Bigas Luna (1946-2013)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Profondo Rosso
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Bigas Luna (1946-2013)

Message par Profondo Rosso »

Après cet échange avec Cinefil autour du réalisateur et du cinéma espagnol des 80'/90's envie de créer un topic sur Bigas Lunas pour discuter de l'oeuvre du réalisateur !
De son vrai nom Juan José Bigas Luna, le cinéaste, né en 1946 à Barcelone, débute sa carrière dans le milieu de l'art, de la peinture et du design avant de s'orienter vers le cinéma avec des films provocants comme Tatouage, Caniche et Bilbao.

Réalisateur globe-trotter, il tourne ensuite aux Etats-Unis (Reborn, Lola et surtout Angoisse, primé dans plusieurs festivals fantastiques) avant de revenir en Espagne où il signe Les vies de Loulou, dans lequel il offre son premier rôle à un jeune Javier Bardem. Il retrouve dans la foulée l'acteur sur sa trilogie "Retratos Ibéricos", composée de Jambon, Jambon (1992), Macho (1993) et La Lune et le Téton (1994, Prix du Scénario à la Mostra de Venise). Jambon, Jambon, resté comme l'un des films de Bigas Luna plébiscités par le public... et comme le premier rôle d'une autre future étoile du cinéma espagnol (et international) : Penélope Cruz.

Le réalisateur passe ensuite par Rome (Bámbola), Paris (La femme de chambre du Titanic avec Olivier Martinez et Romane Bohringer, salué par un Goya du Meilleur scénario) ou Miami (Di Di Hollywood), sans jamais oublier sa terre natale avec des films comme Volavérunt (qui marque ses retrouvailles avec Penélope Cruz) et Son de mar. Il s'essaie parallèlement au théâtre (Comedias Bárbaras) et signe les animations du pavillon espagnol à l'Exposition Universelle de Shanghaï. Malgré la maladie, Bigas Luna travaillait au moment de sa disparition sur un nouveau projet de film, Segundo origen adapté du roman de Manuel de Pedroloet.
https://www.allocine.fr/personne/fichep ... iographie/
Filmographie

1978 : Tatuaje
1978 : Bilbao
1979 : Caniche
1981 : Reborn
1985 : Kiu i els seus amics (série télévisée)
1986 : Lola
1987 : Angoisse (Angustia)
1990 : Les Vies de Loulou (Las edades de Lulú)
1992 : Jambon, jambon (Jamón, jamón)
1993 : Macho (Huevos de oro)
1994 : La Lune et le Téton (La teta y la luna)
1995 : Lumière et Compagnie (film omnibus), un segment
1996 : Bámbola
1997 : La Femme de chambre du Titanic
1999 : Volavérunt
2001 : Son de mar
2006 : Yo soy la Juani
2010 : Di Di Hollywood
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bigas_Luna
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Re: Bigas Lunas (1946-2013)

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Survol sur ceux que j'ai vu

Angoisse (1987)

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John Pressman est un ophtalmologue qui perd peu à peu la vue, mal considéré. Sous l'emprise de sa mère possessive, et sous l'influence d'images terrifiantes, il se venge en égorgeant ses victimes et en leur arrachant les yeux.

L’idée d’Angoisse vient à Bigas Luna suite à la réflexion d’un de ses amis philosophe à propos de Fenêtre sur cour d’Alfred Hitchcock. Il lui signale la double mise en abyme du film, avec le spectateur venu observer et réagir sur le destin d’un personnage qui fait de même sur « l’image » que lui propose son voisinage. Cette perspective stimule l’imagination de Bigas Luna, très intéressé par l’effet miroir de ce que projette le spectateur dans ce qu’il voit à l’écran et inversement. Il rédige donc le scénario d’Angoisse et s’installe aux Etats-Unis, pensant que l’idée pourrait intéresser des producteurs américains. Au bout de quatre ans de recherches infructueuses de financement, c’est à travers la rencontre d’un producteur espagnol que le projet pourra se concrétiser. L’ancrage américain demeure cependant avec un tournage en anglais et une ruelle de Los Angeles sera reconstituée à Barcelone. Le début du film nous plonge dans une ambiance cauchemardesque, à la fois surprenante et familière pour l’amateur de thriller. Nous y suivons John Pressman (Michael Lerner), vieux garçon complexé vivant avec sa mère (Zelda Rubinstein). Leur relation repose sur une infantilité malsaine, lorgnant sur l’inceste, mais aussi une connexion quasiment télépathique. Dès lors les maux rencontrés par John dans son métier d’infirmier n’ont pas de secret pour sa mère, qui le téléguide par l’hypnose pour sauvagement assassiner les clients qui l’ont malmené. Le réalisateur déploie une atmosphère grotesque, inquiétante et claustrophobe nous plongeant dans l’espace mental de John, qui explose dans les débordements sanglants des meurtres où s’illustre (de façon fort macabre) le motif obsessionnel de l’œil.

