Le Cinéma asiatique

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Profondo Rosso
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Re: Le cinéma asiatique

Message par Profondo Rosso »

His Motorbike, Her Island de Nobuhiko Obayashi (1986)

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His Motorbike, Her island est une charmante romance où toute la fantaisie dont est capable Nobuhiko Obayashi se déploie dans le regard de l’autre. Reste cependant à trouver, voire ne serait-ce qu’avoir l’intérêt de le chercher cet autre. C’est la problématique du désinvolte Ko (Riki Takeuchi) livreur à moto qui s’évade de la moindre contrariété en chevauchant son engin. Il vient d’ailleurs de rompre avec Fuyumi (Noriko Watanabe), charmante jeune fille dans une relation où symboliquement il était le pilote. Le rapprochement se fait quand elle le sollicite pour apprendre la moto, mais ce qu’elle cherche surtout c’est s’accrocher amoureusement à Ko pour qu’il l’emmène où bon lui semble. Elle hésite mais cède à la moindre fantaisie (l’amusante scène des motards nus) et même la première étreinte sera une concession plutôt qu’un désir réel. Obayashi ne fustige pas le comportement de Ko, tout comme il ne victimise pas Fuyumi qui représente une forme classique de jeune fille japonaise romantique. C’est manifeste lors de la belle scène de rupture dans leur bar fétiche, où l’attitude abrupte de Ko est une manière de ne pas rendre les choses plus difficile, alors que Fuyumi expose toute sa vulnérabilité dans un numéro de chant (sur un morceau écrit pour elle par Ko) filmé avec une infinie délicatesse par Obayashi.

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Le film précédent d’Obayashi, Lonely Heart (1985) voyait une jeune fille imaginaire surgir dans le quotidien solitaire d’un adolescent. C’est la même idée ici sauf que notre héros n’attend explicitement rien et se satisfait de sa condition, ce qui n’empêchera pas une nymphe ravissante de surgir dans son quotidien en la personne de Miyako (Kiwako Harada). L’attirance se construit à travers un objet et un espace, Miyako étant fascinée par la moto de Ko négligemment garée au bord d’une falaise où il se repose. Une photo fige donc la machine et son pilote mais la jeune fille n’insiste pas et Ko malgré un certain intérêt, reprend la route. La thématique de Lonely Heart est inversée puisqu’il s’agit cette fois insérer l’obsession pour une jeune fille dans un cœur désinvolte. Miyako ne poursuit donc pas Ko de ses assiduités, mais ressurgit, l’intrigue et le trouble dans ses pérégrinations, comme un sentiment amoureux qui s’imprègne. Obayashi intègre cela par l’attitude décomplexée et joyeuse de Miyako (sa nudité exposée dans le onsen), qui s’oppose à la mélancolie de Fuyumi. Miyako ne cherche pas à suivre docilement Ko, mais en l’accompagnant en partageant sa passion pour la moto.

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Si les sentiments de Miyako naissent à travers un objet et son propriétaire, pour Ko ce sera par un lieu et son habitante en l’occurrence l’île de Shikoku dont est originaire Miyako et où il va la rejoindre. Notre héros s’épanouit enfin en mentor d’une élève si passionnée, son individualisme cédant sous l’influence de cette ancienne île de pèlerin et de ses traditions bienveillantes comme cette danse aux disparus. Obayashi use d’une imagerie 50’s avec ce culte de la moto, par l’ivresse de la vitesse, l’évasion et du risque mais aussi sa célébration virile lors d’une époustouflante scène de duel filmée avec une tension virtuose. On reste dans une tradition machiste où l’homme s’affirme par sa dextérité mais cela est bousculé par l’introduction de Miyako, tout autant en quête d’adrénaline. Le film n’invente pas la figure de la motarde juvénile (célébrée dans les films sukeban - délinquantes japonaises - des années 70) mais ne l’associe plus à la mauvaise graine pour en faire un équivalent aventureux des hommes.

