Il est difficile d'être un dieu (Alexei Guerman - 2013)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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ballantrae
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Il est difficile d'être un dieu (Alexei Guerman - 2013)

Message par ballantrae »

Je propose ce nouveau topic de manière intéressée car je doute de compter parmi les veinards qui vont pouvoir le découvrir sous peu: j'attends donc de ceux qui l'ont vu leurs impressions voire un petit texte.
Les sites 1 kult et Critikat ont publié des textes qui ont de quoi intriguer mais je suis sûr que d'autres classikiens pourront nous mettre l'eau à la bouche!
Si c'est au même degré de réussite que Khroustaliov qui était presque trop riche et épuisant, cela promet.
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cinephage
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Re: Il est difficile d'être un dieu Alexei Guerman

Message par cinephage »

Pfff... Une séance au complet à la Cinémathèque et à l'étrange festival, le tout pour une sortie restreinte à 3 salles (et encore, l'une d'entre elle ne le passe pas le soir).
Je vais essayer d'aller le voir avant qu'il ne disparaisse des écrans...
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Anorya
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Re: Il est difficile d'être un dieu Alexei Guerman

Message par Anorya »

Très rapidement et brièvement parce que je n'aurais pas le temps d'y revenir hélas (peut-être Bruce Randylan le pourra t-il puisque nous l'avions vu ensemble l'an dernier ;) ). Guerman transpose une histoire des frangins Strougatsky (pas sûr de l'orthographe), frangins que Tarkovski avait déjà brillamment adapté avec Stalker. Le postulat d'évoquer un Moyen-âge parallèle sur une autre planète permet au regretté cinéaste d'évoquer un monde pataugeant littéralement dans la merde (au propre comme au figuré) et l'obscurantisme et refusant d'évoluer. Le personnage principal a lui, connaissance que les humains viennent d'une autre planète, il a même son ticket de retour et (d'où le "dieu" car il a une longueur d'avance sur les autres) essaye en dictateur cultivé d'élever le niveau tout en composant constamment avec la noblesse et le clergé, voire les insurgés. On peut le voir comme une analyse assez fine et de notre Moyen-âge et de la situation actuelle et plusieurs niveaux de lecture sont présents (notamment une assez pessimiste). Noir et blanc magnifique et mise en scène assez stylisée, Très grand film que je recommande même si sa longueur (et son côté crados --vraiment--) pourra en rebuter un peu. Si cela peut permettre de faire découvrir ou redécouvrir ce cinéaste horriblement mal distribué en DVD chez nous je dis banco. :D
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ballantrae
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Re: Il est difficile d'être un dieu Alexei Guerman

Message par ballantrae »

J'espère qu'il sera possible consécutivement de redécouvrir notamment Mon ami Ivan Lapchine mais aussi Vingt jours sans guerre et La vérification.Sans parler du totalement démesuré Khroustaliov, ma voiture! dont ce dernier opus semble le plus proche.
Zviangintsev est certes accepté et reconnu mais les films de l'Est ont beaucoup plus de mal que durant les 80' à attirer l'attention et c'est bien dommage car c'est là qu'on trouve parmi les plus belles et audacieuses propositions de cinéma, j'en veux pour preuve les films de Sokourov, Losnitza ( le totalement escamoté y compris en DVD Dans la brume et pourtant quelle splendeur!!!)ou bien sûr Tarr.
Loin est le temps où Bouge pas, meurs, ressuscite de Kanevski, Taxi blues de Lounguine ou encore Repentir de T Abuladzé réussissaient contre toute attente à attirer l'attention du public et la critique.
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cinephage
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Re: Il est difficile d'être un dieu Alexei Guerman

Message par cinephage »

ballantrae a écrit :J'espère qu'il sera possible consécutivement de redécouvrir notamment Mon ami Ivan Lapchine mais aussi Vingt jours sans guerre et La vérification.Sans parler du totalement démesuré Khroustaliov, ma voiture! dont ce dernier opus semble le plus proche.
Pour les parisiens, tous ces films sont projetés cette semaine et la suivante à la Cinémathèque...
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Re: Il est difficile d'être un dieu Alexei Guerman

