Gilles Grangier (1911-1996)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Jeremy Fox
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Gilles Grangier (1911-1996)

Message par Jeremy Fox »

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Le Sang à la tête – 1956

Ayant débuté sa carrière comme simple manutentionnaire sur le port de la Rochelle, François Cardinaud (Jean Gabin) est devenu au fil des années et à force de travail l’armateur le plus puissant de la région. Il a pris pour épouse Marthe (Monique Mélinand), issue d’un milieu très pauvre. Derrière l’hypocrisie à son égard au vu de son enviable situation, Cardinaud n’est en fait apprécié de personne : ni par les notables de la ville qui à cause de ses origines ne le reconnaissent pas comme faisant partie de leur bonne société rochelaise et qui le méprisent en cachette ; ni par ses anciens collègues qui lui vouent une jalousie et une rancœur qui éclatent au grand jour lorsque l’on apprend que madame Cardinaud a quitté la maison familiale pour aller rejoindre l’un de ses amants de jeunesse, Mimile, un garçon pourtant peu fréquentable qui vient juste de rentrer d’Afrique. Les moqueries et quolibets vont bon train à l’encontre du mari bafoué mais rien ne semble démonter Jean lorsqu’il décide de partir à la recherche de sa femme qu’il comprend enfin avoir négligé pour son travail…

A plusieurs reprises déjà, il m’est arrivé de raconter que durant l’adolescence à la fin des années 70, grandement influencé par mes lectures de revues de cinéma, je me plaisais à dénigrer Gilles Grangier et, à l’instar des réalisateurs de la Nouvelle Vague - et notamment François Truffaut - dont c’était l’une des bêtes noires au sein des articles qu’ils écrivaient pour dénoncer la médiocrité de la fameuse "qualité française", je le considérais alors comme un tâcheron. Même des journaux de télévision aussi ‘respectables’ que Télérama s’étaient engouffrés dans ce créneau et au vu de leurs notules on pouvait en conclure que la filmographie de Grangier pouvait se résumer en films assez vulgaires, en ‘cinéma de papa’ trop mauvais pour être capable de captiver ou intéresser une quelconque ‘élite cinéphile’. Entre-temps, et en y regardant de plus près, j’en suis arrivé comme beaucoup à la conclusion que ce cinéaste se révélait être somme toute un excellent artisan du cinéma populaire - au sens noble du terme - qui se mettait totalement au service de ses scénaristes et de ses acteurs. Il n’est donc pas inutile de le redire et d’en remettre une couche pour effacer la mauvaise réputation totalement injustifiée qu’on lui avait faite. Car lorsque Grangier recevait entre les mains de bonnes histoires à mettre en scène, le plaisir était très souvent de la partie grâce à la sûreté technique de sa réalisation, à sa formidable capacité à restituer une atmosphère, au choix de ses comédiens et au soin apporté à ses plans en extérieurs.

Le Sang à la tête en est un exemple éclatant, non seulement l’un des sommets de son œuvre mais également l’une des meilleures adaptations de Georges Simenon parmi la cinquantaine de films concernés (dont le très bon La Marie du port de Marcel Carné déjà avec Gabin et à l’atmosphère et aux décors portuaires assez proches), mais aussi tout simplement l’un des meilleurs films français des années 50. Un film qui venait dans la filmographie de Grangier juste après Gas-oil qui avait été la première collaboration entre Jean Gabin et Michel Audiard ; un travail en commun qui allait se poursuivre longtemps et se révéler aussi fructueux que savoureux. Audiard, Gabin et Grangier allaient donc immédiatement se retrouver en 1956 pour cette appropriation du Fils Cardinaud de Simenon, nous livrant une adaptation bien supérieure au roman malgré une fin totalement différente, bien plus optimiste et chaleureuse ; puis en 1957 pour le très bon polar Le Rouge est mis, ou encore en 1958 pour le très estimé Le Désordre et la nuit, tout cela en seulement quatre années consécutives. Quant à la seule cuvée 1956 pour Jean Gabin, quel grand cru ! Jugez plutôt : outre ce Grangier de haute volée non moins que Des gens sans importance de Henri Verneuil, Voici le temps des assassins de Julien Duvivier et La Traversée de Paris de Claude Autant-Lara : on pouvait difficilement faire mieux ! D’autres réussites de Grangier suivront dans les années 60 dont le célèbre Le Cave se rebiffe encore et toujours avec Jean Gabin, son magistral acteur de prédilection qui trouvait l’occasion au sein de Le Sang à la tête de continuer à opérer une sorte de douce transition en nous dévoilant une autre facette de son large registre, moins sombre et un peu plus détendue qu’auparavant, à mi-chemin entre les prolétaires et gens du peuple des années 30 et les flics et hommes bourrus un peu plus stéréotypés de sa fin de carrière.

