homerwell a écrit :Bref, je ne fais pas semblant de ne pas comprendre ta question, mais j'y répond à ma façon pour faire comprendre qu'il manque bien autre chose sur le traitement de la 2ème guerre mondiale en France. Je ne suis pas contre un autre film pour raconter le coeur du fonctionnement politique à Vichy, mais "oser" est vraiment dans le superlatif.
Je pense pourtant que c'est extrêmement révélateur, ce one-shot français, ou tout du moins que c'est digne d'être remarqué, et que l'absence de descendance dans la démarche de Costa-Gavras prouve par les faits son courage. On dérive peut-être sur un débat boiteux, mais le cinéma semble faire beaucoup moins cas de représenter le pouvoir nazi avec Hitler et ses dignitaires, que le maréchal Pétain et ses ministres. Pourquoi ? Imaginerait-on un équivalent français pour Pétain de
La chute, par exemple, qui a été réalisé par les Allemands eux-mêmes ? Imaginerait-on un film sur les négociations menées par Pierre Laval et son secrétaire général à la Police René Bousquet pour mettre en œuvre les déportations de Juifs ? Imaginerait-on un film sur les relations troubles de François Mitterrand avec Vichy ? Non, hélas. Peut-être parce que les cinéastes estiment que le travail historiographique a fourni tellement d'ouvrages depuis une trentaine d'années que des films qui aborderaient frontalement ces questions seraient dérisoires en comparaison, forcément étriqués. Personnellement, j'ai une autre intuition, sans doute grossièrement généraliste mais qui ne doit pas être complètement fausse : je pense que le cinéma français est gangréné, sur la question (mais ça peut être extensible à d'autres sujets historiques*), par son angle d'attaque habituel du biais, c'est-à-dire, regarder l'Histoire par le petit bout de la lorgnette grâce à l'évocation d'épisodes sous l'Occupation. Cela peut donner des films remarquables, attention.
Monsieur Klein en est le parfait exemple : à travers une situation individuelle kafkaïenne, jamais on n'a mieux montré l'horreur froide de la traque des Juifs en France. Mais cette approche ne comble pas le vide de l'Histoire politique, avec des acteurs pétainistes nommément identifiés et représentés. Je me demande si cela ne trahit pas une incapacité à se frotter à l'amont, aux causes, la préférence donnée aux
conséquences de l'action gouvernementale permettant de ne pas trop se brûler les doigts. Ainsi, force est de constater que le régime de Vichy en tant que gouvernement, en tant que système politique incarné par des hommes autour d'un programme, reste, sinon un tabou (car cela supposerait une "entente" tacite), du moins un désert cinématographique que seul Costa-Gavras a exploré. Respect éternel à ce cinéaste.
* Une remarque à deux balles, peut-être à côté de la plaque et généraliste là aussi, mais bon, c'est l'occasion : pourquoi ai-je chaque fois cette impression que les films les plus "pointus" et/ou authentiques sur les personnages fondamentaux de l'Histoire de France sont souvent le fait de réalisateurs étrangers ? Est-ce justement parce que ce sont des cinéastes étrangers ? Wajda qui a fait
Danton (avec Robespierre en creux), Rossellini qui a fait
La prise du pouvoir par Louis XIV (cinématographiquement nul mais d'une grande historicité), Costa-Gavras qui est le seul à avoir montré le gouvernement de Vichy, le scénario d'érudit de Kubrick pour
Napoléon, la réhabilitation dans l'iconoclasme pop de Marie-Antoinette par Sofia Coppola (bon là je sens que cet exemple va être pris pour une blague)... ce sont peut-être des épiphénomènes mais j'ai toujours cette impression que notre cinéma hexagonal est tétanisé (ou indifférent) depuis des décennies par le film historique à acteurs de premier plan. Comme si le bouleversement historiographique amené par l'école des Annales avait porté sa méfiance de l'Histoire des grands hommes jusqu'au cinéma.
homerwell a écrit :Par contre on peut dire qu'aucun cinéaste n'a osé montrer De Gaulle depuis Melville, et qu'aucun autre n'a jamais pensé/osé montrer le coeur du gouvernement en exil.
De Gaulle apparaît sous les traits d'un acteur dans
Chacal de Fred Zinnemann (certes, cela ne relève pas de la Seconde Guerre mondiale, c'est du romanesque inspiré par les attentats de l'OAS).