A ce stade, on pense se trouver en terrain connu avec cette relation mère-fils tordue qui nous emmène sur les rives de Psychose et autre Carrie. Et là c’est le choc avec une mise en abyme nous emmenant dans une salle de cinéma où divers spectateurs regardent le même film que nous ! Bigas Luna observe d’abord les réactions triviales face aux scènes horrifiques (le duo d’adolescentes terrfifiée pour l’une, amusée pour l’autre) puis les vraies de certains agissements comme l’hypnose qui éveillent ou ravivent les névroses et instincts meurtrier des spectateurs. On se retrouve alors avec un triple effet miroir, John ayant échappé à l’emprise de sa mère qui fait un carnage dans une salle de cinéma, le spectateur du film dans le film qui vit la même situation et nous-même scrutant peut-être anxieusement les sièges arrière si l’on visionne cela en salle (l’effet étant sans doute encore plus efficace à l’époque). La terreur est en tout cas complète quels que soient les niveaux de lecture. Dans la « fiction », c’est une folie baroque baignant dans les éclairages rougeoyants de Josep M. Civit lorgnant sur le giallo, des cadrages chaotiques et la stylisation macabre des mises à mort. Dans le « réel » c’est la psychose, la sueur froide et la mort qui frappe de manière subite et inattendue dans un traitement plus clinique (le blanc immaculé des toilettes. Cette différence se traduit par les armes différentes des deux tueurs, celui de « fiction » usant d’une arme blanche et celui du réel d’un pistolet silencieux. C’est à la fois effrayant et fascinant dans les différentes échelles de mise en abyme employé par Bigas Luna. La plus immédiate repose sur le montage avec les réminiscences dramatiques et visuelles des deux situations. La plus folle voit les actions d’un niveau de réalité agir sur l’autre, dans une totale absence de logique qui accentue la confusion.

Ainsi un coup de feu dans le réel trouve son impact dans la fiction (que l’on a identifié grâce à la photo différente). Le réalisateur façonne même une sorte d’installation d’art contemporain pour visualiser dans une même image cet effet miroir quand les deux meurtriers tiennent un otage dans une posture (et position dans l’espace de la salle de cinéma face à l’écran) similaire. Enfin la perception se tord dans une dimension psychanalytique et méta, quand une spectatrice traumatisée est interpellée par le tueur de fiction et se croit agressée par lui. Le réalisateur maintient cette perte de repère en rendant visible une blessure imaginaire, puis dans un épilogue ludique. Une grande réussite qui rejoint avec brio les expérimentations d’alors sur le même sujet que le Body Double (1984) de Brian De Palma. 5/6

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Re: Bigas Lunas (1946-2013)

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Les Vies de Loulou (1990)

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Lulú qui a quinze ans est séduite par Pablo, le meilleur ami de son frère Marcelo, qui part travailler aux États-Unis. Lulú espère depuis des années que Pablo va revenir dans sa vie. Lorsqu'il revient, il lui fait sa demande en mariage. Pablo et Lulú ont une relation passionnée, développant un goût pour les jeux sexuels.

Les Vies de Loulou voit Bigas Lunas adapter le roman éponyme de Almudena Grandes. Publié en 1989 et auréolé d'un immense succès, il s'agit d'un des livres emblématiques de la Movida dans une observation de la libération des mœurs de l'après franquisme. Bigas Luna s'attaque donc au best-seller dans la foulée de sa récente publication et le film est l'occasion de déployer l'imagerie érotique que fera le sel de sa « trilogie ibérique » avec Jambon, jambon (1992), Macho (1993) et La Lune et le Téton (1994).