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Obayashi conjugue constamment cette nature féminine émancipée à la romance, cette liberté séduisant et échappant à Ko. Le cadre du bar est un révélateur essentiel pour l’éveil amoureux de Ko, celui y comprend ce qui le charme en Miyako plutôt que Fuyumi (l’interprétation enhardie et lumineuse de la même chanson précédemment chantée par Fuyumi), c’est là qu’il se montre ardent et actif dans la romance lorsqu’il verra qu’elle a passé son permis pour rouler à ses côtés. Sillonner les routes donne donc lieu à des séquences radieuses où Obayashi traduit magnifiquement dans le béton et la verdure des routes rurales japonaises le ressenti tant associé aux grands espaces américains de « tailler la route » dans une connexion amoureuse où les vrombissements des moteurs se conjugue à la caresse du vent (« Je voudrai que nous soyons le vent » ne cesse de dire Ko à sa dulcinée). En s’éveillant à l’amour, Ko se confronte aussi à ses tourments avec une subtile scène de jalousie ou Miyako va essayer la moto d’un autre homme et où la métaphore sexuelle est manifeste (« Si tu n’es pas satisfaite, refait un tour avec. »). Dès lors ce sera bien à Ko de devenir le poursuivant, de rejoindre Miyako sur son île pour faire montre de son engagement. La superbe conclusion les voit donc rouler l’esprit libéré, confiant et amoureux, le jeu sur les paysages qui les unit, la route qui les sépare par intermittence mais qui toujours les fait se rejoindre symbolisant leur lien désormais inaltérable. C'est signifié par le motif final de la photo en couple face à la moto, répondant celle identique mais solitaire aperçue plus tôt.

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Un des éléments les plus intéressants est le travail sur la couleur où comme souvent chez Obayashi on passe souvent du noir et blanc à la couleur. C’est souvent dans une volonté d’atmosphère pour le réalisateur mais cette fois la fréquence du procédé accompagne les humeurs et émotions changeantes de Ko, celles dont il est conscient (il souligne dans un monologue ne rêver qu’en monochrome) et celles qu’il ignore encore mais dont nous constatons les sursauts illustrés par la somptueuse photo de Yoshitaka Sakamoto - tout comme le montage en urgence motorisée, nonchalance neutre ou grâce poétique. Le film qui vous donne envie d’aller rouler vite, loin et certainement pas seul. 5/6

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El Dadal
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Re: Le cinéma asiatique

Message par El Dadal »

Profondo Rosso a écrit :On associe souvent l'univers de Nobuhiko Obayashi aux expérimentations formelles de ses films les plus fous (House (1977) en tête) ou à son talent pour capturer l'adolescence au féminin dans de brillants films fantastiques (The Girl Who Leapt Through Time (1983), I are you, You am me (1982)). Avec ce magnifique The Deserted City il se montre tout aussi capable d'émouvoir dans une veine sobre et introspective avec cette adaptation du roman Bōkyaku no kawa (« Le fleuve des souvenirs perdus ») de Takehiko Fukunaga.
C'est mon cas, alors merci pour le coup de projecteur.
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Mama Grande!
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Re: Le cinéma asiatique

Message par Mama Grande! »

Profondo Rosso a écrit :I Are You, You Am Me de Nobuhiko Obayashi (1982)

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Kazuo se lie d’ami­tié avec Kazumi, la nou­velle de sa classe. Suite à une chute bru­tale, ils se ren­dent compte quand ils repren­nent cons­cience qu’ils ont échangé leur corps. Kazuo devient une fille aux maniè­res rus­tres et Kazumi un gar­çon timide...
En lisant ce résumé j’ai tout de suite fait le lien avec le roman original de Yamanaka, traduit à l’époque par L’Ecole des Loisirs sous le titre Meli-Melo :) Je l’avais lu en classe de 6ème, à une époque où la lecture m’ennuyait, et je me souviens encore aujourd’hui de son dynamisme et de son humour, très loin de l’image que l’on peut avoir de la littérature japonaise. Je crois que c’est d’ailleurs la première fois que j’ai entendu parler des règles :mrgreen: :lol:
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Profondo Rosso
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Re: Le cinéma asiatique

Message par Profondo Rosso »

Mama Grande! a écrit :
Profondo Rosso a écrit :I Are You, You Am Me de Nobuhiko Obayashi (1982)

