Joseph Losey (1909-1984)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Profondo Rosso
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The Servant (1963)

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Tony, un riche et jeune aristocrate britannique, engage un valet de chambre, Barrett. Ce dernier, discret, compétent et stylé, entoure son maître de prévenances. Peu à peu, Barrett, va exercer une étrange emprise sur le jeune homme. Il ira jusqu'à dominer totalement son maître, le menant inexorablement à la déchéance...

The Servant est un des sommets de la filmographie de Joseph Losey, qui collabore ici pour la première fois avec le dramaturge Harold Pinter qui signe également son premier scénario (d’après le roman éponyme de Robin Maughan). Dans l’œuvre de Losey, les héros font souvent face à une figure de double, de miroir aliénant qui va les enfoncer et causer leur perte. L’exemple le plus évident est bien sûr Monsieur Klein (1976) où Alain Delon est confondu avec un homonyme insaisissable dans un Paris sous Occupation. Les personnages se façonnent et/ou accepte de façonner cet envers pour leur équilibre mental que le duo « mère/fille » constitué par Elizabeth Taylor et Mia Farrow dans Cérémonie secrète (1968). Et parfois cet être dont on ne peut se passer s’incarne d’une façon plus lumineuse et romantique avec Le Messager (1971) mais avec une fois de plus une issue dramatique, qui existe dans la réunion ou la séparation des protagonistes.

The Servant est la plus belle manifestation de cette thématique. Le film s’inscrit dans le contexte de la société anglaise plus spécifiquement marquée par la lutte des classes. La Seconde Guerre Mondiale à travers l’entraide nécessaire pour faire face à l’adversité (dans l’armée comme au sein du peuple) a brouillé les pistes quant à ce clivage ancestral et plusieurs grands films anglais des années 50 viennent bousculer cet état de fait sous des formes diverses, de Noblesse Oblige de Robert Hamer à Le Pont de la rivière Kwaï de David Lean (1957). The Servant sort au début des années 60, soit la décennie de toutes les révolutions sociales et artistiques. Parmi les films précédemment cités en exemple, Le Pont de la rivière Kwaï montre la faillibilité de la figure sacrée de l’aristocrate quand Noblesse Oblige voit lui la plèbe désormais prête à se rebeller et prendre sa part. Dans The Servant, nous trouvons donc Tony (James Fox), jeune aristocrate qui ne dispose plus du charisme, de l’implacabilité d’un système ou de la force d’un contexte pour naturellement être le « dominant ». Lorsqu’il engage Barrett (Dirk Bogarde) comme valet, l’évidence de la nature de « dominé » de celui-ci n’est que factice. Le oisif Tony pense déléguer son autorité naturelle à Barrett quand il lui confie l’ameublement et la décoration de sa nouvelle demeure, mais en fait il laisse déjà l’emprise de son majordome.

C’est un rapport à l’autre qui est d’abord inconscient mais où paradoxalement les petits sursauts d’autorité de Tony trahissent sa dépendance tant il est dépendant des prévenances et attention de Barrett. C’est à travers les personnages féminins et le déséquilibre qu’ils amènent que la relation révèlera son étrangeté. Susan (Wendy Craig), constate vite que l’environnement de son fiancé Tony est le reflet de la personnalité de Barrett. Dans ce contexte, le moindre élément esthétique extérieur semble incongru comme les bouquets de fleurs qu’elle apporte, et la présence même de la jeune femme est une anomalie. La moindre amorce d’intimité est troublée par l’arrivée impromptue de Barrett, chaque de tentative de s’inscrire comme future maîtresse de maison se heurte à la silhouette du valet qu’elle croise inexorablement. A l’inverse, Barrett poursuit son entreprise de vampirisation quand il introduit un élément féminin avec sa « sœur », la provocante Vera (Sarah Miles). Si l’aristocrate dissimule sa faiblesse de caractère sous le statut, les serviteurs masquent le vice et le stupre sous la compétence. Dirk Bogarde arbore un constant regard moqueur et sournois qui s’accentue au fil de sa prise d’ascendant, et le trouble érotique de chaque regard, de chaque posture subtilement lascive de Sarah Miles brise également toute la possible autorité de Tony.

