Cinéma Coréen contemporain

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Supfiction
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Re: Cinéma Coréen contemporain

Message par Supfiction »

bruce randylan a écrit :
The tunnel (Kim Seong-hun - 2016)
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Le nouveau titre du réalisateur de Hard Day est un film catastrophe qui tourne le dos à la pyrotechnie pour privilégier l'humain. Et ça fait vraiment du bien !
Bien-sûr, on évite pas certains poncifs du genre, baisses de régime ou quelques séquences mélodramatiques. Cela dit, le trait est loin d'être aussi gros et dégoulinant que ce que les coréens nous ont habitué et Kim évite le pathos de manière générale.
Le film possède d'ailleurs pas mal d'excellentes touches d'humour toujours pertinentes et bien intégrées au récit qui viennent toujours au bon moment, sans nuire à l'émotion de certaines séquences poignantes et assez fortes.
Surtout le film se pose en une relecture très juste de la récente tragédie du ferry Séwol où 300 adolescents périrent en parti à cause de l'incompétence des pouvoir publics à gérer la crise, mettant également à jour les connivences avec les médias et des scandales de sécurités pour des raisons de magouilles financières.
Bien que le film fut écrit avant ce naufrage, il est probable que le cinéaste ai intégré certains éléments avant son tournage. En tout cas son portrait du journalisme, des autorités et des secouristes est particulièrement féroce et cinglant, sans heureusement tomber dans le cynisme facile qui m'avait vraiment trop rebuté dans le Gouffre aux chimères (auquel on pense de temps en temps).

Dans l'ensemble, ce n'est pas follement original ni surprenant mais le choix du traitement et la prédominance des qualités sur les défauts en font une oeuvre tout à fait recommandable.
Ca tombe bien, The Tunnel semble avoir trouvé un distributeur pour une sortie française. :D
Le film est sur OCS.
J’ai bien aimé même si, c’est vrai, c’est du déjà vu. Mais ça fait du bien de voir ce type de film catastrophe sans héros que savait faire Hollywood. Les scènes avec le chien plairaient à Flol (j’ai bien ri quand il lui bouffe son gateau).
Il me semblait reconnaître l’actrice, Doona Bae. Vu dans The host. Elle doit être célèbre en Corée j’imagine. Et elle est dans le dernier Chabat. Sinon, la scène sur les considérations économiques résonne évidemment aujourd’hui.

Selon les moments, le film rappellera Seul au monde (la blessure bénigne qui s’avère dangereuse), Into the wild, La tour infernale, Le Gouffre aux Chimères (les médias un peu caricaturaux) ou même Piège de cristal (la relation à distance avec le sauveteur) et Héros malgré lui (pour l’ironie finale).
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Flol
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Re: Cinéma Coréen contemporain

Message par Flol »

Supfiction a écrit :Les scènes avec le chien plairaient à Flol (j’ai bien ri quand il lui bouffe son gateau)
Je confirme, ces scènes m'avaient beaucoup plu. A l'image du film, que j'avais trouvé excellent. Encore un mélange des genres ultra efficace venu de Corée du Sud, à croire qu'il n'y a qu'eux qui sont capables de le faire aussi bien.
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Profondo Rosso
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Re: Cinéma Coréen contemporain

Message par Profondo Rosso »

Moving On de Yoon Da-bi (2020)

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Okju et Dongju s’installent dans la maison de leur grand-père pendant les vacances d’été, après que leur père a fait faillite. Peu de temps après, leur tante, dont le mariage est en piteux état, emménage dans la maison. Trois générations doivent désormais cohabiter.

Moving On est le premier film prometteur de la jeune réalisatrice coréenne Yoon Dan-bi. Elle y dresse un portrait tendre et touchant d’une famille dont trois générations sont amenées à cohabiter le temps d’un été. Le titre anglais Moving On signifie « avancer », et c’est à peu près le besoin qu’ont chacun des protagonistes au moment où démarre l’histoire. C’est le cas pour ce père ruiné et élevant seul sa fille aînée Okju et son jeune fils Dongju, alors qu’il s’apprête à emménager chez son père pour l’été. C’est la situation de sa sœur séparée de son mari et qui elle aussi va se réfugier chez leur père. Enfin ce père et grand-père grandement diminué doit également faire face paisiblement au crépuscule de sa vie.

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C’est à travers le regard des deux enfants, l’adolescente Okju et le petit garçon Dongju, que nous allons traverser ce moment. Okju est une adolescente taciturne qui vit mal ce déracinement et a du mal à communiquer, soit l’inverse de son cadet Dongju enjoué et ouvert à son nouvel environnement ainsi qu’à ce grand-père. La réalisatrice fait justement de cette vieille maison familiale le vrai personnage secondaire du film. Elle nous fait longuement découvrir chaque pièce en suivant les pas des nouveaux venus, les montre investir et s’approprier les lieux (Okju qui choisit sa chambre et en fait une moustiquaire) qui deviendront ainsi tout aussi familier au spectateur. Chaque tranche de vie passe par de longs plans fixes qui dispose dans une velléités collective la famille, où de manière plus intime chacun de ses membres, dans l’espace de la maison. Les pièces communiquent comme pour symboliser par l’image l’interaction qui naît entre ces protagonistes qui se découvrent, tel cette scène où de la fenêtre du salon Dongju tente de nouer la conversation avec son grand-père, le contrechamp nous le montrant s’affairant le sourire aux lèvres dans son jardin.

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La complicité naturelle entre le père et la tante se ressent quant à elle lors des apartés où ils s’isolent devant la maison pour boire une bière et échanger des confidences. C’est une communion qui semble impossible entre Okju et Dongju, ce dernier souvent rabroué et rejeté par sa sœur malgré ses approches. Là aussi la réalisatrice construit cette relation fraternelle contrariée par son approche topographique, où justement la plénitude du plan fixe rassembleur est impossible, par l’agitation de la fratrie jamais unie que se soit dans le mouvement perpétuel des disputes ou l’impossibilité de cohabiter dans le même plan. La maison ne sert que de révélateur à un conflit venu de l’extérieur, la séparation d’avec leur mère dont Okju rejette la présence et que Dongju accepte. Le grand-père est l’élément rassembleur de la famille, la bienveillance et le souci envers lui dissipant conflits et égoïsme de chacun dans de magnifiques scènes comme la scène d’anniversaire. D’un autre côté la réalisatrice le montre comme déjà ou prochainement parti, que ce soit par l’attitude distraite du vieillard ou, une fois de plus, sa place dans l’espace de la maison. La caméra le capture souvent seul, usant du cadre dans le cadre pour le séparer et le montrer comme déjà ailleurs par rapport à la vie qui l’entoure. Ce motif formel rappelle beaucoup une cinéaste que la réalisatrice désigne comme son influence majeure, Edward Yang. D’ailleurs la chaleur humaine et la sensibilité à fleur de peau du film n’est pas sans rappeler le merveilleux Yi-Yi (2000) de ce dernier. L’acceptation du temps qui passe, le réalisme et la trivialité de maux ordinaires (le débat sur la vente de la maison, le placement en maison de retraite, l’enterrement) bénéficie d’une approche à la hauteur du chef d’œuvre de Yang.