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Kazuo se lie d’ami­tié avec Kazumi, la nou­velle de sa classe. Suite à une chute bru­tale, ils se ren­dent compte quand ils repren­nent cons­cience qu’ils ont échangé leur corps. Kazuo devient une fille aux maniè­res rus­tres et Kazumi un gar­çon timide...
En lisant ce résumé j’ai tout de suite fait le lien avec le roman original de Yamanaka, traduit à l’époque par L’Ecole des Loisirs sous le titre Meli-Melo :) Je l’avais lu en classe de 6ème, à une époque où la lecture m’ennuyait, et je me souviens encore aujourd’hui de son dynamisme et de son humour, très loin de l’image que l’on peut avoir de la littérature japonaise. Je crois que c’est d’ailleurs la première fois que j’ai entendu parler des règles :mrgreen: :lol:
D'ailleurs The Girl Who Leapt Through Time et plus tard la version animée de Hosoda La Traversée du temps était adaptés d'un roman de Yashitaka Tsuitsui paru dans la même collection en France.

Sinon le cycle continue :mrgreen:

Bound for the Fields, the Mountains, and the Seacoast de Nobuhiko Obayashi (1986)

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Nobuhiko Obayashi fut profondément marqué dans sa tendre enfance par l’expérience de la guerre, observant notamment de près les ravages d’Hiroshima car vivant dans la région. La guerre hante donc nombre de ses films, à commencer par l’inaugural House (1977) dont l’esprit maléfique est celui d’une femme n’ayant jamais vu son amour revenir du front. On retrouvera ce thème dans son avant-dernier film Hanagatami (2017) que préfigure grandement ce magnifique Bound for the Fields, the Mountains, and the Seacoast.

L’histoire se déroule en 1937, dans une petite ville située au sein des îles de la mer intérieure du Japon. C’est précisément l’année où se déclare la guerre sino-japonaise et qui voit le pays basculer dans une folie militariste et nationaliste. Le cadre de l’île constitue ainsi un microcosme de ce contexte par le prisme d’un récit essentiellement à hauteur d’enfant. Le jeune et facétieux Sudo (Yasufumi Hayashi) va vivre une relation amour/haine avec le nouvel élève Sakae (Jun'ichirô Katagiri), intimidant car plus grand et plus âgé. L’astuce de Sudo s’oppose à l’agressivité de Sakae, notamment lorsque le premier va tomber amoureux de Oshi (Isako Washio) la sœur plus âgée du second. La violence des enfants va s’élever à l’échelle de l’école dans une sorte de Guerre des boutons à la japonaise, en métaphore de l’esprit guerrier fanatique des adultes puisqu’en arrière-plan les militaires rôdent et cherchent à enrôler les jeunes gens de l’île.

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L’enjeu amoureux et affectueux du conflit tisse cependant la frontière entre les enfants guidés par des émotions pures qu’ils expriment encore maladroitement, et les adultes obéissant sans recul à une idéologie belliqueuse. La tonalité juvénile lorgne clairement sur Ozu par le côté potache des situations, de l’inventivité et du rythme des gags. Mais le personnage d’Oshi ramène la dimension féministe et romanesque chère à Obayashi, l’adolescente vivant une romance avec batelier pacifiste mais menacé par la conscription. Le rythme languissant accompagne donc ces deux facettes de l’innocence, enfantine et pas complètement entrée dans l’adolescence (Sudo/Sakae) et l’adolescence sur le point d’entrer dans l’âge adulte avec Oshi. La corruption de leurs aînés menace cet équilibre par ce contexte militaire, mais aussi par la démission des parents. Toute l’opposition de caractère de Sudo et Sakaé s’explique par cela, Sudo élevé par un père médecin et progressiste se montrant plus mesuré quand Sakaé fils de concubine livré à lui-même n’a trouvé que la force pour s’affirmer.

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Obayashi lie donc ce monde de l’enfance à celui des adultes par la noirceur de ce dernier dont la violence va rattraper nos jeunes héros. La pression d’être « un homme » pousse ainsi le batelier à endosser l’uniforme, les enfants par leur batailles en culottes courtes offre un mimétisme aux adultes et Oshi s’apprête à perdre douloureusement son innocence en étant vendu par ses parents endettés à une maison close. Ces trois enjeux se rejoignent pour célébrer l’insoumission juvénile dans la dernière partie où les enfants s’unissent enfant dans un stratagème destiné à sauver Oshi du destin de geisha. Obayashi par un jeu de répétition rejoue la scène de poursuite de la guerre enfantine qui a précédée pour faire reprendre le même parcours au personnage dans leur sauvetage des malheureuse adolescentes. On a tout un côté « club des cinq » candide dans la campagne japonaise où le réalisateur multiplie les idées formelles ludiques.

