Grosses difficultés à supporter la découverte de son remake...
Succès populaire en France comme à l'international, et notamment en Allemagne (Ours d'argent à la Berlinale de 73, Goldene Leinwand de 1976 récompensant les films les plus populaires), et nominé pour le Meilleur film étranger par le National Board of Review aux USA, il s'agit du onzième film réalisé par Yves Robert et du troisième scénario par Francis Veber. Il connut une suite de moins bonne qualité, Le Retour du Grand Blond (que Veber déclara avoir écrit pour le chèque).
Le Grand blond avec une chaussure noire
Le colonel Toulouse (Jean Rochefort), victime d'une machination visant à le discréditer fomentée par son adjoint Bernard Milan (Bernard Blier), met en place un piège ("à cons") et demande à son homme de main, Perrache (Paul Le Person), d'aller choisir "n'importe qui, un homme dans la foule", et de le faire passer pour un redoutable agent secret capable de faire tomber Milan. Cet homme dans la foule sera François Perrin (Pierre Richard), arrivé à Orly avec une chaussure noire à un pied et une marron à l'autre. C'est par cet aspect "original" qu'il sera sélectionné, et va devenir un pion dans une lutte entre services du contre-espionnage français, déstabilisant Milan et finissant même par déjouer par chance les différents pièges qui lui seront tendus...
Toulourse, Milan, Perrache... ("Mais, dites donc, c'est un véritable plan de Paris, ça !" - Jean Gabin, Le Clan des Siciliens, 1969)
Yves Robert a l'idée de faire une comédie d'espionnage en s'inspirant du livre La Cinquième corde, récit autobiographique extravagant du violoniste Igal Shamir, surnommé le "007 du violon", pionnier de la musique néo-classique dans le domaine populaire, et pilote d'avion de chasse pour l'armée israélienne. Jean-Loup Dabadie (avec qui il a travaillé sur Clérambard - 1969) déclinant l'offre de la co-scénarisation, Robert se tourne alors vers un jeune scénariste brillant qui vient de faire ses preuves chez Lautner (Il était une fois un flic - 1971, comédie policière très honorable), Francis Veber.
Veber aime donner des noms de villes à ses personnages, notamment pour éviter la ressemblance avec des noms de personnes existantes (plus tard, son attachement pour le nom de François Pignon verra apparaître des associations d'homonymes en colère), et on retrouvera notamment Milan ("Comme la ville ?") dans L'Emmerdeur d'Édouard Molinaro l'année suivante. La force principale du film (qui échappera totalement à ceux qui feront le remake, mais on y reviendra), c'est la caractérisation de ses personnages. Les acteurs sont souvent décidés au moment où Veber écrit le scénario, et la mélodie des mots écrits pour chaque acteur se ressent à l'écran. Rochefort, par exemple, est exceptionnel.
Le sujet de l'atteinte à la vie privée est peut-être encore plus d'actualité aujourd'hui où il n'y a même plus besoin d'être espion pour espionner la vie d'une personne ordinaire. Le Grand blond... permettra en outre de lancer sur les rails du succès les carrières de Jean Rochefort, Jean Carmet, et aussi Pierre Richard qui connaît là son premier gros succès en tête d'affiche jusqu'à l'étranger.
La Musique
Impossible de ne pas l'évoquer. Selon certains, elle a largement contribué au succès du film. Avec Le Grand blond... Vladimir Cosma retrouve Yves Robert, celui qui a lancé sa carrière au cinéma avec Alexandre le bienheureux que Michel Legrand devait musiquer au départ. Très influencé par son Maître, Henry Mancini, Cosma décide d'aller contre ce qui lui demandé par Veber et Robert, à savoir une parodie des thèmes de John Barry pour James Bond (ce qu'il fera finalement pour un morceau du Retour du grand blond). Il va plutôt chercher son inspiration du côté de la danse traditionnelle du Sîrba, issue de son pays natal, la Roumanie, et faire interpréter son morceau au cymbalum et au naï (flûte de pan diatonique) par Gheorghe Zamfir. Sa musique s'incruste dans nos oreilles, créé un décalage génial avec le film et reste aussi culte aujourd'hui que la robe de Mireille Darc. Veber avait peur que le décalage tue la drôlerie de ses textes (il sera plus nuancé à ce sujet dans son autobiographie), mais le succès du film le conduira finalement à une longue collaboration avec lui sur ses films en tant que réalisateur.
Le duel semble improbable, les deux n'ont aucun rapport, et pourtant... Le succès du premier film conduit inévitablement à un remake dans la langue de Donald Trump 13 ans plus tard. Intitulé L'Homme à la chaussure rouge (The Man with One Red Shoe - 1985) et réalisé par Stan Dragoti, il met le débutant Tom Hanks (il sort tout juste du succès de Splash et Le Palace en délire) dans les chaussures dépareillées de Perrin, devenu Richard Drew, Richard en référence à Pierre Richard.
Le reste du casting file le vertige, Carrie Fisher reprend le rôle de Paulette (devenue Paula), Jim Belushi celui de Maurice (américanisé en Morris), Charles Durning celui du colonel Toulouse (devenu Ross), Dabney Coleman celui de Bernard Milan (devenu le chef adjoint de la CIA Cooper), le copain de De Palma, Gerrit Graham (de Phantom of the Paradise) joue un homme de main, et enfin c'est la sculpturale blonde californienne Lori Singer (également une talentueuse violoncelliste, vue dans la série télévisée Fame et dans Short Cuts d'Altman) qui enfile la légendaire robe décolletée du dos jusqu'aux fesses (mais version eighties à paillettes) pour le rôle de Christine, rappelée Maddy, une robe qui n'est plus signée Guy Laroche et ne finira pas au Louvre comme l'originale, mais plutôt à la poubelle.
Le vertige est de courte durée, les acteurs se retrouvant avec un script réécrit par Robert Klane qui se contente du strict minimum. Les dialogues sont simplifiés, zappant forcément les jeux de mots de Francis Veber, et ne cherchant plus la répartie, le "pun" ou "play with words" pour se contenter de dialogues sans intérêt comique.
L'histoire, devenue celle d'un procès ridicule avec des agents de la CIA, retranscrit maladroitement le sujet principal. C'est joué comme dans un film pour enfants, personne ne meurt vraiment (la scène du duel à quatre au ralenti est cent fois mieux réalisée dans l'original, un comble pour un remake américain), c'est potache, mal joué, passe à côté de ce qui était bien plus qu'une simple comédie, et les rôles sont aussi écourtés que dénués de personnalités, comme celui de Carrie Fisher qui n'est qu'un gros gâchis. Il faut voir comment la scène de "tromperie" (n'ayant finalement pas lieu) est tournée de façon à ce que Tom Hanks ne devienne pas un anti-héros auprès du public puritain.
Le remake rappelle cruellement l'incompréhension qu'il peut y avoir dans nos différences de cultures. Hanks déclarera n'avoir pas compris les objectifs et ne pas aimer ce film. Enfin, un petit mot sur la musique de Thomas Newman : intégralement dénuée d'intérêt.
Tout ceci est l'objet d'une nouvelle vidéo dont je ne connais pas l'auteur mais il a l'air vachement bien :