur grâce. Les étapes en seront les mêmes aussi avec le recrutement, la mission et ses imprévus mais Corman en initiant ce type de film se montre finalement plus surprenant que ses successeurs.

La narration et l'esthétique obéissent à une pure logique et efficacité de série B, même si la production est un poil plus nantie que les budgets habituels de Roger Corman. On devine ainsi les stock-shots habilement insérés lors des premières scènes où l'équipe est recrutée au Caire, et plus tard Corman trousse un redoutable suspense maritime entre un bateau de pêche où sont dissimulés nos héros et un navire allemand rôdant aux alentours. Bien évidemment rien n'a été tourné en mer mais les effets de brume, un montage astucieux et une mise en scène au cordeau font parfaitement illusion pour nous tenir en haleine. A l'inverse dès qu'il peut disposer d'un décor naturel spectaculaire, Corman sait l'exploiter au maximum avec les vues majestueuses de cette ville de Dubrovnik dont on admire le panorama avant d'en sillonner les toits sous le feu allemand, faire du repérage dans les rues ou user des sites les plus stylisé comme ce cimetière. Les protagonistes sont dans un premier temps caractérisé à gros traits selon la présentation de leurs aptitudes et passif criminel (le faussaire, le maître du déguisement, l'expert en explosif) mais le choix d'acteurs charismatiques et de vraies "gueules" suffit à les imposer dans une intrigue allant droit au but. Ce qui deviendra un archétype pour certains est en partie déjoué ici comme avec le taciturne Henry Silva qu'on imagine précurseur du Telly Savalas de les Douze Salopards mais qui s'avère plus torturé que réellement néfaste. La mort semble planer au-dessus de lui à ses dépens notamment lors d'une scène choc le forçant à un acte terrible pour survivre. L'acteur n'est pas encore dans le registre des psychotiques qui le rendra célèbre et s'avère très intéressant, tout comme Raf Vallone (vrai héros du film et là aussi précurseur du Charles Bronson chez Aldrich en bras droit solide) et un Stewart Granger vieillissant mais solide en chef aux enjeux plus personnels.

Côté grand spectacle, on est plutôt bien servi grâce à la variété des morceaux de bravoure et une nouvelle belle exploitation des environnements. Le duel psychologique avec un officier allemand débouchant sur une invasion, la fabuleuse course-poursuite finale où nos héros arpentent une colline poursuivis par une garnison allemande, Corman sait y faire et impose quelques visions dantesques grâce à l'apport du personnel et matériel militaire par le gouvernement Yougoslave. Donc finalement et dans une moindre mesure Corman propose les personnages haut en couleurs de Les Douze salopards, la pyrotechnie et le cadre spectaculaire de Quand les aigles attaquent (1968) et y ajoute un scénario plus imprévisible qu'il n'en a l'air, notamment lors de sa poignante conclusion. Belle découverte ! 5/6
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