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Le film suit dans l’ensemble une forme de ligne claire toute à cette hauteur d’enfant où le côté expérimental d’Obayashi se restreint (si ce n’est une scène de tempête qui voit surgir un militaire à cheval) jusqu’à la bouleversante conclusion où intervient un noir et blanc saturé dans un chaos d’eau et de flamme pour un acte aussi sacrificiel que rétif à cette autorité psychotique. L’escalier du phare où iront se nicher Sudo et un élégant et malfaisant militaire est une sorte d’antichambre des âmes, puisque les barbelés qui mènent à son sommet laisseront l’enfant indemne quand ils larderont l’officier semblable à une créature vampirique – suçant la pureté des autres de son fanatisme. La dernière scène onirique et rageuse porte haut le sceau de l’insoumission pour ces êtres arrachés à l’enfance. Une fable pacifiste captivante et inventive, que l’on peut deviner être très personnelle pour Obayashi. Par ailleurs il existe une version du film totalement en noir et blanc mais ce n’est pas celle que j’ai vu. 5/6
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-Kaonashi-
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Re: Le cinéma asiatique

Message par -Kaonashi- »

Merci Profondo Rosso pour tous ces textes. Je n'ai rien vu de ce réalisateur, et tout ce que tu écris sur ses films m'intrigue.
Question (peut-être bête) : comment vois-tu ces films ? Edition DVD ? Quelle origine ? Ou en téléchargement ?
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Profondo Rosso
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Re: Le cinéma asiatique

Message par Profondo Rosso »

-Kaonashi Yupa- a écrit :Merci Profondo Rosso pour tous ces textes. Je n'ai rien vu de ce réalisateur, et tout ce que tu écris sur ses films m'intrigue.
Question (peut-être bête) : comment vois-tu ces films ? Edition DVD ? Quelle origine ? Ou en téléchargement ?
Pour l'instant il n'y a que House dispo en Europe (et même pas en France) donc oui c'est la dernière solution. Du coup je me rends compte que House c'est vraiment le baobab qui cache la forêt, c'est dommage parce que tout est sorti en BR ou dvd au Japon, un éditeur aventureux ou une rétro seraient bienvenus pour découvrir tout ça en plus son décès récent a l'air d'avoir pas mal remis son nom en lumière il doit y avoir plein de nouveaux curieux de son oeuvre.

edit : Et certains titres que j'ai évoqué se trouvent en entier sur cette chaîne youtube consacré au réalisateur https://www.youtube.com/channel/UCNr22m ... ASw/videos
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-Kaonashi-
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Re: Le cinéma asiatique

Message par -Kaonashi- »

Merci pour l'info !
Effectivement ce réalisateur m'intriguait depuis que j'étais tombé sur l'un de tes précédents messages ici, quelque peu avant le décès d'Obayashi.
Et je découvre justement que sur youtube on peu trouver quelques raretés. Pas toujours de qualité excellente, mais comment découvrir, par exemple, certains des plus anciens films de Mizoguchi autrement ?
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Re: Le cinéma asiatique

Message par Ikebukuro »

Personne ne parle de Visitor Q?
Sacré choc à sa sortie avec toutes ses perversions :twisted:
A noter une chanson pop à la fin d'une indicible tristesse.

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All About Lily Chou-Chou est un film qui se mérite, je n'en dis pas plus!
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A quand en blu-ray la version originelle de Les cendres du temps de Wong Kar Waï, infiniment plus hypnotique et hermétique que la version redux commerciale?
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Et les Crows Zero, ils puent du bec? Si tu aime les mangas de baston japonais, les gueules en sang, les mecs 1000 fois plus forts que Tyson, c'est ton saint graal ami otaku!
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Sinon bravo à qui a mis ici les films de Shunji Iwai, cinéaste extrêmement talentueux et sensible :D :D :D :D :D :D


Et les Shin'ya Tsukamoto? Avec Kitano il fut à l'origine dans la deuxième moitié des années 90 de la nouvelle vague en France du cinéma japonais.
Bullet Ballet, avec une actrice superbe.
http://japon.canalblog.com/archives/201 ... 33142.html

