(en italiques : films découverts en salle à leur sortie)
Le syndicat du crime
La culture de John Woo est évidente, sa bonne volonté aussi. Difficile souvent de déterminer ce qui chez lui tient de l’art ou de l’habileté, même si certaines séquences parviennent clairement à combiner les deux. La violence chorégraphiée n’est pas ici une forme d’expression plaquée sur une fiction mais le moyen de décrire un chaos, une humanité gangrenée par la dérive mafieuse. Que la vindicte contre les triades relève d’un idéal chevaleresque un peu naïf ne constitue pas le défaut le plus flagrant d’un film plombé par ses développements psychologiques au pilon, ses ruptures de ton maladroites, sa musique de supermarché. Mais l’aplomb avec lequel le réalisateur ramasse la double mise d’une amitié masculine inébranlable et d’une réconciliation fraternelle douloureuse s’avère assez payant. 4/6
Le syndicat du crime 2
On reprend les mêmes et en recommence, en recourant aux artifices scénaristiques les moins scrupuleux si besoin (Chow Yun Fat était mort à la fin du premier : on lui invente un frère jumeau). Plus que jamais le cinéaste travaille en plein et en délié, en pauses et en accélérations, selon une espèce de forme sinusoïdale où le calme et la tempête sont indissolublement liés. Il élargit également sa narration en développant une structure dramatique qui oscille entre Hong Kong et New York, multiplie intrigues et personnages secondaires, accentue une logique d’inflation qui voit une situation impossible se résoudre en huis-clos hystérique (le carnage final, grand moment de délire) et pousse le dosage du sentimentalisme jusqu’au seuil du mélodrame noir. Le tout est à la fois sincère, généreux et grotesque. 4/6
The killer
Un flic et un tueur à gages aux aspirations symétriques s’affrontent et s’estiment en une rigoureuse construction dramatique, qui sous-tend un questionnement romantique sur l’honneur, la rédemption et la religion. De l’aveu du réalisateur, le film doit beaucoup à Melville et à son Samouraï, auquel il emprunte même le prénom du personnage principal. En opposant l’univers réel d’une société en pleine mutation, rongée par la violence, et le monde imaginaire de la jeune aveugle autour de laquelle évolue les antagonistes, il scelle une étrangeté qui alterne en permanence entre des moments extrêmes, radicaux, chorégraphiés comme des ballets, et des séquences d’un hiératisme presque contemplatif. Virtuose mais d’une naïveté parfois sulpicienne, brillant mais comme souvent trop emphatique. 4/6
Une balle dans la tête
Sur une trame très proche de The Deer Hunter, le cinéaste accouche d’un patchwork invraisemblable qui vivifie les contrées nanardesques d’un bon vieux Chuck Norris des familles : succession d’explosions et de fusillades contre des truands patibulaires et de méchants soldats de l’armée régulière dans la jungle, qu’accompagne un synthé digne des fleurons de la série Z. La stigmatisation de l’horreur de la guerre se fait dans l’esthétisation permanente de l’artillerie, de la balistique, des morts aux ralentis ; l’exaltation de l’amitié n’est que gesticulation hystérique et caractérisation à la serpe (mention à Paul qui passe en mode Orange Sanguine en deux-deux) ; bref j’ai passé l’essentiel du temps à pouffer devant tant de grotesque boursouflé, malgré une dernière demi-heure pas trop mauvaise. 2/6
À toute épreuve
Dernier film réalisé par l’auteur avant sa carrière américaine, ce polar de crime-fiction se déroule quelques semaines avant la rétrocession de Hong-Kong à la Chine. Plus intéressé à mettre en scène des conflits de forces physiques que des débats d’idées, Woo glisse subrepticement son histoire entre les balles, et décline sa figure canonique du brothers in arms en la faisant évoluer (les deux hommes sont pour une fois du même et bon côté de la loi). Si son approche psychologique et émotionnelle a la subtilité d’un hippopotame, difficile de nier que sa caméra-sulfateuse organise le chaos avec une grande dextérité, jusqu’à l’hécatombe conclusive dans un hôpital ravagé par les projectiles, les cadavres et les explosions, véritable nef des fous où sévit une même violence absurde de la morgue à la nursery. 4/6
