Une Vie Cachée (Terrence Malick - 2019)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Phnom&Penh
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Re: Une Vie Cachée (Terrence Malick - 2019)

Message par Phnom&Penh »

Supfiction a écrit : Il y a de belles choses pourtant comme cette peinture presque maurrassienne d'une vie simple et harmonieuse, de la beauté du geste de l'artisan et du paysan, de la communion avec la faune et la flore. Mais l'agacement provoqué par le maniérisme, l'étirement extrême et l'abstraction des dialogues au profit d'une voix off lénifiante gâche ces qualités.
Je n'ai pas encore vu le film mais là, tu dis vraiment des bêtises :)
Je ne suis pas un grand spécialiste de cette littérature américaine, mais il est bien connu que Malick est très inspiré par le "panthéisme" et "l'harmonie de l'homme et de la nature" d'Henry David Thoreau, de Walt Whitman...Je mets entre guillemets parce que, je le répète, je n'ai jamais lu Walden et ainsi de suite, mais c'est quand même assez connu pour ne pas aller chercher des liens avec le conservatisme français. Cela se voit dans la totalité de ses films, notamment The Tree of Life, et surtout To the Wonder, et même Song to Song. Dans ces deux derniers films la dysharmonie entre l'homme et la nature créé la dysharmonie dans le couple, parce que la terre, la nature et l'homme sont en liens.
Dans la littérature française, ce lien peut exister mais n'a rien de ce religieux au sens concret comme au sens large. Rousseau, que tu cites ailleurs, théorise, et la plupart des auteurs qu'on pourrait vaguement rapprocher de ce mouvement américain ne sont pas religieux du tout.

Tant qu'à Charles Maurras, il n'a vraiment rien à voir là-dedans. Ce n'est pas un fils de paysan (je dis ça parce que je suppose que ta référence fait allusion au "La terre, elle, ne ment pas" qui est de Pétain, qui lui, l'était), ça a toujours été un citadin, et il n'est pas vraiment obsédé par la nature, c'est le moins qu'on puisse dire. Certes il aimait la Provence, la langue provençale et Frédéric Mistral...mais on est très très loin de ce qu'évoque Terrence Malick. La simplicité et l'harmonie, la communion avec la faune et la flore...ce n'étaient pas vraiment ses sujets, c'est le moins qu'on puisse dire.

Si j'insiste là-dessus, c'est parce que je trouve que démolir un film en quelques phrases, c'est toujours facile, mais encore faut-il au moins ne pas tout mélanger. On peut très bien ne pas apprécier la vision panthéiste (et dans son cas, évidemment religieuse du monde) de Malick, mais elle est profondément américaine. Elle n'a rien à voir avec le bon sauvage du XVIIIe français, encore moins avec le conservatisme français qui voyait le paysan et sa terre comme notre fondement culturel. Tant qu'à Maurras, qui s'intéressait aussi peu à la nature qu'au cinéma, là franchement, laisse ce pauvre Malick tranquille, je doute qu'il n'en ait jamais lu une ligne.

Si on veut vraiment trouver des racines européennes, Martin Heidegger, peut-être...Mais là je t'avoue que ça me dépasse encore plus que les films de Malick que je vois avec plaisir. Je crois juste savoir qu'il a finit sa vie dans une cabane dans les bois avec sa femme :mrgreen: Et ses liens avec le nazisme, s'ils ont peut-être été exagérés, sont en tout cas moins innocents que ceux du héros d'Une vie cachée. Mais ma connaissance de l'oeuvre du philosophe ne me permet pas d'aller plus loin sur ce sujet.
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Re: Une Vie Cachée (Terrence Malick - 2019)

Message par HarryCoveR »

Flol a écrit :J'ai longtemps été son sosie officiel, en plus.
Tu es plus drôle que lui par contre.
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Mosin-Nagant
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Re: Une Vie Cachée (Terrence Malick - 2019)

Message par Mosin-Nagant »

HarryCoveR a écrit :
Flol a écrit :J'ai longtemps été son sosie officiel, en plus.
Tu es plus drôle que lui par contre.
Oui, peut-être... Mais le chauffe pas trop sur "A Ghost Story", par contre! :mrgreen:
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Re: Une Vie Cachée (Terrence Malick - 2019)

Message par Alexandre Angel »

Phnom&Penh a écrit :Tant qu'à Charles Maurras
Phnom&Penh a écrit : Tant qu'à Maurras
Quant à ta Katie qui t'a quitté... :mrgreen:
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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Phnom&Penh
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Re: Une Vie Cachée (Terrence Malick - 2019)

Message par Phnom&Penh »

Alexandre Angel a écrit :
Phnom&Penh a écrit :Tant qu'à Charles Maurras
Phnom&Penh a écrit : Tant qu'à Maurras
Quant à ta Katie qui t'a quitté... :mrgreen:
Ah, il m'a fallu quelques recherches pour comprendre la blague :)
J'aurai du écrire Quant à...et dans les années 1910, je me serai pris un bon coup de cravache pour cette erreur. Ce qui démontre (on se rattrape comme on peut :mrgreen: ) que Terrence Malick n'a rien à voir avec le conservatisme français.
Mais c'était une bonne leçon, Alexandre, et comme le dit un de nos héros favoris, "La leçon a été profitable, Monsieur". :wink:
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Supfiction
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Re: Une Vie Cachée (Terrence Malick - 2019)

