Jean Delannoy (1908-2008)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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daniel gregg
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Message par daniel gregg »

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Découvert avec un peu de retard Le Garçon sauvage (1951)de Jean Delannoy qui par la justesse de sa direction d'acteurs prouve s'il en était que Delannoy était un peu plus que le réalisateur académique et ennuyeux que ce que les ames chagrines de la nouvelle vague avaient voulu faire croire. Peut être comme le dit le réalisateur l'un des scénarios les plus poignants de Jeanson, admirablement servi par l'interprétation très professionnelle de l'enfant joué par Pierre-Michel Beck.
Et puis le charme des rues de Marseille aprés guerre vues à travers les peregrinations d'un enfant livré à lui même...
Nestor Almendros
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Re: Jean Delannoy

Message par Nestor Almendros »

L'ASSASSIN A PEUR LA NUIT (1942)

Pas vraiment accroché.

En fait, je m'attendais à un film noir à la française, la jaquette du dvd M6 vidéo aidant a priori à se faire à cette idée. Seulement, à l'image d'un Jules Berry mis en gros sur la jaquette alors qu'il n'apparait que dans trois scènes seulement, le film joue sur plusieurs registres sans beaucoup s'affirmer et sans y proposer quelque chose de suffisamment convaincant. La première demi-heure, par exemple, après une intro très "polar", finit par ressembler à une comédie romantique: certaines répliques sonnent "comique", l'ambiance de suspense n'est qu'un décor visuel jamais exploité dans une finalité, et une amourette avec simili jeune premier finit par apparaitre. A force de trop vouloir en faire, et pas de la meilleure façon, l'histoire m'a semblé rapidement tourner à vide. L'intrigue générale s'avère très mince, au contraire des quelques poncifs clichesques qui parsèment le film (comme ce truand au grand coeur qui sauve un gamin d'une chute mortelle). A noter que le scénario est inspiré d'un roman de Pierre Véry, très en vogue à l'époque (il a écrit "Goupi main rouge").
Ajoutons un casting pas toujours très inspiré, comme avec Jean Chevrier le jeune héros au jeu limité et au charisme un peu chancelant (il avait pourtant la gueule de l'emploi, entre rudesse et sympathie), ou avec la très sexy Louise Carletti qui a du mal à être convaincante sur la longueur.

Ceci dit, le film a un charme d'époque certain, que ce soit par des décors inspirés (l'intérieur du moulin) ou par une lumière travaillée digne des polars US (les scènes de suspense dans la pénombre fonctionnent très bien: la France avait un vrai savoir-faire en lumière, qu'elle a perdu depuis. Mais globalement j'aime énormément la lumière des films français de cette époque).
Signalons une assez belle restauration du master: pellicule restaurée, scratches effacés numériquement, beau piqué et grain qui va avec. Il est seulement dommage qu'un logiciel "bon marché" n'existe pas encore concernant la gestion du contraste car dans ce film, par exemple, la pellicule est tellement usée que la restauration numérique n'arrive pas à stabiliser la densité des noirs. Il en résulte un contraste fluctuant qui se remarque beaucoup, à la longue. C'est vraiment le seul reproche de ce master plus qu'honorable (on peut voir la différence avec des extraits d'une copie plus ancienne du film dans les bonus).

Enfin, je signale un bonus assez court (25mn) mais excellent sur le cinéma français pendant l'Occupation. C'est raconté par le passionnant (et foisonnant) Jean-Ollé Laprune (que je n'avais pas revu depuis LE CLUB sur CinéClassic - je ne me rappelle plus le nom exact de la chaîne). Il réussit en moins d'une demi-heure à résumer 6 ans d'industrie du cinéma pendant la guerre. Il connait visiblement son affaire sur le bout des doigts. Passionnant. Un intellectuel méconnu du cinéma (par le grand public) qui mériterait d'être davantage mis en lumière.
"Un film n'est pas une envie de faire pipi" (Cinéphage, août 2021)
Nestor Almendros
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Re: Jean Delannoy

Message par Nestor Almendros »

LES AMITIES PARTICULIERES

J'ai profité de la rediffusion au Ciné-Club pour me refaire un avis sur ce film que j'avais vu sans réelle passion il y a 3 ans et demi (petit avis peu intéressant ici).

