Le polar français des années 50-60-70

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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kiemavel
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Re: Le polar français des années 50-60-70

Message par kiemavel »

Major Tom a écrit :Honnêtement, à mon humble avis hein, je ne trouve pas que cela soit la bonne méthode de lancer un topic en pensant que tout le monde connaît déjà le gros du sujet (dans ce cas, quel serait l'intérêt ?), et foncer tête baissée sur les films "obscurs" direct et d'autant plus en en faisant une espèce de "Notez les polars". Il est plus intéressant de commencer par le commencement, faire un retour sur les figures emblématiques en un seul post, même si c'est chiant, je comprends, et aussi sur la définition du polar. Les modos éditaient les anciens topics comme ça en mettant des liens dans le premier message, vers des topics dédiés aux cinéastes, ce qu'a fini par faire Supfiction et c'est mieux comme ça, mieux que juste mettre une simple photo du Deuxième souffle (il n'y a même pas le titre). Mais je comprends ce qu'il a voulu faire, Jack avait proposé l'idée de ce topic dans le topic sur les poliziotteschi, en la suggérant à kevin95 une dizaine de minutes avant, et Supfiction qui trouvait l'idée bonne, n'a pas voulu que ça lui échappe. No big deal, mais cela aurait été mieux de ne pas se précipiter et se contenter de poster des photos et des récup' de vieilles critiques pour alimenter tout seul le topic. C'est un forum, pas un blog.
Bref, je ne veux pas donner "l'exemple" dans ce sens, ni la voie, je ne veux simplement pas revoir Bruce pointer du doigt que je "critique mais ne fais rien" :twisted: (alors qu'il y a deux jours encore j'écrivais un texte pour donner mon avis sur le ciné français contemporain sur ce même forum, sympas les copains)... Voilà qui est dit, on a tous donné notre avis, c'est dommage d'avoir perdu du temps là-dessus puisque le sujet me branche totalement, mais maintenant passons aux choses sérieuses... :D
Critique ? quand on sait à quoi ça se rapporte :uhuh: …Profiter du soutien apporté à Thaddeus, disparu de la circulation, pour glisser gratuitement, une nouvelle pique sur ma nullité, avec en sous texte l'appel au retour du bon et le départ du mauvais, c'est comme si j'avais lancé que ton comportement était celui d'un videur plutôt que celui d'un membre de la soi disant élite du forum ; avant 2 jours plus tard, d'euphémiser en disant que je m'étais montré un peu taquin. A mon humble avis, hein, bruce tout comme moi avait du passer à coté de cette contribution et puis ton texte, c'est à dire les deux messages dans le sujet en question, il ne faudrait pas que tu penses que ça te donnerait un droit quelconque de distribuer des : T'es nul, ailleurs. Surtout, ça ne pouvait pas marcher du premier coup mais qui sait, si tu es plus actif et lorsqu'on aura sous les yeux des exemples probants de ce qu'il faudrait parvenir à faire, les ingrats et les censeurs te laisseront peut-être la possibilité de t'exprimer enfin en toute liberté sur ce forum. À part ça, le sujet sur le polar français commencera vraiment quand tu en auras terminé avec : comment il aurait du commencer...et surtout qui aurait du le démarrer. Pour l'instant, j'attends toujours l'homme nouveau et frais revenu de vacances l'esprit apaisé.

Supfiction et moi n'avions pas la prétention de fournir le mode d'emploi en ce qui concerne la construction du sujet. C'est ce que tu fais et c'est mieux, c'est vrai, mais je ne suis pas totalement convaincu par ta méthode : tes 5 notules consacrées à quelques figures plus ou moins emblématiques. Même par certains choix…Tu cites comme une évidence Julien Duvivier qui n'a pratiquement pas réalisé de polars à proprement parler dans ces années là en dehors de "Voici le temps des assassins" et encore. Pareil pour Dassin : Rififi et puis ... Tu démarrais par Molinaro mais si j'ai récemment été impressionné par ses quelques polars, il est loin d'être le plus représentatif des metteurs en scène du genre dans les années où il s'y est consacré. Pas pour les films proprement dits, mais en ce qui concerne le cours de leur carrière, on peut le rapprocher de Sautet qui a débuté lui aussi par des polars au début de la décennie suivante. Aussi bons soient leurs films, ce n'est pas là où ils se sont le plus illustrés. Et surtout, à mon humble avis, hein, dans ta présentation, manquait une introduction au genre tel qu'il se présentait dans les années 50 : films policiers (Maigret…), le gangstérisme…illustré occasionnellement par quelques grands cinéastes et surtout de plus petits qui mériteraient qu'on s'attarde un peu plus sur eux : Decoin, Grangier…À partir des années 60, le genre a éclaté. Récupéré par la nouvelle vague (Godard, Truffaut et surtout Chabrol) ; poursuivi par des cinéastes populaires plus ou moins spécialistes : Deray, Giovanni, Lautner, Verneuil…puis Enrico, Labro, etc…qui ont pour certains occasionnellement rejoint la vague contestataire : Boisset, Mocky voir Jessua dont l'ancêtre était le dénonciateur Cayatte. Puis il faudrait évoquer le renouveau des années 70 : Corneau, etc…Tu avais occulté un passage, celui qui clôturait mon précédent message : "ce pourrait être aussi le lieu où l'on pourrait discuter des évolutions du cinéma criminel français au cours de ces 3 décennies". En voici une ébauche…Pour la suite : place aux vrais spécialistes
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Jeremy Fox
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Re: Le polar français des années 50-60-70