Message par Supfiction »

J’ai dit Maurras mais je pensais Peguy. C’est ma lecture des scènes paysannes presque intemporelles et de la beauté des gestes artisanaux, ce n’est évidemment pas l’intention de Malick l’américain.
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-Kaonashi-
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Re: Une Vie Cachée (Terrence Malick - 2019)

Message par -Kaonashi- »

Supfiction a écrit :J’ai précisé « + nazis », cela veut dire que les nazis sont la nouveauté en l’occurrence.
Ah d'accord. Soit. C'était pas clair du tout.
Supfiction a écrit :Camera à l’épaule et/ou caméra portée ou steadycam, vous avez compris.
Musique lyrique, baroque, religieuse, vous aurez compris.
Ah d'accord. Tu écris un truc, mais il faut comprendre autre chose.
"C'est un travelling avant !" - "Euh non, c'est un travelling arrière..." - "Travelling avant, travelling arrière, vous aurez compris."
"Il est 14h !" - "Euh il est plutôt 11h27 là" - "14h, 11h27, vous aurez compris."

Chouette concept. Ce n'est pas ça d'ailleurs qu'on appelle la mauvaise foi ? :mrgreen:
Supfiction a écrit :En ce qui concerne les motivations précises du personnage, peut-être qu’elles m’ont échappées, qu’elles sont-elles alors ?
Fallait pas t'endormir pendant toute la séance.
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Re: Une Vie Cachée (Terrence Malick - 2019)

Message par Supfiction »

-Kaonashi Yupa- a écrit :
Supfiction a écrit :Camera à l’épaule et/ou caméra portée ou steadycam, vous avez compris.
Musique lyrique, baroque, religieuse, vous aurez compris.
Ah d'accord. Tu écris un truc, mais il faut comprendre autre chose.
...
Chouette concept. Ce n'est pas ça d'ailleurs qu'on appelle la mauvaise foi ? :mrgreen:
C'est toi qui es de mauvaise foi en l’occurrence il me semble en faisant mine de ne pas comprendre. Le maniérisme de Malick est pourtant tellement évident qu'il est parodié. Ses défenseurs diront que c'est un style fort. Le résultat s'est avéré par le passé il est vrai parfois esthétiquement fort (dans Tree of life et dans certaines séquences d'A la merveille). Ici dans une Une Vie Cachée je trouve que c'est souvent esthétiquement médiocre. L'image n'est pas très belle (alors qu'elle est essentielle compte tenu d'un récit extrêmement limité et de dialogues extrêmement réduits) et semble parfois même déformée, l'usage de la caméra mobile (qu'elle soit à l'épaule ou portée comme une steadycam) et de plans serrés me paraît excessif et pas toujours très esthétique.
Quant au montage court au début du film (3 secondes par plans), il s'avère quelque-peu agaçant et en contradiction avec l'étirement narratif extrême. Et comme je le disais, l'incohérence linguistique est en totale contradiction avec le naturalisme et la recherche d'authenticité.

Quant à la musique, je l'ai qualifiée au départ de lyrique, je ne suis pas sûr que ce soit le bon terme.
-Kaonashi Yupa- a écrit :
Supfiction a écrit :En ce qui concerne les motivations précises du personnage, peut-être qu’elles m’ont échappées, qu’elles sont-elles alors ?
Fallait pas t'endormir pendant toute la séance.
Tu as une drôle de manière d'échanger.
Allez, dépasse ce stade du sarcasme facile et donne moi de vrais éléments de réponse pour défendre le film. Je n'ai toujours pas eu de réponse sur la "puissance du récit" et ce "retour à la veine narrative" dont Flol fait allusion (il y a un contexte historique fort mais c'est tout) ni sur "les enjeux moraux" en question. J'ai le souvenir du doute exprimé ("et si c'était nous qui étions dans le camp du mal") mais ça s'arrête là. Compte tenu de la durée du film, Malick avait pourtant l'occasion de les approfondir. Cette durée ne me semble pas justifiée par le récit ou le cheminement psychologique puisqu'il nous est en majorité occulté.
"D'après une histoire vraie" est-il dit. Probablement, mais quelle histoire ? Un paysan qui refuse d'aller combattre et est jugé pour trahison. Je n'appelle pas cela une histoire mais un cas de figure.
Puisque je n'ai toujours pas eu de réponse, je me répète : je ne sais même pas précisément quel a été le cas de conscience de Franz, ce qui a pu le choquer durant son engagement dans la wehrmacht en 1940 pour aboutir à cette décision, si c'est le fait de tuer ou d'envahir des pays ou si c'est plus strictement le rejet de la politique du Reich (et dans ce cas, pourquoi ne pas avoir réagit plus tôt, dès 1933 ? pourquoi avoir accepté de faire la campagne de France ?), du racisme d'état. En 3h, le temps ne manquait pas pour en savoir plus sur la psychologie du héros. Au contraire, les qualités du film sont diluées et l'intérêt pour le personnage réduit par les choix de mise en scène et de montage de Malick.
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Re: Une Vie Cachée (Terrence Malick - 2019)

Message par Mosin-Nagant »

Supfiction a écrit :L'image n'est pas très belle
Je ne trouve absolument pas! C'est même tout le contraire.