Mon immersion dans le film a encore été limitée par cette ambiance si froide et si rigide que Delannoy emploie pour épouser le rythme de la vie des personnages et donner au spectateur un environnement similaire et suffisamment palpable. Il y a quelque chose de distant dans le film mais en même temps l'histoire est suffisamment intriguante, presque prenante, pour intéresser. Et, paradoxalement, si ce n'est pas le genre de film que j'aimerai revoir souvent, je très heureux de l'avoir revu et de l'avoir réévalué en quelque sorte.

L'impression forte que j'ai eu en sortant de cette histoire, c'est la grande audace de ce projet. Même si l'on prend certaines précautions narratives (en ne parlant pas de sexualité, par exemple, sauf éventuellement dans une scène où les contacts physiques commencent à provoquer un trouble, juste avant l'intrusion opportune d'un prêtre qui empêche toute dérive) le sujet reste l'amour entre hommes, ajouté ici à un amour proche du scandale (si ce n'était pas déjà suffisant) entre une adolescent et un enfant.
L'histoire est enrichie par l'environnement de ces jeunes garçons, le pensionnat, qui fait avancer l'histoire par les multiples obstacles auxquels sont confrontés les deux héros. Il y a des rêgles très strictes, une proximité qui donne peu de liberté, peu d'intimité.

Si la nature de cette relation est suffisamment argumentée, expliquée, ressentie, le rapport avec l'environnement religieux m'a paru tout aussi intéressant. Je ne peux saisir toutes ces subtilités (pour des questions de culture) mais ça m'a paru sinon évident en tout cas non négligeable. Car dans un environnement entièrement masculin, aux lois rigides, certains rapports entre adultes et adolescents peuvent développer une certaine ambiguité. L'histoire ne joue jamais sur des détails évidents mais accentue le trouble, ne cache pas les possibilités. Là, en particulier, on peut penser au personnage de Michel Bouquet qui se veut proche de ses élèves et parfois intime dans des situations peut-être pas si claires que cela (quand il invite des élèves dans sa chambre la nuit, pour boire un verre).
Concernant la religion et la vie de ce pensionnat, il y a évidemment, cette tradition d'étouffement dans l'oeuf de toutes ces "amitiés particulières" qu'on prend comme des dommages collatéraux dans un environnement uniquement masculin. C'est comme un risque récurrent qui toucherait quelques "brebis galeuses" (comme on dit dans le film). Et, sous couvert d'une attention douce et prévenante de ces gens d'église, sous des aspects amicaux et bienveillants, il ne s'agit en fait que de refreiner ces pulsions inavouables et sous estimer ce qu'ils croient être surtout une expérience furtive de la vie, un futur lointain souvenir.

J'ai donc été touché par cette audace de montrer frontalement, on peut le dire, une histoire d'amour doublement taboue à une époque où cela devait être encore plus difficile qu'aujourd'hui, où tout est loin d'être rêglé.
"Un film n'est pas une envie de faire pipi" (Cinéphage, août 2021)
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Re: Jean Delannoy

Message par julien »

J'ai pas lu le livre mais il parait que le film est un peu édulcoré par rapport au roman de Roger Peyrefitte qui était plus sulfureux. Il y a un passage que je trouve très beau, c'est lorsque le gosse rencontre pour la première fois l'adolescent dans la serre. A ce moment, on entend seulement le thème musical du film, interprété à l'orgue. Une pièce assez émouvante. D'ailleurs à quand une réédition de cette musique que Prodromides considérait comme l'une de ses préféré ?

