Le Cinéma asiatique

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Le Soldat dieu de Koji Wakamatsu (2010)

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En 1940, pendant la Guerre Sino-japonaise, le lieutenant Kurokawa est renvoyé dans sa famille, couvert de médaille, mais ayant perdus ses bras et ses jambes au combat. Shigeko, son épouse, doit alors prendre la responsabilité de s'occuper de lui, en tant que héros de guerre (軍神, gunshin, "soldat-dieu"). Comme les habitants du village, la radio et les journaux le lui rappellent constamment, son rôle est de faire honneur à l'Empereur et de servir le pays en se dévouant à son mari.

Le Soldat dieu est une adaptation de la nouvelle La Chenille d'Edogawa Ranpo. Au plus fort de sa grande période des années 60/70 o il réalisa ses grands brûlots anarchistes, Koji Wakamatsu manifesta son soutien aux partis radicaux d'extrême gauche et autre groupuscules de guérilla armée. Dans le regain créatif que connaît son œuvre dans les années 2000, Wakamatsu se détourne de ce militantisme belliqueux qu'il va critiquer dans son célébré United Red Army (2007). Le Soldat Dieu creuse à nouveau ce sillon pacifiste, notamment dans les changements qu'effectue Wakamatsu par rapport à la nouvelle de Ranpo. L'intrigue se déroulait à l'ère Taisho (1912-1926) et le postulat pouvait autant être interprété comme un prétexte aux visions ero-guro tordues que comme une critique sous-jacente du régime autoritariste et militaire du Japon d'alors - cette vision possible verra d'ailleurs la censure de la nouvelle qui sera republiée après-guerre. Wakamatsu déplace la trame durant la Deuxième Guerre Mondiale et le protagoniste n'est plus un soldat mutilé durant la guerre russo-japonaise. Le réalisateur évacue également toute orientation ero-guro trouble (orientation que prendra par exemple l'adaptation en manga de Suehiro Maruo) pour privilégier le drame blafard et étouffant qui appuie cette approche pacifiste.

Shigeko (Shinobu Terajima) constate dépitée le retour de son époux Kyuzo (Shima Ōnishi) mutilé au front et réduit à l'état de tronc sans bras ni jambes, privé de l'ouïe et de la parole. Le désespoir lui est pourtant refusé par un entourage hypocrite qui lui intime de faire preuve de courage en s'occupant d'un héros ayant tout sacrifié à la nation. Dès lors s'installe une relation aliénante entre les époux. Kyuzo ne vit plus que pour accomplir les besoins vitaux les plus élémentaires (manger, dormir, faire ses besoins) mais aussi, comme va le constater Shigeko, satisfaire ses besoins primaires puisqu'il lui reste un membre dont il n'a pas été privé. La réminiscence d'un plan fixe plaçant un cadre dans le cadre lors des scènes de sexe fait du foyer conjugal une prison où s'effectue cette étreinte dérangeante. Mais une prison pour lequel des conjoints au juste ? Coincé dans un corps quasi inutile, Kyuzo régresse dans des caprices de nouveau-né même si sa violence vaine dissimule celle à laquelle il se livra envers sa femme lorsqu'il était valide. Soumise au devoir patriotique, de maitresse de foyer et au devoir conjugal, Shigeko sombre peu à peu dans le désespoir et devient tyran à son tour en rendant à son mari la brutalité d'antan.

