Mauro Bolognini (1922-2001)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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mannhunter
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Re: Mauro Bolognini (1922-2001)

Message par mannhunter »

moonfleet a écrit :Et toujours pas d"édition sur support de prévue pour cette magnifique comédie !!
et aussi pour..:


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Profondo Rosso
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Re: Mauro Bolognini (1922-2001)

Message par Profondo Rosso »

Black Journal (1977)

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Italie, 1938. Lea, une femme du Sud de l'Italie émigrée au Nord, voue un amour excessif à son fils unique, Michele. Elle offre toutes les apparences d'une femme affable, invitant ses voisines à prendre le thé, leur vendant un savon qu'elle fabrique elle-même et qui rend la peau très douce. Mais, derrière cette façade respectable se cache un terrible secret.

Black Journal est une œuvre qui détone dans la filmographie de Mauro Bolognini. Alors certes tout connaisseur de l’œuvre du réalisateur sait qu’elle vaut bien plus que celle de « Visconti du pauvre » auxquels certains le réduisent à cause de son appétence pour la grande adaptation littéraire et du film historique. L’excès et le grotesque peuvent tout à fait s’inviter chez lui mais en faisant sens comme dans l’excellent Vertiges (1975) et son étude du fascisme par le prisme de la folie. Ce sens est plus nébuleux dans cet inclassable Black Journal, comédie noire adaptant de façon fort singulière un fait divers qui agita l‘Italie de la fin des années 30. Entre 1939 et 1940 Leonarda Cianculli est se rend coupable d’une série de meurtre la voyant tuer ses victimes dont elle recyclera les corps en gâteau et savon qu’elle vendra afin de subsister durant la guerre. On suppose également une sorte de rituel magique afin de tromper le sort et d’empêcher son fils d’être enrôlé dans l’armée italienne et possiblement tué au front.

La vraie histoire et tellement folle et sordide que Bolognini prend le parti de l’outrance pour nous la raconter. Lea (Shelley Winters) n’existe que dans ce rôle de mère abusive, étouffant son fils Michele (Antonio Marsina) d’un amour malsain et quasi incestueux. Le malaise s’installe dès leurs retrouvailles dans la nouvelle demeure où le père (Mario Scaccia) semble un intrus pour lequel Lea témoigne une attention froide tandis que l’affection démesurée pour le fils s’exprime par des baisers trop longs et langoureux pour être honnête. Bolognini prend le cliché de la « Mama » italienne (et plus spécifiquement celle aimante et modeste du Nord de l’Italie) pour le pousser dans ses derniers retranchements ambigus. La perte de ce fils est une angoisse latente de Lea avec en toile de fond l’appel de l’armée, mais c’est une peur plus profonde qui vient des nombreuses fausses couches, enfants morts-nés et bébés prématurément décédés qu’elle a eu à subir avant de savourer la présence de Michele. Dès lors Michele ne peut s’épanouir dans une relation amoureuse sans que Lea ne bouillonne de jalousie et elle va radicalement conjurer le sort et les peurs qui l’agitent. La femme ne peut s’incarner qu’à travers son rôle de mère, c’est pourquoi Lea méprise Sandra (Laura Antonelli) la voluptueuse amante de son fils qui représente une figure jeune et sexuée avec laquelle elle ne peut rivaliser. De même son entourage d’amies est constitué de vieilles filles, des femmes dans l’âge mûr qui n’ont jamais enfantées et qui ne représente pas une menace. L’idée folle est de faire jouer ce groupe d’amies par un casting masculin (Max von Sydow, Alberto Lionello et Renato Pozzetto) qui paradoxalement exprime une féminité aux antipodes de la monstruosité que dégage Lea. Ancienne beauté hollywoodienne, Shelley Winters voit son embonpoint traduit de façon ogresque par les choix formels de Bolognini. Les tenues sombres, la silhouette large et les contre-plongées sur son visage déformé par la haine en font une pure figure monstrueuse, le regard fou et prête à bondir. Les amies ne sont des hommes qu’aux yeux du spectateur mais sont supposées être d’authentiques femmes dans le cadre du récit. Néanmoins certains dialogues et situations se font troubles pour créer une forme de connivence avec le spectateur sur la manière dont les voit Lea.

Ses élans meurtriers viseront donc ces femmes « qui n’en sont pas » pour l’héroïne du fait de cette incapacité d’enfanter et des sacrifiables pour dompter le destin funeste qui guette son fils. Tous les acteurs interprètent d’ailleurs un double rôle, celui des femmes de l’entourage de Lea mais aussi ceux des figures d’autorités qui contribueront à démasquer et arrêter Lea par la suite. Nous sommes donc dans un pur univers mental signifiant tour à tour par ce choix les instincts morbides mais aussi la culpabilité de Lea, la folie douce qui l’anime. Les scènes de meurtres sont saisissantes, leur amorce baignant dans l’humour noir avant de basculer dans le gore le plus soudain et gore. Le dégoût est certain lorsqu’elle donne à déguster les mets conçus avec les entrailles de ses victimes. Dernier point fort du film, un écrin formel blafard et étouffant avec une photo d’Armando Nannuzzi naviguant entre le blanc, l’ocre et le marron qui nous fait traverser le récit dans un terreau fangeux et oppressant. Un film unique en son genre et une géniale anomalie dans le parcours du talentueux Mauro Bolognini, vraiment à voir. 4,5/6
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Profondo Rosso
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Re: Mauro Bolognini (1922-2001)

Message par Profondo Rosso »

Ca s'est passé à Rome (1960)

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L'histoire de deux jeunes gens désargentés, David et Ivana, récemment devenus parents, qui doivent maintenant assumer leur existence et leur quotidien, en commençant par chercher un travail pour subvenir à leurs besoins et élever leur enfant.