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Re: Jean Delannoy (1908-2008)

Message par Dominique »

Bonjour, je n'ai pas revu le film depuis son passage au Centre Pompidou (c'est en France) au début des années 80 ... j'avais trouvé ça assez beau et loin des Delanoy à la noix comme disait Truffaut ... en tout cas bon nombre de cinéastes de la Nouvelle Vague n'aurait jamais fait mieux ...
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Re: Jean Delannoy (1908-2008)

Message par julien »

Truffaut aurait certainement fait un film complètement à côté de la plaque. Sur un sujet assez similaire, il y avait eu aussi le film de Malavoy : La Ville dont le Prince est un Enfant - d'après une œuvre de Montherland - qui n'était pas inintéressant.
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Re: Jean Delannoy (1908-2008)

Message par Alligator »

Maigret et l'affaire Saint-Fiacre (Jean Delannoy, 1959) :

http://alligatographe.blogspot.com/2010 ... iacre.html

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J'ai longtemps hésité entre voir ce "Maigret et l'affaire St Fiacre" et "Maigret tend un piège". Je tiens les deux films de Delannoy en très haute estime, un diptyque succulent que je sirote de temps en temps, histoire de renouer avec les fondamentaux du cinéma de papa (de mononcle pour mes amis québécois) et un plaisir sans cesse renouvelé. J'ai opté pour "Maigret tend un piège" parce qu'un méchant dvd-rot m'a coupé la chique à la moitié du film. "Maigret et l'affaire Saint-Fiacre" est venu à ma rescousse.

La vision successive (pour ainsi dire) des deux génériques me permet de souligner que les deux films sont intimement liés : de la production à la réalisation en passant par les scénaristes ou le directeur photo jusqu'au décorateur, tout le monde se retrouve sur les deux films. Il n'y a finalement que la distribution qui varie et le compositeur. Ici c'est Jean Prodromidès qui nous a préparé une musique très calme empreinte d'une certaine mélancolie, une musique qui fleure bon la fausse quiétude provinciale dont le film va s'ingénier à retracer les bouleversements. Assez mesurée pour ne pas prendre toute la place, elle est suffisamment bonne pour accompagner de manière élégante et efficace le récit ainsi que la mise en scène de Delannoy entre les bouffées de violentes tensions et les discrètes observations du commissaire Maigret plus feutrées et solennelles.

La conduite du récit est admirable. Delannoy tient merveilleusement la barre. Ses cadrages et ses mouvements de caméra sont plutôt sobres. La mise en scène sert essentiellement l'art des comédiens et la finesse des dialogues. Delannoy met sa caméra au service des autres et non de sa mise en image. L'histoire est la plus importante. Les acteurs sont les outils d'un spectacle que Delannoy ne veut louper sous aucun prétexte ni aucun effet de caméra intempestif, d'esbroufe. Son soucis constant de sobriété me rappelle l'efficacité d'un Henri Verneuil ou de Richard Fleischer. Certes, dans le final, un effet de lumière, des plongées et contre-plongées viennent pimenter la soirée et accentuer le paroxysme du suspense.

Et on revient aux dialogues de Michel Audiard qui soutiennent si brillamment cette mise en scène. Audiard a le génie du bon mot, celui qui enrobe à merveille une situation mais plus encore qui condense les sentiments des personnages. Quand le comte demande à ses invités s'il va falloir demander une autre bouteille de vin, Gabin fait tinter son verre de son couteau et irrité, recadre tout le monde avec une question qui refroidit, mettant les enjeux de son séjour sur la table et dénotant l'investissement personnel du commissaire : "Monsieur le comte voudrait savoir si l'assassin prendra du vin avec le dessert". Il ne goûte guère ce diner en présence de celui qui a tué la comtesse, une femme pour qui il vouait une profonde admiration depuis son plus jeune âge.

Le retour en arrière empli de nostalgie que son âge et son expérience lui permettent d'assumer pare le film d'une teinte un peu maussade tout de même. Parfois le commissaire jette un regard attendri, amusé mais la déchéance de ce passé qu'il a chéri, dont il est maintenant témoin, le navre plus qu'il ne s'y attendait. Revoir celle qu'il a connu jadis, quand il était môme l'autorise à quelques espiègleries, notamment reprendre une voix d'enfant pour demander un roudoudou à la vieille qui tient encore l'épicerie du village ou bien jeter un caillou sur la cloche de l'école. Maigret retourne sur ses pas autant que peut se le permettre un vieux commissaire de police. Mais comme le lustre d'antan a bien fichu le camp sous les coups d'une génération plus cynique et irrespectueuse, son visage s'assombrit. Quand la comtesse meurt, sa contenance placide laisse place à une sourde colère qui finit d'éclater dans les dernières minutes quand il confond le meurtrier.