Message par Jeremy Fox »

Assez peu amateur du genre en ce qui concerne les années 50/60 (car en gros j'ai du mal avec le cinéma français d'avant les années 70 excepté la Nouvelle Vague), ma dernière très bonne surprises fut quand même Le Fauve est lâché de Maurice Labro. Ce qui me fait dire que malgré mes réticences je pourrais encore tomber sur ce genre de pépites. A vous donc de me donner envie.

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Le Fauve est laché

En voilà une belle surprise et encore des à priori négatifs sur Maurice Labro complètement battus en brèche. Alors que je m'attendais à un film du style 'bourre-pif' à la Eddie Constantine, me voici devant un polar non seulement bien ficelé et bien mené mais également très correctement réalisé. Mais la plus belle réussite du film provient de la direction d'acteur (tous les comédiens sont très justes y compris Estelle Blain) et des superbes dialogues concoctés par Frederic Dard et Claude Sautet qui font de l'anti-Audiard, sachant parfaitement bien doser mots d'auteur et réalisme. On sent bien aussi l'influence de Sautet dans les séquences familiales elles aussi très bien vues ; Ventura en père-poule, je ne m'y attendais vraiment pas et il y est très bien comme d'ailleurs tout du long, qu'il s'amuse ou qu'il soit en colère. Casting aux petits oignons, décors naturels variés et bien utilisés (le blockhaus normand, le chemin de halage, les routes de campagne...) et musique de Van Parys qui colle parfaitement à l'ambiance... Non vraiment, une bien sympathique découverte.


Les années 70 en revanche, ce n'est quasiment que du bonheur pour ma part.
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Rick Blaine
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Re: Le polar français des années 50-60-70

Message par Rick Blaine »

Jeremy Fox a écrit :Assez peu amateur du genre en ce qui concerne les années 50/60 (car en gros j'ai du mal avec le cinéma français d'avant les années 70 excepté la Nouvelle Vague)
Il y a du tri à faire sur cette période, très particulièrement sur le polar, puisqu'il y a une sorte de cohabitation entre film policier "qualité Française" (c'est ce que tu n'aimera pas trop) et un cinéma plus moderne, qui prend forme dès la fin des années 50. Les films de Molinaro, qu'évoquait Major Tom, ceux de Robert Hossein, de manière générale ceux qui sont scénarisés - de près ou de loin - par Frederic Dard, sont souvent plus proche de la modernité des 70's que de du classique traditionnel français. De manière plus flagrante, on peut aussi penser à Melville.

Il est assez intéressant de constater que s'il y a eu une nouvelle vague "officielle" - celle des Truffaut, Godard, Chabrol et consort - assez spectaculaire dans la rupture formelle qu'elle proposait, il y a eu en parallèle une sorte de nouvelle vague "de contrebande" dans le polar français. Une rupture plus discrète mais tout de même indéniable (quand on est chez Molinaro, on n'est clairement pas chez Berthomieu). Le genre dans le cinéma français est donc vecteur, comme ailleurs, d'une évolution des formes cinématographiques.

Tout ça pour dire que tu aurais potentiellement plus de bonne surprises dans le genre français des années 50-60 que tu ne l'imagines. :wink:
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Jeremy Fox
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Re: Le polar français des années 50-60-70

Message par Jeremy Fox »

Oui j'imagine. D'ailleurs excellent souvenir de Un témoin dans la ville.
Julien Léonard
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Re: Le polar français des années 50-60-70

Message par Julien Léonard »

De manière générale, il se passe quelque-chose à la fin des années 1950 dans le cinéma policier français. Une rupture, comme le souligne Philippe, et une exploration des codes.

Perso, je n'aime pas les polars à la Constantine, c'est lourdaud (quoique régulièrement bien réalisé) et sans grand intérêt. L'arrivée de Lino Ventura (mais Gabin avant lui, déjà, dans un autre registre) révolutionne un peu le genre. Le gorille vous salue bien n'est pas qu'une suite de bourres pifs justement. C'est un polar assez dynamique, très bien dialogué, souvent brillant, bref, une série B relevée et joliment photographiée. De la qualité. Le fauve est lâché est à mon avis supérieur encore.

Néanmoins, il existe déjà des quantités de polars bien fichus avant cela. Je pense à Suivez cet homme de Georges Lampin, a priori un banal film d'enquête avec deux affaires qui ont durablement marqué un commissaire. La première affaire est pliée rapidement, sans grande surprise. Mais la deuxième épate déjà davantage : affaire plus sinistre, plus inattendue (ne serait-ce que dans le détournement des doutes d'un personnage à l'autre), et carrément plus osée. Regardez ce que l'on ose faire au personnage féminin kidnappé. C'est du quasi-viol, et franchement la séquence est aussi troublante, réussie et violente, qu'elle peut-être traitée avec sécheresse et sans débordements déraisonnables. Au bout du compte, le film est inégal, mais souvent étonnant.

