Soy Cuba (Mikhail Kalatozov - 1964)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

Modérateurs : cinephage, Karras, Rockatansky

charulata
Stagiaire
Messages : 73
Inscription : 26 nov. 05, 14:47

Message par charulata »

MJ a écrit :Contexte de sortie, tout simplement.
Et puis tu sais, ce n'est pas le premier chef-d'oeuvre auquel le public ne donne pas raison.
Oui c'est vrai...En tout cas j'essaye de le faire connaitre un maximum autour de moi et je parle à mes amis amoureux du cinéma américain indépendant de ce film qui est plastiquement novateur dans sa forme et sa photographie :wink:
2501
Assistant opérateur
Messages : 2220
Inscription : 26 sept. 03, 18:48
Localisation : Ici et ailleurs
Contact :

Message par 2501 »

Le Mammouth sibérien

Bouleversant documentaire sur l'un des plus beaux films du monde, Soy Cuba de Mikhail Kalatozov, oeuvre de propagande transcendée par une réalisation sans égale, et une incroyable force poétique.
Un réalisateur brésilien, Vicente Ferraz, est allé retrouver à Cuba et en Russie les participants survivants et a retracé par ces rencontres la création du film. En ressortent l'ambition demésurée du réalisateur russe et de son prodigieux chef-opérateur Serguei Urusevsky, et la frustration de l'accueil glacial fait au film (incompris, mis au placard aussi bien à Cuba qu'en URSS car ne correspondant pas à la commande, ni aux goûts du public de l"époque). Accueil dont ne se remettront jamais les deux créateurs (morts au début des années 70), qui ne connaîtront pas le sort quasi-miraculeux qui attendait Soy Cuba au début des années 90, quand Coppola et Scorsese l'exhume et lui offre une seconde naissance, et la reconnaissance internationale.
Les participants interrogés, cubains et russes, abondent en anecdotes sur le tournage qui dura 14 mois et fût digne d'un Apocalypse Now de l'esthétique cinématographique (perfectionnisme au moindre nuage près, utilisation d'une pellicule ultra sensible unique au monde, exigeances logistiques insensées, etc...), sans pour autant avoir conscience de l'importance qu'a acquis le film ! Beaucoup d'entre eux n'hésitent pas à dire que l'expérience les a marqué mais que le film ne leur a pas plût !
En plus des secrets de fabrication des tours de force techniques du film qui valent tous les making-of du monde, affleure une touchante émotion, notamment quand ils découvrent, 40 ans après, en direct, lisant la jaquette du dvd, que Soy Cuba est devenu un classique.
Richement illustré, fourmillant de détails hallucinants, un documentaire exceptionnel militant pour la redécouverte de tels trésors cinématographiques, sans oublier l'aspect humain.
De quoi faire encore plus regretter, s'il en était besoin, que le travail de Kalatozov (dont on ne connaît qu'un seul autre film, le magnifique Quand passent les cigognes, palme d'or à Cannes !) et d'un des plus grands chef-opérateurs du monde ne soit pas plus accessible...
Image
Silencio
Electro
Messages : 835
Inscription : 11 déc. 06, 12:08

Message par Silencio »

2501 a écrit :Le Mammouth sibérien
Je découvre l'existence de ce documentaire, du coup je serais très intéressé par une copie dvd. A bon entendeur...
2501
Assistant opérateur
Messages : 2220
Inscription : 26 sept. 03, 18:48
Localisation : Ici et ailleurs
Contact :

Message par 2501 »

Silencio a écrit :
2501 a écrit :Le Mammouth sibérien
Je découvre l'existence de ce documentaire, du coup je serais très intéressé par une copie dvd. A bon entendeur...
Encore 2 diffusions sur cinéclassic (dont, de mémoire, le 23 octobre à 14h30). Je n'ai pas d'enregistreur dvd désolé (même pas un magnéto qui marche :? ).