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Dans le même trip, Snake of june...
http://japon.canalblog.com/archives/201 ... 28950.html

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Si cela vous intéresse, pour éviter un copier/coller, j'avais écrit quelques critiques de films japonais ici : http://japon.canalblog.com/archives/201 ... 39285.html
Mon blog sur le Japon : http://japon.canalblog.com/
Mon blog sur le cinéma : http://kingdomofcinema.canalblog.com/
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Re: Le cinéma asiatique

Message par Profondo Rosso »

The Island Closest to Heaven de Nobuhiko Obayashi (1984)

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Dans les nombreux portraits d’adolescentes de la filmographie de Nobuhiko Obayashi, l’évolution et la maturité des héroïnes est souvent un voyage. Le voyage est avant tout intérieur bien sûr mais Obayashi le fait reposer sur un argument fantastique et/ou psychanalytique : le voyage dans le temps de The Little girl who conquered time (1983), l’échange de corps de I are you, You am me (1982), les compagnons rêvés ou fantômes de Lonely Heart (1985) et Chizuko’s Younger Sister (1991). The Island Closest to Heaven repose sur la même thématique sauf que cette fois le voyage sera intérieur et concret pour sa jeune fille, en l’occurrence en Nouvelle-Calédonie.

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Le film adapte le roman éponyme de Katsura Morimura qui séjourna en Nouvelle-Calédonie dans les années 70 et qui, tombée sous le charme d’Ouvéa y transposa le récit qu’elle était en train d’écrire. Le roman remporta un immense succès au Japon, au point de faire d’Ouvéa une des destinations privilégiées des jeunes mariés et touristes japonais. Cependant le livre ne faisait en fait que raviver un lien bien plus ancien entre le Japon et la Nouvelle-Calédonie puisque de 1892 à 1919, le Japon en plein expansion économique fournit pas moins de 5000 travailleurs aux compagnies minières et établit ainsi ses bases au sein de la colonie française. Obayashi se nourrit donc à la fois de cet attrait récent et factice ainsi que de l’histoire unissant les deux contrées pour développer son récit. Le film s’ouvre comme un conte de fée lorsque Mari (Tomoyo Harada parfaite de candeur) se voit raconter enfant par son père les merveilles que recèle la Nouvelle-Calédonie où il vécut. La photo adopte une teinte pastel lorgnant sur Le Magicien d’Oz, le cadre élargit l’horizon sur la voix-off du père décrivant « l’ile la plus proche du paradis » et ce lieu se teinte d’une aura mythologique dans les yeux émerveillés de la fillette. Quelques années plus tard, le père est décédé mais Mari a l’occasion de raviver son souvenir puisqu’elle doit aller en voyage scolaire en Nouvelle-Calédonie. L’expérience est d’abord décevante puisque reposant un parcours touristique superficiel où Mari ne retrouve pas la fantastique contrée qui a enchantée ses rêves d’enfants. Le regard d’Obayashi se montre fort acerbe envers ses compatriotes, touristes consommateurs bruyants et totalement désintéressés du cadre qui les entoure si ce n’est les aspects les plus criards.

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Mari erre donc, livrée à elle-même, autant en quête de quelqu’un que de quelque chose. Cela se traduit plus précisément par une quête du père en se liant au beau parleur Fukaya (Tôru Minegishi) qui lui fait partiellement miroiter cet Ouvéa hypnotique (sublime scène de coucher de soleil) mais qui s’avère malgré tout attiré par le clinquant des salles de casino. Le voyage intérieur intervient donc en laissant Mari ne se reposer sur personne, oser aller vers l’inconnu et vivre ses expériences. Obayashi adopte un rythme lent, contemplatif et entièrement soumis au point de vue de Mari. Les premières images, même les plus belles, cédaient à une imagerie de carte postale mais lorsque le vrai voyage commence le contour devient plus flou. La forme adopte une texture plus organique, terrienne à travers une approche hallucinée (l’épisode de la blessure) et anthropologique dans le rapport de Mari aux locaux. C’est d’ailleurs amusant pour un spectateur français qui constate plus directement l’amateurisme des acteurs locaux (sans doute engagés pour l’occasion) lorsque les autochtones s’expriment dans la langue de Molière, et d’autant plus lorsque les japonais s’y essaient.