Identité judiciaire de Hervé Bromberger est très bon. Une affaire complexe qui se déroule à vitesse variable, avec une montée en suspense qui va crescendo dès lors que l'identité du coupable est établie. La fin, dans les entrepôts de Paris, est excellente. Le point de vue documentaire est bien présent.

On parlait de Berthomieu, mais il suffit de regarder En légitime défense pour se rendre compte que le bonhomme a fait de belles choses. Ce solide polar avec les excellents Bernard Blier et Philippe Nicaud brille par de nombreux aspects. C'est enlevé, souvent documentaire également (la France parisienne, mais aussi rurale, y est encore largement exploitée), et se clôture sur une séquence dans un garage absolument remarquable de vitalité pour l'époque (et Blier poursuivant une voiture en remontant en ascenseur, il fallait y penser... visuellement, cela fonctionne).

On pourrait citer beaucoup d'autres titres encore, et très méritants. Bon, Molinaro et consorts vont venir mettre un coup de pieds dans la fourmilière balisée du genre (Le dos au mur, mais aussi Des femmes disparaissent -l'un de mes préférés de cette époque, une vraie claque-, et Un témoin dans la ville -peut-être l'un des plus beaux films noirs de tous les temps), mais cela valait déjà le déplacement à l'origine. Le Monte-charge de Marcel Bluwal, Toi le venin de Robert Hossein aussi... Et j'en passe.

Après, Ventura et Delon vont beaucoup apporter au genre (bien plus que Belmondo, acteur en or et grand sportif, mais travaillant dans des produits calibrés sans risque), par leur exigence et leur envie de challenges.

Et Mort d'un pourri, l'un des films qui clôture en beauté la grande époque de ces films Neo Noirs à la française, à la fois remarquables sur le plan technique mais aussi sur le plan fondamental. Un chef-d'oeuvre du genre.

Il est intéressant, d'ailleurs, de voir comment les italiens ont su capter quelque-chose de leur temps, et comment les français ont su capter autre chose de leur côté. C'est assez fascinant.
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Rick Blaine
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Re: Le polar français des années 50-60-70

Message par Rick Blaine »

Loin de moi l'idée d'être dépréciatif vis à vis de Berthomieu (en tout cas de certains de ses films) ou de Lampin, de Bromberger,... Tous les films que tu cites sont effectivement de belles réussites, des films bien fichus avec des castings assez solides et généralement de bons scénarii. Le Bromberger notamment est très plaisant, avec un côté "procedural" réussi.
Mais la forme de tout ces films est très classique, le rythme parfois un peu pépère, donc la j'ai peur de faire fuir Jeremy. :mrgreen:
La vague Molinaro/Hossein/Bluwal et compagnie vont tous changer. Le découpage, l'utilisation de la musique, la caractérisation des personnages font de leurs films des oeuvres très différentes, bien plus modernes qui mérite de s'y attarder, même quand on est pas très fan du cinéma français "à l'ancienne" (terminologie qui n'est pas péjorative dans ma bouche).
Julien Léonard a écrit : Perso, je n'aime pas les polars à la Constantine, c'est lourdaud (quoique régulièrement bien réalisé) et sans grand intérêt.
Ca c'est encore autre chose, à mon avis c'est une autre voie, des films construit autour d'un personnage, d'un caractère. Personnellement j'aime bien, il y a à boire et à manger dans sa filmographie mais je suis plutôt client.
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Commissaire Juve
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Re: Le polar français des années 50-60-70

Message par Commissaire Juve »

Julien Léonard a écrit :
Néanmoins, il existe déjà des quantités de polars bien fichus avant cela. Je pense à Suivez cet homme de Georges Lampin, a priori un banal film d'enquête... Au bout du compte, le film est inégal, mais souvent étonnant.

Identité judiciaire de Hervé Bromberger est très bon. Une affaire complexe qui se déroule à vitesse variable, avec une montée en suspense qui va crescendo dès lors que l'identité du coupable est établie. La fin, dans les entrepôts de Paris, est excellente. Le point de vue documentaire est bien présent.

On parlait de Berthomieu, mais il suffit de regarder En légitime défense pour se rendre compte que le bonhomme a fait de belles choses. Ce solide polar avec les excellents Bernard Blier et Philippe Nicaud brille par de nombreux aspects...
Bien d'accord. J'en ai un paquet dans ma collec. J'adore...

Identité judiciaire, c'est carrément "Les experts" en France au début des années 50 ! (au passage, on y voit un long plan séquence dans les bureaux de l'identité judiciaire... en général, je passe complètement à côté de ce genre de chose et là je l'ai remarqué). En 1957, avec Police judiciaire , Maurice de Canonge avait fait un truc dans le même esprit (le DVD).

