Jean Delannoy (1908-2008)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Jeremy Fox
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Re: Jean Delannoy (1908-2008)

Message par Jeremy Fox »

Rick Blaine a écrit :Le souvenir est très lointain, mais je garde en tête un film qui m'avait semblé un peu confus et un peu terne, même si j'ai toujours plaisir à voir Gabin dans ce genre de films et d'atmosphère. Ça mériterait que je le revois.
Terne peut-être (même si j'aurais plutôt dit "convenu") mais confus, absolument pas. C'est un scénario très fluide au contraire.
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Kevin95
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Re: Jean Delannoy (1908-2008)

Message par Kevin95 »

Jeremy Fox a écrit :
Rick Blaine a écrit :Le souvenir est très lointain, mais je garde en tête un film qui m'avait semblé un peu confus et un peu terne, même si j'ai toujours plaisir à voir Gabin dans ce genre de films et d'atmosphère. Ça mériterait que je le revois.
Terne peut-être (même si j'aurais plutôt dit "convenu") mais confus, absolument pas. C'est un scénario très fluide au contraire.
Le film est pépère mais plaisant à regarder. Pas d'embrouille, du cinéma de papa qui avance à son rythme et qui s'amuse le temps d'une heure et demi. Musique très pop et savoureuse de Francis Lai.
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Re: Jean Delannoy (1908-2008)

Message par Julien Léonard »

Après Le Tonnerre de Dieu (le dernier succès énorme -4 millions d'entrées- effectué par Gabin en "solo"... les autres triomphes ultérieurs se feront en collaboration avec d'autres stars), son bâton de vieillesse sera le polar. C'est pour cela qu'il tourne un film sur deux dans ce genre là, à l'époque. Et cela jusqu’au-bout d'ailleurs. Le soleil des voyous est un film de casse fort solide, j'en pense à peu près la même chose que toi Erick (et puis, c'est finalement assez proche de Mélodie en sous-sol, même si forcément très différent sur la forme). C'est bien fait, bien écrit, bien interprété. Gabin s'est lancé dans ce projet après la déconvenue du Jardinier d'Argenteuil, l'un des plus gros échecs de sa carrière (le score, certes en nette baisse, n'est cependant pas trop déshonorant... mais pour un Gabin, c'est très bas !), afin de surfer sur la formule de Du rififi à Paname. Casting international, scénario carré, rebondissements fréquents, et une fin en forme de soleil trompeur. Gabin enchainera avec Le Pacha chez l'écurie Lautner. Des films à 2 millions d'entrées chacun. Bref, la formule Gabin en bonne forme afin d'assurer son métier et ses vieux jours.

Du coup, de Jean Delannoy, je viens de revoir Le baron de l'écluse. Un très beau film, vraiment. Il ne s'y passe presque rien, mais la magie opère presque à chaque instant. C'est un film "antidépresseur" à regarder pour se remonter le moral en pente douce. Les personnages sont très jolis, et le récit tergiverse ici et là au gré d'une attente bonhomme autour d'une écluse de laquelle chacun retire quelque-chose pour soi. C'est un libertinage cinématographique (pour reprendre les mots de Gabin), un peu comme pour Archimède le clochard.
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Jeremy Fox
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Re: Jean Delannoy (1908-2008)

Message par Jeremy Fox »

Julien Léonard a écrit :
Du coup, de Jean Delannoy, je viens de revoir Le baron de l'écluse. Un très beau film, vraiment. Il ne s'y passe presque rien, mais la magie opère presque à chaque instant. C'est un film "antidépresseur" à regarder pour se remonter le moral en pente douce. Les personnages sont très jolis, et le récit tergiverse ici et là au gré d'une attente bonhomme autour d'une écluse de laquelle chacun retire quelque-chose pour soi. C'est un libertinage cinématographique (pour reprendre les mots de Gabin)

J'aime aussi beaucoup ce film :wink:
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Kevin95
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Re: Jean Delannoy (1908-2008)

Message par Kevin95 »