Le film suit le parcours initiatique et sexuel de Lulu (Francesca Neri). Bigas Luna par des éléments divers (la réminiscence de son jeu avec un élastique, l'ouverture sur sa chambre d'enfants et ses pérégrinations en roller) la candeur de son héroïne, qu'il contraste avec le désir et les premiers émois sexuels naissants lorsque nous la découvrons adolescente. Cet attrait se concentre sur Pablo (Óscar Ladoire), le meilleur ami de son frère Marcelo (Fernando Guillén Cuervo) dont elle est amoureuse. Ayant trouvé une opportunité de sortir seule avec lui, la jeune fille est brutalement confrontée au désir masculin. L'ambiguïté qui traversera tout le film se manifeste là d'emblée. Pablo se montre lourdement insistant avec l'adolescente, la mettant mal à l'aise par ses attouchements et la forçant presque à lui faire une fellation. Honteuse de s'être montré si timorée, Lulu refuse de rentrer chez elle et la soirée se poursuit, Pablo se montrant alors un amant bien plus patient et prévenant, désinhibant Lulu par une discussion sincère sur ses désirs et ne la prenant qu'une fois confiante et consentante. Il se dégage néanmoins tout un parfum de manipulation et de domination masculine dans ce qui reste une union entre un jeune adulte et une adolescente (même si la question était moins sensible à l'époque du livre et du film). Lulu grandit et se languit de Pablo parti étudier aux Etats-Unis et à son retour la nature ambiguë de leur relation reprend. L'amour s'exprime toujours par cette manifestation de la domination masculine, ici symbolisée par la pratique sexuelle que Pablo va imposer à Lulu pour leurs retrouvailles.

Une fois mariés, les jeux amoureux de Lulu et Pablo les emmènent vers des pratiques de plus en plus libres. Mais désormais Lulu est une adulte libre de ses désirs, notamment sa curiosité pour le monde queer et les transsexuels sillonnant les rues madrilènes la nuit venue. Elle va ainsi nouer une amitié avec Ely (María Barranco) et le temps d'une partie à trois, Bigas Luna montre brillamment comment cet éveil de Lulu est éteint pour revenir aux seules attentes sexuelles de son mari. La scène démarre réellement à trois dans le filmage et le langage corporels des amants avant que Ely en soit progressivement exclue pour laisser le couple (et en réalité l'homme) se satisfaire. On observe le dépit de la femme trans mise sur le côté dans une scène cette détresse est au premier plan plutôt que facette sensuelle. C'est donc l'escalade où ce désir masculin prend un tour monstrueux le temps d'une scène choc où un vrai tabou et franchi et voit la séparation du couple. Libre de suivre ses seules attentes désormais, Lulu explore le fantasme d'abord à travers la pornographie puis la pratique de coucher avec des hommes gay. Toute l'imagerie des communautés queer pittoresques et interlopes popularisés par un Pedro Almodovar est revisité ici sous un jour plus ambigu. Les scènes de sexe sont dans l'ensemble incroyablement crue, Bigas Luna poussant les curseurs le plus loin qu'il peut dans un film de cinéma traditionnel. Francesca Neri va très loin dans l'exposition et l'abandon physique avec un courage qui refroidit pas mal d'autres candidates au rôle effrayé par l'approche explicite de Bigas Lunas (comme Ángela Molina initialement envisagée). Si le personnage de Ely représente un aspect bienveillant de ce monde libertin, toutes les atmosphères et l'esthétique des environnements queer font basculer le film dans le baroque et l'excès du giallo. Sans crier gare nous nous trouvons dans un vrai film d'horreur oppressant et inquiétant où en croyant se libérer, Lulu est de nouveau prisonnière du désir masculin - l'occasion de croiser un Javier Bardem débutant et génialement odieux et menaçant. Ce n'est plus une question d'orientation sexuelle mais tout simplement d'exploitation, les mœurs libres de la Movida devenant une matière à nourrir le capitalisme le plus inhumain.