Au passage, je recommande un titre au mode de narration assez original (pour l'époque) : Le Crâneur (Dimitri Kirsanoff, 1955... le DVD). L'histoire y est suivie de plusieurs points de vue.

J'ai aussi une certaine tendresse pour les petites série B comme Interdit de séjour (Maurice de Canonge, 1955... le DVD)
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Major Tom
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Message par Major Tom »

kiemavel a écrit :Pour la suite : place aux vrais spécialistes
Ça y est maintenant. :) Pour le reste : j'ai déjà dit que je passais à autre chose.

Je suis amené à le redire, mais mon intro n'avait pas la moindre prétention d'être exhaustive, évidemment. Ces quelques lignes me permettaient d'évoquer, de façon plus ou moins construite, quelques-uns de mes coups de cœur tout en essayant de recadrer le sujet dans ce qu'il est : un sujet général sur le polar. D'où certaines idées ou certains réals passés à la trappe par manque de temps, d'envie ou juste par oubli (je ne comptais pas faire un glossaire non plus). Le coup de cœur, c'est aussi la raison pour laquelle je cite Molinaro en premier, comme je l'ai déjà dit. Maintenant est venue pour moi l'opportunité d'approfondir un peu sur le cinéaste...

Les débuts de Molinaro me rappellent ce que disait Truffaut sur les jeunes cinéastes. Les films de jeunesse selon lui, sont les plus intéressants et audacieux (c'était peut-être davantage une pique de plus envers son cher ennemi Antonioni, qui a démarré sa carrière à quarante ans, qu'une vraie théorie, mais elle se vérifie souvent, très souvent), et principalement les trois premiers films d'un réalisateur, qu'il jugeait "inestimables". S'il cite Godard pour À Bout de souffle ("film qu'on ne ferait pas à quarante ans") ou regrette que Resnais n'ait pas démarré plus tôt même s'il jugeait Hiroshima... formidable, il est évident qu'il pensait aussi à Molinaro et, en fait, à tous ses amis. Au moins, la filmographie de Molinaro s'inscrit tout à fait dans la théorie de Truffaut tant je trouve que rien ne surpassera à l'avenir, dans sa filmographie, le degré de perfection (et d'imperfection attachante) du Dos au mur, et Des Femmes disparaissent / Un Témoin dans la ville sur lesquels je reviendrai. Bien sûr je suis loin de prendre de haut le genre comique et ne tirerai pas à boulets rouges sur ses comédies dont au moins une est devenue cultes, et que je trouve pour la plupart attachantes, ni sur d'autres bons films, mais aucun n'arrive à la cheville des trois premiers, tant au niveau de la manière de raconter les récits que du point de vue plastique...