Mais une édition "ultime" du film comprenant ce documentaire sort en z1 le 23 octobre :
http://www.dvdclassik.com/forum/viewtop ... t=soy+cuba

:wink:
Image
Silencio
Electro
Messages : 835
Inscription : 11 déc. 06, 12:08

Message par Silencio »

2501 a écrit :une édition "ultime" du film comprenant ce documentaire sort en z1 le 23 octobre
Merci pour l'info. Il n'est pas encore référencé sur Pacific, mais le site de Milestone indique une sortie le 20 novembre.
Avatar de l’utilisateur
Demi-Lune
Bronco Boulet
Messages : 14958
Inscription : 20 août 09, 16:50
Localisation : Retraité de DvdClassik.

Re: Soy Cuba (Mikhail Kalatozov - 1964)

Message par Demi-Lune »

Sonné au sortir du film, il m'a fallu embrayer sur l'entretien bonus de Scorsese pour me remettre les idées en place. Avec sa loquacité légendaire, le père Marty aide à y voir clair, grâce à sa capacité de mettre des mots justes, précis, réfléchis, ayant en l'occurrence l'avantage pour moi d'épouser ma réception émotionnelle et ma vision plus critique du film.

Quand il affirme que Soy Cuba est un film qui donne foi en le Cinéma, ou que s'il avait été découvert en son temps il aurait ébranlé et changé le Cinéma en profondeur, ce n'est pas pour le plaisir d'hyperboles accrocheuses. C'est parce que Kalatozov, géant du cinéma soviétique encore peu connu, développe, comme il l'explique très pertinemment, un langage cinématographique absolument renversant, pur, et stylistiquement unique. On a beau retrouver la maestria technique caractéristique de Kalatozov, ces travellings en plan-séquence chorégraphiés comme de vrais ballets furieux, cette mobilité terriblement moderne de la caméra, cette force expressive de l'image qui rappelle toute la philosophie du cinéma muet russe, on se prend Soy Cuba comme une avalanche dans le coin de la figure parce qu'il repousse les limites d'un style que Quand passent les cigognes et La lettre inachevée avaient pourtant déjà magistralement établi. Ce film marque l'aboutissement spectaculaire d'une recherche technique, plastique et narrative qui place à mon sens Kalatozov parmi les plus grands réalisateurs de cette époque. Ce qui préside en effet à la destinée de Soy Cuba, c'est sa mise en scène, toute-puissante, laquelle s'exprime de manière à saisir l'esprit, l'âme d'une terre cubaine prévalant sur tous les personnages présentés, qui ne restent jamais que des fourmis sur l'échiquier d'une cause nationale suprême. Il y a ici une telle confiance en le pouvoir transcendant de l'image, que le spectateur, s'il s'abandonne totalement au spectacle, en sort bouleversé, et le cinéphile, régénéré. Scorsese, dans son interview, emploie plusieurs fois le mot "passion". Il est vrai que c'est ce qui qualifie le mieux la dynamique du film. La force de Cuba, ce peuple, ce soleil qui ravage la pellicule, cette vague qui monte progressivement, autant d'énergies sourdes que la réalisation canalise et illustre dans sa mécanique irrépressible, qui terrasse comme elle peut possiblement gonfler (le roulis, le tangage, les décadrages, peuvent peut-être, en un mauvais jour, un peu rebuter au final). De sorte que la virtuosité, permanente, n'apparaît jamais gratuite. Elle se fixe comme objectif d'être le chant visuel d'une terre intense, saisie dans toute son exaltation, sa fièvre, son malheur, ses aspirations. Pour reprendre Scorsese, la caméra se déplace continuellement, fout le vertige, et par ce mouvement force l’œil à s'adapter face à la profusion d'éléments dans le cadre ; et pourtant, dit-il, il y a une permanence, une cohérence : les visages des Cubains. C'est sans doute là l'un des meilleurs héritages du muet soviétique, cette expressivité des visages qui a valeur, plus que tout autre chose, de discours. Le tour de force de Kalatozov, qui fait pour moi de Soy Cuba ce truc dévastateur, réside dans la manière qu'il a de propulser cet art, véritablement, dans un langage cinématographique sans pareil, très peu découpé à la différence d'Eisenstein, un langage qui confie presque exclusivement les clés de la maison au brio d'une mise en scène qui raconte l'histoire quasiment par sa seule chorégraphie, ses seuls mouvements de caméra insensés. Opulence rock'n'roll du régime de Batista ou funérailles populaires, la complexité ahurissante de la réalisation embrasse, par sa chorégraphie élaborée à l'extrême, le bouillonnement viscéral qui serpente dans le pays face à son Histoire. De même, le scénario passe d'un personnage à un autre, selon une logique à l'image de la polymorphie de Cuba.