Tout comme le précédent (Gas-oil), le film qui nous concerne ici s’avère extrêmement efficace dans la conduite carrée de son récit et sa formidable direction d'acteurs, sa sobre mise en scène ne déméritant pas, ne cherchant pas nécessairement à se faire voyante malgré des images superbes de la Rochelle et de ses alentours. L’intrigue est simple et linéaire, les auteurs ne déviant jamais de leur ligne directrice, ne digressant à aucun moment. Un couple de La Rochelle : d’un côté un ancien débardeur du port de la Rochelle devenu en quelques années l’un des armateurs les plus importants de la ville et qui a épousé une fille de milieu plus que modeste ; de l’autre donc sa femme, Marthe, qui s’ennuie dans cette vie bourgeoise dans laquelle elle ne peut même pas s’occuper de ses enfants confiés à une gouvernante et qui se sent un peu délaissée par son mari qui travaille quasiment 24 heures sur 24. Un jour elle décide de quitter la maison pour rejoindre l’un de ses amants de jeunesse. Cette nouvelle réjouit la plupart des habitants de la ville, jaloux de la réussite de Cardinaud ; aussi bien la bourgeoisie rochelaise qui n’a jamais admis dans leur cercle ce couple de ‘parvenus’ issu des couches sociales les plus basses ; ses propres parents qui lui ont toujours fait le reproche de s’être éloigné de ses origines par sa réussite ; ses associés qui n’ont pas digéré lui être redevables - lui qui les a autrefois sauvés de la faillite - et qui depuis rêvent de "l’humilier" à leur tour ; et enfin ses anciens collègues jaloux de son ascension et de sa situation, le prenant ainsi pour un ‘traître’ aux classes défavorisées. Tous se réjouissent de l’infortune de Cardinaud, du fait qu’il soit ainsi bafoué et fait cocu au grand jour. Tous y compris la tutrice de ses enfants qui, calculatrice, aimerait beaucoup profiter de cette opportunité pour succéder à Marthe ou encore ses beaux-parents qui craignent ne plus pouvoir demander de l’argent à leur gendre.

[Attention spoilers] Du plus bas au plus haut de l’échelle sociale, de nombreux habitants savourent donc sa déchéance et s’en frottent les mains car ne supportant pas un tel parcours allant à l’encontre de l’ordre établi. Peu de monde à sauver au sein de cette histoire mais ce n’est pas pour autant que les auteurs en font un film trop sombre ; le final diffère d’ailleurs de beaucoup de celui nihiliste du roman. Malgré le cynisme, la petitesse, la lâcheté et la méchanceté de beaucoup (dont le personnage de Titine, la mère de l‘amant de Marthe, poissonnière grande gueule d’une pittoresque vulgarité jouée avec truculence par Georgette Anys : "Sans l'invention des sulfamides, elle nous vérolait toute la Charente" dit-on d’elle à un moment donné), l’on trouve parfois chaleur, justesse et compassion dans la description précise de ce milieu vivant de la pêche. Parmi les seconds rôles, outre Georgette Anys, nous trouvons Monique Melinand très touchante dans le rôle de l’épouse adultère dont on arrive très bien à comprendre les motivations (d’ailleurs son mari en arrivera aussi à se remettre en question rapport au fait qu’elle l’ait trompé), Paul Frankeur dans la peau d’un capitaine de cargo parti à la recherche de Mimile (l’amant) pour lui faire la peau après que celui-ci l’ait dénoncé à la police pour des trafics, Renée Faure dans le rôle de la gouvernante essayant de séduire son patron en espérant prendre la place de l’épouse fugueuse (ce à quoi elle ne parviendra pas, se prenant en pleine figure une réplique cinglante de Cardinaud : "je vous paye pour vous occuper des enfants, pas pour m’en faire"), Florelle dans celui de la mère de Marthe, Henri Crémieux incarnant l’associé odieux ou encore Claude Sylvain dans le rôle de la fille de Titine qui se prostitue.

Le dernier quart d’heure quitte la ville de la Rochelle et nous embarque à bord du bac qui nous conduit sur l’Ile de Ré ou l’intrigue se dénouera par une merveilleuse séquence de pardon et de retrouvaille, le mari ayant parfaitement compris ne pas avoir apporté à sa femme le bonheur tout simple qu’elle attendait : "Pendant douze ans on a fait chambre commune mais rêve à part. Maintenant on va essayer de refaire le parcours ensemble, tous les deux et peinards, comme si on passait le permis". Audiard - dont c’était parait-il le film préféré auquel il aura collaboré - trouve ici le parfait équilibre entre gouaille, mots d’auteurs et naturel ; ses dialogues incisifs se révèlent réjouissants de bout en bout (un dernier exemple pour la route : "L'argent ne fait pas le bonheur, mais vivre dans la merde non plus" rétorquera Cardinaud à un membre de sa famille). Dans ce drame dont la thématique principale est, plus que l’adultère, la haine de l’ascension sociale, Gilles Grangier se paie ici le culot de faire un film - à l’intrigue pourtant très mince - plus prenant que le roman qu’il adapte et parvient à merveille à retranscrire le contexte, l’atmosphère et le milieu qu’il décrit, typiques du romancier, passant parfois par un aspect réaliste proche du documentaire tout à fait passionnant et réussi (toute l’activité portuaire de la vente à la criée aux enchères sur le port, le bac menant à l’île de Ré…)

Signalons enfin la très belle photo de André Thomas et la musique dans la mouvance de Maurice Jaubert d’un certain Henri Verdun. Si le film a fait un bide à sa sortie, les spectateurs ne souhaitant sûrement pas voir un Gabin cocu et humilié, il est temps de lui redonner la chance qu’il mérite d’autant que son interprète principal est impérial de sobriété tout comme le personnage d’homme isolé et conspué qu’il incarne est tout en dignité et sensibilité. De la très belle ouvrage que ce film d’atmosphère ; il aurait en effet été bien dommage que le carré d’as constitué par Simenon, Grangier, Audiard et Gabin n’aboutisse pas à une telle réussite !
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Commissaire Juve
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Message par Commissaire Juve »

Moi ! :P Je me le suis enregistré et je l'achèterai volontiers lorsqu'il sortira en DVD (René Chateau ou Studio Canal...).