Le portrait de cette bourgade rurale, éloignée du brouhaha parisien, ancrée dans un brouillard propre à sédimenter les rancœurs et les ambitions est façonné sur un texte de Georges Simenon, un riche auteur, dont le génie ne se résume pas à manipuler les hypocrisies et les petitesses de la notabilité de province mais qui réussit à transcender son propos dans des récits admirables qui touchent toujours l'humanité au creux du cœur et de l'estomac.

Jean Gabin est un Maigret merveilleux. Quand il fatigue sous la chaleur estivale de "Maigret tend un piège" ou bien quand ici il se confronte à un passé doré égratigné par un présent plein de désillusions. Dans tous les cas, Delannoy et Audiard mettent la caméra et les mots qu'il faut pour que l'acteur fasse des étincelles. Juste, son jeu est d'une perfection éclatante.

Belle alliance de talents qui me met en joie à chaque visionnage. La distribution annexe n'est pas en reste. Je retiens en premier lieu la figure fanée de Michel Auclair en dandy alcoolique infoutu de tenir son rang et promis aux affres de la culpabilité. Mais Robert Hirsch, un peu trop efféminé à mon goût pour incarner son personnage de gigolo, est pourtant un sacré foutu bon comédien. Ton et tempo sont irréprochables.

Le DVD René Château n'est pas loin d'être parfait. Les scènes intérieures sont très agréables à l'œil et cette superbe photographie de Louis Page participe sans aucun doute à rendre le film très excitant à suivre. Un vrai plaisir visuel, net, précis, un beau blanc et noir.

Je m'interroge encore sur finalement le peu de cas que l'on fait de Jean Delannoy, sans doute un des meilleurs faiseurs du cinéma de papa mais dont le talent ne s'arrête pas à cette étiquette désastreusement étriquée. Ce type marquait parfaitement le texte à la culotte. Les quelques films de ce cinéaste que j'ai vus m'ont toujours donné cette drôle d'impression, celle de lire une ligne bien droite, une sorte d'épure, un dessin très précis et une œuvre qui se respecte, à la lettre, avec la constance et la cohérence du discours, une précision narrative en quelque sorte.
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Profondo Rosso
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Re: Jean Delannoy (1908-2008)

Message par Profondo Rosso »

L'Éternel Retour (1943)

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Marc, richissime aristocrate, réside dans un château luxurieux. A ses côtés, vit notamment son neveu Patrice, haï par toutes celle et ceux qui espèrent hériter de la fortune du châtelain. Un jour, Patrice ramène dans la demeure Nathalie, une belle et jeune orpheline, qu'il pense pousser dans les bras de Marc. Mais les autres résidents, envieux, ne sont pas du tout du même avis. Pensant les empoissonner, ils feront boire à ses derniers un élixir d'amour.

Déjà vedette établie au théâtre, l'ascension de Jean Marais au cinéma se voit freinée par des aléas sur lesquels il n'a pas prise, entre les annulations de plusieurs projets avec Marcel Carné qui devaient le lancer (dont Juliette ou la Clé des songes que Carné réalisera bien plus tard) et surtout pour sa relation avec Jean Cocteau cible favorite de la critique collaborationniste. Qu'à cela ne tienne, Cocteau décide d'écrire lui-même à Jean Marais le grand rôle qu'il mérite. Considérant que les deux plus grands textes à avoir traversés les siècles sont les épopées romantiques de Roméo et Juliette et Tristan et Iseult, il décide de donner sa vision du second et de faire de Jean Marais son Tristan. Le projet alternera à l'écriture entre adaptation classique pour un film d'époque et transposition moderne mais les aléas du budget (n'est pas Les Visiteurs du Soir qui veut) forceront Cocteau à opter définitivement pour une version contemporaine du mythe. Le difficile Sang du poète réalisé en 1930 avait prouvé que Cocteau n'était pas encore apte à porter la mise en scène d'un projet d'envergure et son choix se portera sur Jean Delannoy qui venait de remporter un grand succès avec Pontcarral et dont le Macao l'avait fortement impressionné par sa facture visuelle inventive puisque le Macao de studio sera très proche des souvenirs de Cocteau qui s'y était vraiment rendu. En dépit de quelques difficultés, la collaboration se déroulera sous les meilleures auspices (le trio Delannoy/Marais/Cocteau se retrouvera même bien plus tard pour une adaptation de La Princesse de Clèves en 1961), Cocteau interférant peu sur le tournage et au contraire se familiarisant avec la notion d'écriture et de mise en scène pensée pour le cinéma. Ce sera également l'occasion de côtoyer et d'apprendre auprès de futurs collaborateurs sur ses film à venir comme le décorateur Georges Wakhevitch (qui déploie des trésors d'inventivité ici) qui contribuera à L'Aigle à 2 têtes en 1948).

