L'ascension (Larisa Shepitko - 1977)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Demi-Lune
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L'ascension (Larisa Shepitko - 1977)

Message par Demi-Lune »

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Biélorussie, Seconde Guerre mondiale. Les Allemands pourchassent les forces soviétiques à travers les steppes et les forêts. Civils et combattants s'agrègent dans des groupes de fortune. Deux soldats, Sotnikov et Rybak, sont envoyés en éclaireurs pour trouver des vivres. Repérés puis capturés chez une autochtone qu'ils entraînent dans leur malheur, les deux soldats vont réagir très différemment par rapport au chantage exercé par l'agent local de la Gestapo : avouer où se trouvent les autres et sauver sa peau en devenant collabo, ou bien être pendu à l'aube avec des civils.

SPOILERS.

Ours d'or à Berlin en 1977 et dernier film de la réalisatrice Larisa Shepitko (épouse d'Elem Klimov), morte prématurément, L'ascension est un vrai-faux film de guerre qui marque les esprits.
D'abord sur le plan formel, avec un noir et blanc et des gros plans de visages absolument entêtants qui rappellent l'expressivité du cinéma muet ou la puissance de Bergman. L'enneigement joue beaucoup dans le sentiment de fatalité qui poursuit les personnages. Beaucoup d'aisance derrière la caméra également pour créer une urgence dans un style parfois semi-documentaire.
Le film marque encore plus dans le développement de son sujet. Au début du film, on reste a priori dans quelque chose de classique mais plus on avance, plus on est captivé par l'économie et la rigueur du récit, jusqu'à ce qu'il prenne définitivement son ampleur dès lors que les enjeux moraux sont posés. Trahir ou mourir, le dilemme n'est pas rare dans le genre du film de guerre, sauf que là ce n'est pas du gadget. Les manières très différentes des deux soldats d'appréhender la chose (la peur et l'envie de vivre et de se battre chez l'un, l'intériorisation sereine du choix de mourir chez l'autre) donnent au film une belle émotion, mais Larisa Shepitko cherche ici véritablement à saisir toute la portée humaine et métaphysique d'une telle mise en échec. Forces et faiblesses de l'homme se retrouvent dès lors sublimées au travers du pouvoir d'évocation de la religion chrétienne, que la réalisatrice convoque, dans son imagerie (comme souvent au cinéma, les paraboles christiques sont malheureusement assez lourdes lorsqu'elles sont littérales : la pietà, le Judas, le chemin vers le Golgotha, etc) comme dans la force de ses notions morales. Le renoncement mûri de Sotnikov de vivre devient plus qu'un choix, c'est une rédemption, une élévation de l'esprit et de l'âme, qui rehaussent d'autant la valeur du sacrifice et de la loyauté (quelle fin ironique et terrible!).
Et si la réalisatrice a sans doute la main lourde dans ses parallèles bibliques, il y a cette scène horrible de pendaison, et particulièrement cette séquence bouleversante qui emporte tout et que je n'ai pas peur de ranger parmi les plus grands moments du cinéma : Sotnikov, dernier à pendre après les civils, qui regarde un enfant dans la foule. Eh ben pour moi, ces vingt ou trente secondes fatidiques, cet échange de regards, c'est un de ces moments où le cinéma touche quelque chose d'indicible sur l'âme, au même titre que La passion de Jeanne d'Arc, La source, Ordet ou Le rayon vert. Et le plus terrible, c'est peut-être ce regard perdu du tortionnaire collabo (l'excellent et flippant Anatoli Solonitsyn), lorsqu'il réalise l'absolu que représente ce sacrifice.
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Père Jules
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Re: L'ascension (Larisa Shepitko - 1977)

Message par Père Jules »

J'aime que tu aies aimé ! :D
C'est un film fabuleux que je classe encore plus haut que toi. Un des sommets du cinéma soviétique à n'en point douter. Et puis quel plaisir de retrouver l'acteur fétiche de Tarkovski, Anatoli Solonitsine !
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Demi-Lune
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Re: L'ascension (Larisa Shepitko - 1977)

Message par Demi-Lune »

Oui, je me souviens que tu avais proposé ce film à ton Quiz.
Et effectivement, Anatoli Solonitsine a une sacrée présence et un sacré regard. Brr...
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Re: L'ascension (Larisa Shepitko - 1977)

Message par Geoffrey Carter »

Malgré un symbolisme religieux parfois un peu lourd, le film est magnifique effectivement.
D'ailleurs, Larisa Shepitko me semble un peu oubliée parmi les réalisatrices (ou tout simplement peu connue, j'imagine) malgré ses autres très bons films : Ty i ya et le superbe Krylya
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Re: L'ascension (Larisa Shepitko - 1977)

Message par Chapichapo »

Geoffrey Carter a écrit :Malgré un symbolisme religieux parfois un peu lourd, le film est magnifique effectivement.
D'ailleurs, Larisa Shepitko me semble un peu oubliée parmi les réalisatrices (ou tout simplement peu connue, j'imagine) malgré ses autres très bons films : Ty i ya et le superbe Krylya
Souhaite vivement voir "Les adieux à Matiora" , film terminé par son mari Efim Klimov, absent du catalogue Potemkine depuis 2 ans.
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Barry Egan
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Re: L'ascension (Larisa Shepitko - 1977)

Message par Barry Egan »

Découvert hier, effectivement, c'est assez magnifique. J'aime surtout le découpage clair en deux parties, avec la première dans la nature, et la seconde dans le monde des hommes, comme si l'une pouvait engendrer l'autre. Solonitsine est intense dans son rôle de méchant pas si inhumain que ça. Le traître me semble encore une fois plus intéressant que le crucifié. La toute-dernière scène avec lui a quelque chose de ridicule, de drôle même, et elle est très émouvante, parce qu'elle dit la nécessité de son rôle.

Esthétiquement, j'ai trouvé que ce blanc omniprésent ne renvoyait aucune violence particulière. C'est une douce abstraction qui ne devrait pas générer les comportements auxquels on assiste.
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Jeremy Fox
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Re: L'ascension (Larisa Shepitko - 1977)

Message par Jeremy Fox »

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