Pour l'adaptation, le roman a quand même été un peu malmené, mais pas forcément trahi pas comme pour le "Bel-Ami" avec George Sanders :x Il y a dans le film toute une mise en place qui n'est pas dans le roman (où Marthe disparaît dès la 7ème page*). Par ailleurs, je me demande si le personnage joué par Paul Frankeur n'a pas été surdéveloppé dans le film (mais j'ai lu le bouquin il y a trois quatre ans). Une chose est sûre, le film ne finit pas sur le bac de l'île de Ré !

Les dialogues d'Audiard étaient sympa, comme d'hab' : "Vous avez peut-être fait les Beaux-Arts, mais je vois que vous connaîssez aussi la musique !" ; très bon ! :mrgreen: (à replacer dans le contexte, bien sûr)

* Dans l'édition Folio
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Jeremy Fox
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Message par Jeremy Fox »

Commissaire Juve a écrit : Pour l'adaptation, le roman a quand même été un peu malmené, mais pas forcément trahi pas comme pour le "Bel-Ami" avec George Sanders
Moi je me fous qu'on trahisse un peu le roman du moment que l'atmosphère soit restituée ;-) Et là, c'est assez réussi ma foi même si Audiard prend pas mal de distance et de digressions avec le roman.
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Message par Commissaire Juve »

Jeremy Fox a écrit :Moi je me fous qu'on trahisse un peu le roman du moment que l'atmosphère soit restituée...
Pour Bel-Ami, c'est la super trahison car la fin est complètement réinventée, le destin du personnage totalement changé (pour des raisons de morale hollywoodienne bien sûr :( ) Ça, ça craint un max ! :x

Adapter, c'est souvent nécessaire (exemple d'horrible ratage, parce que trop fidèle au texte : Germinal de Berri :x ), mais trahir et reprendre quand même le titre de l'oeuvre originale, c'est malhonnête. :wink:
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Message par Jeremy Fox »

Commissaire Juve a écrit :
exemple d'horrible ratage, parce que trop fidèle au texte : Germinal de Berri :x ),
Trop fidèle au texte, je ne pense pas mais horrible ratage, oh que oui : comment partir d'un chef oeuvre absolu de la littérature pour arriver à ça, il y a des grands mystères quand même :? On dirait un film de notre ami à tous... Jacques Dorffman :lol:
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Message par Commissaire Juve »

Jeremy Fox a écrit :Trop fidèle au texte, je ne pense pas...
Oh que oui... Certaines répliques collent de très (trop) près au texte, or, Zola n'est pas un très bon dialoguiste (de mon point de vue). D'ailleurs, à ma connaissance, il n'a pas écrit de pièce de théâtre.

Ses romans se lisent avec plaisir, mais côté dialogues, ça manque souvent de fluidité. :)

En tout cas, le film est affreux ! Un des rares qui m'a donné envie de me barrer en cours de séance. Quand je pense à tout le ramdam qu'on a fait lorsqu'il est sorti. Peuh ! :(
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Message par Jeremy Fox »

Gas Oil de Gilles Grangier

Jean Chape (Jean Gabin) est un modeste chauffeur routier auvergnat. La quarantaine, de bons copains, un rythme de vie régulier et laborieux, il semble heureux d’autant qu’il a pour maitresse une charmante institutrice, Alice (Jeanne Moreau), à laquelle il rend visite à chacun de ses retours dans la région. Tout allait pour le mieux pour lui jusqu’au jour où il roule accidentellement sur un homme retrouvé mort. Il va non seulement être pris à partie par la police mais aussi par une bande de gangsters menée par René (Roger Hanin) ; en effet le cadavre n’est autre qu’un des membres du gang qui, suite à un hold-up, s’était enfui avec la mallette contenant le conséquent butin. Persuadés que Jean s’en est emparé après avoir ramassé l’accidenté, les bandits n’auront de cesse de tourner autour de lui afin de récupérer l’argent, aidés en cela par la vénale veuve du défunt (Ginette Leclerc)…