L'ombre militaire et patriotique pèse sur le couple de différente manière. C'est le seul vestige de sa validité perdue pour Kyuzo qui scrute le regard vide ses médailles et ses photos en uniforme à longueur de journée. C'est une manière de se raccrocher à son triste sort pour Shigeko, écoutant religieusement sur son poste de radio les discours de propagande appelant à la soumission et l'oubli de soi. La subversion de Wakamatsu consiste à faire de ce patriotisme un prétexte, une arme de soumission de l'autre. Shigeko est contrainte par la pression sociale et patriotique de s'occuper seule de son époux. Ce nationalisme est pourtant une manière de punir Kyuzo quand il se montrera trop vindicatif, en l'habillant de son uniforme et en le promenant en ville sous le regard mêlé de commisération, de moquerie et de dégout des autres qu'il ne ressent que trop bien. Tout comme ce patriotisme empêche Shigeko de se rebeller, il interdit aussi à Kyuzo de refuser cette humiliation quotidienne. Ce face à face du couple est entrecoupé des célébrations nationalistes des villageois (notamment les départs fiers des enfants du pays allant servir de chair à canon) et d'images d'archives du carnage des différents fronts de guerre où est engagé le Japon. L'ironie et la cruauté ultime résidera dans l'action militaire qui aura valu son infirmité à Kyuzo, à savoir bombardement subit alors qu'il se livrait à un viol sur une chinoise. Les conséquences de la gloire militaire avaient déjà été salies, ses origines le seront tout autant. Et c'est bien ce souvenir terrible et coupable qui rompra le seul véritable lien qui unissait le couple. Un drame aussi austère qu'éprouvant, porté par la prestation intense de Shinobu Terajima qui sera récompensée de l'Ours d'Argent de la Meilleure Actrice au Festival de Berlin 2010. Une preuve de plus que les écrits d'Edogawa Ranpo se prêtent à toutes les transgressions, charnelles comme politiques. 4,5/6
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Last Letter de Shunji Iwai (2020)

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Misaki vient de mourir. Lors des funérailles, sa sœur Yuri revoit pour la première fois depuis longtemps sa nièce Ayumi, la fille de Misaki qui a du mal à accepter le décès de sa mère. Par la suite Yuri se rend à une réunion d'anciens élèves du lycée, comptant profiter de l'occasion pour annoncer aux ex-camarades de classe de sa sœur que cette dernière est décédée. Cependant, avant même qu'elle puisse transmettre la triste nouvelle, tout le monde la confond avec sa sœur et elle n'ose plus dire la vérité. Par ailleurs, elle recroise ce jour-là Otosaka Kyoshiro, dont elle était amoureuse plus jeune tandis que lui éprouvait des sentiments pour Misaki.

Last Letter voit Shunji Iwai renouer avec la veine romantique et mélancolique de ses premiers films. Le postulat (et bien sûr le titre) est une réminiscence de son superbe Love Letter (1995) tandis que l'on retrouve au casting Takako Matsu, l'inoubliable étudiante du merveilleux April Story (1998). Last Letter constitue vraiment une variation sur le même thème pour Shunji Iwai, ce que renforce le fait qu'il s'agisse du remake d'un film éponyme précédemment réalisé en Chine par Iwai. Le film est donc une sorte de remake officieux de Love Letter tout en étant celui officiel d'une production plus récente de Shunji Iwai et cet écho passé/présent s'inscrit tout à fait dans la démarche du récit.

Tout comme dans Love Letter, un quiproquo entraîne une relation épistolaire inattendue entre différents personnages reliés par un être disparu. Yuri (Takako Matsu) vient de perdre sa sœur Misaki et assiste à ses funérailles en compagnie de sa nièce Ayumi (Suzu Hirose) dans sa ville natale. Découvrant une invitation à une réunion d'ancien élève adressée à sa sœur, Yuri s'y rend et est prise pour elle, notamment par Kyoshiro (Ryûnosuke Kamiki) ancien amoureux éperdu de Misaki au lycée. Un concours de circonstance les oblige à ne pouvoir communiquer que par lettre, situation à laquelle s'ajoute un second quiproquo quand Kyoshiro écrivant à l'ancienne adresse va échanger avec Ayumi restée chez ses grands-parents et qui intriguée va également se faire passer pour sa mère par lettre. Ces échanges révèlent ainsi la nature d'un deuil à surmonter pour des raisons très différentes chez chacun des personnages. Yuri regrette de ne pas avoir sur voir la souffrance d'une sœur aîné qui lui a toujours fait de l'ombre, belle, charismatique et admirée de tous au lycée. Kyoshiro ne s'est jamais remis d'avoir été éconduit par Misaki, et lui à dédié un roman à succès mais n'a plus jamais retrouvé l'inspiration par la suite. Enfin Ayumi se sent coupable que par convention, la vraie raison de la mort de sa mère (un suicide) ait été par convention arrangée en maladie pour la famille.