Le problème réside dans la position discutable de Bigas Luna. Le réalisateur a l'habitude de se montrer étrangement moralisateur sous les vrais excès et audaces de ses films, comme Angoisse (1987), merveille de film d'horreur expérimental mais dont le but était d'en dénoncer la violence. Donc ici l'aspect progressiste est contrasté par cette facette monstrueuse associée au monde de la nuit et surtout la conclusion où une Lulu contrite retourne auprès de son époux (qui ne vaut pourtant guère mieux que les autres comme on l'a vu). De plus l'aspect sociétal est trop diffus, la bascule des époques ne se ressent que furtivement par les tenues (les allures d'adolescente sage de Lulu durant la bascule franquisme/Movida) et les décors mais Bigas Luna ne réussit pas autant qu'il le fera dans Jambon, jambon à transmettre la force d'un contexte et d'un lieu géographique comme vecteur d'émotion. 4,5/6

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Re: Bigas Lunas (1946-2013)

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Jambon, Jambon (1992)

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Le jambon est l'emblème de l'Espagne et lorsqu'une femme est sensuelle et appétissante on dit d'elle, qu'elle est "jamona". Silvia, fille "jamona", attend un enfant de Jose Luis. La mère de Jose Luis, Conchita, déteste la mere de Sylvia, Carmen. Elle paie Raul, magasinier dans une usine de jambons, pour qu'il séduise Silvia.

Jambon, jambon inaugure au sein de l’œuvre de Bigas Luna la « trilogie ibérique », soit une série de films où il se livre par l’allégorie à une recension et déformation des emblèmes de la culture espagnole. Dans Jambon, jambon, cela relèvera d’une association entre le sexe et la nourriture, la faim et le désir, et par extension les extrémités où cela pousse les individus. Le scénario pose initialement des clivages sociaux ou encore des repères moraux qui sont amenés à imploser sous la fièvre des sens. Le cadre même du film (tourné dans la région de Saragosse), ce no man’s land désertique où le seul contact avec la civilisation est cette autoroute où défilent les camions, impose déjà une sorte de bulle sauvage hors du temps et des conventions. Au départ c’est donc la seule différence de classe qui semble freiner les amours de Jose Luis (Jordi Mollà), fils de bonne famille et Silvia (Penelope Cruz), jeune femme de modeste condition et désormais enceinte. C’est la raison apparente de l’opposition à leur union pour Conchita (Stefania Sandrelli) mère de Jose Luis, mais tout cela prend rapidement un tour plus confus. Les notions de rassasiement et de sexe se confondent dès le départ avec cette scène où Jose Luis dévore goulûment les seins de Silvia qui lui en demande le goût, ce à quoi il ne sait que répondre – ce qu’un rival saura faire en y voyant la saveur d'une omelette pour l'un et de jambon pour l'autre. Conchita va engager Raoul (Javier Bardem) pour séduire Silvia et l’éloigner ainsi de son fils, grâce au souvenir de ses attributs masculins imposants lors d’une séance photo pour des slips.

Sans en dire trop sur la suite de l’intrigue, toutes les résolutions et choix des personnages vont constamment être balayés à l’aune de ce faim insatiable de l’autre. Les archétypes que représentent chacun ne dérangent pas tant l’instinct et le désir primitif domine chacun de leurs agissements. Raoul est un cliché machiste ne vivant que pour entretenir et mettre à l’épreuve sa virilité si fièrement exhibée (on ne compte plus les gros plans sur la protubérance constante de son pantalon au niveau de l’entrejambe), que ce soit en défiant nu un taureau ou en séduisant de façon pressante Silvia. Cette dernière pourtant amoureuse transie de son José Luis commence à vaciller lorsqu’elle se trouvera par incident face à un Raoul nu, l’instinct primaire guidant les sentiments, et la virilité de Raoul surpassant l’irrésolu et fragile José Luis. Cette inconstance va s’étendre à tous les protagonistes, Bigas Luna travaillant cela de manière onirique (la scène de rêve de Silvia qui révèle des désirs non exprimés), frontale dans ses scènes de sexe ou encore trouble par une fièvre qui concerne autant les parents (Stefania sandrelli bien sûr mais aussi la mère de Silvia jouée par Anna Galiena au passé sulfureux, le père taiseux (Juan Diego) mais tout aussi esclave de ses sens) que les enfants, les garants de l’autorité/sagesse que les immatures. Malgré quelques effets (ralentis ou fondus enchaînés très marqués début 90’s), Bigas Luna pose une atmosphère moite hors de toute notion morale ou même logique. Les personnages sont sincères dans chacune des interactions, des regards de braise et des étreintes auxquels ils se livrent tout au long du récit, mais jamais à travers une exclusivité ou retenue telle que l’exigeraient des rapports soumis au règles de la civilisation.