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La disparition du grand-père ne sera donc pas une fin mais une étape visant à la reconstruction d’un autre lien filial qui laisse subtilement Okju accepter d’être enfin submergée par ses émotions. Yoon Dan-bi excelle à exprimer toute cette gamme d’émotions par l’image (notamment un sur la couleur pour imprégner implicitement de cette atmosphère positive), en renouant les ces liens distendus par le montage lors d’une scène de repas, mais aussi par l’hésitation à pénétrer dans la maison désormais privée de son propriétaire. Un premier film vraiment prometteur et qui fait rentrer Yoon Dan-bi dans le cercle de ces jeunes réalisatrices coréennes si douées à dépeindre la famille et le monde de l’enfance/adolescence comme Yoon Ga-eun (The World of us (2016), The House of us (2019)) ou Bora Kim (The House of Humminbirds (2018). 4,5/6
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Re: Cinéma Coréen contemporain

Message par bruce randylan »

Le ffcp cru 2020 qui n'avait connu que 2 jours de projections avant le deuxième confinement a repris fin juin pour 10 jours !

Ok ! Madam (Lee Cheol-ha – 2020)

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Un modeste couple de commerçants gagne un voyage pour Hawaï. L'occasion pour eux d'emmener leur petite fille qui prend l'avion pour la première fois. Sauf que leur avion est rapidement détourné par des agents nords-coréens qui cherchent un double-agent les ayant trahi.

Le film d'ouverture de ce festival est une sympathique comédie d'action et un bon représentant de l'aisance des coréens dans ce genre de blockbuster, à la fois très classique dans son déroulement et sa formule (un côté Die Hard en avion) mais qu'une forte dose d'humour parvient à rafraichir.
Même si les effets ne sont pas toujours fins ou bien dosés, on rit très souvent entre des comédiens qui sont les premiers à s'amuser, divers runnings gags savoureux, des seconds rôles bien décalés et des ruptures de tons irrésistibles : le stewart se rêvant d'être agent secret, le nord coréen ne parlant pas chinois, la comédienne de cinéma... Ca ne se prend donc pas vraiment au sérieux et préfère miser sur la connivence avec le public. On sent que l'équipe vise avant tout le plaisir des spectateurs, à l'image du générique de fin qui semble avoir envie de faire perdurer le plaisir autant que possible. On pardonne ainsi volontiers quelques gags ou situations plus faibles, et surtout un scénario prétexte auquel il ne vaut pas mieux réfléchir.
A part une ouverture plus musclées avec fusillades et nombreux mort, les scènes d'actions sont des combats en huis clos avec de bonnes chorégraphies qui savent exploiter l'espace et les possibilités du décor (chariot, siège, cuisine, toilettes, soutes, costume d'hôtesse). Mine de rien, la mise en scène tire un bon profit de cet avion avec un astucieux plan-séquence qui présente l'ensemble des passagers dans les différentes classes ou en situant des séquences dans des lieux moins souvent visités (soute à bagage, salle de repos des membres de l'équipage). Le hasard a fait que j'ai vu pour le boulot la même semaine l'américain Non-stop et les coréens l'atomisent sans souci en terme d'action et de rythme (ainsi que l'humour donc). Je regrette juste que le final soit assez décevant, un vrai pétard mouillé pour le coup.
C'est donc un honnête divertissement du samedi soir qui fait le job, sans génie, mais avoir un certain savoir-faire, à commencer par sa mécanique humoristique.
Bref, encore un film qui mériterait plus de visibilité en occident.


Deliver us from evil (Hong Won-chan – 2020)

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Un redoutable tueur à gage apprend que son ancienne fiancée vient d'être assassinée en Thaïlande suite au kidnapping de sa fille dont il pourrait être le père. Il part sur place pour retrouver la petite sans savoir que le frère de son dernier "contrat", un impitoyable yakuza, se lance à ses trousses pour se venger.

Autre représentant typiquement coréen : le polar violent et sadique. Autant dire que ce n'est pas ce film-ci qui va réconcilier les récalcitrants avec le cinéma coréen (encore que la violence reste heureusement hors champ). C'est donc très frustrant de voir que les distributeurs français privilégient systématiquement ce genre de blockbuster plutôt que les équivalents plus légers (Midnight Runners, Extreme Job, Ok ! Madam, Exit...). D'autant que Deliver us from evil est tout juste honnête et ne transcende jamais le genre entre une réalisation basique et une première moitié linéaire au possible : on trouve un suspect, on le torture (coucou le sécateur) et on a de quoi aller chercher un nouveau suspect qu'il faudra rendre plus coopérant...
En revanche, une fois que le face à face entre les deux tueurs se met en place, coïncidant avec de surcroît un course contre le temps, ça devient plus « amusant », musclé... et couillon.
On enchaîne les combats à l'arme blanche, traque, morts en pagaille et grosses fusillades explosives qui sont évidement tous sauf réalistes (la voiture du héros pris entre un barrage de police et le tuk-tuk du yakuza :mrgreen: ). Pas trop de temps mort, quelques passages fun mais ça manque de surprise et donc d'intensité dramatique pour des personnages qui restent des victimes interchangeables en devenir face aux deux pro qui survivent à 10 coups de couteaux. On se console avec le ladyboy coréen, même s'il n'a pas grand chose à apporter.
La réalisation n'a rien de particulièrement notable (j'aurais pas été contre quelques money shots) d'autant qu'on trouve quelques ralentis fort mal pensés et intégrés.
On va dire que ça se suit pour son exubérance de la seconde moitié où les enfants sont pour le moins malmenés ! Ca surprend toujours pour une production friquée.