Love Letter, montrait des personnages miroir trop écorchés ou au contraire indifférent face à la perte. C'était, dans la veine récit d'apprentissage typique d'Iwai, des jeunes femmes (toutes deux jouées par Miho Nakayama qui fait d'ailleurs une apparition ici) devant apprendre à contenir ou laisser s'exprimer leurs émotions. Les épreuves et déceptions du temps du lycée étaient encore fraîches et les héroïnes avaient toute une vie devant elles pour les surmonter et se reconstruire. Last Letter est le film où ces maux nous aurons poursuivis jusqu'à l'âge mûr sans que l'on ait pu se remettre. Iwai glisse subtilement les failles de ses personnages, comme le complexe de Yuri face à sa sœur qui se ravive lors de la scène de réunion des anciens. Prise pour Misaki, Yuri est poussée à faire un discours qu'elle va laborieusement improviser. Le charisme de son aîné disparue lui sera renvoyer à la figure lorsqu'un enregistrement du discours de remise de diplôme de Misaki, pleine d'éloquence, sera lancé. Le présent terre à terre nous renvoie à nos manques quand le passé est magnifié et idéalisé. Kyoshiro remonte les étapes de la vie adulte de Misaki qui l'ont conduite au suicide, tout en se souvenant de cette merveilleuse période du lycée ou il l'aimait à distance. Shunji Iwai renoue dans les flashbacks adolescents avec l'esthétique stylisée et éthérée qui a fait sa gloire dans Love Letter et April Story, à travers une photo diaphane et une atmosphère cotonneuse et en apesanteur. Nous ne sommes pourtant pas dans la redite, la photo de Noboru Shinoda qui exacerbait et magnifiait les saisons (l'hiver pour Love Letter, le printemps dans April Story) s'orne d'une patine numérique, réaliste et tout en mouvement qui correspond aux travaux plus récents d'Iwai avec le directeur photo Chigi Kanbe (Hana et Alice mènent l'enquête (2015), A Bride for Rip Van Winkle (2016)). L'usage du drone notamment fonctionne à la fois comme une prise de hauteur omnisciente et poétique, ou à l'inverse pour suivre les méandres d'un esprit torturé (le mouvement de caméra quand Kyoshiro rend visite à l'ancien époux violent de Misaki).

On retrouve le motif du double pour signifier le renouveau avec les actrices jouant Yuri et Misaki adolescentes (Suzu Hirose et Nana Mori) dans les flashbacks qui incarnent leurs filles dans le présent. Cet élément embellit le passé même dans ces versants douloureux (la déclaration d'amour non réciproque de Yuri) et est un synonyme de renouveau dans le présent comme la superbe scène onirique ou Kyoshiro croit halluciner en croisant les sosies/réincarnation de ses camarades de lycée. La rédemption des personnages fonctionne par cet effet de redite, explicite ou plus subtil (la fille de Yuri hésitante à se déclarer à un garçon comme sa mère autrefois) mais avec toujours comme moteur cette matière épistolaire et littéraire. Tout cela est en tout cas une manière pour Iwai d'enrichir et d'aborder ces thèmes de prédilection avec le recul de l'adulte qui a vécu, et comme toujours la candeur adolescente pleine d'espérance. 5/6
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August in the water de Sogo Ishii (1995)

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Après la chute de deux météorites, la population de la région de Fukuoka est, peu à peu, affectée par une étrange maladie. Ukiya et Mao sont amoureux d'Izumi, une championne de plongeon. Suite à une mauvais saut, Izumi tombe dans le coma - comme certains autre habitants de la région. A son réveil, elle développe des pouvoirs extra-sensoriels qui lui font comprendre que le monde est promis à la destruction à moins qu'elle ne s'interpose.

Après des débuts expérimentaux marqués par un style punk, Sogo Ishii effectue dans les années 90 un virage vers des œuvres plus mystérieuse, oniriques et apaisées comme Angel Dust (1994), Le Labyrinthe des rêves (1997) ou ce August in the water. Le film entrecroise le récit d'apprentissage adolescent avec un postulat mystico-fantastique et teintée de peurs apocalyptiques marquées par cette fin de XXe siècle. La région de Fukuoka est plongée dans un été caniculaire où se manifestent d'étranges phénomènes depuis la chute de deux météorites. Les sources d'eau se tarissent ce qui entraîne une grande sécheresse, tandis qu'un mal inconnu appelé la "maladie de pierre" qui transforme les organes en pierre frappe la population. C'est en cette période trouble que le jeune Mao (Shinsuke Aoki) rencontre une nouvelle élève, Izumi (Rena Komine) qui est aussi une aspirante championne de plongeon. Les joies et les peines de ce premier amour fragiles vont s'entremêler à cette atmosphère de fin du monde qui symbolise aussi la perte d'innocence.