Ça s'est passé à Rome constitue pour Mauro Bolognini le deuxième volet d’un diptyque initié avec Les Garçons (1959). Ce précédent film inaugurait la collaboration exclusive (ils avaient travaillé précédemment ensemble sur Les Jeunes Maris (1957) mais entourés d'autres scénaristes) du réalisateur avec Pier Paolo Pasolini, l'apport de celui-ci le tirant vers des sujets plus profonds et ses premières vraies réussites dans leur film suivant en commun, Le Bel Antonio (1961) d'ailleurs adapté dAlberto Moravia comme Ça s'est passé à Rome. Dans ce périple nocturne aux côtés de petites frappes romaines, Pasolini amenait l'authenticité de sa propre expérience de voyou qui se croisait au romantisme et formalisme de Bolognini, ainsi que son goût du glamour avec l'usage d'un casting peu réaliste (car pour l'essentiel des français doublés en italien, Laurent Terzieff, Jean-Claude Brialy, Mylène Demongeot) mais diablement photogénique - ce qui ne manquerait pas d'agacer Pasolini qui corrigera le tir dans son propre Accatone (1961) avec des acteurs amateurs. Cette idée de diptyque se ressent d'autant plus si l'on compare les deux titres italiens, La Notte brava pour Les Garçons et La giornata balorda pour Ça s'est passé à Rome. Après la nuit d'errance des canailles de Les Garçons, voici donc la journée chaotique de David (Jean Sorel), jeune homme oisif malgré les responsabilités prématurées qui lui incombent. Il est en effet déjà père de famille depuis qu'il a mis enceinte sa voisine Ivana (Valeria Ciangottini) mais sans le sou ils ne sont pas mariés, vivent encore chez leurs parents respectifs et le bébé n'est pas encore baptisé faute de moyens pour la cérémonie.

Régulièrement invectivé par sa mère et sa belle-famille, David semble pourtant indifférent à leurs remontrances. Bolognini ouvre le film sur une image esthétisante qui dresse la facette réaliste de Pasolini et la sienne plus stylisée avec une caméra qui avance en contre-plongée sur sous les linges accrochés entre les modestes bâtiments où vive les protagonistes. C'est une manière de faire cohabiter l'indolence du héros David et la misère dans laquelle il vit. Toute l'intrigue lâche du film joue sur cette dualité puisque David passe dans les faits cette journée à chercher du travail, mais dans la réalité n'effectue que des chemins de traverse du fait de son inconséquence. La bonne volonté initiale de notre héros se heurte à l'indifférence de ces interlocuteurs nantis qui le font tourner en rond dans la ville sans la moindre embauche, quand ce n'est pas sa propre concupiscence qui le détourne de son objectif dès qu'une jolie femme passe devant ses yeux. Bolognini nous fait traverser une Rome du boom économique, s'incarnant par les espaces bourgeois aperçus mais surtout les personnalités détestables rencontrées. L'égoïsme règne chez les nantis et plusieurs situations suggèrent leurs mœurs douteuses (la commande d'une manucure masquant la prostitution) et la source de leur fortune qui l'est tout autant avec ce patron convoyeur d'essence. Comme souvent chez Bolognini, les femmes font figures de victimes plus ou moins consentantes, contraintes à s'avilir pour subsister telle Marina (Jeanne Valérie) la voisine "manucure" de David, Freya (Lea Massari) la maitresse entretenue d'un industriel véreux. Les hommes les soumettent, les "consomment", les abandonnent ou les tiennent dans une forme de dépendance, ce à quoi participe David durant cette journée et qu'il fait subir d'une certaine manière à la mère de son enfant.

Sous cette noirceur, Bolognini illustre la ville et ses alentours sous une langueur ensoleillée et sensuelle qui offre quelques respirations bienvenues. Malgré tout c'est le portrait d'une société égoïste et cupide qui se dessine en creux, à l'image de ce vieillard dont le cadavre est exposé dans son appartement sans qu'aucun membre de sa famille ne se présente. Même outre-tombe il sera victime de l'urgence des nécessiteux et contribue à un final doux-amer qui ne résout rien et forme une boucle avec l'ouverture et cette même image nocturne d'un panorama de linge étendu. 4,5/6
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Film actuellement en entier sur youtube avec sous-titres anglais vu que pas de dvd français à l'horizon, ne pas traîner à regarder avant que ça saute
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