La Prisonnière (Henri-Georges Clouzot - 1968)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

Modérateurs : cinephage, Karras, Rockatansky

Répondre
Sergius Karamzin
Invité
Messages : 5977
Inscription : 14 avr. 03, 11:54

La Prisonnière (Henri-Georges Clouzot - 1968)

Message par Sergius Karamzin »

Après lecture du brillant article de John Anderton consacré à HG Clouzot, je suis quand même assez consterné de lire un avis aussi tranché sur "La prisonnière", présenté comme un film mineur, bâclé, peu rigoureux, mais original.

Ce n'est pas du tout mon avis, puisque à mes yeux le film dispute la première marche des films de Clouzot avec "Le corbeau". C'est dire si je lui trouve peu de défauts.

Je trouve le film d'une richesse et d'une complexité incroyable, oscillant entre perversité glaciale et sensualité bouillante, entre pulsions morbides et feu dévorant, classicisme formel et modernité psychédélique, ombre et lumière, couleurs naturelles et saturées, etc.

Un bijou, qui plus est terriblement troublant pour le spectateur, éprouvant aussi, et plein de trouvailles visuelles.

Ceux qui l'ont vu ont-ils un avis ?
Avatar de l’utilisateur
Vic Vega
Roi du BITE
Messages : 3700
Inscription : 15 avr. 03, 10:20
Localisation : South Bay

Message par Vic Vega »

Pas vu mais on m'en a dit énormément de bien. C'est vrai que ce film est souvent présenté dans les dictionnaires de cinéma comme un Clouzot mineur mais ce que tu en dis me conforte dans mon envie de le découvrir un de ces jours.
ImageImageImageImage
Sergius Karamzin
Invité
Messages : 5977
Inscription : 14 avr. 03, 11:54

Message par Sergius Karamzin »

J'attends une vraie édition DVD qui rendrait justice aux couleurs du film.

A noter que sorti la même année que 2001, le film présente lui aussi un "space trip" (non spatial), expérimentation visuelle assez époustouflante vers la fin.
Avatar de l’utilisateur
Roy Neary
Once upon a time...
Messages : 51384
Inscription : 12 avr. 03, 01:42
Liste DVD

Message par Roy Neary »

C'est-à-dire que La prisonnière est un film à problèmes. Déjà, comme il apparaît, c'est un film assez confus et proche de l'expérimental. Il n'est pas étonnant qu'il laisse bon nombre de spectateurs sur le carreau. Mais il faut savoir que ce film tire sa singularité visuelle des expérimentations de Clouzot sur L'enfer, projet qu'il n'a pu mener à son terme à cause de graves problèmes de santé (il en reste quelques magnifiques essais lumières avec Romy Schneider :wink: ).
Bref, La prisonnière est un peu un film batard. Et sa mauvaise réputation vient aussi du fait que le cinéaste a surpris son monde et que les amateurs ne reconnaissaient pas Clouzot dans ce film, alors que c'était pourtant un cheminement artistique parfaitement assumé.
Image
Leopold Saroyan
Décorateur
Messages : 3918
Inscription : 12 avr. 03, 19:46

Message par Leopold Saroyan »

Même si je ne l'aime pas trop, je trouve le film très intéressant car quasiment constamment surprenant. Le côté voyage initiatique des héros, l'aspect visuel et la question du voyeurisme sont les ploints forts de ce film qui manque néanmoins à mon goût de rigueur.
Clouzot ne semble pas savoir gérer toutes ces idées d'où son manque d'unité.
I don't wanna stay with you, I just wanna play with you
Avatar de l’utilisateur
Demi-Lune
Bronco Boulet
Messages : 14958
Inscription : 20 août 09, 16:50
Localisation : Retraité de DvdClassik.

Re: La prisonnière (Henri-Georges Clouzot, 1968)

Message par Demi-Lune »