Message par bruce randylan »

Anorya a écrit :Très rapidement et brièvement parce que je n'aurais pas le temps d'y revenir hélas (peut-être Bruce Randylan le pourra t-il puisque nous l'avions vu ensemble l'an dernier ;) ).
Bah, il suffit de retourner vers ma critique sur 1kult (tant que le site est encore accessible :idea: )

http://www.1kult.com/2014/09/12/il-est- ... i-guerman/

Et je ce soir j'irai découvrir Khroustaliov, ma voiture! à la cinémathèque :D

D'ailleurs, je n'en avais pas parlé mais j'avais aussi pu découvrir la vérification et Vingt jours sans guerre au Forum des images cet automne.
Le premier est vraiment très bon, c'est son premier film en solo et on sent déjà que son style se met en place. Il y a fabuleux dosage entre fiction et éléments issu du documentaire avec des détails naturalistes vraiment originaux qui donnent beaucoup de poids à cette histoire (comme le cheval mangeant l'écorce du bois ayant servi à la construction de la maison). C'est très prenant tout en parvenant à éviter à presque tous les ressorts pièges de la propagande avec des personnages complexes et fouillés.
J'avais moins accroché à Vingt sans guerre dont je me suis senti le plus souvent extérieur au récit avec un personnage central qui ne m'a pas touché. Les passages que j'ai aimés sont avant tout ceux où il se retrouve face au studio de cinéma qui reconstitue très artificiellement la vérité que le "héros" a vécu sur le front. Il y a de beaux moments, une véritable attention à capter les visages mais j'ai vu avant tout un cinéaste trop conscient de la mise en scène qu'il cherche à mettre en place. Tout est trop arrangé, trop millimétré. On sent que chaque figurant, même flou dans le fond du cadre aperçu 4 secondes dans un long travelling, participe au rythme du plan, à sa respiration et sa tentative de mettre en scène le réel. Mais cette mécanique, trop précise, gâche justement le réalisme voulu.
C'est justement beaucoup mieux géré dans le flux organique d'il est difficile d'être un dieu où l'on sent justement que les années de répétition et de tournage parviennent à gommer ce rendu "cinématographique".

Donc vraiment très impatients de découvrir les 3 autres films du cinéaste.
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Re: Il est difficile d'être un dieu (Alexei Guerman - 2015)

Message par ballantrae »

J'avais lu ta belle critique cet automne et t'en avais dit tout le bien que j'en pensais.
Merci pour tes précisions supplémentaires.
Puisqu'à l'évidence,tu adores tout comme moi les films venant de l'Est si possible un peu barrés, que penses-tu du Visiteur du musée de C Lopouchanski vu lors de sa sortie et pour lequel il était déjà évident que la question de la pesanteur, de la boue était première?
Je me rappelle de compositions étonnantes aux couleurs saturées, d'un sentiment de trop plein proche de Satyricon ou de Khroustaliov mais mon souvenir est bien lointain ...
Dernière modification par ballantrae le 11 févr. 15, 23:21, modifié 1 fois.
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Re: Il est difficile d'être un dieu (Alexei Guerman - 2015)

Message par ballantrae »

Au fait, pourquoi le site ne serait-il plus accessible???
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Re: Il est difficile d'être un dieu (Alexei Guerman - 2015)

Message par semmelweis »

Dégouté par la distribution anémique du film, je me faisais une joie de le voir sur grand écran...
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Re: Il est difficile d'être un dieu (Alexei Guerman - 2015)

Message par cinephage »

ballantrae a écrit :Au fait, pourquoi le site ne serait-il plus accessible???
Parce qu'il va fermer...
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Re: Il est difficile d'être un dieu (Alexei Guerman - 2015)

Message par bruce randylan »