Une sorte de destinée ou volonté supérieure plane d'emblée sur les personnages. Lorsque Ukiya (Masaaki Takarai) autre camarade de lycée amoureux d'Izumi veut mesurer ses chances avec elle, il ira consulter son amie Miki (Reiko Matsuo) férue d'astrologie voir la compatibilité de leurs signes. Cet élément trivial révèle pourtant une funeste perspective qui se révèlera exact pour Izumi qui tombe dans le coma suite à un incident de plongeon. La jeune fille déjà hypersensible en réchappe mais perçoit désormais son environnement très différemment. Sogo Ishii parvient brillamment à conférer à une éclatante esthétique estivale une atmosphère inquiétante. La menace est d'abord latente et incertaine quand sa caméra parcoure les rues de Fukuoka, s'attardant sur le ciment brûlé par le soleil, déformant l'image en longues focales pour accentuer l'effet de canicule et provocant la crainte sourde et inexpliquée avec les multiples images de quidams s'effondrant frappés par la "maladie de pierre" de plus en plus contagieuse. Le réalisateur adopte ensuite un point de vue double, celui de Mao et de l'entourage d'Izumi témoins perplexes de la métamorphose de celle-ci, puis celui d'Izumi elle-même où à travers son regard on saisit cette perception nouvelle du monde qui l'entoure. Le jeu détaché et mutique de Rena Komine est le pivot de la rupture narrative et stylistique du film après une première partie teintée d'étrange mais où l'on en restait au récit adolescent candide. Symptômes de désordre mental suite au coma ou éveil à un nouvel état qui pourrait expliquer (et stopper) les phénomènes étranges alentours ? Le film laisse planer un fascinant mystère et si l'on penchera plutôt pour l'option fantastique, Sogo Ishii ne fait intervenir aucun élément formel explicitement surnaturel dans sa mise en scène. Tout est une question d'ambiance, faite de vues planantes sur les paysages, d'inserts sur la faune et la flore, auxquels la photo de Norimichi Kasamatsu donne un effet à la fois réaliste et halluciné. La bande-son qui mélange actualités alarmistes et musique synthétique flottante participe pleinement à ce sentiment d'angoisse et de rêverie.

Même quand vient l'heure des similis explications, le film demeure envoutant grâce à cette approche. Selon le moment de la journée (ou du récit) où l'on retrouve certains décors naturels, ceux-ci basculent d'un mysticisme animiste ancré dans le réel à une imagerie qui nous emmènent presque sur une autre planète. La pierre et les autels sacrés en forêt peuvent vues comme les vestiges d'un passé ancestral ou, une passerelle pour un ailleurs représentant le futur de l'humanité. Le dauphin, parmi les mammifères les plus intelligents et fascinants de par son moyens de communication, en devient donc un interlocuteur privilégié pour Izumi incomprise des humains. La couleur du film varie progressivement du bleu de l'eau rattachée à la terre et l'humanité vers des teintes plus contrastées exprimant la dualité et le détachement progressif d'Izumi. On est happé de bout en bout et le récit onirique fonctionne tout autant que la romance (très chaste), jusqu'à une sublime scène d'adieu o l'aimée s'évanouit comme dans un songe avant de plus tardives et touchantes retrouvailles. Une œuvre envoutante qui fait finalement figure de pré Donnie Darko (2001) au Japon, peut-être que Richard Kelly a vu ce film, en tout cas les ponts thématiques (l'angoisse millénariste de fin du monde, la mélancolie adolescente) et visuels sont là. 5/6
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Profondo Rosso a écrit : 29 déc. 20, 03:19 Last Letter de Shunji Iwai (2020)

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Avec Hideaki Anno qui fait l’acteur donc ?
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Re: Le Cinéma asiatique

Message par Profondo Rosso »

harry a écrit :
Profondo Rosso a écrit : 29 déc. 20, 03:19 Last Letter de Shunji Iwai (2020)

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Avec Hideaki Anno qui fait l’acteur donc ?
Oui et qui joue un dessinateur de manga Image
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Re: Le Cinéma asiatique

Message par Shinji »