Way back home (Park Sun-joo)

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Mariée depuis quelques années et sur le point de déménager, Jeong-won reçoit un appel de la police lui expliquant qu'on vient d'arrêter l'homme qui l'avait violé il y a 10 ans. Un traumatisme qu'elle pensait derrière elle et que son mari ignorait.

Premier long métrage pour la cinéaste et une belle réussite, surtout pour son scénario et l'interprétation d'une immense qualité.
La réalisation est assez en retrait et les quelques tentatives d'onirismes sont assez maladroites (rêve de l'arbre où se déroula l'agression, un moment d'absence dans une piscine) mais le montage – également signée par la cinéaste-scénariste – offre un récit non linéaire plutôt intelligent. La présence de Park Sun-joo aux 3 postes clés donne une belle homogénéité à l'ensemble en accordant beaucoup d'attention aux non-dits, aux moments de doutes, à l'observation mais aussi à la séparation, qu'elle soit spatiale ou temporelle comme pour mieux évoquer le gouffre qui se creuse au sein de ce couple ou de sa famille.
Plus que l'histoire d'une agression, Way back home raconte l'impossible reconstruction et comment ce passé qu'on croyait surmonté resurgit et impacte les relations avec les proches de l'héroïne, dont en premier lieu son mari qui ne sait plus comment se comporter avec elle. Tous les personnages sont écrasés par ce poids qui échappe aux mots.
Pour un film coréen, et vu le sujet, le film est d'une étonnante – et remarquable – sobriété, tout en intériorité et silence. Avec une économie de dialogues et de mouvements, les acteurs font passer une brillante gamme d'émotions plus complexes et variées qu'il n'y paraît.
Cette pertinence dans le traitement donne une jolie fin ouverte où rien n'est vraiment résolu mais où des portes commencent à s'ouvrir. Peut-être l'heure enfin des réconciliations et une compréhension au sein d'une famille brisée, dépassée par les événements. Le personnage de la jeune sœur est assez joli à ce titre et la caractérisation n'est jamais forcée ou stéréotypée.

Le film a logiquement rencontré un beau succès critique, méritée, et j'espère que la cinéaste va continuer sur cette lancée.
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Profondo Rosso
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Re: Cinéma Coréen contemporain

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The Medium de Banjong Pisanthanakun (2021)

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Une équipe de film vient tourner un documentaire sur le chamanisme dans un village thaïlandais. Ils s’intéressent tout particulièrement à Nim, une chamane habitée par un esprit qui se transmet de génération en génération dans sa famille. Mais le tournage va prendre une tournure terrifiante…

The Medium est une coproduction entre la Corée du Sud et la Thaïlande marquée du sceau de son prestigieux producteur, NA Hong-jin. On doit à ce dernier deux des sommets qui contribuèrent à imposer le nihilisme et la violence du thriller coréen à travers le monde avec The Chaser (2008) et The Murderer (2010). Cette vision du monde sombre et désespérée serait sublimé The Strangers (2016), véritable chef d’œuvre du cinéma fantastique contemporain où il se détachait du cadre urbain de ses précédents opus pour convoquer à la fois la face la plus sombre de l’humanité et les forces ancestrales et occultes qui l’observent et la tourmente. Le film se caractérisait notamment par la folie de ses scènes d’exorcisme et de chamanisme déployant une imagerie aussi inédite que glaçante pour le spectateur occidental. The Medium creuse le même sillon dans un scénario coécrit par NA Hong-jin mais se déroulant cette fois en Thaïlande.

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Le film fonctionne sur le principe du found-footage à savoir un faux documentaire dont la patine réaliste se voit rattrapée par l’irruption du surnaturel. Nous y suivons une équipe de tournage venue filmer un reportage sur le chamanisme dans un village thaïlandais. Ils vont accompagner Nim (Sawanee Utoomma), habitée par l’esprit de Ba Yan se transmettant de génération en génération au sein de sa famille. Elle en a hérité après que sa sœur Noi (Sirani Yankittikan) initialement élue en ait violemment repoussée la perspective. Depuis, Nim officie donc en tant que chamane et rend de menu service à la communauté dès lors que celle-ci est aux prises avec ce qu’elle suppose être un esprit malveillant. L’équipe documentaire voit se profiler une opportunité inattendue lorsque Min (Narilya Gulmongkolpech), la fille aînée de Noi, commence à manifester d’étrange altération psychique et physique qui laisse supposer que Ba Yan s’apprête à l’investir et qu’elle est destinée à être la nouvelle chamane au sein de la famille. Pourtant l’attitude violente et imprévisible de Min va bientôt laisser supposer qu’un autre esprit bien moins intentionné prend peu à peu possession d’elle.

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Le film emprunte le postulat bien connu de L’Exorciste de William Friedkin (1973) et ses multiples copies qu’il croise à un dispositif d’horreur plus contemporain du found-footage. Cependant là où le classique de Friedkin était un rappel éprouvant de l’existence de Dieu et du Diable dans un contexte occidental qui l’avait oublié, The Medium diffère dans son approche. Toute la première partie tend à nous montrer la Thaïlande rurale comme un espace où cette croyance persiste encore, dans une forme d’équilibre animiste où les vivants et les esprits cohabitent harmonieusement. Le choc ne vient donc pas comme dans le fantastique occidental de la découverte d’un monde occulte parallèle, mais plutôt que celui-ci peut s’avérer malveillant et agressif envers nous. Le récit déploie le schéma classique voyant les comportements troubles de Min perturber progressivement son quotidien familial, professionnel, de façon de plus en plus dérangeante, le malaise étant renforcer par le dispositif documentaire réaliste. L’épure et l’approche sur le vif rend d’autant plus inquiétants les surgissements du malaise, tout en gardant une tonalité apaisée du fait de l’acceptation de ces phénomènes.