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Fort de cette gestation complexe, L'Éternel Retour est un objet des plus singuliers et un des fleurons du "fantastique poétique" français alors à son apogée. Le cadre moderne donne ainsi une forme déroutante au film qui joue autant de l'origine médiévale du conte dans le ton que d'une touche "réaliste" et très terre à terre dans l'approche de certains aspect. Le romantisme exacerbé et lyrique exprimé lors de tout les échanges entre Patrice/Tristan et Nathalie/Iseult (Madeleine Sologne) est un ode à l'amour courtois du Moyen Age tandis que certaines relectures surprennent tel le géant Morholt qu'affronte Tristan qui devient ici une brute épaisse terrorisant un bar local. Le très nébuleux titre du film évoque une pensée de Nietzsche sur l'éternel recommencement et l'éternité des choses, que Cocteau applique à la légende de Tristan et Iseult se répétant à l'insu même de ses protagonistes moderne revivant les même tourments. Delannoy traduit cette idée visuellement avec de pures séquences où on semble revenu au cadre originel du conte tel l'arrivée à cheval de Patrice et Nathalie au château, leurs entrevues secrètes nocturnes où la majesté vétuste et factice du décor nous plonge en pleine féérie intemporelle. L'alternance avec des lieux plus contemporains (le garage) et d'autres plus neutre mais à la beauté naturelle fascinante (le chalet en montagne, les vues somptueuses de cette côte maritime au petit matin) achève de faire de L'Éternel Retour une oeuvre hors normes où le naturalisme s'alterne avec l'illusion la plus pure.

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Jean Marais et Madeleine Sologne formeront pour toute la jeunesse de l'époque une sorte d'idéal romantique. Cela tient autant à leur look très travaillé (où à nouveau passé et présent, réalisme et féérie se disputent entre la décoloration blonde commune leur donnant une aura angélique mais aussi les fameux pull jacquard de Jean Marais et les robes blanche évanescente de Madeleine Sologne) qu'à l'approche de Cocteau. L'ambiguïté est constante quant aux réels pouvoir du filtre d'amour sur la passion de notre couple. Cocteau joue sur les deux tableaux, la déchirante douleur de la séparation dans la dernière partie pouvant être la cause du filtre mais c'est bien à un amour humain, naturel et sincère que semble croire l'auteur. Nathalie semble troublée par Patrice bien avant l'absorption de la boisson aux vertus magiques lorsqu'elle le soigne et se montrera vexée lorsqu'il tentera de la jeter dans les bras de son oncle. La scène où ils boivent le filtre est délestée de tout effet tendant à souligner la teneur surnaturelle de leur lien, mais suggère plutôt à la prise de conscience de son existence. Jean Marais aura subtilement retenu l'exaltation de son personnage jusqu'à cet instant la magie pouvant autant être en cause qu'un vrai coup de foudre tandis Madeleine Sologne (parfaite de fragilité) au contraire n'aura rien dissimulé de ses sentiments. C'est cet entre deux qui rend le récit si poignant, rendant le couple victime de forces qui le dépassent et/ou de leur sentiments les plus sincères.