Profondo Rosso a écrit : 6 févr. 21, 12:47
harry a écrit :Avec Hideaki Anno qui fait l’acteur donc ?
Oui et qui joue un dessinateur de manga Image
Ce n'est pas la première fois, mais c'est plus des caméos ou du doublage d'habitude.
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Re: Le Cinéma asiatique

Message par Profondo Rosso »

Shinji a écrit : 6 févr. 21, 13:09
Profondo Rosso a écrit : 6 févr. 21, 12:47Oui et qui joue un dessinateur de manga Image
Ce n'est pas la première fois, mais c'est plus des caméos ou du doublage d'habitude.
Là aussi c'est un petit rôle mais un peu plus consistant que les caméos habituels. Et c'est assez marrant de voir les mangas qu'il dessine puisque ce sont ceux de Kenji Tsuruta Souvenirs d'Emanon ce n'est pas un hasard je pense vu que niveau ambiance ça se rapproche de ce que peut faire Anno en animation.
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Re: Le Cinéma asiatique

Message par Shinji »

Profondo Rosso a écrit : 6 févr. 21, 13:30Et c'est assez marrant de voir les mangas qu'il dessine puisque ce sont ceux de Kenji Tsuruta Souvenirs d'Emanon ce n'est pas un hasard je pense vu que niveau ambiance ça se rapproche de ce que peut faire Anno en animation.
Aussi Kenji Tsuruta est un proche de Gainax.
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Re: Le Cinéma asiatique

Message par Shin Cyberlapinou »

Shunji Iwai avait fait l'acteur pour Hideaki Anno dans le pointu mais réussi Ritual/Shiki-Jitsu (face à Ayako Fujitani, la fille de Steven Seagal! Elle est cela dit plutôt convaincante en plus d'avoir écrit le roman sur lequel le film est basé), l'échange de procédés n'est pas si étonnant. Iwai était un peu amidonné, je me demande comment Anno s'en tire (il avait quand même doublé le héros du Vent se lève de Miyazaki, ce n'est pas non plus un saut dans l'inconnu)...
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Re: Le Cinéma asiatique

Message par Profondo Rosso »

Shin Cyberlapinou a écrit : 6 févr. 21, 23:05 je me demande comment Anno s'en tire (il avait quand même doublé le héros du Vent se lève de Miyazaki, ce n'est pas non plus un saut dans l'inconnu)...
Il s'en sort bien son personnage avec son petit côté artiste décalé fonctionne bien pour le peu qu'il apparaît. Il y a une scène dramatique un peu plus compliquée à interpréter mais Iwai use du montage pour ne pas mettre à mal Anno dans son jeu.
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Re: Le Cinéma asiatique

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Tokyo décadence de Ryu Murakami (1992)

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A travers les errances d'une jeune femme contrainte de se prostituer, mise en perspective de la decadence de la société japonaise.

Ryu Murakami est une vraie figure rebelle et anticonformiste de la littérature japonaise à travers son univers sombre, ses personnages torturés et son regard sans concession sur la société nippone. Dès ses débuts littéraires, Murakami s’intéresse de près au cinéma où il va adapter lui-même (scénario et réalisation) son premier roman à succès Bleu presque transparent (1979). Il récidivera par la suite en transposant ses romans Raffles Hotel (1989) et Kyoko (2000), où en signant les scénarios d’adaptations réalisés par d’autres comme Love and Pop de Hideaki Anno (1998), Audition de Takashi Miike (1999) ou encore 69 de Sang-il Lee (2004). Avec Tokyo Decadence, Murakami écrit et réalise donc l’adaptation de sa nouvelle Topaze écrite en 1988. On va y suivre le quotidien de Ai (Miho Nikaido), jeune escort girl au fil de ses expériences auprès de différents clients. Le récit se veut un parcours initiatique de la jeune femme mais également un portrait de la société japonaise. La première partie est tout en opacité et provocation en montrant la clientèle spéciale et ses fantasmes crus montrés sans fard. Un aspect frappe cependant, c’est l’extrême fragilité et vulnérabilité de Ai qui fait s’interroger sur les raisons qui l’ont amenée à choisir cette voie. On exclut vite la contrainte ou même le dénuement économique lorsque l’on voit le cadre plutôt paisible de l’agence d’escorts, dirigée par des femmes. Cette forme d’innocence de Ai est d’ailleurs soulignée la longue scène où elle déambule dans une galerie marchande avant l’heure de son rendez-vous. On observe une femme ordinaire, à la présence discrète et sobrement vêtue que l’on devine pleine d’espérances, que ce soit par cette entrevue avec une voyante ou l’achat d’une pierre topaze.