Joseph Losey traduit cela par un brillant dispositif filmique, notamment le jeu sur les avant et arrière-plans. Les compositions de plan placent le « dominé » à l’avant-plan pour laisser le spectateur observer ses émotions quand le « dominant » se situe à l’arrière-plan, silhouette à l’attitude indéchiffrable et qui dicte l’action. Plusieurs variantes interviennent dans cette mise en place. Il y a donc celle mettant en scène physiquement dominants et dominés à l’image, mais cela peut être symbolique (Tony écrasé par l’ombre de Barrett qui occupe sa chambre et ignore sa présence) ou métaphorique (la suite de la même scène ou le contrechamp du visage de Tony dévasté est offert par le reflet du miroir où l’on observe l’attitude moqueuse de Barrett).

Les femmes auront servies à rendre plus claire la relation ambiguë de Tony et Barrett, entre aliénation mentale et homosexualité sous-jacente, ce qui explose dans la dernière partie où les masques du vice s’estompent. On s’amuse des échanges amour/haine fiévreux où les invectives blessantes succèdent aux aveux trouble (quand ils se disent ne pas avoir ressenti une telle proximité à l’autre depuis l’armée) et magnifie ce rapport toxique. James Fox ne démérite pas en sorte d’ange blond déchut, et trouvera d’ailleurs un emploi voisin dans Performance de Nicolas Roeg et Donald Cammel en incarnant à nouveau un personnage propret vampirisé par un protagoniste sulfureux, Mick Jagger himself. Le film sera un grand succès public et critique valant un BAFTA du meilleur acteur à Dirk Bogarde, et sera le premier jalon d’autres grandes collaborations de Losey avec Harold Pinter (Accident (1967) et Le Messager (1971)). 5/6
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Accident (1967)

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Anna et William sont victimes d'un accident de la route à proximité du domicile de Stephen, leur professeur de philosophie chez qui ils se rendaient. Stephen, alerté par le bruit, accourt sur les lieux. Il découvre William mort, et extrait Anna du véhicule pour la recueillir chez lui. Il pense que c'est elle qui conduisait et cache sa présence à la police pour lui éviter d'avoir des ennuis. Alors qu'elle est semi-endormie chez lui, encore choquée par l'accident, Stephen se remémore les mois passés, marqués par l'arrivée de la belle Anna, princesse autrichienne, le désir et la frustration.

Accident est pour Joseph Losey le point central de la trilogie que forme sa collaboration avec le dramaturge Harold Pinter, précédé par The Servant (1963) et suivi par Le Messager (1971) – un scénario fut écrit pour une quatrième collaboration avec l’adaptation d’A la recherche du temps perdu de Marcel Proust mais qui ne se fera pas. Accident poursuit les méandres d’une masculinité trouble explorés dans The Servant mais sans le sous-texte homosexuel. Passé l’ouverture brutale qui donne son titre au film, le récit se déroule en flashback feutré se pliant au caractère attentiste de son héros Stephen (Dirk Bogarde). Celui-ci est un professeur de philosophie à Oxford et mène une vie paisible, pour ne pas dire ennuyeuse, auprès de sa femme Rosalind (Vivien Merchant). Les amours et le désir, il ne les vit que par procuration et sans amertume quand il observera le rapprochement entre deux de ses élèves, son favori William (Michael York) et la nouvelle venue Anna (Jacqueline Sassard). Si au détour de quelques regards furtifs envers Anna (la belle scène de ballade en barque), on devine chez Stephen une libido intacte, il la contient volontiers pour que jeunesse se fasse au point de vouloir jouer les entremetteurs pour ses étudiants amoureux. William représente finalement par sa beauté solaire, son statut d’aristocrate et sa candeur l’idéal que Stephen aurait espéré être, les chances dont il aurait rêvé de disposer, mais sans aucune jalousie pour son cadet qu’il se plaît à voir réussir.