J’ai déjà expliqué à une autre occasion que, grandement influencé par mes lectures de revues de cinéma à l’époque de mon adolescence, je considérais alors moi aussi dans les années 80 Gilles Grangier comme un vulgaire tâcheron, m’amusant gratuitement à le dénigrer à l’instar de ce que faisaient les réalisateurs de la Nouvelle Vague dont c’était un peu le souffre-douleur dans les articles qu’ils écrivaient pour dénoncer la médiocrité de la fameuse ‘qualité française’. Entre-temps, et en y regardant de plus près, j’en suis arrivé à la conclusion que ce cinéaste se révélait être somme toute un excellent artisan qui se mettait totalement au service de ses scénaristes et de ses acteurs, ce qui est loin d’être négligeable au sein du cinéma ‘populaire’ au sens noble du terme. Au vu de La Vierge du Rhin par exemple, quand le script était mauvais, Grangier ne pouvait pas faire grand-chose pour rendre son film attractif ; mais quant au contraire on lui mettait entre les mains de bons scénarios (notamment des adaptations de romans de Simenon), le plaisir était très souvent de la partie grâce à la sureté technique de sa mise en scène, à sa capacité à restituer une atmosphère, au choix de ses comédiens et au soin apporté à ses plans.

Il en est ainsi de Gas-oil dont c’était la première d’une longue collaboration entre Jean Gabin et Michel Audiard. Audiard, Gabin et Grangier allaient se retrouver en 1956 pour l’adaptation du Fils Cardinaud de Simenon, nous en livrant une adaptation bien supérieure au roman, le superbe Le Sang à la tête (sur lequel nous reviendrons rapidement à l’occasion de la sortie du film en Blu-ray chez Pathé), en 1957 pour le très bon polar Le Rouge est mis, ou encore en 1958 pour le très estimé Le Désordre et la nuit, tout ceci en seulement quatre années consécutives. D’autres réussites suivront dans les années 60 dont le célèbre Le Cave se rebiffe encore et toujours avec Jean Gabin, son magistral acteur de prédilection qui trouvait l’occasion au sein de ce film d’opérer une sorte de douce transition en nous dévoilant une facette de son large registre moins sombre et un peu plus détendue qu’auparavant, à mi-chemin entre les prolétaires et gens du peuple des années 30 et les flics et hommes bourrus un peu plus stéréotypés de sa fin de carrière. Gas-oil pourra certes de nos jours se voir attribuer peut-être à juste titre l’étiquette de ‘cinéma de papa’ très traditionnel, mais force est de constater que comme tous les titres déjà cités ci-avant, il s’agit d’un film généreux et tout à fait efficace, tout du moins dans la conduite de son récit et sa direction d'acteurs, sa sobre mise en scène ne déméritant pas en ne cherchant pas nécessairement à se faire voyante malgré des images superbes de la campagne auvergnate et des routes de France.

Quelle bonne idée des auteurs de faire débuter leur film par une longue séquence de réveil du protagoniste principal ! Car quoi de mieux pour immédiatement s’immerger dans le film, entrer dans la peau du personnage et faire sa connaissance que de se lever à ses côtés, lui voir répéter ses banals gestes matinaux, apprendre ses manies et ses habitudes, partager son quotidien ? D’autres cinéastes l’auront également bien compris : que l’on repense au réveil de Paul Newman dans Détective privé (Harper) de Jack Smight ou encore plus célèbre celui de Elliot Gould dans Le Privé (The Long Goodbye) de Robert Altman ! Ce rythme ‘tranquille’ expressément un peu lent perdurera quasiment tout le long du film et c’est aujourd’hui cette nonchalance qui lui donne son charme, la volonté de prendre son temps pour décrire un milieu, une époque, une région, un métier (en l’occurrence ici celui de routier) avec réalisme et surtout sans trop d’esbroufe, Grangier prouvant par ailleurs qu’il était capable d’accélérer lorsqu’il le fallait, témoin le violent hold-up qui suit ce paisible préambule. On regrette d’ailleurs un peu en plein milieu de cette description assez sympathique du milieu des routiers l'irruption d'une intrigue policière un peu poussive – ainsi que ses Bad Guys assez caricaturaux - mais en même temps, si elle n'avait pas été présente, nous n'aurions pas pu bénéficier de ce très bon final, chasse à l'homme des bandits par tous les camionneurs de la région sur les belles routes montagneuses du Massif Central préfigurant celle de Alain Corneau pour son film La Menace avec Yves Montand.

On déplorera également une musique d’Henri Crolla démodée, parfois omniprésente et inutilement illustrative qui arrive à gâcher certaines séquences alors qu’en revanche on pourra applaudir la superbe photographie de Pierre Montazel aussi bien en intérieurs qu’en extérieurs, ces derniers superbement choisis et filmés rehaussant encore cette histoire assez simple de solidarité et de fraternité entre hommes d’un même corps de métier et de leur attachement à leur région, à des valeurs comme l’amitié ainsi qu’à la bonne chère. Toutes les séquences décrivant ces camionneurs attablés sont d’une bonne humeur communicative, relevées qu’elles sont par des dialogues truculents sans jamais faire ‘mots d’auteurs’, Audiard perdant un peu dans les années 60 le naturel qu’il arrivait encore à insuffler à ses débuts - des punchlines certes moins clinquantes mais plus réalistes -, aidant ainsi à faire de ce film (entre autres) à défaut d’une œuvre inoubliable, tout du moins un intéressant document sociologiques à travers le portrait de cette France provinciale traditionaliste et laborieuse des 50's où des personnages de femmes modernes arrivent néanmoins à émerger comme celui ici interprété par une attachante Jeanne Moreau.

