La Vie de Jésus (Bruno Dumont - 1997)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Watkinssien
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Re: La Vie de Jésus (Bruno Dumont - 1997)

Message par Watkinssien »

Vous l'avez de nombreuses fois pointé. L'élément qui m'a agacé dans ce film assommant, c'est sa caricature lourde, pesante, plombante. Une oeuvre aux cadres soignés, mais à qui il manque un mordant à la Scola, une poésie à la Buñuel et une finesse d'observation.
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Colqhoun
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Re: La Vie de Jésus (Bruno Dumont - 1997)

Message par Colqhoun »

Je reprend la filmo de Dumont depuis le début grâce au joli coffret br de chez blaq out, ce qui va me permettre de faire un peu de rattrapage, comme avec ce film-ci.

Au delà des qualités d'écriture et de réalisation plus qu'évidentes, j'ai été frappé de constater à quel point ce film est une matrice essentielle de tout ce que Dumont fera par la suite. Ptit Quinquin par exemple, en est quasiment un décalque, l'enquête policière en plus. Tout est déjà là. Les personnages du terroir avec des gueules de travers, une caméra qui ne juge ni ne condamne personne et qui se fait observatrice, la mise en valeur des paysages du nord de la France, cette lumière froide et aveuglante, la dénonciation virulente du racisme ordinaire, de la bêtise humaine, de la veulerie, le couple central au récit et même la fanfare municipale. Et si l'humour n'est évidemment pas encore de la partie (quoique), la possibilité est déjà présente. Mais Dumont n'en est pas encore là.

Dans la Vie de Jésus, il réinterprète les grandes étapes de la vie du Christ en lui donnant le visage de Freddy, l'un des gamins du bled, paumé, sans job, sans perspective d'avenir, condamné à subir des crises d'épilepsie et qui traîne en mobilette avec ses copains. Et c'est dans cette atmosphère d'ennui et de petite misère que Dumont va petit à petit faire naître le mal dans le coeur de son personnage. Un garçon gagné progressivement par la frustration, la jalousie (sa copine qui se fait draguer par l'arabe du village), qui se transformera in fine en colère sourde et aveugle. Le Jésus idéal des écrits devient ici une figure humaine qui convoite, qui ment, qui tue. Mais qui expérimentera une grâce quasi miraculeuse dans les derniers instants du film, où, en pleine nature, il laissera enfin couler ses larmes.

Loin, très loin de l'étiquette de film social glauque et racoleur qui -il me semble- lui a colé à la peau, La Vie de Jésus est, pour moi, une oeuvre lumineuse, d'une maîtrise esthétique époustouflante et qui se laisse aller à de grands questionnements moraux et philosophiques sans jamais être plombant. Très très grand film.
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Jeremy Fox
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Re: La Vie de Jésus (Bruno Dumont - 1997)

Message par Jeremy Fox »

Très très grand film pour moi aussi ; le plus triste est qu'il n'a à mon avis jamais fait plus fort par la suite même si j'aime beaucoup la plupart de ses films suivants.

EDIT : je ne me souvenais même plus en avoir écrit une tartine à la page précédente :o :lol:
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Colqhoun
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Re: La Vie de Jésus (Bruno Dumont - 1997)

Message par Colqhoun »

tenia a écrit :C'est un peu ça. Le problème étant que je ne saurai dire dans quelle sens Dumont utilise cela, c'est à dire, est-ce que c'est censé être utilisé avec empathie "les pauvres, ils sont pas gâtés", ou au contraire pour enfoncer le clou dans le sens "ils n'iront jamais plus loin ces cons" ?
Je rebondis sur ça, ayant vu le film hier soir. A priori je dirais que ce n'est ni l'un ni l'autre. Dumont aime les "gueules", les visages forts, marqués, et il les filme sans fard, dans toute leur humanité. Ce ne sont ni des héros ni des misérables. En revanche, en optant pour cette approche, il ne laissera pas passer leurs dérives, leur bêtise, pas plus qu'il ne montrera pas la tendresse dont ils sont capable. Il cultive cette dualité, cette ambiguité évidente durant tout le film. A nous, spectateurs, de décider ensuite si l'on apprécie ou non ces différents personnages. Le film ne nous oblige jamais, à aucun moment, à les prendre en pitié, à excuser leurs actions ou à nous attacher à eux. Dumont les dépeint avec une honnêteté froide, sans filtre, nous laissant le choix de les suivre. Parce que ce qui intéresse le réalisateur au final, c'est d'abord de questionner cette apparition du mal chez un garçon ordinaire et d'en osculter les conséquences.
Dernière modification par Colqhoun le 24 nov. 16, 14:15, modifié 1 fois.
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Jeremy Fox
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Re: La Vie de Jésus (Bruno Dumont - 1997)

Message par Jeremy Fox »

Colqhoun a écrit :
tenia a écrit :C'est un peu ça. Le problème étant que je ne saurai dire dans quelle sens Dumont utilise cela, c'est à dire, est-ce que c'est censé être utilisé avec empathie "les pauvres, ils sont pas gâtés", ou au contraire pour enfoncer le clou dans le sens "ils n'iront jamais plus loin ces cons" ?
Je rebondis sur ça, ayant vu le film hier soir. A priori je dirais que ce n'est ni l'un ni l'autre. Dumont aime les "gueules", les visages forts, marqués, et il les filme sans fard, dans toute leur humanité. Ce ne sont ni des héros ni des misérables. En revanche, en optant pour cette approche, il ne laissera pas passer leurs dérives, leur bêtise, pas plus qu'il ne montrera pas la tendresse dont ils sont capable. Il cultive cette dualité, cette ambiguité évidente durant tout le film. A nous, spectateurs, de décider ensuite si l'on apprécie ou non ces différents personnages. Le film ne nous oblige jamais, à aucun moment, à les prendre en pitié, à excuser leurs actions ou à nous attacher à eux. Dumont les dépeint avec une honnêteté froide, sans filtre, nous laissant le choix de les suivre. Parce que ce qui intéresse le réalisateur au final, c'est d'abord de s'intéresser à cette apparition du mal chez un garçon ordinaire et d'en osculter les conséquences.
Tout à fait. Pour ma part, je suis arrivé à trouver le couple très attachant.
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