Volte-face
Soumis aux exigences d’une production hollywoodienne et à la rigueur d’un scénario très brillant, Woo domine sans l’étouffer sa tendance à l’épanchement baroque et à la surcharge stylistique. Le film pourrait de facto se résumer à une énorme convulsion visuelle et sonore, assaillie de pulsions, d’affects plus ou moins fracassés, de chorégraphies de corps en charpie, de vacarmes percussifs digitalisés, et accouchant au forceps d’on ne sait quelle morale. Mais si le brio ornemental du cinéaste flirte toujours avec la boursouflure, il accouche d’authentiques fulgurances. Personnages, enjeux, thèmes, tout y est pris dans une spirale épique, un jeu de masques et de miroirs qui pulvérise la question de l’identité et illustre la porosité du bien et du mal en un réseau infini de permutations, de lignes, de déplacements. 5/6
Mission : impossible 2
Après De Palma, John Woo se voit octroyer par Cruise le loisir de cannibaliser gentiment ce qui lui est donné et d’imposer sa marque identifiable et forte à un produit que tout destinait à être savamment manufacturé. Les ralentis grandiloquents, le montage au rasoir, les explosions en gerbe, les doubles, les battements d’ailes des colombes, l’imagerie codée : rien ne manque à l’appel. Cependant, parce qu’il ne respecte pas la complexité ludique des intrigues que le volet précédent avait tressée jusqu’au vertige, cette suite verse dans l’univers pas déshonorant mais assez futile de James Bond : on fignole le détail, on peaufine le brillant, mais on passe à côté de l’essentiel. Le spectacle n’a presque rien à proposer en dehors de l’ivresse de sa surface ; c’est sa limite et aussi, quelque part, sa qualité. 4/6
Windtalkers
Le cadre de la guerre du Pacifique, une histoire de camaraderie masculine, des moyens importants… A priori rien ne manque à John Woo pour faire fructifier ses préoccupations habituelles, si ce n’est le principal : la rage au ventre. Comme entravé par l’enjeu artistique et commercial du projet, il accouche d’une fresque tiède, conventionnelle, plombée de sentimentalisme, que l’on suit avec un intérêt plus que ténu et qui s’attache à grand-peine à restituer la relation entre deux soldats (un Américain et un Navajo) derrière les lignes ennemies. Conforme à toutes les règles du genre, le film semble ne pas vouloir oublier un seul poncif, fait l’impasse sur la psychologie réaliste pour suivre sans risque les rails d’un scénario pourtant bien boiteux, et brode péniblement sur l’amitié, l’abnégation et le sacrifice. 2/6
Les trois royaumes
Attention les yeux. Maître d’œuvre d’une superproduction panasiatique tournée en mandarin, John Woo se penche sur l’une des périodes fondamentales de l’unification de la Chine et s’attèle à la reconstitution de l’équivalent extrême-oriental du combat des Thermophyles : batailles navales, exploits guerriers, armées de figurants, échelles dantesques et tout le toutim. En termes de sidération visuelle, difficile de nier que le spectacle produit son effet, le cinéaste ne lésinant pas sur les perspectives vertigineuses et l’emphase martiale. Pour le reste, on peut estimer qu’il pèche sur le plan humain autant qu’il croule sous ses ambitions : deux heures et demie d’une fresque aux enjeux obscurs, noyée de personnages et d’intrigues qui se neutralisent, et peinant à captiver par ses contours politiques. 3/6
Mon top :
1. Volte-face (1997)
2. The killer (1989)
3. À toute épreuve (1992)
4. Le syndicat du crime (1986)
5. Le syndicat du crime 2 (1987)
L’une des idoles générationnelles d’à peu près tous les mordus de cinéma asiatique depuis vingt-cinq ans. Personnellement, et hormis pour Volte/Face, je ne peux pas dire que ce réalisateur m’enthousiasme : non seulement je ne suis pas vraiment sensible à ses préoccupations thématiques, mais surtout j’ai bien du mal à adhérer à un style dont le brio frise bien souvent la grandiloquence ampoulée. Pardon pour l'hérésie.