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Progressivement, l’histoire familiale et son rapport aux esprits va s’avérer le véritable enjeu du film. La possession ne semble pas avoir frappée au hasard. L’équilibre de cette coexistence paisible avec les esprits est mis à mal par l’irruption de la modernité dans le quotidien. Noi confrontée à son héritage spirituel s’en est détournée, rendant sa propre fille vulnérable car pas éduquée à accepter la tangibilité de ce monde occulte ancestral. Cette impiété s’étend finalement à l’ensemble de la société thaïlandaise où le chamanisme tend à une forme de charlatanisme pour certains, où la théâtralisation des rituels est une manière de rassurer et duper les crédules à des fins financières. Les esprits observent ainsi ces humains qui se détournent et se jouent d’eux, et décide de les punir en conséquence. Le film trouve l’équilibre idéal entre ces questionnements spirituels, philosophiques, avec une horreur terrifiante où s’entremêlent une approche moderne du genre et quelque chose de plus viscéral, de plus insaisissable. L’inquiétude s’immisce autant dans la paisibilité factice du quotidien rural à l’imagerie élégiaque (avec nombres de paysages et forêt à la beauté soufflante) qu’à travers les vecteurs « modernes » (caméra, écran d’ordinateur ou de smartphone) de l’image numérique. Sans renouveler l’arsenal formel du found-footage, The Medium le sublime par l’excellence de son usage dans un crescendo oppressant à souhait. On capture ainsi des images fixes que l’on ne sait expliquer (Mink filmée à distance parlant à un mur, la rencontre nocturne et muette avec une grand-mère aveugle), d’autres tout simplement dérangeantes, intrusives et impudiques (Min malmenant une fillette, Min ayant une menstruation précoce en public) où la caméra documentaire semble de plus en plus de trop en cherchant à filmer l’indicible. La punition sera également pour eux à avoir voulu faire du sensationnalisme avec l’inconnu.

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Lorsque la nature ou plutôt l’identité de la menace se fait de plus en plus clair, il est déjà trop tard. Tout le dispositif patiemment mis en place pour distiller le trouble sert désormais un pur déchaînement infernal. Les scènes chocs se démultiplient avec furie et inventivité avec en clou une séquence finale de shamanisme proprement glaçante. On pardonnera quelques facilités (l’usage du montage alterné qui jure avec l’approche documentaire) tant la justesse et l’évidence du propos sert la terreur pure. Face à la réalité démoniaque, les croyances reniées se ravivent trop tard pour certains, quand pour d’autres la fragilité de cette foi s’expose au grand jour. La coexistence n’est possible que tant que le culte sincère persiste, sans quoi les esprits n’ayant jamais eu de nature protectrice ou bienveillante envers les humains se déchaînent. C’est ce que savaient les ancêtres de cette population, et ce qu’ont oublié ou reniés leurs descendants, ce qui causera leur perte. Un grand film d’horreur qui nous fait autant réfléchir sur le poids du mysticisme traditionnel que le scepticisme contemporain.. 5/6

bruce randylan
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FFCP cru 2021

Ten Months (Namkoong Sun – 2020)

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Une programmatrice informatique apprend qu'elle est enceinte. Entre une relation sans passion avec son petit copain (par ailleurs sans réel emploi), les opportunités professionnelles qui risquent de lui échapper et les difficultés pour avorter, elle perd rapidement pied.

Premier long-métrage d'une cinéaste de 40 ans qui s'est inspirée de ses propres expériences pour composer le scénario, ce petit film ne manque pas de charme et de fraîcheur principalement grâce à son excellente comédienne Choi Sung-eun. Il y a plusieurs moments assez savoureux, quelques runnings gags sympathiques (les face-à-face avec le gynécologiste) et surtout une ambiance sur le fil du tragique-comique : la rencontre avec la copine en pleine dépression post-natale, la rencontre entre beaux-parents, le surnom « Chaos » donné au fœtus... D'ailleurs le film est construit sous une forme de chapitre aux titres souvent ironiques.
Après, sortie de la narration, la forme reste tout de même relativement anonyme et surtout le scénario aurait peut-être gagné à être moins caricatural dans les bouleversements de l'héroïne qui semble n'avoir absolument aucune notion de ce que veut dire grossesse (mais vraiment aucun). Certes la cinéaste en profite pour évoquer plusieurs problèmes de la société coréenne (monde l'emploi chez les jeunes, angoisse de l'engagement, place de la femme/maman) mais ça manque tout de même de subtilité, sans pour autant tomber dans les travers mélodramatiques.
Cependant dans l'ensemble, derrière l'humour, il y a une certaine justesse et c'est régulièrement touchant (mais étant sur le point de devenir papa d'ici quelques semaines, je suis pas très objectif :mrgreen: ).


Our midnight (Lim jung-eun – 2020)

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Un comédien qui galère a vivre de sa passion, et qui vient d'être fraîchement plaqué par sa copine, accepte la proposition d'un ami travaillant à la mairie de Séoul. Sa mission est d'effectuer des rondes sur un pont de la capitale où se déroulent de nombreux suicides. Il doit ainsi repérer des personnes susceptibles de passer à l'acte. Le hasard lui fait croiser une jeune femme dépressive lors de sa première sortie.

Autre premier long-métrage signé par une femme, ce film étonnement court (78 minutes) possède les qualités et les défauts d'une jeune réalisatrice ambitieuse. Formellement, le film déploie un somptueux noir et blanc ciselé avec attention pour un sens du cadre évident. Le montage cherche aussi à casser les moments attendus, à multiplier les ruptures pour mieux déstabiliser le spectateur, lui faire perdre ses repères et rendre fuyante la psychologie des protagonistes (qui font un peu penser à du Wong kar-wai dans leur mélancolie et solitude). Malheureusement ce parti pris dessert le film qui apparaît de ce fait bien trop froid, à la narration suspendue à la fois artificielle tout en se voulant délicate et poétique. De plus si les déambulations de ce couple ne manque pas d'attraits et de quelques jolis moments, rappelant les Nuits blanches de Dostoievski/Visconti, la tentative de stricte poésie avec l'ombre chinoise d'un éléphant tombe vraiment à plat (en plus d'être en incohérence avec le style du film). Ca reste cependant un premier film et on peut espérer que la cinéaste gommera ses faiblesses si elle peut continuer sa carrière. Il y a suffisant de caractère et de personnalité pour le souhaiter en tout cas.

A leave (Lee Ran-hee -2020)

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Après 5 ans de protestation et suite à l'annonce définitive du jugement dédouanant l'entreprise qui les as licenciés abusivement, 3 hommes hésitent à poursuivre leur mouvement. L'un d'eux en profite pour retourner dans son appartement où vivent ces deux filles qui supportent d'autant plus mal son absence qu'elles ont besoin d'argent pour poursuivre leurs études.