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Les partis prix sont si marqués et novateurs que le film a forcément vieilli sur certains aspect mais le charme reste intact, notamment grâce à l'interprétation de premier ordre. La jalousie de Junie Astor en fiancée déçue, la sournoiserie de Yvonne de Bray en tante manipulatrice, la douleur contenue de Jean Murat en oncle bafoué et l'ignominie de l'incroyable Pieral (échappé des Visiteurs du Soir) tissent un tableau fascinant autour du couple vedette. C'est eux qui auront fait survivre le drame de ces nouveaux Tristan et Iseult et lorsque les notes de la musique de Georges Auric s'élèvent pour leur ultime voyage, l'émotion n'en est que plus forte avec un plan final significatif s'il en est. 5/6
Alligator
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Re: Jean Delannoy (1908-2008)

Message par Alligator »

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Le Baron de l'écluse (Jean Delannoy, 1960)

Ce film n'est pas le premier qui vient à l'esprit quand on songe à la filmographie tardive de Jean Gabin. Il n'est ni même dans les cinq premiers. Certes, de plus grands films sont sans doute beaucoup mieux balancés, mieux écrits, mais il n'empêche... il y a une certaine forme d'injustice à omettre trop souvent ce baron.

Il est vrai que la structure en deux parties peut paraitre un peu déséquilibrante, à tel point qu'on a facilement l'impression de voir deux films différents accolés. Mais au final, il émane de ce film quelque chose d'absolument charmant.

Les influences marquantes de ce film viennent de quatre horizons différents. Quatre noms signent le scénario ou l'idée du film : Jean Delannoy, Michel Audiard, Georges Simenon et Maurice Druon.

La patte Delannoy est sensible peut-être plus encore dans le rythme que prend le film et cette amoureuse caméra qui suit tranquillement, avec beaucoup d'admiration le vieux Jean Gabin. On sent très vite la déférence du cinéaste et le souci constant de bien filmer le magnifique comédien dans toute sa splendeur de vieil homme, le talent et la majesté. Delannoy qui n'est pas un crétin, loin s'en faut, sait se mettre au service de ce monument. Bien que je ne connaisse pas aussi bien que je le voudrais ce cinéaste, j'ai toujours le réflexe (peut-être erroné) de l'associer à la sérénité, ou du moins une certaine tranquillité. Et cette histoire de grand bateau de luxe, obligé d'accoster dans un petit bled paumé au fin fond de la France me semble tellement lui ressembler!

Bien entendu, la présence de Michel Audiard est dans les saveurs épicées que nous servent les dialogues. Même si l'on est loin des grandes envolées comico-lyriques des comédies plus libres qui ont fait sa célébrité, cette production n'est pas sans petites pépites, dans ce style très espiègle, avec cette dose de culture, amoureuse de la langue française qui donne ses lettres de noblesse au talent d'Audiard. C'est toujours si agréable d'écouter un film dialogue par Michel Audiard. Foutre, que j'aime le cinéma!

Et pourtant on se rend compte très vite que l'influence de Maurice Druon va quelque peu émousser la verve d'Audiard. Druon était un sacré personnage, j'en conviens. Ma jeunesse a été marquée par ses coups de gueules ultra réactionnaires qui ponctuaient ses interventions télévisées. Je n'ai jamais eu de sympathie pour cet homme, bien au contraire, il était trop doué pour vivre uniquement dans le passé avec d'éclatantes œillères. J'ai retrouvé assez vite cette langue, très académique, ce faux panache qu'il mettait dans son expression.

Dans la première partie du film, l'histoire nous invite à rencontrer une engeance aristocratique et de la très haute bourgeoisie, celle qui ne peut lire que Le Figaro et honnir le peuple si par mégarde il venait à oser sortir de ses plates bandes et décrier ce monde de privilégiés. Il y est dépeint un monde que tout un chacun peut rencontrer au cours de son existence (même les riches peuvent être pauvres alors?!). On suit donc un Jean Gabin qui avec classe et élégance, et cette mâle assurance qui fait aussi son charme, essaie de se dépatouiller d'une misère qu'il sait passagère. Dans les casinos ou les plages de Deauville, il rencontre ce qu'il se fait de plus cossu. En fin de comte, il hérite d'un yacht qu'il décide d'amener par les jolis canaux de France sur la côté d'Azur. Faute de pognon et de personnel navigant (ça préfère mettre les voiles sur une péniche où on mange), voilà que le bateau jette ses amarres à l'entrée d'une écluse, dans un petit patelin de la France profonde.

