Alberto Cavalcanti (1897-1982)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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bruce randylan
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Alberto Cavalcanti (1897-1982)

Message par bruce randylan »

Sans aucun doute l'une des carrières les atypiques et inclassables du cinéma.
Après avoir été décorateur pour Marcel l'Herbier, il passe à la réalisation avec Rien que les heures qui marque les débuts de la "symphonie urbaine" (qui donnera par exemple Berlin, Symphonie d'une ville) avant de tourner quelques films muets passionnants à la réalisation d'une grande sophistication (En rade ou Yvette ; moins personnel son capitaine fracasse est un très bon divertissement).
Peu enthousiaste par les débuts du cinéma parlant, il part en Angleterre pour lancer le mouvement du documentaire social où il s'essaya à tous les postes techniques (formant Humphrey Jennings pour une collaboration houleuse semble-t-il). Il enchaîne ensuite sur plusieurs long-métrages de fiction très recommandables dont les plus connus sont pour les Studios Ealing (les excellents Went the day well, champagne charlie, au coeur de la nuit). Histoire de brouiller encore plus les pistes, il s'envole pour le Brésil (où il est né) pour y tourner de 1948 à 1954. Enfin, il revient en Europe pour tournant autant en Autriche, Allemagne ou encore Italie.

Sa période brésilienne est la moins connue mais j'ai pu découvrir son film le plus réputé de cette période :)
O canto da mar / le chant de la mer (1954)

Alors que la sécheresse sévit dans le nord du pays, des paysans tentent de trouver des terres plus fertiles dans le sud du pays, et notamment près de la côte. Sur place, une famille vit dans la misère, chaque membre ruminant son passé ou espérant un avenir meilleur.

Sans être une véritable réussite, ce titre marque avant tout les esprits pour sa dimension néo-réaliste qui renvoie au passé de documentariste du cinéaste. Il y filme sans misérabilisme l'exode des paysans, les vieilles femmes lavant leur linge dans les rivières, les vendeurs de fruits, les petites échoppes où s'arrêtent les routiers... Ce qui ne l'empêche pas de faire preuve d'une réelle empathie, sans chercher à juger ses personnages ou à vouloir attendrir le public. Il dépeint avant tout un univers où l'espoir ne semble qu'une chimère, une prison ouverte sur le monde. Les barreaux qui enferment cette famille proviennent autant de leurs conditions sociales que de leur propre comportement. Par exemple, la mère qui a connu de cruelles désillusions refusent que ces enfants cherchent à vouloir croire à de belles promesses (amoureuses ou non) qui ne sont que des paroles creuses. Mais elle confond autorité et pédagogie et se met rapidement à dos sa famille, d'autant qu'elle cherche à faire interner son mari, alcoolique désormais vagabond.
Les adolescents, eux, rêvent bien-sûr de quitter cette grisaille et ambitionnent de partir sur des voilier, de faire fortune ou de fuir avec l'élue de leur coeur. La réalité sera évidement assez dur.
On songe beaucoup à En rade où les personnages parlaient beaucoup de voyage, de départ et d'océan mais qui se trouvaient dans l'impossibilité de quitter cette ville portuaire (et mortuaire). Ce titre brésilien avec sa veine réaliste est forcément moins viscéral que son homologue muet et de son esthétisme studio mais sa photographie demeure soignée, témoignant d'un sens de la composition évident (même si la copie usée ne rendait pas honneur aux qualité plastique du film).

Malheureusement, le film souffre d'une interprétation inégale, de quelques longueurs ou à l'inverse d’ellipses bancales (notamment sur les deux adolescentes qui disparaissent du récit dans la dernières parties ou les paysans exilés qui ne servent que de présentation maladroite au final). Celà dit la copie projeté à la cinémathèque faisait 90 minutes et non 2h comme indiqué sur imdb (on le trouve sur youtube - sans sous-titres - avec cette durée d'un peu moins d'une heure trente)
En revanche, la conclusion qui arrive sans qu'on s'y attende se révèle d'un pessimisme percutant qui évite les pièges du pathos. On devinera seulement que la prostitution ou la délinquance sont désormais à porter de mains... Sans oublier l'incompréhension et la rancœur.

Ces problèmes d'écriture et d’interprétation font que je n'ai pas toujours été touché comme je l'aurais voulu tout en reconnaissant un regard juste et lucide sur les conditions de vie des plus démunis, doublé d'une réalisation de qualité qui trouve le bon dosage entre documentaire et fiction.
Dernière modification par bruce randylan le 29 mars 15, 21:41, modifié 1 fois.
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Re: Alberto Cavalcanti (1987 - 1982)

Message par Léo Pard »

bruce randylan a écrit :Sans aucun doute l'une des carrières les atypiques et inclassables du cinéma.
D'autant plus atypique qu'il est mort avant d'être né si on se fie au titre du topic. 8) :mrgreen:
bruce randylan
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Re: Alberto Cavalcanti (1897 - 1982)

Message par bruce randylan »

:oops:
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Re: Alberto Cavalcanti (1897 - 1982)

Message par John Holden »

Gardé également un très bon souvenir de Je suis un fugitif, habile polar scenarise par Noël Langley (Le magicien d'Oz; Trio; Ivanhoe...). :wink:
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Re: Alberto Cavalcanti (1897 - 1982)

Message par Rick Blaine »

Je suis un fugitif est effectivement un polar absolument remarquable.
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Re: Alberto Cavalcanti (1897 - 1982)

Message par Jeremy Fox »

Antoine Royer chronique Went the Day Well? sorti chez Studio Canal en Bluray.
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Re: Alberto Cavalcanti (1897 - 1982)

Message par Silenttimo »

Jeremy Fox a écrit :Antoien Royer chronique Went the Day Well? sorti chez Studio Canal en Bluray.
L'ayant lue en diagonale, cette chronique d'Antoien ( :mrgreen: ), je suis parfaitement en phase avec son avis : ce film est un bijou, il est passionnant de bout en bout, les éclairs fugitifs de violence constituent des moments de grande surprise, et l'intrigue est crédible, et l'histoire & les dialogues bien écrits. Sans parler de la mise en scène et de la photo, à l'avenant.

Pour moi, une très très grande réussite, un film surprenant, une perle : je l'ai déjà prêté à plusieurs reprises, ce film !
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Re: Alberto Cavalcanti (1897 - 1982)

Message par Watkinssien »

Effectivement, un parcours particulier et singulier, pour un cinéaste qui mérite également dans sa filmographie ces qualificatifs.

Il fut un des maîtres d'oeuvre de ce chef-d'oeuvre absolu qu'est Au coeur de la nuit, mon film à sketches préféré.
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Re: Alberto Cavalcanti (1897-1982)

Message par Jeremy Fox »

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