Tout se dérègle quand Charley (Stanley Baker), collègue du même âge que Stephen, entre en scène. Charley incarne un double, un rival qui a réussi tant au niveau social (en plus de son activité de professeur il officie à la télévision) que sentimental puisqu’il vit pleinement cette libido que Stephen ne peut que fantasmer. Losey fait passer tout cela de manière subtile, le rapport entre Charley et Stephen ne se révélant qu’après avoir méthodiquement posé les pièces du puzzle de la frustration. Une recommandation littéraire tiède nous révèle le peu d’estime de Stephen pour Charley, celui-ci exprime ses élans érotiques pour ses étudiantes en lisant un article statistique, et enfin une scène de beuverie nous fait comprendre le complexe d’infériorité de notre héros. Si William est un meilleur « lui-même » qu’il se plaît à polir, Charley est un miroir déformant le renvoyant à tous ses manques et frustrations. Ainsi après une promenade pastorale avec Anna où il n’osera pas tenter sa chance, après un rendez-vous avec des patrons de télévision qui ne le prendront pas au sérieux, Stephen va boire le calice jusqu’à la lie en découvrant que Charley entretient une liaison de longue date avec Anna. Comme toujours aucune révolte chez le personnage, mais un simple dépit qu’il masque tant bien que mal en se montrant conciliant. Il tentera vaguement de raviver son amour-propre en retrouvant une amante le temps d’une séquence où Losey rend hommage au Muriel, ou le Temps d'un retour d’Alain Resnais (1963) où il dirige la même actrice, Delphine Seyrig.

Le film fascine ainsi par son manque volontaire de sursaut dramatique, le rythme comme la mise en scène adoptant le point de vue hésitant, aux regards à la dérobée, et au sentiment de dépit de son héros. On est aux antipodes des excès de The Servant et Dirk Bogarde excellent à traduire cette contradiction entre le renoncement corporel et l’espérance du regard. Lorsqu’il daignera enfin accompagner la pensée au geste, ce sera paradoxalement pour renforcer la lâcheté de son personnage en profitant honteusement de la situation. Le mimétisme des scènes d’ouverture et de clôture, à travers une vue nocturne (striée par le bruit de l’accident de voiture) puis en journée de la maison exprime parfaitement cela avec une dualité entre les ténèbres où se révèlent les désirs étouffés et la mort puis le jour qui les masquent sous une image familiale bienveillante. Entre le jeune homme inaccompli et les hommes d’âges mûr satisfaisant leur pulsions (ou rêvant de le faire), la plus grande victime est Anna (même si pas dénuée d’ambiguïté, l’invitation de son regard étant autant le reflet d’un fantasme des désirs masculins que d’une séduction implicite qui dérape) au centre d’une masculinité toxique dévorante et insidieuse à travers toutes les joutes viriles (la partie de tennis, celle de cricket, le rituel chez les aristocrates) qui parcourent le récit. Une belle réussite et il sera assez captivant d’observer comment Losey mettra cette retenue stylisée au service d’une vraie romance sincère dans Le Messager. 5/6
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Re: Joseph Losey (1909-1984)

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Steaming (1985)

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Les conversations intimes et les problèmes quotidiens d'un groupe de femmes fréquentant régulièrement un bain turc dans un quartier populaire de Londres.

Steaming est le dernier film de Joseph Losey, sorti à titre posthume en 1985. Il s'agit de l'adaptation de la pièce éponyme de Nell Dunn jouée en 1981. Losey conclut sa carrière sur un veine lumineuse étonnante, donnant un pendant positif au motif du huis-clos si oppressant avec lui dans The Servant (1963) ou encore Cérémonie secrète (1968). C'est également la possibilité de poser une forme de regard féministe qui là aussi court dans certaines œuvres précédentes comme Le Messager (1971) ou Une Anglaise romantique (1975). Steaming est une sorte de variation contemporaine du Femmes de George Cukor (1939) dont il reprend le principe d'un casting entièrement féminin. Nous suivons les rencontres quotidiennes d'un groupe de femmes fréquentant régulièrement un bain turc londonien. La scène d'ouverture où une jeune femme s'y replie après avoir été battu et quitté par son homme définit d'emblée le lieu comme refuge et sanctuaire des âmes blessées.