Rien de transcendant mais une certaine nostalgie pour cette ambiance désuète qui constitue le charme principal de ce très honnête divertissement qui nous propose avant tout une sympathique immersion dans un milieu que l’on n’a guère fréquenté au cinéma, celui des routiers qu’Henri Verneuil mettra à nouveau sur les devants de la scène avec plus de noirceur l’année suivante dans l’un de ses plus beaux films, le désespéré Des gens sans importances encore avec Jean Gabin et son camion Willeme. Une œuvre modeste, mi-réaliste-mi polar, carrée et efficace ; du cinéma de divertissement de bonne tenue, scénarisé et dialogué avec talent par Michel Audiard et très bien interprété par un Gabin irréprochable, une lumineuse Jeanne Moreau et tous les autres dont un tout jeune Roger Hanin dans le rôle du teigneux chef de gang et une Ginette Leclerc qui n’en avait toujours pas finie avec ses rôles de garce. Par l’intermédiaire de cette tranche de vie d’un honnête routier se retrouvant impliqué dans une histoire de butin volé… à des voleurs, l’on peut affirmer à nouveau que Gilles Grangier est un réalisateur certes sans génie particulier mais qui mérite d’être réévalué ou tout du moins redécouvert pour de nombreux films cousus main s’avérant à postériori de formidables témoignages d’une époque belle et bien révolue.
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Message par Kurwenal »

Jeremy Fox a écrit : PS : Kurwenal, arrête de me faire rallonger ma liste d'acquisitions et d'enfoncer le clou après le test de Kaplan :wink:
:P

Et en plus le Dvd est de très bonne facture, pas cher sur certains sites anglais :wink:
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dortmunder
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Message par dortmunder »

La vierge du Rhin (Gilles GRANGIER 1953)
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Gros souffle sur la piste son
Le Film: Production typique de l'époque: Film noir/drame familial, avec un arrière fond social très réaliste sur le milieu ouvrier du fret fluvial.
Scénario et dialogues solides, tirés d'un roman de Pierre NORD.
Thème musical original et surprenant de Joseph KOSMA
Jean GABIN au meilleur de sa forme, tout en naturel et sobriété.
Excellent seconds roles
Tu peux la secouer tant que tu veux, la dernière goutte est toujours pour le pantalon. Vieux proverbe
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Re: Notez les films de mai 2008

Message par Profondo Rosso »

Les Bons Vivants (connu aussi sous le titre "Un grand seigneur") de Gilles Grangier et Georges Lautner(1965)

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1/La fermeture : Mr Charles, patron d'une maison close, remet à l'une de ses pensionnaires la lanterne.
2/ Au tribunal : une femme à qui l'on a volé des bijoux, ne cherche qu'a récupérer une lanterne.
3/ Les bons vivants : Une jeune fille s'installe chez un homme et attire tous les membres de l'Athletic-club.


Un film à sketch co réalisé par Gilles Grangier et Georges Lautner qui a pour thème central le "drame" que constitua la fermeture des maisons close pour toute une communauté...

On passe rapidement sur les deux premiers segment réalisé par Grangier, sympathique mais assez anecdotiques au final. Dans le premier, ambiance mortifère de mise avec un Bernard Blier en patron de maison close contraint de fermer son établissement. Blier bien désabusé est génial, on ne peut malgré tout ne pas partager son amertume ainsi que la tristesse et la nostalgie des autres personnages (et ses filles qui ne veulent pas partir) tout en maintenant un second degré féroce (le déménagement de tout les "accessoires" farfelus de la profession :mrgreen: ). Le second ne vaut que pour les bons mots d'Audiard avec cette ancienne prostituée (joué par Bernadette Laffont) qui cherche à récupérer une lampe souvenir de sa glorieuse jeunesse dans les maisons de plaisir. Défilé de gueule avec Jean Lefevbre et jean Carmet en cambrioleur pieds nickelés ou encore Darry Cowl en avocat allumé, assez amusant par instants lorsque tout le tribunal, juges, policier, témoins et accusés compris se mettent à regretter de concert le bon vieux temps des maisons close en plein procès...

Le gros morceaux, c'est bien évidemment le dernier sketch de Lautner, un petit chef d'oeuvre de comédie qui, bien que ce soit une de ses oeuvres les moins connues est un sommet de sa collaboration avec Audiard. Louis de Funès campe un chef d'entreprise psychorigide et acariâtre qui par un concours de circonstances tomber dans les filets de la prostituée (incarnée par Mireille Darc) et voir sa maison transformée en maison close à son insu et visitée par tout ses amis. De Funès commence par faire du pur de Funès colérique avant de livrer une prestation géniale d'innocence lorsqu'il se fait progressivement amadouer par une Mireille Darc tout en candeur qui fait tourner les tête. Timing comique redoutable avec la maison de de Funès dont le mobilier devient de plus en plus coquin, l'ironie mordante de la narration en voix off (de Philippe Castelli) et les filles de plus en plus nombreuses et de toutes nationalités qui envahissent les lieux sans que De Funes ne se doute de rien. Les second rôles sont parfaits dont un Jean Richard nettement moins raide que quand il campe Maigret, ici un bon pervers provincial amateurs de jeunes filles. 4/6 mais quasi essentiellement pour le segment de Lautner.
Dernière modification par Profondo Rosso le 31 mai 08, 01:54, modifié 1 fois.
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Jeremy Fox
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Re: Gilles Grangier (1911-1996)