MACAO, L'ENFER DU JEU - Jean Delannoy (1942) découverte

Je n'ai jamais vu Jean Delannoy aussi formaliste. Comme galvanisé par la présence au casting d'Erich von Stroheim, Jeannot tente des plans séquences acrobatiques, de longs plans élégants et reconstruit Macao à Nice sans qu'on ait à redire. Un Macao en toc certes, sternbergien comme dirait Bertrand Tavernier, mais iconique et fascinant. Dommage que la fête soit gâchée par l'apparition de blancs aux yeux bridés, aussi asiatiques qu'un camembert. Macao, l'enfer du jeu est une affaire de chassé-croisé, d'un commerçant allemand un peu magouilleur mais attachant, d'une française paumée, d'un tenancier chinois et accessoirement d'un jeune con et d'une cruche hystérique. Tout ce qui concerne ces derniers est lourd, lent et oubliable. En revanche, le méchant chinois est intriguant et le jeu de séduction entre Stroheim et Mireille Balin est savoureux. Le final baroque est superbe mais sort d'un chapeau de scénariste et intervient trop violemment. Ça n’empêche pas ce Macao façon Delannoy d'être une petite péloche exotique et sympathique.
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Re: Jean Delannoy (1908-2008)

Message par Alexandre Angel »

Kevin95 a écrit :Un Macao en toc certes, sternbergien comme dirait Bertrand Tavernier, mais iconique et fascinant
Il me semble que c'est un travelling de ce film que se sont repassés en boucle, comme des gamins, Tavernier et Scorsese (impossible de me souvenir d'où je tiens cette anecdote).
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

m. Envoyé Spécial à Cannes pour l'Echo Républicain
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Kevin95
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Re: Jean Delannoy (1908-2008)

Message par Kevin95 »

Alexandre Angel a écrit :
Kevin95 a écrit :Un Macao en toc certes, sternbergien comme dirait Bertrand Tavernier, mais iconique et fascinant
Il me semble que c'est un travelling de ce film que se sont repassés en boucle, comme des gamins, Tavernier et Scorsese (impossible de me souvenir d'où je tiens cette anecdote).
Je crois même que c'est Tavernier qui l'a conseillé à Scorsese.
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Re: Jean Delannoy (1908-2008)

Message par cineberry »

Kevin95 a écrit :MACAO, L'ENFER DU JEU - Jean Delannoy (1942) découverte
Jamais vu mais fort intrigué par ce film. J'attendrai que Gaumont le sorte dans sa collection rouge.
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Re: Jean Delannoy (1908-2008)

Message par Jeremy Fox »

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Re: Jean Delannoy (1908-2008)

Message par Profondo Rosso »

Macao, l'enfer du jeu (1942)

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À Macao où sont concentrés les lieux de plaisir et le trafic d'armes, un drame oppose un aventurier et sa fille qu'il a fait élever dans l'ignorance de son métier. Elle est arrachée à son milieu et sauvée de la tragédie par un jeune journaliste qui l'aime.

Parmi les cibles privilégiées des jeunes turcs de la Nouvelle Vague sur la « qualité française », Jean Delannoy vaut bien mieux que cette réputation et notamment pour ce Macao, l’enfer du jeu qui surprendrait bien ceux l’accusant d’académisme. Le film est adapté du roman éponyme de Maurice Dekobra paru en 1938. Il s’inscrit dans une forme de fantasme occidental pour une vision décadente et exotique de l’Asie puisque le film est quasi contemporain du Shanghai Gesture de Josef von Sternberg (1941) produit à Hollywood. Cet aspect rêvé s’inscrit d’ailleurs dans la confection même du film puisque Macao est créé (plutôt que reconstitué) aux studios de la Victorine à Nice. Le réalisme importe peu, tant au niveau du décor que du casting où certains asiatiques sont joués par des européens, d’autres voient leurs traits primer sur leur nationalité réelle (l’acteur japonais Sessue Hayakawa jouant un caïd chinois) tandis que tous les figurants sont des travailleurs indochinois et chinois recrutés en région parisienne.