Encore un premier long-métrage signé par une femme. Lee Ran-hee a commencé sa carrière plutôt tardivement, à 50 ans (après un court-métrage en 2006), et on sent une réelle maturité dans l'écriture, le traitement et on peut supposer qu'elle s'identifie au héros de ce film qui doit avoir le même âge qu'elle et qui cristallise une génération d'adultes coincée entre un héritage confucéen encore fort (la communauté prime sur l'individu pour résumer) et des responsabilités familiales d'autant plus complexes qu'elles font face à une jeunesse plus individualiste et qui a perdu le sens du travail manuel.
Tout cela se traduit ici par un homme au caractère effacé, mal à l'aise face à l'idée d'affirmer ses besoin et qui se sent contraint de continuer la lutte avec ses camarades. Cette dévotion rentre bien-sûr en opposition dans sa relation avec ses deux filles qui le considèrent désormais à moitié comme un étranger. On sent que la communication et l'équilibre sont brisées entre eux et que la réconciliation est compliquée, même si désirée.
Plutôt que se perdre dans du verbiage, des états d'âmes ou un discours social appuyé, la cinéaste passe plutôt par le silence, l'intériorisation des émotions et une attention toute particulière aux gestes qui sont un prolongement du héros comme s'il ne parvenait à exprimer ses sentiments que dans le travail manuel : préparation de repas, nettoyage de frigo, réparation d'électroménager, tâche dans un atelier de menuiserie où il accepte une mission de quelques jours. C'est sobre, pudique, épuré tout en racontant beaucoup de chose sur la société coréenne actuelle : le cynisme du milieu de l'entreprise qui joue sur la méconnaissance des salariés envers leurs droits (indemnisation suite à un accident du travail), manque de communication entre générations où les plus jeunes vivent volontairement coupé des autres (écouteurs en permanence, repas instantanés), l'importance de la syndicalisation, la difficulté de quitter un milieu professionnel... C'est d'autant plus efficace que la cinéaste ne tombe jamais dans le militantisme ou la leçon de morale en pointant notamment le revers de la médaille et la difficulté des individus à s'émanciper de leur milieu socio-professionnelles à cause justement de leur connaissance.
Ainsi, et l'air de rien, Leave, avance avec une tranquillité et une simplicité, qui devient rapidement touchante et universelle, sans jamais chercher à émouvoir.
Un petit miracle de concision, de sobriété et de finesse en 80 minutes. :D
Sur les 11 films que j'ai pu voir cette année, ce fut mon coup de coeur.
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Message par TheGentlemanBat »

Profondo Rosso a écrit : 1 nov. 21, 13:23 The Medium de Banjong Pisanthanakun (2021)

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Une équipe de film vient tourner un documentaire sur le chamanisme dans un village thaïlandais. Ils s’intéressent tout particulièrement à Nim, une chamane habitée par un esprit qui se transmet de génération en génération dans sa famille. Mais le tournage va prendre une tournure terrifiante…

The Medium est une coproduction entre la Corée du Sud et la Thaïlande marquée du sceau de son prestigieux producteur, NA Hong-jin. On doit à ce dernier deux des sommets qui contribuèrent à imposer le nihilisme et la violence du thriller coréen à travers le monde avec The Chaser (2008) et The Murderer (2010). Cette vision du monde sombre et désespérée serait sublimé The Strangers (2016), véritable chef d’œuvre du cinéma fantastique contemporain où il se détachait du cadre urbain de ses précédents opus pour convoquer à la fois la face la plus sombre de l’humanité et les forces ancestrales et occultes qui l’observent et la tourmente. Le film se caractérisait notamment par la folie de ses scènes d’exorcisme et de chamanisme déployant une imagerie aussi inédite que glaçante pour le spectateur occidental. The Medium creuse le même sillon dans un scénario coécrit par NA Hong-jin mais se déroulant cette fois en Thaïlande.

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Le film fonctionne sur le principe du found-footage à savoir un faux documentaire dont la patine réaliste se voit rattrapée par l’irruption du surnaturel. Nous y suivons une équipe de tournage venue filmer un reportage sur le chamanisme dans un village thaïlandais. Ils vont accompagner Nim (Sawanee Utoomma), habitée par l’esprit de Ba Yan se transmettant de génération en génération au sein de sa famille. Elle en a hérité après que sa sœur Noi (Sirani Yankittikan) initialement élue en ait violemment repoussée la perspective. Depuis, Nim officie donc en tant que chamane et rend de menu service à la communauté dès lors que celle-ci est aux prises avec ce qu’elle suppose être un esprit malveillant. L’équipe documentaire voit se profiler une opportunité inattendue lorsque Min (Narilya Gulmongkolpech), la fille aînée de Noi, commence à manifester d’étrange altération psychique et physique qui laisse supposer que Ba Yan s’apprête à l’investir et qu’elle est destinée à être la nouvelle chamane au sein de la famille. Pourtant l’attitude violente et imprévisible de Min va bientôt laisser supposer qu’un autre esprit bien moins intentionné prend peu à peu possession d’elle.

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Le film emprunte le postulat bien connu de L’Exorciste de William Friedkin (1973) et ses multiples copies qu’il croise à un dispositif d’horreur plus contemporain du found-footage. Cependant là où le classique de Friedkin était un rappel éprouvant de l’existence de Dieu et du Diable dans un contexte occidental qui l’avait oublié, The Medium diffère dans son approche. Toute la première partie tend à nous montrer la Thaïlande rurale comme un espace où cette croyance persiste encore, dans une forme d’équilibre animiste où les vivants et les esprits cohabitent harmonieusement. Le choc ne vient donc pas comme dans le fantastique occidental de la découverte d’un monde occulte parallèle, mais plutôt que celui-ci peut s’avérer malveillant et agressif envers nous. Le récit déploie le schéma classique voyant les comportements troubles de Min perturber progressivement son quotidien familial, professionnel, de façon de plus en plus dérangeante, le malaise étant renforcer par le dispositif documentaire réaliste. L’épure et l’approche sur le vif rend d’autant plus inquiétants les surgissements du malaise, tout en gardant une tonalité apaisée du fait de l’acceptation de ces phénomènes.