Message par Jeremy Fox »

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La Vierge du Rhin 1953
Jeremy Fox a écrit :Quand le scénar est minable, Grangier ne peut rien faire...
...En voilà un bon exemple. Quand en plus, le réalisateur est incapable de diriger ses acteurs, le résultat est assez catastrophique ; seul Jean Gabin, égal à lui-même, se tire de ce mauvais pas. Et pourtant le début, avec de très beaux plans de chantiers navals et une plaisante (quoique très brève) description de la vie à bord d'une péniche, laissait présager un bon film d'atmosphère à la Gas-oil, les navigateurs fluviaux remplaçant les routiers. Mais la voix-off est immédiatement insupportable et dès que l'intrigue policière vient se greffer dessus, le scénario et les dialogues deviennet foncièrement ridicules, du mauvais théâtre joué comme tel par des interprètes qui récitent sans conviction un texte plus que médiocre. Grosse déception.

Pour info, le son du DVD est très pénible à cause d'un bourdonnement continuel assez fort et sourd.
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Re: Gilles Grangier (1911-1996)

Message par Julien Léonard »

Jeremy Fox a écrit :Le film date de 1956 et je commence à réévaluer Gilles Grangier que je cassais souvent à tort par le passé. En fait, il s'agit d'un excellent artisan qui se met totalement au service du scénario et des acteurs. Quand le scénar est minable, Grangier ne peut rien faire, quand il est excellent, le plaisir est de la partie.
Je suis super content que tu réévalue un peu Grangier, Jeremy ! :) Trois jours à vivre, Le cave se rebiffe, La cuisine au beurre, Gas oil, et surtout l'impeccable 125 rue Montmartre sont de flagrantes démonstrations de savoir faire. Il n'a pas toujours eu de bons projets entre les mains (L'âge ingrat, La vierge du rhin, et Les vieux de la vieille, faut se les fader quand même), mais sa mise en scène est toujours solide et sa direction d'acteurs presque toujours à la hauteur.

Un très bon réalisateur, sans énorme ambition artistique et encore moins thématique (c'est plutôt rare je trouve), mais qui tient une caméra de façon efficace, toujours au service du divertissement le plus total. :wink:
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Re: Gilles Grangier (1911-1996)

Message par Alligator »

Poisson d'avril (Gilles Grangier, 1954) :

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captures
_______________

J'aime beaucoup ce film. Et pourtant, a priori, il n'a rien d'exceptionnel et même pourrait-dire dire sans faire scandale qu'il fait partie de ces tout petits films commerciaux bâtis uniquement sur leur vedette. Un film à vocation lucrative. Modeste sur le plan cinématographique et que certains ne manqueront pas de trouver tristement banal.

Pourtant je ne peux m'empécher d'y trouver mille menus détails d'une infine richesse. Etonnante subjectivité. Il me faut avouer que l'essentiel de mon plaisir à voir ce film ne provient pas de qualités "standards", de type cinéphilique ou technique mais bien plutôt de qualités parallèles, pas forcément maitrisées, pensées, décidées par les auteurs.
Il est question de temps, d'époque. J'aurais envie de parler de nostalgie encore une fois, une de mes manies, mais le terme n'est pas ici forcément le plus adéquat. Je n'ai pas connu l'époque où a été tourné ce film. Il y a cependant une respiration qui me rappelle quelque chose, peut-être une insouciance, celle de mon enfance, ou disons dans laquelle baignait une partie de mon enfance. Peut-être est-ce une construction analytique personnelle, que j'ai envie de voir dans mon enfance ce genre d'insouciance? Quoiqu'il en soit, ce film, cette histoire, ces personnages me parlent. Des images me parlent. Des objets, des attitudes. Il y a là un mystère sur lequel je ne cesse de m'interroger.

Poisson d'avril est de ces films qui appartiennent totalement à leur époque. Celui-ci à l'après-guerre. Cela fait huit-neuf ans que la guerre est finie, la reconstruction bat son plein. Cette histoire est traitée d'une manière édulcorée et cela donne un caractère tout particulier à ce film.

On a là une histoire qui confronte deux milieux sociaux bien distincts, réunis par un adultère et une circonstance extraordinaire (l'enquête d'un garde champêtre joué par le chevelu De Funès, à noter qu'au générique, il n'a pas encore imposé son prénom, signe d'une certaine proximité ou connivence avec le public, déjà). Cet adultère est peut-être le seul élément de subversion. Et encore est-il présenté comme un évènement acceptable, presque naturel. La cousine de Bourvil, Jacqueline Noëlle, vit aux crochets d'un vieux beau, fortuné Pierre Dux, qui l'entretient dans une maison de campagne près de Paris. Y coule une rivière poissonneuse. Jacqueline Noëlle invite Bourvil à y venir pécher le dimanche, en cachette de sa femme.