Bref, cette dynamique m'a pris dans un véritable tourbillon émotionnel et c'est, comme le confesse également Scorsese, cette réception émotionnelle qui prend facilement le pas sur les considérations politiques et morales du film. L'ami Marty parle du film comme d'un "poème épique" et c'est très nettement le sentiment que j'ai. L'épique du film, cette passion sur laquelle je me suis étendu, a quelque chose, dans son expression, de l'utopie. Une utopie révolutionnaire légitimée la progression narrative du film, qui s'attarde sur différentes vexations arbitraires subies par des Cubains. Ce n'est pas une utopie qui rend pour autant légitime, sur le plan moral, la lutte armée et les morts qui en découlent, mais c'est une utopie qui, dans les circonstances de fabrication du film (commande étalée sur plusieurs années, donc suivant très fraîchement la révolution castriste), a la valeur d'un témoignage sur le vif encore baigné d'incertitudes. C'est le sens, dit justement Scorsese, du plan final, qui dérange le spectateur comme il a dérangé les autorités communistes, preuve que les réceptions sont ambivalentes. Un plan qui "force à l'interrogation". L’Histoire est en suspens.
Anorya
Laughing Ring
Messages : 11846
Inscription : 24 juin 06, 02:21
Localisation : LV426

Re: Soy Cuba (Mikhail Kalatozov - 1964)

Message par Anorya »

L'un de mes films de chevet. Cela m'aurait un peu gêné que tu n'accroches pas pour le coup (justement en regard des considérations politiques qui sont balayées par l'intense poésie-mise en scène du maître Kalatozov). :D :wink:
Image
Gérard Languedepute
Stagiaire
Messages : 12
Inscription : 15 juin 12, 18:04

Re: Soy Cuba (Mikhail Kalatozov - 1964)

Message par Gérard Languedepute »

Demi-Lune a écrit :Sonné au sortir du film, il m'a fallu embrayer sur l'entretien bonus de Scorsese pour me remettre les idées en place. Avec sa loquacité légendaire, le père Marty aide à y voir clair, grâce à sa capacité de mettre des mots justes, précis, réfléchis, ayant en l'occurrence l'avantage pour moi d'épouser ma réception émotionnelle et ma vision plus critique du film.
Tu veux dire que si le réalisateur de Shutter Island n'avait pas dit du bien de ce film en noir et blanc et sans VF, tu ne l'aurais peut-être pas aimé? Image

Gérard Languedepute, Bien Pensant Hebdo.
Avatar de l’utilisateur
Major Tom
Petit ourson de Chine
Messages : 22225
Inscription : 24 août 05, 14:28
Contact :

Re: Soy Cuba (Mikhail Kalatozov - 1964)

Message par Major Tom »

Merci pour ta critique Demi-Lune, même si je n'aime pas beaucoup ce film en dehors de l'aspect visuel. :oops:
J'ai hâte de lire la prochaine (et je ne sais pas pourquoi, mais j'ai aussi de revoir un Spielberg, cinéaste que j'adore).
Avatar de l’utilisateur
Demi-Lune
Bronco Boulet
Messages : 14958
Inscription : 20 août 09, 16:50
Localisation : Retraité de DvdClassik.

Re: Soy Cuba (Mikhail Kalatozov - 1964)

Message par Demi-Lune »

Gérard Languedepute a écrit :Tu veux dire que si le réalisateur de Shutter Island n'avait pas dit du bien de ce film en noir et blanc et sans VF, tu ne l'aurais peut-être pas aimé? Image
Votre médisance vous égare, Gérard. Scorsese dit du bien de tous les films naphta, c'est pas pour autant que mes goûts coïncideront avec les siens. :lol: Mais c'était le cas sur ce film, et la manière qu’il avait de commenter à froid Soy Cuba m'a beaucoup aidé à dépasser la béatitude muette qui était la mienne au sortir de cette magnifique découverte. Et puis qu'est-ce que je fais, moi, je suis en train de me justifier auprès d'un multi ?!? :lol:
Avatar de l’utilisateur
Stromboli
Machino
Messages : 1190
Inscription : 10 août 04, 10:18
Liste DVD

Re: Soy Cuba (Mikhail Kalatozov - 1964)

Message par Stromboli »

C'est un bon jour pour remettre un petit coup de projecteur sur ce film unique à la mise en scène et à la photographie vraiment révolutionnaires.