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Ce passage tout en normalité lumineuse est en contraste des ténèbres de la suite d’hôtel où Ai va subir les derniers outrages de la part de son client. Murakami se montre clinique en étirant longuement la séquence où l’on oscille entre malaise, excitation et hilarité face à l’outrance des actions et attitudes. Cela passe grandement par l’attitude de Ai où le plaisir, la honte et la surprise semblent se disputer chez elle face aux demandes du client. Le réalisateur passe par l’image pour souligner l’ambiguïté entre transcendance d’un être et perversion d’une ville en passant de l’intérieur de la suite où Ai se trémousse lascivement face à une baie vitrée face au panorama urbain, à l’extérieur où l’on observe de loin sa silhouette sensuelle et anonyme depuis les hauteurs du bâtiment. Les mots servent cependant le mal-être de la jeune femme qui n’est pas la conséquence mais la cause de son « métier » quand elle avouera se prostituer car elle a compris être inutile à tout autre chose.

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La photo d’un ancien amoureux marié et qu’elle n’a pas oublié nous révèlera la cause de ce peu d’estime d’elle-même. Cela reste flou mais le récit (et notamment la scène d’ouverture) laisse entendre que ce penchant pour les expériences extrêmes de Ai fait suite à cette déception amoureuse. Sans la présence de l’homme qu’elle aime, Ai préfère être le jouet d’inconnus libidineux. Murakami exprime ainsi la dominance masculine au sein de la société japonaise, inscrite au cœur de la psyché féminine même qui s’égare sans cette béquille qui les place au ban (la très significative scène des toilettes où Ai est narguée par un groupe de femmes lui ayant pris un sextoy tombé de son sac). Presque tous les hommes du film représentent cette figure de dominant, que ce soit par leur attitude, leur fonction et bien sûr la nature de leur fantasme. Le premier client a l’allure d’un yakuza, un autre a pour fantasme un jeu de rôle reproduisant un viol ayant été un fait divers, tandis qu’un autre masochiste est patron d’une agence immobilière dans la vie (nous sommes en pleine fin de la bulle économique au Japon à la sortie du film).

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Pour les hommes japonais, il s’agit donc par le prisme du sexe d’exacerber où d’oublier cette nature de dominant dans le fantasme et Ai n’est que le jouet (voire littéralement la projection lors du fantasme de viol au mont Fuji) de ces différentes envies. Au final la scène la plus avilissante n’est ironiquement pas sexuelle pour notre héroïne, mais plutôt morale lorsqu’elle la paria arpente un quartier pavillonnaire ordinaire en cherchant la maison de l’homme qu’elle aime. Perdant pied, elle va subir l’opprobre des habitantes du quartier, ces ménagères japonaises qui la fixent d’un œil inquisiteur. Les points d’ancrage sont des femmes qui endossent l’excentricité par choix et non pour se guérir d’un homme, que ce soit cette incroyable dominatrice SM (le temps d’une séquence assez hallucinante) ou encore la chanteuse rencontrée dans la dernière partie. C’est par les rêves opiacés que Ai va se libérer de ces entraves mentales et faire de ses expériences un atout pour l’avenir, à ce titre il faut regarder le générique jusqu’au bout. Entre urbanité froide, bleutée et solitaire, et quartier populaire à la normalité anxiogène, Murakami nous offre là un sacré voyage tout à fait à la hauteur de ses écrits. 4,5/6
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Re: Le Cinéma asiatique

Message par Arn »

J'ai lu quelques bouquin de Ryu Murakami mais vu aucun de ses films. Ca donne envie :)
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Re: Le Cinéma asiatique

Message par Profondo Rosso »

Arn a écrit : 8 mars 21, 11:00 J'ai lu quelques bouquin de Ryu Murakami mais vu aucun de ses films. Ca donne envie :)
Ah si tu es lecteur tu vas totalement retrouver l'ambiance des livres tu devrais apprécier :wink:
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Re: Le Cinéma asiatique

Message par Profondo Rosso »

Prosperities of vice de Akio Jissoji (1988)

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Dans les années 1920, un aristocrate décadent se prend de passion pour l’œuvre du Marquis de Sade. Il crée donc un bien étrange théâtre où il adapte les textes sulfureux. Mais écrits, représentations et fantasmes s'entremêlent rapidement à tel point qu’il n’est rapidement plus possible de discerner le vrai du faux...