Le redac chef avait détaillé le pourquoi du parce que ici :wink:
http://www.dvdclassik.com/forum/viewtop ... 0#p2450060
ballantrae a écrit :J'avais lu ta belle critique cet automne et t'en avais dit tout le bien que j'en pensais.
Merci pour tes précisions supplémentaires.
Puisqu'à l'évidence,tu adores tout comme moi les films venant de l'Est si possible un peu barrés, que penses-tu du Visiteur du musée de C Lopouchanski vu lors de sa sortie et pour lequel il était déjà évident que la question de la pesanteur, de la boue était première?
Je me rappelle de compositions étonnantes aux couleurs saturées, d'un sentiment de trop plein proche de Satyricon ou de Khroustaliov mais mon souvenir est bien lointain ...
Encore merci pour les compliments.
Et non, pas vu le visiteur du musée, j'en avais même jamais entendu parler en fait. (bon, en 1989, j'avais 8 ans et j'habitais Besançon :mrgreen: ). Encore un truc à chercher quoi !
Le cinéma de l'est, c'est sûr que j'aime bien mais je suis loin d'avoir vraiment fouillé même si je possède une bonne partie des Malavida. D'ailleurs, je me suis pris une claque énorme le mois dernier avec les diamants de la nuit et une bonne claque avec les 10.000 soleils (dont j'aurais bien voulu causer sur 1kult :( )

Enfin, bref ! Retour sur Alexis Guerman. Je me permets de parler de ses autres films dans ce topic puisqu'on a commencé !

Khroustaliov, ma voiture ! (1997)

:shock:
Et bien, heureusement que j'avais découvert avant Il est difficile d'être un dieu parce que le choc aurait été rude parbleu !
C'est vraiment une œuvre difficile d'accès qui met la patience à rude épreuve, pas tant que le rythme soit lent ou contemplatif, mais parce qu'il est quasi impossible de comprendre l'histoire. Il n'y aurait pas le carton explicatif au début, je n'aurais vraiment rien saisi à l'intrigue. Évidement, le narratif n'est pas ce que recherche Guerman mais j'ai tout de même besoin d'un minimum de scénario au risque de rester sur le bord de la route, d'autant que ça dure 2h20.
Et contrairement à son dernier film, même si ça ne s'était pas fait immédiatement, il n'y a aucun moment où je suis parvenu à décrypter le fonctionnement de la mise en scène, sa démarche (et la justification). Et comme le premier tiers de Khroustaliov, ma voiture ! est pour le moins déroutant, à la limite du chaos hystérique, je comprends tout à fait qu'une dizaine de spectateurs soient sortis de la salle (ça reste très rares à la cinémathèque). De plus, en se situant dans la SF, il est difficile d'être un dieu construit un monde nouveau où les références culturelles n'ont pas de raison d'être (y compris par rapport au livre qu'il adapte).

Car Khroustaliov fait partie de ces œuvres où je sens qu'il me manque un bagage socio-culturel-historique pour saisir une partie de l'essence du film ; notamment pour le quotidien des familles sous la dictature stalinienne (hygiène, promiscuité, déportation politique, antisémitisme, paranoïa, surveillance, éducation)... Le film évoque tellement de choses (jamais frontalement) que j'avais souvent l'impression d'une certaine impuissance à saisir ce qui se passait à l'écran. Surtout donc avec cette forme qui multiplie les personnages, les changements de focalisation, les plans filmés en plan subjectifs, la profusion de caractères et d'informations. Comme si Guerman faisait une fable sans parabole (ou inversement) et une allégorie sans symbole (et réciproquement), porté par les souvenirs nébuleux d'un narrateur alors enfant (pouvant expliquer le style déformé, erratique et éparpillé de la longue introduction)
Pendant donc 40-50 minutes, autant dire qu'on est vraiment égaré, tentant de s'accrocher désespérément à une bouée de sauvetage... tout en profitant tout de même de la maestria et la virtuosité écrasante du cinéaste.