Le film n'a pas de ligne narrative définie (si ce n'est le fil rouge où ses pensionnaires essaieront d'empêcher sa fermeture) et avance au rythme des rencontres entre trois personnages qui représentent chacun une impasse existentielle de la femme. Nancy (Vanessa Redgrave) est une mère de famille issue d'un milieu nanti, fraîchement quitté par son mari, et perdue après avoir consacré voué son existence à son foyer. Sarah (Sarah Miles) quant à elle mène une brillante carrière d'avocate tout en savourant son célibat et sa liberté tandis que Josie (Patti Love) est d'extraction plus modeste et végète entre amours tumultueuses et boulots minables. Le récit enchaîne les saynètes où toutes trois se retrouvent au fil des semaines ou mois et son confient les unes aux autres sur l'état de leur vie. Les conversations varient entre leur rapport aux hommes, le sexe abordé crûment, les bienfaits, le poids ou le manque d'un foyer et d'enfants dans leur vie. Joseph Losey évite le piège du théâtre filmé dans la manière spontanée et inventive dont il orchestre chaque retrouvaille. On oscille ainsi entre naturel confondant où la nudité est exposée sans fard (des seconds rôles aux stars comme Vanessa Redgrave ou Sarah Miles qui donne de sa personne en full frontal) où la caméra de Losey se promène avec fluidité des bains au sauna, en passant par des compositions de plans où se devine pleinement l'inspiration picturale impressionniste notamment. Les transitions se font à travers des idées magnifiques également comme ce fond de piscine qui se confond avec un jet d'eau par un habile fondu enchaîné.

Losey évite de faire de son film un long fleuve tranquille et les différences entre les héroïnes font montre de heurts féroces. Elles s'envient l'une l'autre ce qui lui manque, le confort financier de Nancy pour Josie et la liberté d'être soi-même dans l'autre sens alors que l'insouciance de Sarah est une façade masquant sa profonde solitude. C'est l'occasion du pic émotionnel du film, lorsque Josie prise de haut par Sarah et Nancy pique une colère mémorable (Patti Love est une vraie révélation) où elle crache tout son vécu prolo et douloureux aux deux bourgeoises arrogantes. Un aspect intéressant aussi est la dimension intemporelle que confère cet espace des bains turcs au film (si ce n'est la bande-son et la coiffure de Sarah Miles bien marqués 80's) et qui rend les problématiques des héroïnes universelles encore aujourd'hui. Pas le plus grand Losey certes mais un beau point final. 4,5/6
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Une Anglaise romantique (1975)

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Elizabeth Fielding, femme d'un riche écrivain anglais, rencontre, Thomas, un jeune homme aux activités louches, lors d'un séjour thermal à Baden-Baden. Celui-ci la suit jusqu'en Angleterre et réussit à se faire inviter par Lewis, le mari d'Elizabeth. Ce dernier soupçonne celle-ci d'être l'amante de Thomas. Elizabeth imagine, à son tour, une liaison entre Lewis, son conjoint, et Catherine…

Joseph Losey signe avec Une Anglaise romantique un récit trouble et ambigu dont il a le secret. Il adapte là un roman de Thomas Wiseman (qui en signe également le scénario) dont le récit mœurs déroule un squelette de trame attendue tout en déroutant par son traitement. On a donc une épouse (Glenda Jackson) voyageant en solitaire dont les échanges ponctuels avec son mari resté à la maison (Michael Caine) laissent deviner une crise de couple. L’esthétique stylisée du film dégage un souffle romanesque contredit par le recul et le cynisme des personnages. Ainsi Elizabeth traverse Baden-Baden en calèche et goutte au cadre de la station balnéaire, son hôtel de luxe et ses casinos tout en recherchant la solitude. Alors qu’on la penserait en quête d’aventures, elle n’est pas dupe de Thomas (Helmut Berger) escroc et gigolo s’attirant les faveurs des riches femmes esseulées alentours. La possibilité d’une possible liaison n’existera que dans l’esprit de l’époux Lewis, stimulé par la jalousie et l’imagination de son métier d’écrivain.