Image Image Image Image
Serge Bromberg ayant fait un extraordinaire travail d'archiviste en retrouvant les essais et les scènes filmées de L'enfer, le risque pourrait être que La prisonnière, qui avait hérité de toutes ses recherches expérimentales à défaut, n'intéresse plus grand-monde. Ce serait bien dommage et c'est la raison du focus qui suit sur ce testament à bien des égards passionnant.
Malade, le film l'est, incontestablement. Tous les défauts pointés ci-dessus sont valides.
La prisonnière manque de rigueur et de finition, et c'est d'autant plus visible dans la seconde partie du film, très fragile voire manquée à cause de la difficulté de Clouzot à exprimer de manière convaincante la dualité de la relation Josée/Stanislas après ses prémices. A la manière des personnages dont la relation est de l'ordre de l'attraction et de la répulsion, le film devient tiraillé et irrésolu, passant cahin-caha d'une scène embarrassante à un moment autrement plus inspiré, du chaud au froid, de la perversité à la passion.
Cette forme schizophrène, qui n'était sans doute pas désirée par Clouzot, contribue paradoxalement à la fascination tant elle détonne par ses partis-pris dans le paysage français. Les aspérités du film renforcent le malaise qu'il continue de dégager, surtout dans la première partie (le générique donne le ton). La découverte du vice défendu chez l'héroïne est admirablement orchestré. Le trouble nous gagne grâce au traitement clinique et aux déformations psychédéliques dans lesquelles évoluent les personnages - la scène de la séance photo voyeuriste avec Dany Carrel en est l'acmé (voir la combinaison de travellings ascendants entre l'appareil photo, Élisabeth Wiener, le déshabillage du modèle, et sa transe érotique).
Image Image Image Image
Dans la foulée de Buñuel sur Belle de Jour, Clouzot traque la pulsion inavouable chez la femme de rang en surfant sur la révolution sexuelle, qu'il semble commenter avec prudence (Josée est-elle "prisonnière" avant de connaître Stanislas et lui donne-t-il la libération avec ses mœurs, ou au contraire s'enferre-t-elle dans sa part d'ombre ?). Comme Buñuel, Clouzot cultive la complexité en renvoyant tout le monde dos à dos tout en faisant parler avec La prisonnière son propre côté obscur. Ce film, c'est son Frenzy, le Kaléidoscope expérimental dont rêvait Hitchcock dans les années 60. La prisonnière est un vrai film de tordu sexuel et fétichiste qui se lâche grâce au relâchement de la censure. Nul doute que ce film devait être très personnel pour Clouzot, il n'y a qu'à voir son insistance à vouloir réutiliser les expérimentations de L'enfer pour transcender le projet en un film d'avant-garde. D'aucuns trouveront que ces recherches sur l'art cinétique sont kitsch, moi je trouve ça visionnaire. Du cinéma à l'état purement visuel et sonore. Le trip final est d'anthologie - une des rares séquences qui puisse se mesurer au trip de 2001 dans la volonté de développer une nouvelle forme.
Au final, très imparfait mais plus obsédant que Le voyeur sur des thématiques similaires, notamment grâce à l'exécution unique en son genre. Si seulement Clouzot avait achevé L'enfer... le film de ouf que ça aurait donné.
Avatar de l’utilisateur
Watkinssien
Etanche
Messages : 17063
Inscription : 6 mai 06, 12:53
Localisation : Xanadu

Re: La prisonnière (Henri-Georges Clouzot - 1968)

Message par Watkinssien »

Je rejoins globalement l'avis de Demi-Lune.

C'est un film qui m'irrite plus qu'il ne me fascine, mais quand il y parvient, cela me procure une sacrée émotion.
Image

Mother, I miss you :(
Avatar de l’utilisateur
AtCloseRange
Mémé Lenchon
Messages : 25396
Inscription : 21 nov. 05, 00:41

Re: La prisonnière (Henri-Georges Clouzot - 1968)

Message par AtCloseRange »

Et hop!
AtCloseRange a écrit :J'ai enfin découvert La Prisonnière.
J'attendais en fait un film à la Peeping Tom mais en fait pas du tout.
C'est assez différent de ce que je connais de Clouzot. C'est un film complètement de son époque (68), un objet essentiellement pop où les couleurs et les textures jouent un grand rôle.
Je ne dis pas que la soumission n'est pas le sujet mais j'ai presque le sentiment que c'est plus un prétexte qu'autre chose.
D'ailleurs, la transition de la phase de domination à une histoire d'amour est pour le moins abrupte.
Je n'ai pas vu L'Enfer mais il me semble qu'il y a déjà ici une partie du travail formel qu'on y retrouve (notamment pendant le passage très psychédélique final).
Pas forcément complètement convaincu mais ça reste un objet assez passionnant que ce soit pour ce qu'il montre de son époque ou comme dernier Clouzot.
A noter Pierre Richard dans un petit rôle ou les caméos de Piccoli, Vanel, Piéplu, Henri Garcin, Jackie Sardou - il y a même Joanna Shimkus que je n'ai pas reconnu.
Avatar de l’utilisateur
AtCloseRange
Mémé Lenchon
Messages : 25396
Inscription : 21 nov. 05, 00:41