On souffle donc quand le bouillonnement audio-visuel se calme un peu et qu'on commence à suivre (et comprendre) le destin de ce général lorsqu'il se retrouve à devoir faire l'amour à une femme obèse par très encourageante. La narration se fait alors plus traditionnelle (sans être "évidente" ou "limpide"), ce qui permet de partager le sort du héros (dont une scène de viol pour le moins crue et cruel) et de mieux saisir l'ironie des situations, le film ne manquant pas d'un humour très second degré, qui peut aller jusqu'au profane.
Khroustaliov semble parler en effet du divin, des icônes et de leur représentation : les lumières blanches aveuglantes et inquisitrices (provenant soit d'enfant angélique, soit d'orifices devenant plus inquiétant que rassurant), les références bibliques (le poisson ; le vin dans le dernier plan ahurissant), le véritable chemin de croix du héros... et même une (quasi) divinité (Staline réduit à un légume déféquant dans son lit :o ).
Évidement tout celà est à confirmer ou infirmer à une nouvelle vision puisque, par principe, il est impossible d'appréhender un telle œuvre en un seul visionnage.

Guerman parvient à nous perdre, à malmener nos sens, notre perception, notre patience... mais quand les lumières se rallument, le cerveau entre alors pleinement en ébullition et les idées fusent comme des balles de flipper. Et tant mieux si tout le monde joue différemment.
Il nous prend l'envie alors de nous y replonger irrémédiablement. Sans doute pas immédiatement - il y a beaucoup à assimiler - mais le rendez vous est déjà pris pour vérifier si les intuitions seront toujours valides (et complémentaires). Et aussi pour admirer le tour de force de la réalisation, même si elle demeure un cran en dessous de son ultime opus.
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Re: Il est difficile d'être un dieu (Alexei Guerman - 2015)

Message par cinephage »

Concernant Khroustaliov ma voiture ! quelques indications glanées ici et là, auxquelles je souscris, qui vont m'aider à digérer ce film opaque et d'une richesse qui désarme :

Dans le Libé de 1998, Gérard Lefort affirme :
Khroustaliov, ma voiture! est un chef-d'oeuvre de cinéma exactement pour les raisons qui nous avaient fait le négliger. Parce qu'il brosse à l'envers tous les désirs, parce qu'il plonge en effet dans un état de stupeur, proche de la catatonie. Khroustaliov est un film qui nous visite et nous hante, à la manière d'un ange de l'Annonciation tout retourné.
(...)
Empoignades, hurlements, bouffes, baises, larmes, déconnades, crachats dans la gueule, saucisson dans le lit de la mémé, cognac dans le thé, gamines juives dans le placard, bite au cul du général, chiasse de Staline, lama sous la neige, tout est possible, c'est le «bardak», ce bordel qui est une des invectives favorites de la langue russe.
Transe poétique. Mais l'aventure de Khroustaliov, épreuve autant mentale que physique, ne serait pas complète sans la transe poétique qui la saisit. Ne serait-ce que la neige, toute cette neige, sans cesse, dans ce film qu'on ne peut pas imaginer autrement qu'en noir et blanc.
Guerman, cité dans Télérama à propos de Khroustaliov :
Si vous avez la gentillesse, en ayant vu ce que j'ai tourné par le passé, de me considérer comme un bon réalisateur et que ce bon réalisateur est persuadé d'avoir réussi Khroustaliov, ma voiture ! c'est que ce film ne peut pas être totalement mauvais. Aride, oui, peut-être. Irritant. Obscur. Mais ça, c'est un autre problème. L'artiste ne doit pas forcément être compris. Sinon par lui-même. Chuck Norris interprète des films qui sont appréciés par le plus grand nombre. Et alors ? Moi, je dis : "N'allez pas au cinéma comme vous allez au McDo !" Le cinéma est une affaire d'esthétique et de morale. Une façon de regarder la vie, de se faufiler en elle et de se sentir, soudain, en osmose avec elle. Quant à plaire à tout le monde, c'est impossible.
En lien, un texte de Mathieu Guetta qui éclaire certains aspects du film :
http://rubrique-a-briques.blogspot.fr/2 ... texte.html