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Progressivement, l’histoire familiale et son rapport aux esprits va s’avérer le véritable enjeu du film. La possession ne semble pas avoir frappée au hasard. L’équilibre de cette coexistence paisible avec les esprits est mis à mal par l’irruption de la modernité dans le quotidien. Noi confrontée à son héritage spirituel s’en est détournée, rendant sa propre fille vulnérable car pas éduquée à accepter la tangibilité de ce monde occulte ancestral. Cette impiété s’étend finalement à l’ensemble de la société thaïlandaise où le chamanisme tend à une forme de charlatanisme pour certains, où la théâtralisation des rituels est une manière de rassurer et duper les crédules à des fins financières. Les esprits observent ainsi ces humains qui se détournent et se jouent d’eux, et décide de les punir en conséquence. Le film trouve l’équilibre idéal entre ces questionnements spirituels, philosophiques, avec une horreur terrifiante où s’entremêlent une approche moderne du genre et quelque chose de plus viscéral, de plus insaisissable. L’inquiétude s’immisce autant dans la paisibilité factice du quotidien rural à l’imagerie élégiaque (avec nombres de paysages et forêt à la beauté soufflante) qu’à travers les vecteurs « modernes » (caméra, écran d’ordinateur ou de smartphone) de l’image numérique. Sans renouveler l’arsenal formel du found-footage, The Medium le sublime par l’excellence de son usage dans un crescendo oppressant à souhait. On capture ainsi des images fixes que l’on ne sait expliquer (Mink filmée à distance parlant à un mur, la rencontre nocturne et muette avec une grand-mère aveugle), d’autres tout simplement dérangeantes, intrusives et impudiques (Min malmenant une fillette, Min ayant une menstruation précoce en public) où la caméra documentaire semble de plus en plus de trop en cherchant à filmer l’indicible. La punition sera également pour eux à avoir voulu faire du sensationnalisme avec l’inconnu.

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Lorsque la nature ou plutôt l’identité de la menace se fait de plus en plus clair, il est déjà trop tard. Tout le dispositif patiemment mis en place pour distiller le trouble sert désormais un pur déchaînement infernal. Les scènes chocs se démultiplient avec furie et inventivité avec en clou une séquence finale de shamanisme proprement glaçante. On pardonnera quelques facilités (l’usage du montage alterné qui jure avec l’approche documentaire) tant la justesse et l’évidence du propos sert la terreur pure. Face à la réalité démoniaque, les croyances reniées se ravivent trop tard pour certains, quand pour d’autres la fragilité de cette foi s’expose au grand jour. La coexistence n’est possible que tant que le culte sincère persiste, sans quoi les esprits n’ayant jamais eu de nature protectrice ou bienveillante envers les humains se déchaînent. C’est ce que savaient les ancêtres de cette population, et ce qu’ont oublié ou reniés leurs descendants, ce qui causera leur perte. Un grand film d’horreur qui nous fait autant réfléchir sur le poids du mysticisme traditionnel que le scepticisme contemporain.. 5/6

J'avais le film dans mon collimateur (parce que produit par NA Hong-jin), merci donc pour ton retour qui donne encore plus envie :wink: Je croise les doigts très, très fort pour qu'on puisse découvrir en salle l'année prochaine cette nouvelle pépite (si ce n'est pas le cas, j'espère que le film aura au moins droit à une sortie vidéo/SVOD).
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Re: Cinéma Coréen contemporain

Message par bruce randylan »

Si je dis pas de bêtise, Jokers/Rabbia a les droits pour la France, mais juste pour une sortie vidéo sans passer par la salle.
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Re: Cinéma Coréen contemporain

Message par TheGentlemanBat »

Bon bah on fera avec, une parution en blu-ray (pas de DVD only à la Blaq Out svp), c'est toujours mieux que rien.
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Re: Cinéma Coréen contemporain

Message par Profondo Rosso »

TheGentlemanBat a écrit : 6 nov. 21, 18:49 Bon bah on fera avec, une parution en blu-ray (pas de DVD only à la Blaq Out svp), c'est toujours mieux que rien.
Oui j'avais eu le même retour que Bruce concernant la future exploitation française. En tout cas pour ma part c'est LE film de trouille vu en 2021, efficacité maximale et propos très original.
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Re: Cinéma Coréen contemporain

Message par TheGentlemanBat »

Hâte de vérifier ça ! Je ne sais pas si c'est la crise sanitaire à rallonge qui amplifie ce ressenti mais j'ai l'impression que l'arrivage de films sud-coréens en nos contrées, après un certain boom y'a pas si longtemps que ça, se fait plus rare. De mémoire, et si l'on met de côté le multi-primé Parasite, je crois que la dernière petite baffe que je me suis prise remonte à Battleship Island sorti dans nos salles début 2018.
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Re: Cinéma Coréen contemporain

Message par Profondo Rosso »

TheGentlemanBat a écrit : 7 nov. 21, 09:15 De mémoire, et si l'on met de côté le multi-primé Parasite, je crois que la dernière petite baffe que je me suis prise remonte à Battleship Island sorti dans nos salles début 2018.
D'ailleurs au FFCP cette année le dernier film du réalisateur était projeté, Escape from Mogadishu qui sans égaler Battleship Island est en encore un sacré morceau qui mériterait sa sortie salle ici.

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Re: Cinéma Coréen contemporain

Message par TheGentlemanBat »

J'avais (vaguement) entendu parler du film sans aller voir de quoi il retournait, merci pour le petit coup de projecteur :wink: (ça a l'air sacrément intense). En parlant du FFCP, chaque année je me dis que j'y retournerais bien y faire un tour (j'ai découvert la manifestation lors de sa 11ème édition, y'a déjà de ça 5 ans !) mais ça coïncide avec les vacances de la Toussaint où je mets généralement les voiles pour la Bretagne et je finis donc par louper ce joli cortège d'avant-premières :(
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Re: Cinéma Coréen contemporain

Message par Coxwell »

Profondo Rosso a écrit : 1 nov. 21, 13:23 The Medium de Banjong Pisanthanakun (2021)

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Une équipe de film vient tourner un documentaire sur le chamanisme dans un village thaïlandais. Ils s’intéressent tout particulièrement à Nim, une chamane habitée par un esprit qui se transmet de génération en génération dans sa famille. Mais le tournage va prendre une tournure terrifiante…

The Medium est une coproduction entre la Corée du Sud et la Thaïlande marquée du sceau de son prestigieux producteur, NA Hong-jin. On doit à ce dernier deux des sommets qui contribuèrent à imposer le nihilisme et la violence du thriller coréen à travers le monde avec The Chaser (2008) et The Murderer (2010). Cette vision du monde sombre et désespérée serait sublimé The Strangers (2016), véritable chef d’œuvre du cinéma fantastique contemporain où il se détachait du cadre urbain de ses précédents opus pour convoquer à la fois la face la plus sombre de l’humanité et les forces ancestrales et occultes qui l’observent et la tourmente. Le film se caractérisait notamment par la folie de ses scènes d’exorcisme et de chamanisme déployant une imagerie aussi inédite que glaçante pour le spectateur occidental. The Medium creuse le même sillon dans un scénario coécrit par NA Hong-jin mais se déroulant cette fois en Thaïlande.