Du coup l’insulte, le compliment et la séduction se confondent même dans le champ sémantique nourricier. Silvia traite Raoul de cochon tout en rêvant de se traîner dans la fange avec lui, ce dernier l’appelle jambon (une femme espagnole sensuelle pouvant être appelée jamona), viande dont il se goinfre avant de pouvoir se nourrir d’elle. On est insatiable du corps de l’autre lorsqu’il s’offre à nous, ou affamé et frisant la démence quand il s’y refuse, le « jambon » nous abreuvant ou servant en dernier ressort d’arme de combat pour régler ses comptes lors du final. La conclusion et particulièrement la dernier image redistribuant toutes les unions achève magnifiquement cette perte de repères constante que constitue Jambon, jambon - à ce titre bien lire l'intitulé attribué à chaque personnage lors du générique de fin. Penelope Cruz pour son premier rôle majeur (repérée à 14 ans par Bigas Luna qui l'a laissée grandir avant de l'inclure à son univers provocant) crève l'écran et témoigne déjà d'une belle complicité avec Javier Bardem. 5/6

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Re: Bigas Lunas (1946-2013)

Message par Profondo Rosso »

Et on fini avec le visionnage du jour la suite plus tard !

Macho (1993)

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Un jeune homme, Benito González, sorti du service militaire, travaille comme ouvrier en maçonnerie à Melilla. Abandonné par sa fiancée, il rentre en Espagne et décide de se lancer, sans argent mais doté d'une ambition à toute épreuve, dans la spéculation immobilière. Séducteur et grand amateur de femmes, Benito use entre autres de ses capacités sexuelles pour atteindre ses buts ; il réussit à épouser la fille d'un riche banquier qui finance ses projets.

Huevos de oro (littéralement les couilles en or) est le second volet de la trilogie ibérique de Bigas Luna. Le réalisateur en ayant l'observation d'une sexualité crue comme fil rouge, s'y attache à observer et exacerber les grands motifs de la culture espagnole. Dans l'inaugural Jambon, jambon (1992), le récit tournait autour du rapport à la nourriture associé à l'appétit sexuel et par extension les formes généreuses de l'héroïne incarnée par Penelope Cruz. Film fiévreux, torride et romantique, Jambon, jambon trouve son exact inverse dans ce second film où Bigas Luna questionne cette fois le machisme et plus spécifiquement sa facette ibérique. Dans la première partie, le machisme du héros Benito (Javier Bardem) se rapproche encore de l'approche de Jambon, jambon, dans une idée de possession de son premier amour Rita (Élisa Tovati) par une pure notion sensorielle de désir animal. Jeune militaire en fin de service, Benito s'amourache à Melilla (ville autonome espagnole située sur la côte nord de l'Afrique, en face de la péninsule Ibérique et formant une enclave dans le territoire marocain) où il fait ses classes d'une locale et ses sentiments profonds pour elle se manifeste donc par des éléments sensitifs : constamment la toucher, la sentir, la voir, ne jamais se tenir trop longtemps éloignée d'elle. Bigas Luna associe cette dimension du machisme à quelque chose de primaire, de régressif, d'une certaine beauté sauvage et romantique à travers l'aura prolétaire et virile de Javier Bardem. Le ver est pourtant déjà dans le fruit lorsque Benito se confie quant à ses rêves assez basiques de réussites matérielle. Trahi par ce premier amour, Benito rentre en Espagne et perd donc la candeur romantique associé à "l'ailleurs" pour faire muer son machisme sur une pure notion de richesse et de bling bling capitaliste en se lançant dans l'industrie immobilière.