De même lorsque Thomas a le culot de rendre visite puis de loger chez Lewis et Elizabeth, le cadre rural, l’architecture du foyer conjugal, tout appelle à un triangle amoureux, qu’il aille vers le vaudeville ou le drame. Mais une nouvelle fois les personnages semblent conscient du rôle que l’on veut les voir jouer et s’en extirpent. Cela amène une dimension ludique où Thomas devient le jouet d’un jeu de dupe entre les époux. Lewis feint d’avoir invité le jeune homme pour tester la réaction de sa femme, mais quand Thomas se présente réellement c’est le tour d’Elizabeth de mettre à mal son mari confronté à la réalité de son bluff. Thomas semble être le jouet du conflit conjugal mais sous ses airs faussement mal dégrossis (lorsqu’il prend Lewis pour Henry Fielding en affirmant aimer son roman Tom Jones) est un habile pique assiette et manipulateur. Losey façonne rend donc ses personnages insaisissables, développe une ambiance ambiguë où les alliances permutent sans cesse. Lewis s’amuse de l’agacement que provoque Thomas chez sa femme une fois leur liaison avérée fausse, pour plus tard devenir vraie à cause de cette désinvolture initiale. La demeure truffée de miroir renvoie constamment un reflet dont il faut interpréter la nature à différent moment du récit. Le plus flamboyant et romanesque relève de l’imagination avec l’imagerie éthérée du fantasme adultère de Lewis, mais qui trouve progressivement sa réalité dans les situations, dialogues, qu’il a lui-même contribuer à mettre en place.

Le film ne fonctionne jamais mieux que dans cette attente, ambiguïté et frustration, dans le retour à la relation légitime du couple constamment rattrapé par le réel (un voisin, ou un cauchemar nocturne de l’enfant qui vient interrompre leur étreinte), mais aussi dans la tentation illégitime que ce soit donc entre Thomas et Elizabeth, mais même entre Lewis et la baby-sitter comme cela est vaguement suggérer. L’intérêt du film retombe quand il sacrifie au concret de tous ces questionnements même si c’est pour en dénoncer l’illusion. Le semblant d’intrigue policière de la dernière partie est poussif, ce qui a précédé empêche la possible flamme romantique d’exister notamment dans les confessions de Thomas auxquelles on ne croit guère. Intéressant donc, mais ne parvenant pas à égaler le trouble des meilleurs Losey comme The Servant, Accident ou Cérémonie secrète.
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Re: Joseph Losey (1909-1984)

Message par Phnom&Penh »

Bonne occasion de faire remonter le topic:
Alexandre Angel a écrit : 24 juil. 21, 09:37 Je me souviens un peu d'elle, et de son nom qui me parle. Eté violent est trop lointain pour moi et je n'ai toujours pas vu Accident.
Mais quel visage délicat!
Regrets bien sûr. Jacqueline Sassard, bien que très belle, a fait une courte carrière dans le cinéma. Elle est sûrement très bien dans d'autres films, mais Accident, c'est juste un énorme chef d'oeuvre dans lequel elle a l'honneur de jouer un grand rôle.
Ici, ma petite critique: Accident, Joseph Losey. J'essaierai de remettre les photos, mais je ne suis pas certain de les avoir en mémoire (mémoire d'ordi bien sûr).
Elle y est géniale et très belle. Cela une fois dit, Accident, c'est d'abord Losey et Harold Pinter, ensuite Gerry Fisher (le directeur photo de The Go-Between, Monsieur Klein (avec Pierre-William Glein au cadrage et quel cadrage) et Don Giovanni de Losey (parmi d'autres plus oubliables), The Offence de Lumet, Fedora de Wilder, Le Malin d'Huston...et le premier Highlander qui lui doit beaucoup :) parce que le réalisateur (mais j'aime bien Le Scorpion 2, je suis aussi grand public :) ) lui doit beaucoup pour le fait que le film tienne à peu près la route, même avec le temps passé).