Film d'époque, l'histoire nous présente des comportements largement disparus de nos jours, ou alors qui paraitraient foncièrement déraisonnables, si ce n'est immoraux.
Bourvil est mécano et passe son temps tout comme son patron à flâner dans les grands magasins du centre ville (le "Bazar de l'Hotel de Ville" pas encore acronymé en BHV, encore qu'une affichette le désigne ainsi sur un plan fugace) ou alors au café appellé la "succursale" du garage. On y joue au baby-foot, on y picole des petits blancs, on y discute, on y rigole, on y paye des coups "sur mon compte". Au garage c'est tout aussi léger : on y gruge avec le sourire entendu un riche client, un brin crétin, le pauvre Jean Hébey.
Bourvil se fout royalement des récriminations puis de la contre-danse que lui met le garde-champêtre. Sa cousine conduit sans permis. Bourvil lui indique qu'effectivement elle n'en conduira pas pour autant mieux mais que des lois sont passées, qu'elle risque d'avoir des problèmes. Il ne s'en formalise pas plus. L'adultère auquel elle se livre ne l'effarouche pas plus. Tout au plus lui dit-il qu'elle ferait mieux de se ranger.
D'autre part la rencontre entre Denise Grey -l'épouse trompée de Pierre Dux- et Annie Cordy -celle de Bourvil- met en lumière un fait étonnant : l'épouse trompée ne semble pas se révolter plus que cela de l'adultère de son mari. "Encore un" semble-t-elle penser. C'est pourtant elle qui tient les cordons de la bourse. On ne divorce donc pas encore à l'époque? Annie Cordy a bien du mal à croire que son mari en fait autant. Quand elle sera convaincue, sa réaction sera explosive quant à elle.

Les différences entre les milieux populaires et grand bourgeois donnent lieu à quelques gags, habituels mais en aucun cas elles ne suscitent une indignation ou une quelconque revendication. C'est avec un naturel désarmant que Bourvil s'acquitte de sa tache (passer pour le fiancé de Jacqueline Noëlle pour étouffer les soupçons de Denise Grey à l'égard de son mari). Pierre Dux fait passer Bourvil pour le propriétaire de son garage alors qu'il n'est qu'ouvrier. etre ouvrier est encore un statut un peu honteux pour les gens de la haute. Bourvil, lui, s'en cogne un peu, c'est bien Dux qui ne peut envisager d'avoir un ami prolo, même si cette amitié est fondée sur des faits de guerre. Bourvil lassé de jouer la comédie plus que d'être déconsidéré socialement s'irrite d'avoir à mentir à sa femme. Il trouvera une rétribution dans l'extorsion d'une machine à laver, contre prix de cette comédie.

Objets et parures divers viennent visuellement témoigner de l'époque décrite, tout autant sinon plus que les comportements des personnages.
Ce désir ardent de machine à laver chez Annie Cordy et l'oeil circonspect de Bourvil vissé sur les affiches de prix trop exorbitants pour les modestes ressources de son foyer viennent rappeller la fièvre acheteuse, la découverte jouissive de la consommation de masse lors des premières années des trente glorieuses. Quand enfin la machine est livrée à l'appartement, Annie Cordy s'illumine. Orgasme démultiplié par le fait qu'elle apprend que son mari ne l'a pas trompé comme elle le croyait.

La France sort à peine de la guerre. Plein d'objets nous l'attestent. L'époque est visible partout.
La voiture du garage est une Jeep récupérée dans le stock américain et adaptée pour les dépannages. Les bars font de la place pour le baby-foot. Un cheval tire une herse à la campagne. Pas de tracteur en vue. Les rues sont encore largement pavées. Des hangars sont encore en partie faits de bois. Les rues de Paris ne sont pas submergées de voitures, le trafic est peu dense. Les voitures sont légions à évoquer un temps oublié. A commencer par le taxi ou la voiture de Pierre Dux, sortes de traction avant des années 20/30. Celle de Jacqueline Noëlle représente la modernité carossée avec son auto-radio et sa coupe effilée : une Panhard. Qui se souvient des Panhards? Qui se rappelle ces distributeurs manuels d'essence antiques?

La France redécouvre les loisirs. Jacqueline Noëlle arbore fièrement sa tenue de jardinage. Bourvil s'octroie l'acquisition d'une canne moderne (en bambou hawaïen, héhé) pour pécher le dimanche.
L'époque marque aussi le film dans les décors et le goût de chiottes prononcé des contemporains. Bars maritimes, sculptures en évidence, coussins à froufrou démontrent que possession et ostentation sont les deux mamelles de la mode domestique de ce temps frivole. La manque durant la guerre fait place à la charge des temps d'abondance. Rattraper le temps et l'espace perdus.