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--- quelques légers spoilers ---
  • Image (1957)
Nous sommes à la fin des années cinquante, À Bout de souffle n'est pas encore sorti, et Édouard Molinaro, 29 ans, passionné du films noirs, réalise son premier film (noir, justement) adapté de Délivrez-nous du mal de Frédéric Dard (autre "gueule" incontournable, tiens, qui participe également au scénario). Comme Kiss Me Deadly d'Aldrich deux ans plus tôt, Le Dos au mur démarre sur une route éclairée par la lumière blafarde des phares, défilant avec les crédits du générique. Les premières minutes silencieuses (générique compris, sans musique) sont parmi les plus intéressantes et des plus ambitieuses du film. Il est en effet très intéressant de voir comment Molinaro arrive à créer l'empathie pour son personnage principal, Jacques Decrey (Gérard Oury) via quelques gimmicks hitchcockiens (transporter un cadavre enroulé dans un tapis en pleine nuit dans une rue déserte et sans se faire remarquer, mais s'apercevoir qu'il y a d'autres personnes qui peuvent l'apercevoir...). Le spectateur s'inquiètera de manière intuitive pour lui en ne sachant absolument rien de lui, ni du cadavre encombrant, et encore moins du pourquoi de cette situation. La voix off ne démarrera pas avant que ne soit achevé le premier quart d'heure du film (une éternité au cinéma). L'efficacité de cette séquence repose sur l'audace visuelle d'une part (on y reviendra) et surtout sonore. Quasiment sans texte, en dehors d'une scène de dialogue "extérieur" avec le concierge et des voisins, et avec presque pas de musique, la bande son se retrouve alors constituée d'effets sonores et bruitages de la vie courante. Moteur de voiture, passant qui siffle, rasoir resté branché, téléphone qui sonne, une télévision à travers les murs diffusant le bulletin d'informations, le tic tac d'une pendule, etc. Ce début quasi muet capte aussitôt l'attention du spectateur, qui voudra automatiquement chercher à comprendre, s'inventant sa propre histoire sur une fausse piste avant de pouvoir décrypter les tenants et aboutissants, l'histoire d'amour tragique ou la machination imaginée par Decrey...
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On découvrira que Jacques Decrey est le mari de Gloria (Jeanne Moreau). Elle a un amant, Yves (Philippe Nicaud), comédien au chômage. Jacques le découvre et entreprend de faire chanter sa femme avec l'aide d'un détective privé un peu gauche (Jean Lefebvre) qui prendra les photos compromettantes...
De l'histoire, je n'en dirai pas trop. D'une part parce que je ne crois pas que l'intérêt d'une critique consisterait à raconter le film et mettre une note, et d'autre part parce que, de toute façon, l'histoire de Frédéric Dard aussi efficace et bien construite soit-elle, reste simpliste et très commune au monde du polar. Elle est surtout prétexte à une stylisation, une adaptation esthétique splendide et là-dessus, Molinaro n'a pas raté son coup. En effet, difficile de ne pas parler du travail sur la mise en images et la photographie de Robert Lefebvre qui emprunte quelques "hitchcockismes". Je pense notamment aux plans de téléphone, l'outil indispensable pour les amants de communiquer au risque de se faire surprendre, comme pour le réalisateur qui créé le suspens autour de cet appareil :
Dès le début du film d'ailleurs, on comprend assez vite que c'est un élément important, quand retentiront plusieurs sonneries dans l'appartement d'Yves, étendu mort pendant que Decrey camoufle le meurtre, et que la mise en scène utilise admirablement l'espace, la perspective, avec des cadrages en contre-plongée et ce fameux grand angle pour créer le sentiment d'une menace latente dès que l'appareil apparaît. Hitchock, mais aussi Welles, sont des références qui apparaissent évidentes quand on repense à certaines scènes. Molinaro n'hésite pas à réintégrer certains éléments issus du film noir wellesien, et l'ombre du cinéaste de Touch Of Evil semble imprégner certains plans, dans la direction d'acteurs, en plans fixes ou dans les mouvements de caméra, ou leur placement dans le cadre, avec un jeu sur le premier et second plan et un travail sur l'utilisation de la lumière vraiment séduisant...
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Je suis d'accord avec Julien sur le fait que les films de Molinaro, comme celui-ci, retentissent pour nous aujourd'hui comme des coups de Parabellum 9 mm au sein de la production cinématographique française de l'époque. Malheureusement, comme on l'a déjà rappelé, aucun des films noirs de Molinaro ne connaîtra le succès mérité et celui-ci ne fait pas exception. Certes, le film n'est pas parfait, quelque peu inégal et avec les défauts des premiers films, mais il demeure un polar efficace, surprenant, bourré d'idées de mise en scène, et donc parfait pour démarrer une incursion dans la filmo "noire" de Molinaro. Le Dos au mur ne souffre à mon goût que d'un seul gros défaut : le manque de charisme de son interprète principal. L'interprétation de Gérard Oury s'avère fade en mari cocu et maître-chanteur, et le futur cinéaste de la comédie française était un acteur vraiment inexpressif. Pas bien bien grave cependant, car niveau interprétations Jeanne Moreau remonte largement le niveau (la même année elle arpente Paris sur les notes de Miles Davis dans un autre film noir signé Louis Malle, l'inoubliable Ascenseur pour l'échafaud), et Jean Lefebvre dans le rôle du détective plus ou moins malmené par sa femme, et qui apporte une touche de légèreté.
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Dernière modification par Major Tom le 10 févr. 16, 23:32, modifié 3 fois.
Julien Léonard
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Re: Le polar français des années 50-60-70

Message par Julien Léonard »

Rick Blaine a écrit :Loin de moi l'idée d'être dépréciatif vis à vis de Berthomieu (en tout cas de certains de ses films) ou de Lampin, de Bromberger,... Tous les films que tu cites sont effectivement de belles réussites, des films bien fichus avec des castings assez solides et généralement de bons scénarii. Le Bromberger notamment est très plaisant, avec un côté "procedural" réussi.
Mais la forme de tout ces films est très classique, le rythme parfois un peu pépère, donc la j'ai peur de faire fuir Jeremy. :mrgreen:
La vague Molinaro/Hossein/Bluwal et compagnie vont tous changer. Le découpage, l'utilisation de la musique, la caractérisation des personnages font de leurs films des oeuvres très différentes, bien plus modernes qui mérite de s'y attarder, même quand on est pas très fan du cinéma français "à l'ancienne" (terminologie qui n'est pas péjorative dans ma bouche).
Ah mais t'inquiètes Rick, j'avais bien compris. Et puis, je partage ton point de vue considérant l'angle du "comment j'attaque le polar français des années 50". :wink: Pour quelqu'un désireux de se pencher sur le genre, Molinaro ou quelques autres sont tout de même plus impressionnants, dotés en outre d'une plastique absolument merveilleuse. Ce sont des films modernistes et qui le restent encore aujourd'hui, même comparés à des polars très récents (souvent moins bien construits d'ailleurs... quoique j’en trouve certains jubilatoires parmi ces derniers).

Pour Constantine, je n'en n'ai vu que quatre. Il y a longtemps. Il faudrait un de ces quatre que je me paye le coffret René Château pour une poignée d'euros. Sait-on jamais. Il ne faut jamais fermer totalement la porte. Des années après, elle peut se rouvrir d'une façon inattendue.
Commissaire Juve a écrit :Identité judiciaire, c'est carrément "Les experts" en France au début des années 50 ! (au passage, on y voit un long plan séquence dans les bureaux de l'identité judiciaire... en général, je passe complètement à côté de ce genre de chose et là je l'ai remarqué).