La Nikkatsu s’était relancée dans les années 70 en lançant le label « Roman Porno », des films érotiques produits à moindre coût (mais bénéficiant d’une facture technique impeccable du fait d’avoir conservé les techniciens rompus au productions classiques) et qui permirent de lancer de nombreux talents (Masaru Konuma, Tatsumi Kumashiro, Noboru Tanaka) dans des œuvres thématiquement audacieuses. A partir des années 80 la censure japonaise se renforce et le studio renfloué tente de sortir de l’ornière du Roman Porno, ou du moins de le rendre plus noble avec des œuvres plus prestigieuses, teintées d’érotisme soft. Cela pourra se faire en recrutant une actrice prestigieuse étrangère au genre comme dans Lady Karuizawa de Masaru Konuma où joue l’honorable Miwa Takada. Cela passera également par la création du label « Ropponica » qui remplace le Roman Porno et se caractérise par une aura plus sophistiquée que ce soit dans l’esthétique ou le choix des sujets.

On retrouve cela avec Prosperities of vice où tout confère à ce raffinement dans la perversion avec un récit se déroulant dans le Japon de l’ère Taisho (1912-1926) période majeure de l’influence occidentale dans le pays, avec un récit offrant justement une variation autour des thèmes et l’œuvre du Marquis de Sade. Nous suivons un aristocrate (Kôji Shimizu) qui souhaite faire de son existence une transposition des récits du Marquis de Sade dont Justine ou les Malheurs de la vertu. Cette volonté s’exprime dans différentes strates du récit. Celle des pièces de théâtre qu’il fait jouer par de vrais criminels dans ses interprétations/adaptations du Marquis de Sade. Celle de son quotidien où ses rapports sadomasochistes avec son épouse (Seiran Li) semblent également un miroir des écrits de Sade. La narration complexifie le tout avec un entre-deux fait de scène que l’on ne saura jamais véritablement identifier comme fantasme/hallucination ou flashback sur le passé des personnages. On pense notamment à une scène où le couple répète une scène de la pièce et où les dialogues associés à ces séquences oniriques laisse croire que les époux entretiennent le même passé sulfureux que celui de Histoire de Juliette, ou les Prospérités du vice du Marquis de Sade. Le rapport dominant/dominée qu’entretiennent les époux s’exprime donc dans cette dimension référentielle où la femme s’identifie à Juliette et l’époux à Noirceuil, mais également dans les séquences SM stylisées.

Le réalisateur Akio Jissoji avait réalisé dans les années 70 une trilogie de film érotique arty pour la société de production ATG (La Vie éphémère (1970), Mandala (1971) et Uta (1972)) et se spécialisera ensuite dans les adaptations de romans d’Edogawa Ranpo dont le très méta Murder on D Street (1998). Il se délecte donc ici à façonner un écrin rococo, avec une photo diaphane gorgée de filtres colorée, à jeu esthétique constant entre le réel et le factice tant dans la narration que la facture des décors, et confère juste ce qu’il faut de délicatesse ouatée dans les séquences érotiques soft. On se perd avec confusion et plaisir dans les différents niveaux de lectures où le contexte politique nationaliste et militariste de l’ère Taisho finit même par rattraper ce monde d’illusions sensuelles. C’est finalement une belle métaphore de ce héros démiurge et manipulateur rattrapé par ses sentiments quand il ressentira de la jalousie envers celle qu’il pensait être sa marionnette, cette épouse finalement bien plus libre de ses désirs. Elle est devenue cette Juliette de Sade avide d’expériences quand son époux se montrera tristement terre à terre. Pas facile d’accès par son rythme lancinant et son récit labyrinthique, Prosperties of Vice reste cependant un objet captivant dont l’outrance maintient en hypnose de bout en bout. 4,5/6
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Re: Le Cinéma asiatique

Message par Profondo Rosso »

Nouvelle vidéo Eastasia sur Edogawa Ranpo et ses adaptations cinématographiques

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