Bigas Luna construit une figure monstrueuse à la Scarface pour illustrer l'étape ultime de ce machisme latin ibérique. Costume criard, montre rolex tape à l'œil et attitudes frimeuse exacerbée, Benito est dans l'outrance sur le chemin de la réussite et encore plus lorsqu'il aura atteint son objectif. Cette infamie a quelque chose de dangereux et séducteur qui lui permet d'user des femmes à sa guise pour réussir, envoyant la malheureuse Claudia (Maribel Verdú) séduire ses clients potentiels, ou épousant la fragile Marta (Maria de Medeiros) par intérêt pour avoir les faveurs de son père banquier. Le machisme s'associait à quelque chose d'instinctif où cette animalité était un plaisir partagé dans la première partie, et il ne devient plus qu'un élément de soumission dans la seconde. Benito est beau, viril et un amant rugueux faisant fondre les femmes qui lui pardonnent ainsi les pires écarts. La volonté de possession matérielle s'associe désormais aussi à celle de possession charnelle, mentale, Benito cherchant désormais à avoir une totale emprise sur ses amantes. Ainsi alors que sa goujaterie conduit à une situation inattendue (son amante Claudia et son épouse Marta nouant une relation amicale puis sexuelle voire amoureuse), il se sent perdre la main et préfère tout faire voler en éclat. Il doit être le seul que l'on regarde, que l'on aime et désire. Bigas Luna déploie un mauvais goût assumé de tous les instants pour nous associer à la vision étriquée de son personnage. Benito se palpe l'entrejambe à tout instant à déclamant des dialogues virilistes surréalistes et hilarant. Arborant une Rolex en or à chaque poignée et observant de loin ses deux femmes il sortira ainsi un mémorable Je possède tout par deux, comme mes couilles !

Bigas Luna avec cet arrière-plan de spéculation immobilière s'inspire bien sûr de tous les nouveaux riches pullulant à l'époque en Espagne et moque leur bêtise, inculture et mauvais goût. Benito même dans ses maladroites recherches de supposé raffinement recherche ainsi les œuvres d'arts les plus criardes dans son intérieur, l'important étant qu'elles soient visibles. On retrouve les motifs de la première partie mais où ce machisme associe tout à la notion d'objet dont il faut s'emparer, dans lequel il faut se vautrer et surtout arborer. Le côté sensitif initial ressurgit mais désormais dévoyé, les scènes de sexe perdent de leur crudité sensuelle pour figurer Benito tel un ogre qui dévore et dépèce ses conquêtes par ses baisers et mains baladeuses. Les buildings qu'ils aspirent à construire sont évidemment associés à des phallus se dressant dans le ciel, la richesse et la puissance sexuelle étant étroitement associée. Javier Bardem est tout simplement extraordinaire dans cette troisième collaboration avec Bigas Luna, et parvient en dépit de ses travers à rendre in fine son personnage touchant.

Les sentiments et l'idée de territoire sont profondément liés chez Bigas Luna. Dans le film, chaque bascule du personnage est associée à un cadre géographique. La perte d'innocence à Melilla, l'ascension en Espagne, et la déchéance se fera dans un territoire encore plus carnassier que la nature profonde de Benito. Notre héros émigre dans le pays et surtout LA ville du tape à l'œil pour le nouveau riche de mauvais goût, les Etats-Unis et la ville de Miami. Il va alors tomber sur une Ana (Raquel Bianca), incarnation de la vulgarité qui va s'avérer plus machiste que lui. Elle lui renvoie son fétichisme à la figure quand il lui demande son poids (la femme parfaite devant avoir un poids idéal auquel se soumettent ses conquêtes jusqu'ici, le générique en jouant d'ailleurs en donnant le poids de chaque personnage), l'exploite matériellement et le trompe sans complexe. Avec une ironie mordante, Bigas Luna offre une scène miroir avec une scène sexuelle de "partie à trois" que subit désormais Benito, voyant un amant plus jeune et vigoureux satisfaire sa compagne. La détresse finale de Benito le renvoie finalement à sa vulnérabilité du début, la virilité tendre tout comme son pendant brutal et superficiel le renvoyant à une même solitude. 5/6