Et là mes amis, on entre dans un autre film, celui de Georges Simenon. Le contraste est saisissant. Ce sont les petites gens qui regardent le baron avec les yeux grands ouverts. Simenon est certainement l'un des plus grands auteurs du 20e siècle. Le belge sait à merveille scruter les aléas de l'âme du commun des mortels. Jean Delannoy sait formidablement montrer cela, comment le peuple regarde les sommets, par le petit carreau de la fenêtre, avec bienveillance tout de même et peut-être une secrète pointe d'envie. Le film est une comédie populaire, alors forcément l'envie est douce, un peu amère à l'heure de la désillusion, mais toujours docile. Je ne sais pas si c'est ce canal, mais on a la nette impression de suivre le fil de l'onde avec une tranquillité, comme un poème, ainsi va la vie.

Chez les comédiens, je ne reviens pas sur Jean Gabin qui est dans les étoiles, sa précision est un bijou céleste, elle donne le frisson et fait aimer encore plus le cinéma et les acteurs, j'adore ce gigantesque pilier.
J'aime bien Micheline Presle, d'une affection sage, celle de l'enfant que j'estois jadis et qui l'a découverte dans "Les saintes chéries". Elle est ici très belle mais j'avoue que son rôle n'a que très peu d'importance.
De même, Jean Desailly est un comédien remarquable, toujours juste, mais son personnage est trop anecdotique dans ce film et peine à exister, c'est dommage.
Blanchette Brunoy est une actrice que je connais peu. Elle sert un personnage dense, très simenien, avec une maitrise émouvante. Son flirt, son début d'idylle avec le baron Gabin est très crédible, ce qui n'était pas gagné d'avance, non, un beau travail de comédienne!

Et donc je maintiens qu'on a là un joli brin de film, même si inégal, il en découle quelque chose de plus que valable, de bien rond, assez charnu pour procurer pas mal de plaisir à ceux qui aiment les films français de cette époque.
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Commissaire Juve
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Re: Jean Delannoy (1908-2008)

Message par Commissaire Juve »

Je m'en veux de parasiter un texte aussi dense par un commentaire à 2 centimes, mais, bah...

Donc : j'approuve tout ce qui est écrit. J'ai lu la nouvelle de Simenon il y a quelques mois et j'ai été surpris de voir que Delannoy ait pu sortir tout ça d'un si petit texte (petit par la taille et d'une apparente minceur littéraire). Chabrol pouvait se foutre de sa gueu***, c'est du bon cinoche. Et -- 51 ans plus tard -- cela se regarde avec bien plus de plaisir que "Le beau Serge" ou "Les cousins" (j'en reviens aux piques assassines -- dans les suppléments des blu-ray -- de "Chacha" à l'égard des réals du genre Delannoy... piques que j'ai trouvées fort de café).
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Re: Jean Delannoy (1908-2008)

Message par Commissaire Juve »

Alligator a écrit :... Blanchette Brunoy est une actrice que je connais peu. Elle sert un personnage dense, très simenien, avec une maitrise émouvante. Son flirt, son début d'idylle avec le baron Gabin est très crédible, ce qui n'était pas gagné d'avance, non, un beau travail de comédienne!
Incidemment : 10 ans plus tôt, les deux comédiens étaient amants dans La Marie du Port de Marcel Carné. Le DVD René Chateau n'est pas mal : copie en bon état, mais encodage pas toujours au point (petites mouvances de-ci de-là... truc qui m'énerve particulièrement) et piste audio tout juste satisfaisante.

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Message par Alligator »

Et encore du Simenon! En voilà un qu'il faut que je me procure!
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Re: Jean Delannoy

Message par Cathy »

Nestor Almendros a écrit :L'ASSASSIN A PEUR LA NUIT (1942)

Pas vraiment accroché.