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En découvrant l’autre Mari se connaît également mieux et peut entretenir un autre rapport au passé. Elle trouve en Taichi (Shigeru Izumiya) un jeune japonais fermier et descendant des fameux travailleurs du début du XXe siècle. Le fantasme de l’enfance laisse place à des racines réelles, un passage à l’âge adulte qui s’illustre par un charmant début de romance avec Taichi. Pour le spectateur occidental c’est aussi une manière de découvrir de façon plus authentique ce méconnu ancrage du Japon en Nouvelle-Calédonie. D’autres éléments liés à une fin comme une renaissance viendront alimenter le cheminement de Mari (le dernier deuil d’une veuve, le couple ressoudé de Fukaya) jusqu’à une poignant et intimiste conclusion qui scelle la dimension historique comme sentimentale du récit. La voix de Mari se confond à celle de son père pour réitérer la tirade d’ouverture, l’émerveillement exprimé n’exprimant plus un fantasme mais une belle expérience commune. Dépaysant, original et touchant, une jolie réussite pour Obayashi. 4,5/6
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Re: Le cinéma asiatique

Message par Profondo Rosso »

Nouvelle vidéo Eastasia consacrée au cinéaste hongkongais Patrick Tam

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Re: Le cinéma asiatique

Message par Pierre Bear »

Pourquoi est-ce que le cinéma asiatique semble être exceptionnel alors que des films comme Miss Perigrine et les enfants particuliers sont limites définis comme des bouses ? Je demande parce que quand je regarde le premier, j'ai soit envie de dormir soit envie de me tailler les veines ( hors Bong Joon Ho bien sûr et certains autres réalisateurs mais je parle en général) et quand je regarde le deuxième ça me divertit.
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Re: Le cinéma asiatique

Message par -Kaonashi- »

Pierre Bear a écrit :Pourquoi est-ce que le cinéma asiatique semble être exceptionnel alors que des films comme Miss Perigrine et les enfants particuliers sont limites définis comme des bouses ? Je demande parce que quand je regarde le premier, j'ai soit envie de dormir soit envie de me tailler les veines ( hors Bong Joon Ho bien sûr et certains autres réalisateurs mais je parle en général) et quand je regarde le deuxième ça me divertit.
Peux-tu définir "cinéma asiatique" s'il te plaît ?
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Re: Le cinéma asiatique

Message par Profondo Rosso »

Entretien passionnant avec Catherine Caddou, sous-titreuse historique du cinéma japonais en France et notamment des films d'Akira Kurosawa.

https://beta.ataa.fr/revue/l%C3%A9cran- ... NngimRxn08
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Re: Le cinéma asiatique

Message par Ikebukuro »

Profondo Rosso a écrit :Entretien passionnant avec Catherine Caddou, sous-titreuse historique du cinéma japonais en France et notamment des films d'Akira Kurosawa.

https://beta.ataa.fr/revue/l%C3%A9cran- ... NngimRxn08
Ah oui, la fameuse Catherine Caddou, quand j'allais encore au cinéma dans les années 90 et 2000, c'était toujours son nom qu'on voyait à la fin des films japonais... ceci étant dit, article passionnant mais long quand même :uhuh:
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Re: Le cinéma asiatique

Message par -Kaonashi- »

C'est vrai que ce nom est forcément familier pour les amateurs de ciné japonais dans les 90s et ensuite. Souvenir justement de l'avoir vue accompagnant Kitano dans toutes les émissions lors de la présentation de Kikujiro en compétition.
Jamais vu son documentaire sur Kurosawa, je ne sais d'ailleurs même pas s'il a été diffusé quelque part (mauvais signe ?).

En tout cas interview très intéressante, et je retrouve dans ses propos pas mal de choses qui m'ont marqué dans certains sous-titrages de films japonais, notamment l'utilisation du terme un peu archaïque "roustons" dans Pompoko, et pourtant le terme parfait car ni vulgaire ni pudique. :mrgreen:
Je retrouve également plusieurs remarques juste sur la langue japonaise, qui recroisent ce que j'ai pu apprendre de deux traductrices japonaises dans le cadre de mon boulot (pour le sous-titrage d'un documentaire, justement), et dans mes tentatives d'apprentissage de cette langue, faites de choses très simples qui la rendent extrêmement complexes.
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