Mais où se situe cette "duplicité" ? De quelle nature est-elle ?francis moury a écrit :Je puis vous assurer qu'à mes yeux quelque peu savants dans ces nobles matières, les matières en question ne sont pas aussi riches dans le film de 1968. Et leur traitement me semble, au surplus, infiniment immodeste et tape-à-l'oeil en 1968. Au point qu'il en dissout ce qu'il serait censé illustrer. Il ne suffit pas de choisir deux thèmes classiques de la littérature et du cinéma de science-fiction (des extra-terrestres à l'origine de l'humanité + révolte de la machine contre l'homme), de les monter dans une structure circulaire censée résumer l'évolution humaine avec force raccords et fondus-enchaïnés et jeux sur l'espace-temps pour prétendre simplement penser son sujet. Ni même l'illustrer honnêtement. Enfin bref... la séduction de la duplicité foncière de Kubrick n'a rien d'étonnant : je la constate depuis trop longtemps pour m'en formaliser.
Je partage à peu près cet avis sur la pertinence du commentaire philosophique chez Kubrick. Le réquisitoire d'Orange mécanique, ou de Full Metal Jackett me semblent du même acabit. Même Les sentiers de la gloire suscite chez moi un sentiment de malaise, c'est dire. Mais on ne demande pas à un artiste d'être un penseur - j'essaye donc de faire abstraction de ses prétentions en la matière. Et puis, surtout, les qualités formelles de son cinéma me semblent indéniables et je comprends mal comment on peut les contester. J'ai beau ne pas y adhérer pleinement - je n'ai pas vraiment de goût pour les beaux objets refermés sur eux-mêmes - son esthétique me semble des plus marquantes et j'apprécie que Kubrick l'ait poussée jusqu'à son terme.
En ce sens, on peut considérer que son sujet est pensé de manière satisfaisante : je dirais même que son cinéma relève le niveau dans la mesure où il parvient, à force d'abstraction, de maniaquerie et de systématisme à vider de son sens un discours dont les représentations sont malheureusement assez grossières. Il n'est pas là pour l'illustrer (ce n'est pas le rôle d'un cinéaste que de mettre en images un propos : le cinéma ce n'est pas de l'illustration) - d'ailleurs, la voie qu' il emprunte est plutôt celle de l'épuisement du discours : il en fait une sorte d'algèbre hermétique, une formule désincarnée autrement plus intéressante esthétiquement que ne l'est son matériau. Pure forme vide, rationalité coupée de son enracinement dans la réalité pratique, son cinéma incarne à merveille, je trouve, les obsessions qui l'habitent (volonté de maîtrise, peur du réel, désir d'absolu) et qui sont à l'opposé de ce qu'il prétend défendre (antimilitarisme, antiautoritarisme, etc.). Alors, oui, Kubrick est un piètre humaniste mais un grand cinéaste totalitaire. Comme quoi, qui veut faire l'ange fait la bête et je ne crois pas qu'il faille y voir une quelconque duplicité, encore moins une imposture, mais plutôt une grande leçon politique.