Au passage, je recommande un titre au mode de narration assez original (pour l'époque) : Le Crâneur (Dimitri Kirsanoff, 1955... le DVD). L'histoire y est suivie de plusieurs points de vue.

J'ai aussi une certaine tendresse pour les petites série B comme Interdit de séjour (Maurice de Canonge, 1955... le DVD)
Deux très bons titres également. J'ai acheté la plupart de mes René Château (allez, 90%) en regardant tes tests au préalable.

D'ailleurs, Raymond Pellegrin est un nom important du genre, si l'on considère ses interprètes "clés". Je pense aussi à La bonne tisane, entre autres, et dans lequel Blier vient également prêter son talent à l'ensemble.
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Major Tom
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Re: Le polar français des années 50-60-70

Message par Major Tom »

Julien Léonard a écrit :Après, Ventura et Delon vont beaucoup apporter au genre (bien plus que Belmondo, acteur en or et grand sportif, mais travaillant dans des produits calibrés sans risque), par leur exigence et leur envie de challenges.

Et Mort d'un pourri, l'un des films qui clôture en beauté la grande époque de ces films Neo Noirs à la française, à la fois remarquables sur le plan technique mais aussi sur le plan fondamental. Un chef-d'oeuvre du genre.

Il est intéressant, d'ailleurs, de voir comment les italiens ont su capter quelque-chose de leur temps, et comment les français ont su capter autre chose de leur côté. C'est assez fascinant.
Bien d'accord pour Mort d'un pourri - d'ailleurs je me passe la B.O. en ce moment - mais j'ai toujours eu un peu de mal avec la dernière partie, où l'histoire commence à ralentir (je trouve par ailleurs Klaus Kinski sous-employé). J'aurais du mal à en parler comme d'un chef-d'œuvre, mais 1) ses deux premiers tiers, 2) la distribution cinq étoiles (dans lequel on retrouve outre Delon, Maurice Ronet, Kinski, Guiomar, Jean Bouise, Michel Aumont, Daniel Ceccaldi, Stéphane Audran ou la sublime Ornella Muti), 3) les dialogues d'Audiard, 4) Sarde/Stan Getz, entre autres, font qu'il vaut largement le déplacement

Concernant Delon, il a effectivement fait plus de choses intéressantes que Belmondo. J'aime les deux, même si j'ai une préférence pour Belmondo, mais Delon osait davantage en effet. D'ailleurs, au sujet des co-prods avec les Italiens, as-tu vu Big Guns aka Les Grands fusils aka Tony Arzenta de Duccio Tessari, et qu'en as-tu pensé ?
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Re: Le polar français des années 50-60-70

Message par bruce randylan »

Major Tom a écrit :D'ailleurs, au sujet des co-prods avec les Italiens, as-tu vu Big Guns aka Les Grands fusils aka Tony Arzenta de Duccio Tessari, et qu'en as-tu pensé ?
Trop long, trop répétitif, trop prévisible y compris dans sa conclusion. Par contre, il faut reconnaître que la dimension mélancolique est bien rendue.

Voilà, c'est ma contribution au Topic (j'avoue que je ne connais pas vraiment le polar français qui ne m'attire pas des masses par ailleurs même si j'adore Melville).
Mais je vais prendre des notes pour plus tard.
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kiemavel
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Re: Le polar français des années 50-60-70

Message par kiemavel »

Dans Le dos au mur, on ne sent pas trop la patte du scénariste Frédéric Dard à part peut-être dans quelques personnages secondaires : la patronne d'un bar fréquenté par le couple adultère (jouée par Claire Maurier) ; les deux gros bras (vite calmés) qu'elle leur trouve pour tenter d'identifier un maitre chanteur sont typiques du genre à l'époque ( le grand bourgeois les matte avec une facilité sidérante) et surtout pour ce personnage de détective privé insolite joué (plutôt pas mal) par Jean Lefèvre (les dialogues avec sa femme sont assez amusants car la fouine connait dans sa vie privé les mêmes problèmes que son dernier client)…Mais ce sont quelques éléments épars qui vont faire esquisser quelques sourires aux spectateurs mais dans un récit très sombre et carré très influencé par le film noir : maitre chanteur ; détective privé ; grande importance donnée aux déplacements dans la ville ; voix off par le personnage central qui donne à entendre ses commentaires sarcastiques puisqu'il s'amuse des effets produits par ses tentatives de manipulation sur son entourage…Voix off très présente donc, mais peu de dialogue (mais un peu plus quand même que chez Melville).