Je dirai que Accident est clairement un des plus grands rôles de Dirk Bogarde et Stanley Baker, un peu plus cappés que Sassard.
Il y dans ce film deux scènes que j'aime beaucoup (ce qui ne signifie pas que ce soient les meilleures de ce chef d'oeuvre) qui sont emblématiques de Losey (fils de vielle famille devenu communiste, puis liste noire, et je ne vais pas raconter ce que tout le monde connaît). Le retournement des costumes pour la scène de rugby improvisée dans une belle soirée. Ils ont tous des doublures de costumes bleu ciel. Aujourd'hui, ça a été copié partout dans la mode, pas au cinéma), mais à l'époque c'est du Saville Row pure touche.
La seconde, et là, je reviens à Jacqueline Sassard qui joue très bien, c'est quand à la preque fin, elle décroche ses armoiries du mur. Très belle scène, qui fait comprendre à Bogarde, non seulement que ses espoirs sont finis, mais que chacun sa vie.
Je spoile un peu, mais ce n'est pas la fin. Et qui spoile la fin, je le mets au défi. Le jouet d'enfant, qu'est-ce qu'il signifie?

Tout ça pour te dire, cher Alexandre, Jacqueline Sassard est certes très belle, mais il faut voir Accident. C'est un chef d'oeuvre dans lequel elle tient très bien son rôle. Accident, c'est un univers dans lequel elle a la chance de très bien jouer un de ses derniers rôles au cinéma. C'est surtout un chef d'oeuvre, Sassard ou pas.
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Message par Alexandre Angel »

Ah mais ton commentaire fougueux va accélérer mon accès à Accident et je t'en remercie :D

Très curieusement, j'ai toujours oublié d'approfondir l'œuvre de Losey, un peu comme si je ne savais pas par quel bout la prendre : c'est rare que ça me fasse ça chez les réalisateurs qui me stimulent.
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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Re: Joseph Losey (1909-1984)

Message par John Holden »

Alexandre Angel a écrit : 26 juil. 21, 19:18 Ah mais ton commentaire fougueux va accélérer mon accès à Accident et je t'en remercie :D

Très curieusement, j'ai toujours oublié d'approfondir l'œuvre de Losey, un peu comme si je ne savais pas par quel bout la prendre : c'est rare que ça me fasse ça chez les réalisateurs qui me stimulent.
Même si je ne connais pas A man on the beach et The Intimate Stranger, sa 1ère partie de carrière est quasiment sans faute de The boy with green hair (manifeste définitif sur la différence) à Gipsy (inquiétante double manipulation), d'une singularité audacieuse quand au choix de ses sujets, on y trouve souvent des personnages aux itinéraires cahotiques qui même s'ils n'aboutissent pas toujours à leur salut ,obtiennent à force de persévérance, de fougue, l'occasion d'exprimer leur véritable personnalité, bonne ou mauvaise.
Je connais très mal le Losey qui suit, encensé par certains cinéphiles mais quoiqu'il en soit, je pense qu'il est préférable d'appréhender son oeuvre par le début si tu souhaites vraiment l'approfondir.
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Re: Joseph Losey (1909-1984)

Message par Phnom&Penh »

Alexandre Angel a écrit : 26 juil. 21, 19:18 Ah mais ton commentaire fougueux va accélérer mon accès à Accident et je t'en remercie :D

Très curieusement, j'ai toujours oublié d'approfondir l'œuvre de Losey, un peu comme si je ne savais pas par quel bout la prendre : c'est rare que ça me fasse ça chez les réalisateurs qui me stimulent.
John Holden a écrit : 26 juil. 21, 20:51 Même si je ne connais pas A man on the beach et The Intimate Stranger, sa 1ère partie de carrière est quasiment sans faute de The boy with green hair (manifeste définitif sur la différence) à Gipsy (inquiétante double manipulation), d'une singularité audacieuse quand au choix de ses sujets, on y trouve souvent des personnages aux itinéraires cahotiques qui même s'ils n'aboutissent pas toujours à leur salut ,obtiennent à force de persévérance, de fougue, l'occasion d'exprimer leur véritable personnalité, bonne ou mauvaise.
Je connais très mal le Losey qui suit, encensé par certains cinéphiles mais quoiqu'il en soit, je pense qu'il est préférable d'appréhender son oeuvre par le début si tu souhaites vraiment l'approfondir.
Joseph Losey, c'est l'auteur absolu (je ne dis pas que c'est le seul). Sa vie est son cinéma. Connaître ses films sans connaître sa vie, c'est méconnaître ses films. Et bien entendu, lire les livres sur lui sans connaître ses films, ça ne veut rien dire.
Le meilleur, c'est de lire sur lui tout en découvrant ses films.
Les livres, ce sont:
- le Losey de Michel Ciment
- Mes années avec Joseph Losey de Patricia Losey.