Re: La prisonnière (Henri-Georges Clouzot - 1968)

Message par AtCloseRange »

Je n'ai pas parlé de la scène sur les rochers mais Terzieff et Wiener ont bien dû "s'amuser" :mrgreen:
Sincèrement une mauvaise vague et ça aurait pu mal se terminer cette histoire...
Je ne sais pas si Clouzot pensait à Vertigo mais il y a un peu de ça.
O'Malley
Monteur
Messages : 4579
Inscription : 20 mai 03, 16:41

Re: La Prisonnière (Henri-Georges Clouzot - 1968)

Message par O'Malley »

Je viens de découvrir cette Prisonnière de Clouzot et le film, s'il est loin d'être parfait, est un sacré morceau de cinéma. Passionnante de bout en bout, cette description d'un amour passionné qui se noue autour d'une relation/jeu de soumission-domination est à la fois un brillant exercice de style et une réflexion malaisée sur la sexualité féminine, le couple et le fantasme.
Et ce film montre une fois de plus comment l'univers et les thèmes/obsessions de Clouzot sont proche d'Hitchcock : le projet Kaleidoscope (projet abandonné par Hitchcock au même moment où Clouzot commence le tournage de ce film) ressemble à s'y méprendre à cette Prisonnière, même jusqu'aux recherches visuelles.
Mais aussi, et je le découvre avec ce film, avec l'univers de Stanley Kubrick qui la même année, clôt son 2001 de la même manière que Clouzot sa Prisonnière (en y intégrant les mêmes sortes d'expérimentations) et bien sûr Eyes Wide Shut: Clouzot et Kubrick auront tous les deux terminés leur carrière sur deux films qui interroge le continent noir de Freud.

Il partage aussi avec Kubrick le fait d'avoir, pour ce que j'ai découvert jusqu'alors, une filmographie quasi-exemplaire. Entre Le salaire de la peur, La Vérité, Le corbeau, Les diaboliques et L'assassin habite au 21, je n'ai vu que des grands films (ce qui veut dire aussi aucun film moyen).
Prochaine découverte en vue: Les espions.
Avatar de l’utilisateur
Supfiction
Charles Foster Kane
Messages : 22130
Inscription : 2 août 06, 15:02
Localisation : Have you seen the bridge?
Contact :

Re: La Prisonnière (Henri-Georges Clouzot - 1968)

Message par Supfiction »

Pour ceux qui ont Ciné+, le film sort du catalogue d’ici quelques jours.
Esthétiquement c’est très beau et bourré de trouvailles de montage et de mise en scène. Et joliment émoustillant en montrant pourtant très peu.
C’est assez dingue de se dire que c’est le réalisateur du Corbeau qui est aux commandes.
Il est évident que Kubrick a vu et adoré ce film. Peut-être même Cronenberg qui sait (cf. la scène de l’accident est magnifique).
Avatar de l’utilisateur
Flol
smells like pee spirit
Messages : 54619
Inscription : 14 avr. 03, 11:21
Contact :

Re: La Prisonnière (Henri-Georges Clouzot - 1968)

Message par Flol »

Supfiction a écrit : 30 juil. 22, 18:19 Pour ceux qui ont Ciné+, le film sort du catalogue d’ici quelques jours.
C'était donc le 31/07. Et je n'ai bien sûr pas eu le temps de le voir avant. :?
Avatar de l’utilisateur
Supfiction
Charles Foster Kane
Messages : 22130
Inscription : 2 août 06, 15:02
Localisation : Have you seen the bridge?
Contact :

Re: La Prisonnière (Henri-Georges Clouzot - 1968)

Message par Supfiction »

Flol a écrit : 1 août 22, 12:22
Supfiction a écrit : 30 juil. 22, 18:19 Pour ceux qui ont Ciné+, le film sort du catalogue d’ici quelques jours.
C'était donc le 31/07. Et je n'ai bien sûr pas eu le temps de le voir avant. :?
C’est revenu.
Avatar de l’utilisateur
Flol
smells like pee spirit
Messages : 54619
Inscription : 14 avr. 03, 11:21
Contact :

Re: La Prisonnière (Henri-Georges Clouzot - 1968)

Message par Flol »

Ah merci !
Je ne comprends décidément rien à tous ces allers-retours. :|
Répondre