Ce qui est certain, c'est que le film ne respecte pas les codes narratifs usuel, dérange le spectateur, joue la truculence et la surcharge, mais avec une maitrise de la mise en scène tout aussi atypique. Au final, on doit accepter de ne pas tout comprendre, soit qu'on n'aie pas les références, soit que certains pans du récit restent confus ou opaques, la mise en scène jouant aussi à perturber le récit en passant d'un moment à un autre sans transition ni indication. On sort du film très décontenancé, mais aussi hanté par ce qu'on a vu. C'est vraiment une expérience déroutante (à la sortie, j'ai évoqué Dumont, qui n'a rien à voir formellement avec Guerman, mais qui reste la seule expérience similaire par sa façon de casser les attentes conventionnelles du spectateur que je puisse évoquer).
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Re: Il est difficile d'être un dieu (Alexei Guerman - 2015)

Message par bruce randylan »

Le septième compagnon /le septième satellite (1967 - co-réalisé avec Grigori Aronov)

Après la révolution de 1917, un général de l'armée tsariste est emprisonné à l'intérieur une grande demeure avec d'autres officiers et bourgeois dans l'attente de leur procès qui aboutissent à de nombreuses exécutions et quelques libérations..

Premier film et co-réalisation mais plusieurs éléments sont déjà là, à l'état embryonnaire, notamment une caméra souvent en mouvement, se glissant entre différents personnages, glanant, ci et là, des brides de conversations. Le premier tiers dans la prison dorée fait preuve à ce titre d'une belle assurance technique, doublé d'une gestion habile du cinémascope.

Mais c'est surtout au niveau du scénario que ce film demeure remarquable même si le dégel ayant suivi la mort de Staline avait donné des films plus libres. Sauf que le septième compagnon a l'audace de prendre un héros de l'armée du Tsar et de montrer les révolutionnaires bolcheviques sous un jour peu reluisants (exécutions sommaires, simulacres de procès, égoïsme etc...). Évidement le général au cœur du film se convertira aux idées des communistes mais il n'adoptera pas leurs méthodes. Il se forge une conscience social mais n'est pas socialiste pour autant. Il possède le recul nécessaire pour savoir ce qui est moral ou non. Laisser son grand appartement à une famille nombreuse en fait partie. Abattre un prisonnier ennemi, non.

Cette ambiguïté et cette complexité font aisément dépasser le simple film de propagande pour être une grande oeuvre humaniste d'une profonde dignité qui refuse le manichéisme. On s'émeut d'ailleurs plus souvent des bourgeois que des soldats bolcheviques comme la scène où un militaire apporte une lettre comprenant la liste des prisonniers qui vont être fusillés dans quelques minutes. Rien n'est clairement dit, seulement qu'ils n'ont pas besoin de prendre leurs affaires. Le soldat n'est clairement pas à l'aise mais tente de s'imposer une stature glaciale qui n'est que d'apparence ; quant au général à qui on demande de lire les noms sur le document, il est trop choqué et ému pour énoncer les condamnés à mort et tente de faire croire à des yeux fatigués.
La direction d'acteur, l'art du découpage et du sens de l'espace en font une scène magistrale qui se comprend parfaitement sans dialogue. La conclusion est tout aussi grave avec là encore ce sentiment d'une fatalité inéluctable se traduit par une économie de moyen et une sobriété, pourtant emprunt de lyrisme (le dernier plan est un véritable poème, détournant certains stéréotypes de la propagande : la terre, l'agriculture, le sacrifice héroïque).

Un titre évidement bien plus conventionnel vis à vis du reste de la carrière du cinéaste qui n'est certainement pas à négliger. A l'image de la superbe interprétation de Andrei Popov (d'une présence indéniable), c'est un film touchant, honnête et intègre.
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Re: Il est difficile d'être un dieu (Alexei Guerman - 2015)

Message par bruce randylan »

Et voilà le dernier Guerman qu'il me restait à voir !

Mon ami, Ivan Lapchine (1983)

Un adulte se remémore son enfance à la fin des années 30 quand il vivait avec son père, policier.