La dernière partie est passionnante, sans parler de ce final magistral qui prend par surprise même si on pouvait partiellement l'anticiper en raison de la séquence d'ouverture. Seul petit soucis peut-être : le manque d'alchimie et de sensualité du couple adultère. On est à des années lumières de L'amant tourné à cette époque là par la vedette féminine. Philippe Nicaud joue l'amant, un type charmant mais assez faible. C'est un comédien raté et dilettante et surtout un joueur invétéré…Le coté artiste Bohême pouvait convenir à Nicaud ; pas le reste du personnage selon moi. Pas d'accord en ce qui concerne Gérard Oury, un acteur que je n'aime pas beaucoup mais qui est très bien dans ce registre relativement limité d'homme d'affaires austère et sournois…et terriblement égocentrique (la question finale qu'il pose est pour moi révélatrice de la monstruosité du personnage)
Major Tom a écrit :c'était peut-être davantage une pique de plus envers son cher ennemi Antonioni, qui a démarré à quarante ans, qu'une vraie théorie, mais elle se vérifie souvent, très souvent
Des débuts du cinéma à la fin des années 50, je n'en vois pas beaucoup en dehors de Welles évidemment. Qui ? ou alors des quarantenaires justement : Preston Sturges...
Ensuite, j'en vois un peu plus mais si Truffaut ou Godard ont démarré fort, ou bien Polanski ou Lumet ; c'est quoi leurs meilleurs films aux gens de ce niveau. J'en vois quand même quelques uns dont on peut considérer que les meilleurs films sont plutôt à leurs débuts : Frankenheimer, Roeg…
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Major Tom
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Re: Le polar français des années 50-60-70

Message par Major Tom »

kiemavel a écrit :Pas d'accord en ce qui concerne Gérard Oury, un acteur que je n'aime pas beaucoup mais qui est très bien dans ce registre relativement limité d'homme d'affaires austère et sournois…et terriblement égocentrique (la question finale qu'il pose est pour moi révélatrice de la monstruosité du personnage)
Oui il a des moments superbes, mais bon, c'est plus lié à l'écriture du personnage car je trouve Oury globalement insipide. Rick le trouve aussi très bon dans le rôle, mais je n'y arrive pas. D'accord sinon sur le manque d'alchimie du couple.
kiemavel a écrit :
Major Tom a écrit :c'était peut-être davantage une pique de plus envers son cher ennemi Antonioni, qui a démarré à quarante ans, qu'une vraie théorie, mais elle se vérifie souvent, très souvent
Des débuts du cinéma à la fin des années 50, je n'en vois pas beaucoup en dehors de Welles évidemment. Qui ? ou alors des quarantenaires justement : Preston Sturges...
Ensuite, j'en vois un peu plus mais si Truffaut ou Godard ont démarré fort, ou bien Polanski ou Lumet ; c'est quoi leurs meilleurs films aux gens de ce niveau. J'en vois quand même quelques uns dont on peut considérer que les meilleurs films sont plutôt à leurs débuts : Frankenheimer, Roeg…
De façon générale, je rejoins Truffaut car en effet, les premiers films c'est souvent intéressant parce qu'on y trouve les éléments fondateurs de la carrière du cinéaste, en somme, et même que la plupart font effectivement leurs meilleurs films à leurs débuts (Polanski étant un cas à part, puisqu'il n'y a presque rien à jeter :mrgreen: ), et ceux qui ont eu la chance de démarrer jeunes ont peut-être plus d'audace aussi... Après ça ne m'empêche évidemment pas de trouver de nombreux cas inverses avec des cinéastes ayant démarré plus tardivement (justement, je suis fan d'Antonioni mais pas vraiment de ses premiers films, ou De Palma qui devient vraiment intéressant à partir de Sisters pour moi, etc.).
bruce randylan a écrit :
Major Tom a écrit :D'ailleurs, au sujet des co-prods avec les Italiens, as-tu vu Big Guns aka Les Grands fusils aka Tony Arzenta de Duccio Tessari, et qu'en as-tu pensé ?
Trop long, trop répétitif, trop prévisible y compris dans sa conclusion. Par contre, il faut reconnaître que la dimension mélancolique est bien rendue.
Ah. J'avais bien aimé Les Grands fusils. Effectivement il y a une dimension mélancolique mais surtout une violence sèche assez surprenante. Le jeu de Delon est formidable - même si je fais dans le souci hystérique du détail je me souviens de sa façon de saisir son manteau au tout début du film, entre deux doigts, puis de le replier avec élégance sur "L'appuntamento" d'Ornella Vanoni (c'est anodin vu comme ça, mais ça c'est la classe)... :)
Julien Léonard
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Re: Le polar français des années 50-60-70

Message par Julien Léonard »

Major Tom a écrit :Bien d'accord pour Mort d'un pourri - d'ailleurs je me passe la B.O. en ce moment - mais j'ai toujours eu un peu de mal avec la dernière partie, où l'histoire commence à ralentir (je trouve par ailleurs Klaus Kinski sous-employé). J'aurais du mal à en parler comme d'un chef-d'œuvre, mais 1) ses deux premiers tiers, 2) la distribution cinq étoiles (dans lequel on retrouve outre Delon, Maurice Ronet, Kinski, Guiomar, Jean Bouise, Michel Aumont, Daniel Ceccaldi, Stéphane Audran ou la sublime Ornella Muti), 3) les dialogues d'Audiard, 4) Sarde/Stan Getz, entre autres, font qu'il vaut largement le déplacement

Concernant Delon, il a effectivement fait plus de choses intéressantes que Belmondo. J'aime les deux, même si j'ai une préférence pour Belmondo, mais Delon osait davantage en effet. D'ailleurs, au sujet des co-prods avec les Italiens, as-tu vu Big Guns aka Les Grands fusils aka Tony Arzenta de Duccio Tessari, et qu'en as-tu pensé ?
Pour Mort d'un pourri, je reste un inconditionnel. Et Delon avait de la ressource dans les années 1960-70. Pourvoyeurs de projets souvent risqués, souvent passionnants.

