SPOILERS.
Ours d'or à Berlin en 1977 et dernier film de la réalisatrice Larisa Shepitko (épouse d'Elem Klimov), morte prématurément, L'ascension est un vrai-faux film de guerre qui marque les esprits.
D'abord sur le plan formel, avec un noir et blanc et des gros plans de visages absolument entêtants qui rappellent l'expressivité du cinéma muet ou la puissance de Bergman. L'enneigement joue beaucoup dans le sentiment de fatalité qui poursuit les personnages. Beaucoup d'aisance derrière la caméra également pour créer une urgence dans un style parfois semi-documentaire.
Le film marque encore plus dans le développement de son sujet. Au début du film, on reste a priori dans quelque chose de classique mais plus on avance, plus on est captivé par l'économie et la rigueur du récit, jusqu'à ce qu'il prenne définitivement son ampleur dès lors que les enjeux moraux sont posés. Trahir ou mourir, le dilemme n'est pas rare dans le genre du film de guerre, sauf que là ce n'est pas du gadget. Les manières très différentes des deux soldats d'appréhender la chose (la peur et l'envie de vivre et de se battre chez l'un, l'intériorisation sereine du choix de mourir chez l'autre) donnent au film une belle émotion, mais Larisa Shepitko cherche ici véritablement à saisir toute la portée humaine et métaphysique d'une telle mise en échec. Forces et faiblesses de l'homme se retrouvent dès lors sublimées au travers du pouvoir d'évocation de la religion chrétienne, que la réalisatrice convoque, dans son imagerie (comme souvent au cinéma, les paraboles christiques sont malheureusement assez lourdes lorsqu'elles sont littérales : la pietà, le Judas, le chemin vers le Golgotha, etc) comme dans la force de ses notions morales. Le renoncement mûri de Sotnikov de vivre devient plus qu'un choix, c'est une rédemption, une élévation de l'esprit et de l'âme, qui rehaussent d'autant la valeur du sacrifice et de la loyauté (quelle fin ironique et terrible!).
Et si la réalisatrice a sans doute la main lourde dans ses parallèles bibliques, il y a cette scène horrible de pendaison, et particulièrement cette séquence bouleversante qui emporte tout et que je n'ai pas peur de ranger parmi les plus grands moments du cinéma : Sotnikov, dernier à pendre après les civils, qui regarde un enfant dans la foule. Eh ben pour moi, ces vingt ou trente secondes fatidiques, cet échange de regards, c'est un de ces moments où le cinéma touche quelque chose d'indicible sur l'âme, au même titre que La passion de Jeanne d'Arc, La source, Ordet ou Le rayon vert. Et le plus terrible, c'est peut-être ce regard perdu du tortionnaire collabo (l'excellent et flippant Anatoli Solonitsyn), lorsqu'il réalise l'absolu que représente ce sacrifice.