Le film a plus de 50 ans mais pas sur qu'on trouve plus de 50 films aussi réussis visuellement produits depuis son tournage.

Le dvd collector de MK2 est toujours dispo à la vente et est correct mais c'est vraiment un film qui mériterait une sortie en bluray avec une nouvelle restauration.
Avatar de l’utilisateur
Demi-Lune
Bronco Boulet
Messages : 14958
Inscription : 20 août 09, 16:50
Localisation : Retraité de DvdClassik.

Re: Soy Cuba (Mikhail Kalatozov - 1964)

Message par Demi-Lune »

Stromboli a écrit :C'est un bon jour pour remettre un petit coup de projecteur sur ce film unique à la mise en scène et à la photographie vraiment révolutionnaires.

Le film a plus de 50 ans mais pas sur qu'on trouve plus de 50 films aussi réussis visuellement produits depuis son tournage.

Le dvd collector de MK2 est toujours dispo à la vente et est correct mais c'est vraiment un film qui mériterait une sortie en bluray avec une nouvelle restauration.
+ 1000, à tout.
Avatar de l’utilisateur
Jeremy Fox
Shérif adjoint
Messages : 99488
Inscription : 12 avr. 03, 22:22
Localisation : Contrebandier à Moonfleet

Re: Soy Cuba (Mikhail Kalatozov - 1964)

Message par Jeremy Fox »

Immense ennui pour ma part. :oops: Je l'ai toujours sous la main, je retenterais à l'occasion.
Avatar de l’utilisateur
Alexandre Angel
Une couille cache l'autre
Messages : 13984
Inscription : 18 mars 14, 08:41

Re: Soy Cuba (Mikhail Kalatozov - 1964)

Message par Alexandre Angel »

Le charme de ce forum étant de faire remonter de bonnes choses, merci à Demi Lune pour me donner envie de remettre le couvert pour un film que je n'ai vu (et apprécié) qu'une fois au moment de la sortie du dvd MK2 (en 2003). Et hop, dans la whishlist du moment..
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

m. Envoyé Spécial à Cannes pour l'Echo Républicain
Avatar de l’utilisateur
Barry Egan
Assistant opérateur
Messages : 2390
Inscription : 5 janv. 12, 18:51

Re: Soy Cuba (Mikhail Kalatozov - 1964)

Message par Barry Egan »

Au-delà du kif visuel sur lequel je ne m'étendrai pas vu que les avis sont quasi-unanimes, je vais plutôt parler de mon émotion par rapport à ce que toutes les critiques que j'ai lues sur ce film appellent "propagande". Le film étant hautement poétisé et symbolique, il n'est pas à mon avis plus propagandiste que le premier "Avengers", qui n'était pas autre chose qu'une vengeance symbolique des Amerloques contre les "terroristes" du 11 septembre - à vrai dire, j'aimerais voir le même film du point de vue des kamikazes désespérés qui ont sacrifié leur vie pour la cause de leurs propres patries humiliées en détournant des avions sur des buildings (si la version officielle est juste, vu que certains doutent de la véracité des attentats et fournissent des arguments qui ne sont pas faciles à écarter). C'est pas des faits historiques qu'on nous montre. Donc, "Soy Cuba", oui, ça m'a foutu le frisson. Des paysans et des ouvriers loyaux qui se font tirer dessus par des flics qui protègent l'impunité de capitalistes sans pudeur ni décence et qui se révoltent par les armes ? Je prends, j'approuve même. Fidel Castro réduit à Spartacus comme une marionnette de la grande Histoire ? Pas de culte de la personnalité ? Excellent. Apprécier un Coca-Cola, écouter de la bonne musique sur le juke-box et danser au beau milieu de la nature sous le Soleil exactement ? C'est mon idée du bonheur. Donc, oui, vive le communisme, vive la terre, vive la Terre. Aux prochaines élections, je vote Nathalie Arthaud.
Image
Répondre