En fait, je m'attendais à un film noir à la française, la jaquette du dvd M6 vidéo aidant a priori à se faire à cette idée. Seulement, à l'image d'un Jules Berry mis en gros sur la jaquette alors qu'il n'apparait que dans trois scènes seulement, le film joue sur plusieurs registres sans beaucoup s'affirmer et sans y proposer quelque chose de suffisamment convaincant. La première demi-heure, par exemple, après une intro très "polar", finit par ressembler à une comédie romantique: certaines répliques sonnent "comique", l'ambiance de suspense n'est qu'un décor visuel jamais exploité dans une finalité, et une amourette avec simili jeune premier finit par apparaitre. A force de trop vouloir en faire, et pas de la meilleure façon, l'histoire m'a semblé rapidement tourner à vide. L'intrigue générale s'avère très mince, au contraire des quelques poncifs clichesques qui parsèment le film (comme ce truand au grand coeur qui sauve un gamin d'une chute mortelle). A noter que le scénario est inspiré d'un roman de Pierre Véry, très en vogue à l'époque (il a écrit "Goupi main rouge").
Ajoutons un casting pas toujours très inspiré, comme avec Jean Chevrier le jeune héros au jeu limité et au charisme un peu chancelant (il avait pourtant la gueule de l'emploi, entre rudesse et sympathie), ou avec la très sexy Louise Carletti qui a du mal à être convaincante sur la longueur.

Ceci dit, le film a un charme d'époque certain, que ce soit par des décors inspirés (l'intérieur du moulin) ou par une lumière travaillée digne des polars US (les scènes de suspense dans la pénombre fonctionnent très bien: la France avait un vrai savoir-faire en lumière, qu'elle a perdu depuis. Mais globalement j'aime énormément la lumière des films français de cette époque).
Signalons une assez belle restauration du master: pellicule restaurée, scratches effacés numériquement, beau piqué et grain qui va avec. Il est seulement dommage qu'un logiciel "bon marché" n'existe pas encore concernant la gestion du contraste car dans ce film, par exemple, la pellicule est tellement usée que la restauration numérique n'arrive pas à stabiliser la densité des noirs. Il en résulte un contraste fluctuant qui se remarque beaucoup, à la longue. C'est vraiment le seul reproche de ce master plus qu'honorable (on peut voir la différence avec des extraits d'une copie plus ancienne du film dans les bonus).
Je te rejoins entièrement sur ton avis. Hormis la scène où le héros commence à être hanté par le fait d'avoir tué l'antiquaire et le côté sympathique du moulin, le film est décevant. Je venais de voir le très très bon "Dame 'Onze heures" et je m'attendais à un policier français du même acabit. Le problème est qu'on ne sait pas dans quel sens le film va aller, et Jean Chevrier manque singulièrement de charisme. On s'intéresse plus à l'histoire de Monique et Gilles. On voit le côté Pierre Very avec le sauvetage de l'enfant, mais le film s'avère très décevant ! Et Jules Berry n'a pas le temps de marquer l'histoire dans de tous petites scènes. Dommage.
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Jeremy Fox
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Re: Jean Delannoy (1908-2008)

Message par Jeremy Fox »

Le Soleil des voyous - 1967

J'avais beaucoup aimé ses deux Maigret mais ne m'attendais à pas grand chose de ce polar dont je ne connaissais même pas l'existence il y a encore un mois. Donc très agréablement surpris par ce film de casse certes tout à fait conventionnel mais très efficace et rondement mené, aux dialogues plein de gouailles signés Alphonse Boudard. C'est simple et carré, parfaitement bien interprété par un Gabin en grande forme et un Robert Stack qui ne s'en sort pas mal du tout y compris dans ses scènes de bagarres. Et puis les couleurs sont belles, l'on trouve pas mal de scènes en extérieurs sur de belles routes de campagne française et la nostalgie fonctionne aussi pas mal pour ceux qui comme moi sont nés à cette époque par le fait de retrouver voitures, objets, décoration et costumes de ces années là. J'y ai pris beaucoup de plaisir !
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Rick Blaine
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Re: Jean Delannoy (1908-2008)

Message par Rick Blaine »

Le souvenir est très lointain, mais je garde en tête un film qui m'avait semblé un peu confus et un peu terne, même si j'ai toujours plaisir à voir Gabin dans ce genre de films et d'atmosphère. Ça mériterait que je le revois.
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