Le cadre, la lumière, la mise en scène... bref, tout ça constitue les points forts du film ( et de toute l'œuvre de Malick, en général). Ce film est irrigué par un soin du détail qui n'appartient qu'à son auteur. On est comme touché par la grâce de son regard.
Dernière modification par Mosin-Nagant le 17 déc. 19, 14:17, modifié 2 fois.
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Thaddeus
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Re: Une Vie Cachée (Terrence Malick - 2019)

Message par Thaddeus »

Supfiction a écrit :J’ai précisé « + nazis », cela veut dire que les nazis sont la nouveauté en l’occurrence.
Il y avait déjà des nazis dans La Ligne Rouge, sauf que c'était des nazis chinois.
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Supfiction
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Re: Une Vie Cachée (Terrence Malick - 2019)

Message par Supfiction »

En voilà d'autres qui se sont surement "endormis pendant toute la séance" selon -Kaonashi Yupa- :
Ouest France / Gilles Kerdreux a écrit : Malick reste un virtuose de la caméra. Mais la durée gâche beaucoup le plaisir pour finalement ne pas nous dire grand chose des motivations profondes de cet objecteur de conscience anonyme guidé par la foi.
Cahiers du Cinéma / Cyril Béghin a écrit : La mollesse des débats moraux d’Une vie cachée laisse vite, comme Malick en a pris l’habitude, le sentiment religieux flotter dans les facilités d’un panthéisme de carte postale qui sert de fond au mutisme des personnages.
Je pourrai aussi citer ces avis de rédactions qui illustrent mon propos selon lequel il n'y a aucune "puissance du récit" ou qui évoquent l'abus de steadycam/caméra portée :
Culture box a écrit :La dramaturgie s’efface au profit du contemplatif, coutumier du cinéaste, mais inadapté au regard du sujet.
Les Fiches du Cinéma a écrit :maniérisme pompier
Paris Match a écrit :il utilise aussi jusqu’au trop plein ses longs travellings et contre plongées à la steadycam, dont la fluidité finit parfois par devenir un gimmick.
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El Dadal
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Re: Une Vie Cachée (Terrence Malick - 2019)

Message par El Dadal »

Ah, si j'étais venu vous pourrir le topic du Polanski comme vous vous amusez avec Malick... (dieu sait que j'avais matière à)
David Locke
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Re: Une Vie Cachée (Terrence Malick - 2019)

Message par David Locke »

Pour clarifier l'intention du cinéaste, je vous remets la citation de George Eliot :
for the growing good of the world is partly dependent on unhistoric acts; and that things are not so ill with you and me as they might have been is half owing to the number who lived faithfully a hidden life, and rest in unvisited tombs.
et sa traduction (par mes soins...) :
car le progrès en ce monde dépend en partie d'actes ignorés dans les livres d'histoire, et si les choses ne sont pas aussi affreuses qu'elles auraient pu l'être entre vous et moi, nous le devons pour moitié à ceux qui ont vécu fidèlement leur vie cachée et reposent dans leurs tombes anonymes.
Avec cette perspective, et sans avoir vu le film, il me semble évident que Malick a souhaité rendre hommage aux actes dont il est question sans déflorer leur nature profonde d'actes intimes, inconnaissables du public. Il ne s'agit pas de faire rentrer ces actes dans les livres d'histoire, dans un parcours intellectuel ou psychologique traçable, mais de rendre compte de leur existence et de leur impact sur nos vies.
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Re: Une Vie Cachée (Terrence Malick - 2019)

Message par Flol »

El Dadal a écrit :Ah, si j'étais venu vous pourrir le topic du Polanski comme vous vous amusez avec Malick... (dieu sait que j'avais matière à)
Tu m'étonnes.
Et l'autre qui croit que je vais venir lui expliquer ce que de toute façon il n'a pas envie de comprendre...
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Re: Une Vie Cachée (Terrence Malick - 2019)

Message par Watkinssien »

Malick divise, quoi!

Y a rien de nouveau sous le soleil. :mrgreen:

Pour ma part, plusieurs jours après la séance, l'impact émotionnel du film demeure. Mais pas la marque indélébile de l'oeuvre majeure qui m'a quasiment terrassé de Badlands jusqu'à La ligne rouge, en passant par The Tree of Life.

Reste que le film a dégagé quelque chose de prenant, un sens de la narration n'appartenant qu'à son auteur, mais propice à un petit plus d'accessibilité. Avec deux acteurs principaux merveilleux, que Malick filme avec un amour immodéré. Quelques longueurs néanmoins dans la première moitié, que je ne ressentais aucunement dans les films précédemment cités. Mais c'est un joli film dans son ensemble, fragile, mais assurément poétique.
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Mother, I miss you :(
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