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Le film fonctionne sur le principe du found-footage à savoir un faux documentaire dont la patine réaliste se voit rattrapée par l’irruption du surnaturel. Nous y suivons une équipe de tournage venue filmer un reportage sur le chamanisme dans un village thaïlandais. Ils vont accompagner Nim (Sawanee Utoomma), habitée par l’esprit de Ba Yan se transmettant de génération en génération au sein de sa famille. Elle en a hérité après que sa sœur Noi (Sirani Yankittikan) initialement élue en ait violemment repoussée la perspective. Depuis, Nim officie donc en tant que chamane et rend de menu service à la communauté dès lors que celle-ci est aux prises avec ce qu’elle suppose être un esprit malveillant. L’équipe documentaire voit se profiler une opportunité inattendue lorsque Min (Narilya Gulmongkolpech), la fille aînée de Noi, commence à manifester d’étrange altération psychique et physique qui laisse supposer que Ba Yan s’apprête à l’investir et qu’elle est destinée à être la nouvelle chamane au sein de la famille. Pourtant l’attitude violente et imprévisible de Min va bientôt laisser supposer qu’un autre esprit bien moins intentionné prend peu à peu possession d’elle.

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Le film emprunte le postulat bien connu de L’Exorciste de William Friedkin (1973) et ses multiples copies qu’il croise à un dispositif d’horreur plus contemporain du found-footage. Cependant là où le classique de Friedkin était un rappel éprouvant de l’existence de Dieu et du Diable dans un contexte occidental qui l’avait oublié, The Medium diffère dans son approche. Toute la première partie tend à nous montrer la Thaïlande rurale comme un espace où cette croyance persiste encore, dans une forme d’équilibre animiste où les vivants et les esprits cohabitent harmonieusement. Le choc ne vient donc pas comme dans le fantastique occidental de la découverte d’un monde occulte parallèle, mais plutôt que celui-ci peut s’avérer malveillant et agressif envers nous. Le récit déploie le schéma classique voyant les comportements troubles de Min perturber progressivement son quotidien familial, professionnel, de façon de plus en plus dérangeante, le malaise étant renforcer par le dispositif documentaire réaliste. L’épure et l’approche sur le vif rend d’autant plus inquiétants les surgissements du malaise, tout en gardant une tonalité apaisée du fait de l’acceptation de ces phénomènes.

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Progressivement, l’histoire familiale et son rapport aux esprits va s’avérer le véritable enjeu du film. La possession ne semble pas avoir frappée au hasard. L’équilibre de cette coexistence paisible avec les esprits est mis à mal par l’irruption de la modernité dans le quotidien. Noi confrontée à son héritage spirituel s’en est détournée, rendant sa propre fille vulnérable car pas éduquée à accepter la tangibilité de ce monde occulte ancestral. Cette impiété s’étend finalement à l’ensemble de la société thaïlandaise où le chamanisme tend à une forme de charlatanisme pour certains, où la théâtralisation des rituels est une manière de rassurer et duper les crédules à des fins financières. Les esprits observent ainsi ces humains qui se détournent et se jouent d’eux, et décide de les punir en conséquence. Le film trouve l’équilibre idéal entre ces questionnements spirituels, philosophiques, avec une horreur terrifiante où s’entremêlent une approche moderne du genre et quelque chose de plus viscéral, de plus insaisissable. L’inquiétude s’immisce autant dans la paisibilité factice du quotidien rural à l’imagerie élégiaque (avec nombres de paysages et forêt à la beauté soufflante) qu’à travers les vecteurs « modernes » (caméra, écran d’ordinateur ou de smartphone) de l’image numérique. Sans renouveler l’arsenal formel du found-footage, The Medium le sublime par l’excellence de son usage dans un crescendo oppressant à souhait. On capture ainsi des images fixes que l’on ne sait expliquer (Mink filmée à distance parlant à un mur, la rencontre nocturne et muette avec une grand-mère aveugle), d’autres tout simplement dérangeantes, intrusives et impudiques (Min malmenant une fillette, Min ayant une menstruation précoce en public) où la caméra documentaire semble de plus en plus de trop en cherchant à filmer l’indicible. La punition sera également pour eux à avoir voulu faire du sensationnalisme avec l’inconnu.

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Lorsque la nature ou plutôt l’identité de la menace se fait de plus en plus clair, il est déjà trop tard. Tout le dispositif patiemment mis en place pour distiller le trouble sert désormais un pur déchaînement infernal. Les scènes chocs se démultiplient avec furie et inventivité avec en clou une séquence finale de shamanisme proprement glaçante. On pardonnera quelques facilités (l’usage du montage alterné qui jure avec l’approche documentaire) tant la justesse et l’évidence du propos sert la terreur pure. Face à la réalité démoniaque, les croyances reniées se ravivent trop tard pour certains, quand pour d’autres la fragilité de cette foi s’expose au grand jour. La coexistence n’est possible que tant que le culte sincère persiste, sans quoi les esprits n’ayant jamais eu de nature protectrice ou bienveillante envers les humains se déchaînent. C’est ce que savaient les ancêtres de cette population, et ce qu’ont oublié ou reniés leurs descendants, ce qui causera leur perte. Un grand film d’horreur qui nous fait autant réfléchir sur le poids du mysticisme traditionnel que le scepticisme contemporain.. 5/6

J’aurais beaucoup aimé apprécié ce film. J’adore le cinéma de Na Hong-jin, et le savoir à la production sur des terres chamaniques en Thaïlande m’a émoustillé. Goeksung etait exceptionnel à mes yeux (mélange des genres, cinématographie hors pair, rigoureuse, intelligente et ultra atmosphérique) mais malheureusement je suis resté très peu transporté par ce The Medium. Si les 10-15 premières minutes ont le goût de poser un beau travail d’atmosphère qui me ferait penser à une sorte de fiction de The Look of Silence, la suite est bien plus anodine voire désolante : le cinéaste n’a pas le talent de son mentor coréen, tout devient affreusement surligné, redondant, long et très sensible aux gimmicks/effets de style des « found footage » qui annulent toute sensation d’effroi à mes yeux. Grosse déception.
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Re: Cinéma Coréen contemporain

Message par bruce randylan »

Homeless (Lim Seung-hyeun – 2020)

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Un jeune couple avec un bébé qui peine déjà à joindre les deux bouts découvrent que le prometteur immobilier qui leur avait promis un logement a disparu avec leur caution (conséquente en Corée). De plus à force de vivre entre deux hôtels, bains publics ou équivalent de cuber café, le nourrisson se blesse et nécessite des frais d’hôpital.