Plus que perplexe devant cette oeuvre de transition qui fait clairement la passation entre Vingt jours sans guerre et Khroustaliov, ma voiture !. Le cinéaste cherche à se débarrasser de la narration pour ne garder que des moments creux et des souvenirs anodins (on se remémore pas que des événements marquants après tout) avec une réalisation qui joue le flou avec sa caméra qui est épisodiquement en vue subjective (les autres protagonistes la regardent souvent directement dans les yeux ou furtivement du coin de l'oeil) mais en entretenant le mystère sur l'origine de cette focalisation tandis que le film passe de la couleur, au noir et blanc en passant par le sépia sans que ces changements correspondent à une hiérarchie temporelle ou la personnalisation d'un narrateur.
Le résultat ? Malheureusement une oeuvre imperméable qui laisse très rapidement sur le carreau. Ce qu'on ne nous raconte pas (puisqu'il n'y a pas de narration) ne nous donne aucune raison à nous intéresser au film. Un peu comme si vous trouviez l'album photo d'un inconnu, uniquement constitué de photographies ratés d'événements sans importance à première vue : au bout de quelques pages, on a envie de passer à autre chose... Il y a bien un mince fil conducteur (la vie du policier) mais c'est un fil bien mince.
Et contrairement à Khroustaliov, ma voiture , la mise en scène n'est pas encore assez aboutie et affirmée pour créer ce chaos fascinant et ce tourbillon hypnotique au cœur de ses deux films suivant

Quand on commence VRAIMENT à trouver le temps long, une enquête policière vient aérer enfin un récit qui jusque là n'était enfermé que dans des chambres minuscules et des couloirs étroits. Les plans extérieurs apporte un vrai salut d'autant qu'une "vraie" intrigue s'installe. Mais cette sous-intrigue m'a donné le sentiment d'être un film dans le film, totalement indépendant de la (très longue) première partie.

J'aurais envie de vanter les touches d'humour, les personnages simples ; j'aurais aimé saluer le courage de ce genre d'oeuvre personnelle, originale, intransigeante en marge de toute modes, conventions et formes connues ; j'aurais souhaiter trouver des choses passionnantes dans la forme (il y a en évidement)... Mais non. Ce Ivan Lapchine m'a uniquement ennuyé... Terriblement ennuyé.
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Re: Il est difficile d'être un dieu (Alexei Guerman - 2015)

Message par Chapichapo »

Vu ce matin au cinéma l'Arlequin à 10h40 (seule projection des journées de samedi et dimanche) .
J'attendais beaucoup de ce film tellement j'avais été impressionné il y a une trentaine d'années par la lecture du roman des frères Strougatski.
Certes j'imaginais bien qu'Alexei Guerman allait utiliser le roman comme un tremplin à l'expression de sa fantasmagorie visuelle au détriment du récit, mais il est vrai que si je m'étais gratté l'oreille durant les 4 secondes d'exposition de l'intrigue, je n'aurais absolument rien reconnu de l'oeuvre originale. C'est d'ailleurs fou comme les frères Strougatski peuvent se faire maltraiter au cinéma. Déjà "Pique nique au bord du chemin" que Tarkovski avait adopté sous le titre de "Stalker" avait subi quelques outrages, même si le résultat cinématographique est fascinant. Pour en revenir au film de Guerman, on est plongé durant 3 heures dans un opéra visqueux de merde, de boue, de sang, de viscères, et de crasse épaisse, mais on est à la fois écoeuré et subjugué par la beauté des plans évolutifs, des cadres en devenir , des situations dramatiques et ironiques. Je n'ai jamais eu autant l'impression que si l'enfer existe, il devait ressembler à cette planète Arkana, ou les "raisonneurs" sont noyés dans des latrines, ou les pendus sont oints d'écailles de poissons pour accélérer leur désorbitation , ou les putains sont éventrés par d'énormes phallus en bois…..Malheureusement, cette fascination n' agit qu'un certain temps, et faute d'un minimum d'explicitation scénaristique, l'exercice Boschien tourne à vide. J'avoue avoir été stupidement incapable de démêler les gris des noirs, l'ordre des intellectuels, et n'avoir plus été en mesure que d'étalonner les décamètres de boyaux complaisamment exhibés.
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