Concernant Big guns, c'est un film tout à fait déroutant. Pour qui n'est pas du tout habitué du polar italien des années 1970 (le Neo Polar), ce doit être assez incompréhensible. Les italiens en produisaient des caisses entières chaque année, à cette époque (je suis également très client, comme pour le giallo). Delon voulait : 1) S'imposer durablement sur le marché italien (ses films marchaient très bien là-bas -également en Espagne d'ailleurs-, il voulait donc tout naturellement y faire aussi quelques films : Le professeur, Zorro...) / 2) Surfer sur la vague de succès rencontrée par le genre Neo Polar à ce moment-là. Nous sommes ici bien plus proches d'un film de mafia (Di Leo et consorts) que d'un vrai polar urbain déjanté et raccroché aux années de plomb vécues dans la rue (allez, en vrac : Roma a mano armata, La rançon de la peur, Napoli violenta, Quelli della calibro 38, Le clan des pourris...).

En résulte un étrange compromis très riche, mais bouleversé par son scénario un peu trop cousu de fil blanc. C'est d'une linéarité confondante, sans la moindre surprise (ou presque). A l'inverse, cette linéarité joue beaucoup en faveur du ton du film et de sa sécheresse : la mélancolie y est magnifique (quelques plans sur le visage de Delon sont absolument stupéfiants, notamment autour de ses immortels yeux bleus sous lesquels une mer déchaînée s'agite) et l'action bien dosée. Les courses poursuites sont tournés dans la pure tradition italienne : mélange d'improvisation, de plans "uppercut", d'angles originaux et de prises de risques augmentant l'aspect "pris sur le vif" de la chose. C'est cruel, violent, rapide, sans compromis, et nanti de quelques nuances techniques démontrant bien que même le plus binaire des techniciens italiens possède toujours un savoir-faire audacieux et inventif.

On y croise ça-et-là quelques motifs du genre (femme maltraitée, voire torturée / tuerie hallucinante de violence dans une décharge de voitures / guns-fight en pleine rue avec victimes innocentes descendues à la volée...), mais aussi une distribution assez remarquable (quoique Roger Hanin y soit assez mauvais). Le film est bien davantage un polar italien à tendance mafieuse qu'un produit façon Delon. Et la preuve, parmi tant d'autres à l'époque, que Delon savait s'adapter à la nouveauté et à l’originalité de son sujet.

Ce n'est pas un chef-d'oeuvre, mais c'est un très bon film... peut-être un peu désincarné et en retrait si l'on songe à la production italienne du moment (plus dense, plus vive, plus sociale et plus dure, voire plus cohérente). En tout cas, un spectateur français qui découvrirait ce film, sans prévention quant au genre et à la manière, serait à coup sûr décontenancé, pour ne pas dire circonspect. Mais l'exercice demeure régulièrement brillant.
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Kevin95
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Re: Le polar français des années 50-60-70

Message par Kevin95 »

J'attendais que l'atmosphère revienne à la cool pour me glisser discretos dans la discussion.

Concernant Tony Arzenta - Big Guns, je fais partie du même gang d'amateurs du film (mais j'ai déjà dû l'écrire 1002 fois sur le forum). C'est Duccio Tessari à son meilleur, un peu mélancolique, un peu grisâtre. Le film peut se voir d'ailleurs en miroir de son Il ritorno di Ringo, même héro fatigué et même destin brisé.

Au sujet de la présentation du Major quelques petites choses :

• Merci à lui de défendre Qui ?, excellent thriller pourvu d'une séquence de poursuite dans les Galeries Lafayette absolument superbe (comme la musique de Claude Bolling).

• Serge Leroy est effectivement un cinéaste plus qu'estimable, c'est même (à mon sens) le meilleur "petit maitre" des seventies.

• Un peu dur sur les comédies de Molinaro mais bon, ce n'est pas le sujet. J'ai de grosses lacunes vis à vis de ses premiers polars (et en général vis à vis des polars d'après-guerre), tous (ou presque) dorment paisiblement dans la pile (enfin pile...) de DVD à voir donc ça ne saurait tarder. A noter qu'il revient épisodiquement au genre dans les années 70 et plus précisément avec le très beau Les Aveux les plus doux, malheureusement peu aimé sur le forum.

• Le distinguo entre Melville et Tarantino n'est pas très clair car le réalisateur français était aussi friand de citations directes : Crime Wave, The Asphalt Jungle ou City Streets.
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