Sans être aussi réussi que Micro-habitat sur la quête kafkaienne pour trouver un logement décent entre flambée immobilière, pénurie et chômage des jeunes, ce drame social est plutôt une bonne surprise qui doit beaucoup à une mise en scène simple mais percutante. Le plan d'ouverture est un modèle à ce titre : le couple joue avec leur enfant dans une cuisine flambant neuve alors que les grands-parents rentrent dans le cadre. Les parents se lèvent et annoncent qu'ils doivent partir. On les aperçoit alors s'emparer de bagages sommaires pour traverser un appartement qui était en fait en porte ouverte pour une vente... les grands parents n'étant que d'autres acheteurs hypothétiques.
Le film avance ainsi avec une simplicité qui va souvent droit à l'essentiel pour faire à peine plus de 80 minutes. L'histoire est pourtant dense avec une seconde moitié plus sombre et presque pesante au fur et à mesure que cette famille s'installe dans une maison trop belle pour être vraie.
A plusieurs moments, j'ai cru que le film allait sortir les gros sabots et/ou se vautrer dans le pathos à coup de péripéties outrancières. Et pourtant, et bien que le sort s'acharne sur les protagonistes, le scénario reste sur son fil du rasoir sans basculer dans le sordide ou le mélodrame (comme le cambriolage).
Sans doute conscient des limites de son scénario, le réalisateur prend plutôt le parti d'une ambiance flottante où les séquences avec la grand-mère leur cédant sa maison peuvent autant tenir du flash-back que tout droit sorti de l'imaginaire du jeune Papa cherchant à se déculpabiliser. C'est plutôt intelligemment fait et construit. Le film touche ainsi une sorte d'apaisement, d'eldorado qui peut autant être durable qu'éphémère. Dans tous les cas, on penche bien-sûr du côté de cette famille dont le pied à terre n'est que mérité face au rouleau compresseur qu'est la société coréenne pour un famille précaire. Homeless déploie ainsi une menace sourde et lancinante en même temps qu'une stabilité fragile.
De plus il y a une jolie interprétation tout en indignation et douleur contenues.
Encore un premier long-métrage plein de promesse.

Short Vacation (Kwon Min-pyo et Seo Han-sol – 2020)

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Quatre collégiennes se voit confier un devoir de vacances par le professeur de leur club de photo : utiliser un appareil argentique jetable et photographier "la fin du monde". L'une d'elle propose d'aller au bout d'une ligne de métro de la tentaculaire mégapole Séoul.

Ca aurait pu être un ravissant film à hauteur d'enfants qui se lancent dans une grande aventure vers l'inconnu (sortir de Séoul pour découvrir le milieu rural) et en réalité, ça ne dépasse jamais l'anecdote. Plutôt que de jouer sur la mise en scène pour traduire leur expérience, la réalisation enchaîne les longs plans fixes pour laisser les jeunes comédiennes naturelles et spontanées. Certes, le quatuor est plutôt crédible mais ça impose un périple englué, sans enjeu, sans réelle émotion et les 4 héroïnes restent étonnement passives et amorphes, même dans le dernier acte qui est sensé les mettre dans une situation angoissante (elles doivent passer la nuit dans une maison vide, étant perdues avec des téléphones déchargées).
Tristement stérile et les 79 minutes m'ont parues bien longuettes.

A distant place (Park Kun-young – 2020)

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Un homme, ayant fuit la vie citadine, est devenu éleveur de mouton. Il vit avec sa fille de 5 ans dans l'exploitation de son patron, où habite aussi la fille et la grand-mère de ce dernier. Il reçoit un jour la visite d'un ancien camarade de l'université puis de la véritable mère de sa "fille" qui n'est autre que sa sœur jumelle qui lui avait confié la garde.

Sur le principe, c'est un très beau film. Le sujet (ou plutôt les sujets) est bien traité, avec un certaine pudeur, des personnages complexes tout en étant souvent mutiques, une mise en scène aérée qui offre de jolis plans de compagnes vallonnées coréennes où la météo joue un véritable rôle (avec quelques plans qui auraient peut-être fait remuer Akira Kurosawa sur son siège). Les relations au cœur du récit ne manquent pas de moments touchants d'autant que la réalisation n'insiste pour ainsi dire sur aucun point, voire qui installe une certaine retenue face à l'intimité des séquences. Une des meilleurs exemples est le moment où la fille de l'exploitant agricole, amoureuse du personnage central, ouvre la porte de la chambre de ce dernier pour une question banale et surprend un couple endormi. Il s'agit d'un bref plan séquence où la porte s'ouvre aussi rapidement qu'elle ne se ferme sans avoir besoin de passer par un gros plans ou un montage sur l'expression des personnages. Certains moments clés - dont une dispute en voiture - montrent les personnages de dos par exemple. Ca n'empêche pas le film d'aborder l'homophobie, la pression sociale, la filiation (et indirectement la PMA). Tout est souvent délicatement feutré.
Mais voilà, il y a quelque chose qui m'a empêché d'être embarqué comme j'aurais voulu. Je crois que ça vient avant tout de sa durée (2h) et d'une sorte de cahier des charges du film indépendant : le duo entre la grand-mère, à la fois sénile et pleine de sagesse, et la petite fille ; des personnages secondaires tellement compréhensifs et ouverts qu'ils perdent en nuances ; quelques plans de paysages intégrés au montage juste pour leur beauté ; une interprétation trop passive peut-être également.
De réserves toute subjectives qui n'ont vraisemblablement pas été partagés par les spectateurs du festival qui lui a décerné le prix du public. J'ai presque envie de dire que c'était une évidence... car trop conscient – voire calculée - de la part du réalisateur.
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