J'ajouterai, parce que même si ce n'est pas lui, l'un sans l'autre, ce n'aurait pas été la même vie pour les deux:
- Le scénario Proust d'Harold Pinter
- Vous partez déjà ? Ma vie avec Harold Pinter d'Antonia Fraser (par ailleurs grande historienne ayant notamment écrit la bio de Marie-Antoinette qui a inspiré le film de Sofia Coppola).

Avec ça, on est armé pour découvrir toute la filmographie d'un des plus grands réalisateurs du monde, et l'un des plus singuliers, période 1 comme période 2 et 3.

Il y a de multiples chef d'œuvres, pour moi Time without Pity, The Servant, King and Country, Accident, Secret Ceremony, The Go-Between (celui là c'est juste un des plus grands films jamais faits), Monsieur Klein (idem) et Don Giovanni .

Il y a des curiosités, Modesty Blaise, Figures in a Landscape, un grand film malade, Eva, un énorme film bourré Boom :mrgreen: , mais attention, avec une très bonne mise en scène. Même avec 4g dans le sang, il continuait à bien filmer :uhuh: , des ratages intéressants The Romantic Englishwoman, une grosse daube (tous en ont commis une), La truite, et un dernier film émouvant, Steaming.

Et il y deux grands documentaires, l'un sur sa carrière avec Patricia Losey qu'on trouve dans le coffret DVD Losey, et l'autre sur le BR Don Giovanni .

En revanche, c'est pas John Ford, il ne faut pas avoir peur de se prendre la tête pour comprendre tout ou essayer de. Mais même si on ne comprendra jamais tout ( qui peut expliquer sérieusement Monsieur Klein :) ), la mise en scène est toujours bestiale. Et si tu commences à creuser les carrières de ses collaborateurs (directeurs photo, cadreurs, décorateurs et même scripts) tu tombes souvent sur le fin du fin du cinéma.

Un exemple parmi d'autres, j'avais oublié dans les chef d'œuvres The Big Night. Superbe hommage à Billie Holiday sans qu'elle soit même le sujet du film, un plan génial sur des verres de whisky qui finit sur le visage de la chanteuse (je dis ça de mémoire, je n'ai pas vu le film depuis 15 ans), la photo N&B de Hal Mohr, la musique de Lyn Murray...

Un cinéma d'une richesse! J'avais entamé une critique chronologique de ses films sur ce topic et je m'étais arrêté sur Secret Ceremony, un de ses plus tordus. Je sais que j'avais percé le secret du film, c'était la famille Cenci, grande inspiratrice d'histoires de vampires mais je m'étais perdu dans ma démonstration et j'avais abandonné l'affaire et ma critique :uhuh:
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Alexandre Angel
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Re: Joseph Losey (1909-1984)

Message par Alexandre Angel »