L’important est ici de traduire cette atmosphère fantasmée de Macao, lieu de tous les possibles où l’on peut autant espérer s’enrichir que redouter de se perdre. Il y a ceux qui ont compris et domptés la ville pour se placer à son sommet comme le truand Ying Tchaï (Sessue Hayakawa). On trouve également les aventuriers de toujours tel von Krall (Erich von Stroheim) venu y mener une périlleuse opération de vente d’armes. Il y a enfin les innocents qui vont découvrir malgré eux l’envers tentaculaire de Macao comme Pierre (Roland Toutain) jeune voyageur insouciant ou Jasmine (Louise Carletti) jeune fille innocente qui ignore que son propre père est le maître du crime au sein de la cité. Mireille (Mireille Balin) se situe entre les deux, femme au vécu certain se laissant porter par les évènements. Sans se montrer ouvertement sulfureux (surtout si l’on compare avec le stupre de Shanghai Gesture) Jean Delannoy travaille brillamment par la forme l’atmosphère viciées de Macao, que ce soit par la description où la caractérisation des personnages. Un des moments aussi fascinant que subtil en ce sens est la scène où sur le bateau, von Krall raccompagne Mireille à sa chambre. On pourrait penser qu’en tant que bienfaiteur il attend d’elle une légitime « récompense » en pénétrant dans sa cabine. Le sous-entendu est également clair pour Mireille qui commence à retirer sa robe mais la simple idée que celle-ci est disposée à s’offrir à lui suffit à sa satisfaction, à son sentiment de domination, et il s’éclipsera sourire aux lèvres sans en demander davantage. Tout le film fonctionne ainsi, dans une vision ou situation simple d’interprétation avant qu’une mise en abyme révèle une manipulation, un marionnettiste qui se joue de nous à un niveau supérieur. Cela s’illustre notamment par les écrans de contrôle de Ying Tchaï donnant le casino où les joueurs imagine leur victoire ou perte au jeu comme dépendant du hasard, alors que leur gain est destiné au truand (à l’intérieur ou en dehors du casino). Les parieurs compulsifs comme von Krall restent flegmatiques face aux aléas de la fortune, les êtres vils comme Almaido (Henri Guisol) les surmontent en trahissant tout le monde, et un Ying Tchaï les façonnent en ayant toujours un coup d’avance (sa séduction retenue de Mireille Balin qu’il saura faire revenir, en homme qui obtient toujours ce qu'il veut).

Jean Delannoy exprime cette constante incertitude morale par un exotisme de pacotille et une imagerie onirique où les effets de mise en scène nous font traverser les niveaux de réel, font sauter les verrous moraux. Les travellings nous font basculer d’un casino bondé à une garçonnière savamment aménagée, tout le film est pour le spectateur et certains personnages une constante surprise de l’étendu de la corruption en traversant une porte, en laissant se révéler l’envers d’un espace. C’est notamment le cas lorsque Jasmine pénètre dans le bureau de son père et découvre ses vraies activités, ou plus tôt quand Pierre fera la même découverte dans ce décor. Delannoy adopte le point des vues des personnages candides quand il travaille cette révélation du vice par le décor, et joue plutôt sur l’épure et l’émotion quand les corrompus montrent leurs failles. Ainsi c’est par un effet de flou que Ying Tchaï à moitié aveuglé découvre que l’intruse dans son bureau est sa fille, tandis qu’un gros plan sur le visage altéré et la coiffure défaite de Mireille fait comprendre à von Krall que celle-ci s’est offerte pour le sauver. C’est précisément à ces instants-là, quand les naïfs exposent les corrompus, et que ces derniers font montre d’une humanité qui les rend vulnérable, que le rapport de force bascule. L’avilissement assumé ne fonctionne que lorsque l’on n’a rien à perdre, et inversement la chute est moins envisageable lorsque l’on a quelque chose ou quelqu’un à qui se raccrocher. Le couple Pierre/Jasmine se trouve et échappe au chaos comme dans un rêve alors que la cruelle réalité et noirceur de Macao rattrapent Ying Tchaï et von Krall dans un flamboyant final baroque. Sessue Hayakawa fait formidablement passer son propre passif dissolu dans son interprétation, et son expérience du muet lui permet de transmettre une émotion formidablement expressive lors de la conclusion. Une magnifique réussite qui tournée au déclenchement de la guerre connaîtra quelques remous. Le film ne sortira qu’en 1942 dans une autre version où Jean Renoir remplace Erich von Stroheim (coupé au montage puisque juif) dans des séquences que Delannoy fut contraint de tourner sous pression de la censure. 5/6
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