On parle rarement du son alors qu'il représente 50% d'un film. Dans l'ancien monde, en sortant d'une salle de cinéma (une grande salle dans laquelle on projetait des films avant qu'arrive Netflix et un virus, but it's not important right now), on disait généralement que les images étaient formidables, ou moches, mais plus rarement qu'on trouvait le son réussi. En revanche on en parle s'il est mal fait, épouvantable. Autrement dit, le son, on le remarque surtout quand il est raté, et c'est peut-être un peu dommage, car derrière un son qu'on ne remarque pas (un très bon son, donc), il y a souvent un sacré boulot...
Les cinéastes évoquant les coulisses de ce sujet sont assez rares, et le premier qui me vient c'est celui-ci :
- William Friedkin, Friedkin Connection, chapitre "Le Diable dans les détails", sur la création de la bande-son de L'Exorciste :
«Jack [Nitzche] avait un grand talent en ce qui concernait les bandes-sonores et la musique, et il avait une approche directe de la production. Les sons qu'on entend au début du film, pendant le générique, sont une série d'accords doux et abstraits que Jack a créés simplement en frottant le bord d'un verre à vin.
Pendant une session d'enregistrement, sa petite amie s'était endormie sur le ventre sur un canapé. Il a placé un microphone sur le sol, à côté d'elle, et a ensuite pris son élan de l'autre bout de la pièce, couru et atterri sur son dos, les deux genoux en avant. Le cri de stupeur de sa petite amie est le son dont nous nous sommes servis pour le moment où Regan vomit sur le père Karras.»
- Friedkin, suite :
«Nous avons réenregistré les mouvements des acteurs, un procédé appelé "Foley", d'après le nom de son créateur, pendant lequel des "acteurs son" marchent et se meuvent, se saisissent d'objets, ouvrent et ferment des portes, en synchronisation avec ce qui se passe à l'écran. La piste Foley remplace ou bien vient renforcer ce que font les acteurs sur l'écran, ce qui fait que les dialogues et les effets sonores sont entendus avec clarté, sans bruits superflus. On utilise également cette technique pour les versions étrangères d'un film, de façon à ce que, quand il est doublé dans une autre langue, seule la piste des dialogues en anglais a besoin d'être remplacée.
Avant de commencer le mixage, j'avais vu deux films d'un réalisateur polonais-mexicain [franco-chilien en fait], Alejandro Jodorowsky, qui étaient deux films outrageusement géniaux. L'un s'intitulait El Topo, l'autre La Montagne sacrée, et les bandes-son étaient extraordinaires. Elles avaient été créées par Gonzalo Gavira, qui vivait au Mexique, ne parlait pas un mot d'anglais mais avait un cousin qui vivait à Los Angeles et a pu nous mettre en contact avec lui. Un jour, señor Gavira, un homme d'âge moyen et de petite taille, qui portait une chemise de coton blanc et un pantalon noir brillant mais pas de chaussures, est arrivé au studio de mixage avec son cousin. Nous lui avons montré le film et son cousin a murmuré une traduction des dialogues tout au long de la porjection. Lorsque les lumières se sont rallumées, il a dit en espagnol: "Je suis prêt."
Habituellement, plusieurs mois étaient nécessaires pour que les techniciens chargés des effets sonores constituent une bande-son. J'ai demandé au señor Gavira de quel équipement il avait besoin. Son unique requête a été un vieux portefeuille au cuir craquelé qui contenait des cartes de crédit. Après avoir placé le portefeuille près d'un microphone, il le plia et le tordit, et cela devint le bruit des os du cou qui craquent au moment où la tête du démon fait un tour complet sur elle-même. Gavira resta dans le studio pendant à peu près quatre heures, créa plusieurs effets essentiels au film en se servant seulement de son corps, puis repartit chez lui, dans sa petite ville de la périphérie de Mexico City.
En tout, le mixage a duré trois mois, six jours par semaine. La voix du démon enregistrée par Mercedes McCambridge a été mélangée à des bruits d'animaux et à une cassette audio que m'avait fait envoyer le père Bermingham et qui contenait un véritable exorcisme enregistré en latin au Vatican. L'intensité des hurlements et des gémissements de McCambridge a été rehaussée par les terrifiants cris suraigus de l'enfant sur la cassette du Vatican.»
Y a-t-il des films en particulier dont le travail sur le son vous a marqué ?