J'en ai vu pas mal mais pas tant que ça.
Ne pas oublier le coup de maître mésestimé du Garçon aux cheveux verts (edit : cité par John Holden).
M, en HD, attend sur l'étagère que je me décide à le découvrir et il faut que je me procure Le Rodeur, chez Wild Side. Tout ça, pour la période pré-exil.
Quand je dis "par quel bout la prendre", c'est moins le fait de ne pas savoir par où commencer (puisque commencer, je l'ai fait il y a longtemps), qu'au sens de "je ne sais pas comment la prendre". C'est cela qui traine chez moi vis-à-vis de ce cinéaste et qui m'empêche d'avoir exploré sa filmographie alors que ça devrait être fait depuis des lustres (puisque j'ai vite aimé ce que je découvrais).
Après, il y a "aimer" et "aimer". J'ai aussi été "assommé" (au sens de KO technique) par ma quasi -unique vision de The Servant (je ne l'ai jamais vraiment revu) que j'avais trouvé si noir, si amer, si désespéré, que ça a contribué à me couper de tout ce que j'avais à découvrir de lui.
Au vu (au su surtout) des derniers films, qui sont tout de même bien cassés, on peut également craindre une œuvre relativement inégale dans l'absolu.
Mais ce que j'aime de Losey est tellement puissant : notamment Time without pity, The Servant, Les Criminels, The Go-between (le premier que j'ai vu et que j'avais trouvé si touchant) et Monsieur Klein, le possiblement plus grand film français des années 70.
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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Re: Joseph Losey (1909-1984)

Message par Alexandre Angel »

Je viens de revoir The Servant.
Ah c'est bien, il n'y a pas.
C'est glauque et sans espoir mais c'est fort .
Et quelle photo, bon sang!
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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Re: Joseph Losey (1909-1984)

Message par Loup Solitaire »

J'attends pour le revoir sa prochaine réédition en septembre, j'en garde un souvenir éblouissant.

J'aimerai beaucoup voir son Lawless avec Gail Russel, sur un scénario de Daniel Mainwaring.
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MJ
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Re: Joseph Losey (1909-1984)

Message par MJ »

Filmographie dans laquelle je me replonge (ou souvent simplement plonge) ces derniers jours... A côté des grands films feutrés, quelques moments de sidération camp absolument réjouissants.

John Waters défend éloquemment Boom!, qui reste un modèle à ce niveau.

www.vice.com/en/article/dp5djk/the-film ... ohn-waters

https://dangerousminds.net/comments/wat ... at_is_boom

J'ai une vraie sympathie pour Modesty Blaise dans un registre voisin (film tout à fait réussi du reste).
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Phnom&Penh
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Re: Joseph Losey (1909-1984)

Message par Phnom&Penh »

Alexandre Angel a écrit : 29 juil. 21, 22:22 Je viens de revoir The Servant.
Ah c'est bien, il n'y a pas.
C'est glauque et sans espoir mais c'est fort .
Et quelle photo, bon sang!
L'espoir, c'est Losey qui est l'antithèse du thème du film. Il décrit ce qui l'emprisonne, ce qu'il déteste, mais ce qu'il a réussi à ne jamais être.

Noté au-dessus, à lire, "Vous partez déjà ? Ma vie avec Harold Pinter d'Antonia Fraser". Comme Losey, Pinter est un gros cérébral. Mais c'est aussi un artiste. Il a fait le scénario de The Servant.
Pessimiste, méprisant, aimant non seulement observer mais ausculter le monde des cloportes que sont les êtres humains (l'expression est de Mitterrand, autre observateur de cloportes, mais ayant bien fait sa vie dessus à défaut d'être un artiste :) ), Harold Pinter rencontre un soir Antonia Fraser. Ils sont mariés tous les deux et ils discutent toutes la soirée. Vers 2h du matin, elle décide de rentrer et il lui dit "Vous partez déjà?"
Elle lui répond "je pense que nous nous reverrons". Quelques mois après, ils étaient divorcés et remariés et leur vie à deux est passionnante, et pas du tout déprimante.
Savoir observer et décrire n'est pas vivre. Et Patricia Losey, dans ses mémoires, ne raconte pas du tout une vie triste.
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Re: Joseph Losey (1909-1984)

Message par la_vie_en_blueray »

Bonne visibilité de Losey dans les sorties. Actuellement sortie de Mr Klein, The Servant et du messager.

Pour 2022, on devrait avoir Temps sans pitié et les Criminels.
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Re: Joseph Losey (1909-1984)

Message par John Holden »

Rétrospective à la cinémathèque depuis hier jusqu'au 7 Février.
Hâte de découvrir The intimate stranger lundi soir.

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