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Re: Bigas Luna (1946-2013)

Message par Profondo Rosso »

Joli bide :mrgreen:
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Re: Bigas Luna (1946-2013)

Message par cinéfile »

T'inquiète je dépose un ptit message bientôt 😉
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Re: Bigas Luna (1946-2013)

Message par Joshua Baskin »

Ca se voit légalement quelque part ?
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Re: Bigas Luna (1946-2013)

Message par Profondo Rosso »

Joshua Baskin a écrit : 19 janv. 22, 21:09 Ca se voit légalement quelque part ?
Angoisse existe en BR français, et Jambon, jambon en dvd français. Les autres films dont j'ai parlé existent pour les non hispanophones en dvd anglais VOSTA.
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Re: Bigas Luna (1946-2013)

Message par Joshua Baskin »

merci !
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Re: Bigas Luna (1946-2013)

Message par primus »

Très bon souvenir de Macho qui sent fort le cul avec ses dépendances, ses décheances et que j'aimerais avoir en bluray comme Romeo is bleeding.
Demi-Lune a écrit : 14 oct. 21, 15:27Ah par contre je suis affirmatif, monfilm = primus.
Je suis également Julien, Soleilvert, Nicolas Brulebois, Riqueunee, Boris le hachoir, Francis Moury, Yap, Bob Harris, Sergius Karamzin ... et tous les "invités" pas assez bien pour vous 8)
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Re: Bigas Luna (1946-2013)

Message par Telmo »

Profondo Rosso a écrit : 19 janv. 22, 20:26 Joli bide :mrgreen:
J'attends la chronique de Bambola en fait pour la sculpturale Valeria Marini . :uhuh:

Bigas Luna eut droit à des sorties en France avec des VF catastrophiques, cf. "migouel" pour faire espagnol, ce qui était un problème quand on avait pas accès à la V.O à l'époque. Inécoutable, hier comme aujourd'hui
Dernière modification par Telmo le 20 janv. 22, 14:53, modifié 1 fois.
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Re: Bigas Luna (1946-2013)

Message par cinéfile »

Telmo a écrit : 20 janv. 22, 14:09 cf. "migouel" pour faire espagnol
Oh l'horreur...


A noter que Huevos de Oro, Jámon Jámon et La Teta y la luna sont aussi dispos avec STA sur la plateforme VOD espagnole FlixOlé (dont je parlais l'autre jour) :
https://ver.flixole.com/search?q=bigas%20luna

L'abonnement mensuel est à 2,99€ (résiliable à tout moment) donc super intéressant pour regarder juste un film ou deux et résilier tout de suite après. Comme promis, je posterai bientôt la liste des 150 films bénéficiant de STA.

Il faut que je revoie Angoisse.

Je conseille encore une fois Bilbao (je le verrais bien en sortie chez Le Chat qui Fume par exemple).

J'ai mis Lola(1986) en tête de ma liste de visionnage.
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Re: Bigas Luna (1946-2013)

Message par Profondo Rosso »

Telmo a écrit : 20 janv. 22, 14:09
Profondo Rosso a écrit : 19 janv. 22, 20:26 Joli bide :mrgreen:
J'attends la chronique de Bambola en fait pour la sculpturale Valeria Marini . :uhuh:
Le prochain que je chronique sera La lune et le téton mais je note celui-là en plus je vois qu'un dvd français existe :mrgreen: De toute façon de ce côté là on est gâté dans tous les films de Bigas luna :lol:
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Re: Bigas Luna (1946-2013)

Message par Telmo »

Profondo Rosso a écrit : 20 janv. 22, 14:50
Telmo a écrit : 20 janv. 22, 14:09

J'attends la chronique de Bambola en fait pour la sculpturale Valeria Marini . :uhuh:
Le prochain que je chronique sera La lune et le téton mais je note celui-là en plus je vois qu'un dvd français existe :mrgreen: De toute façon de ce côté là on est gâté dans tous les films de Bigas luna :lol:
Attention
Spoiler (cliquez pour afficher)
il eut droit aux honneurs de Nanarland, par le chroniqueur préféré de Torrente.
Répondre