Bien entendu, tout ce qui a été décrit jusqu'ici ne suffit pas pour expliquer le plaisir que j'ai eu à suivre ces personnages. Il n'est pas juste question d'habillage d'un réel passé. Il a fallu pour que le film soit agréable qu'il y ait un tant soit peu de talent derrière cette forme. Le film en effet n'en manque pas.
Au scénario, Grangier s'adjoint les services de Carlier, que je ne connais pas, mais surtout du dialoguiste Michel Audiard, qui à ce moment là n'en est plus à son coup d'essai, il commence à avoir un peu de bouteille. Le porteur de casquette n'en est pas à inventer un parlé bien à lui, fleuri et imagé, d'une liberté ébouriffante, mais par-ci par-là, son écriture transpire. Aucun doute.
Il serait totalement injuste de voir dans ce scénario qu'un assemblage de dialogues. Il respire l'équilibre et la simplicité. En un mot, il est efficace. On profite d'un travail solide, bien balancé. Les différents temps du film respectent une symétrie presque parfaite, insuflant au récit un rythme posé et d'une fluidité sereine. Extrêmement lisible.

Le ton et l'atmosphère du film est d'une gaité égale étonnante. Les auteurs privilégient la comédie de bout en bout. Pour les personnages, quand les évènements sont contraires, le spectateur reste persuadé que cela n'a pas d'importance et que de toute manière cela ne durera pas. Jamais le film n'effleure la gravité. C'est aussi ce sentiment incroyable de sécurité qui me fait dire que le traitement est édulcoré. Pas une mouche dans le lait. Pas de violence, pas de malheur, pas une once de crainte. En somme le film prend des airs irréalistes, sans pour autant tomber dans l'absurde. Un film fantaisie, un film bonbon.

La musique souligne encore plus cet aspect aérien. Une chanson signée Boby Lapointe et chantée par Bourvil revient en fond musical tout le long du film (au moins dans le sifflement insouciant de Bourvil). "Aragon et Castille" dans le style inimitable de Lapointe est une chanson gaie, presque loufoque, heureuse de vivre, une chanson de pinson rieur et marie idéalement au ton guilleret de tout le film.

Pour finir... bordel, j'ai cru que je n'arriverais jamais au bout de cette critique! J'ai une excuse : je ne comprends toujours pas pourquoi j'aime ce film. D'intrigant, cela devient presque obsédant. Il me faut chercher des explications, mettre des mots là-dessus. Force est de constater que je demeure perplexe devant ce flot d'hypothèses plus ou moins élaborées. Reste que je ne sais pourquoi les multiples détails chronologiques me transportent autant. Difficilement analysable.
Pour finir, donc, le film permet de retrouver des comédiens, des têtes familières qu'il est si agréable de revoir.

Bourvil joue Bourvil. On a droit à une scène d'ivresse. C'est un passage obligé. Pierre Dux ne fait pas d'étincelles mais son rôle est bien tenu, il tourne à l'essentiel. Jacqueline Noëlle est jolie mais son jeu ne dépasse pas l'ordinaire. Des soeurs Grey, seule Denise a un rôle important. Elle est déjà vieille, c'est incroyable. Annie Cordy quand elle était jeune, était d'une beauté sidérante. Si un jour on m'avait dit que je louerais la beauté d'Annie Cordy... foutre! Parmi les acteurs qui participent de la bonhommie générale du film, Louis Bugette est immanquablement en première ligne, souriant, jovial, fort sympathique. Dans le bar, le patron me dit quelque chose mais impossible de retrouver son nom. Quel plaisir de retrouver Maurice Biraud en train de faire son numéro de gouailleur au BHV! Petit passage mais pleinement réussi. De même pour Louis de Funès, qui fait moucne en garde champêtre vicelard.
En faisant les captures, quelle ne fut ma stupéfaction de découvrir parmi les clients rigolards du bar se trouvait le jeune Charles Denner, merde alors!
O'Malley
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Re: Gilles Grangier (1911-1996)

Message par O'Malley »

Alligator, je me retrouve parfaitement dans ton analyse de ce très sympathique Poisson d'avril. Le charme du film provient essentiellement e cette gaité insouciante qui traverse l'intrigue (bien consrtuite) et les personnages (bien campés) ainsi que la description d'un Paris village aujourd'hui disparu. Deux autres films me font le même effet: le dyptique d'André Hunebelle avec Michel Simon: Monsieur Taxi et Monsieur Pipelet, où apparaît aussi Louis de Funès...A noter qu'effectivement le générique mentionne "De Funès" et non "Louis de Funès". Il fut très fréquent que seul son nom patronymique apparaisse au générique ou à l'affiche des films qu'il tourna dans les années 50...Ce fut une mode pour les comiques de l'époque, à l'instar de Bourvil, Fernandel, Andrex, Duvaleix, Caccia et De Funès n'y pas manqué.
Alligator
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Re: Gilles Grangier (1911-1996)

Message par Alligator »

Je n'ai pas vu les deux films que tu cites, c'est noté. Pour ce qui est de l'insouciance affichée par des films, et de cette familiarité de ton, je pense aussi aux Gaspards de Tchernia. Et dans une moindre mesure à La belle américaine, même si justement cette dernière n'apparait pas aussi "équilibrée" et plutôt comme une suite de scketchs autour de la voiture. Et puis l'humour branquignol de Robert Dhéry me fatigue par moments. Mais cet émerveillement naïf et joyeux devant la voiture, reine et phare de la société de conso, l'aspect solidaire du quartier, tous ces petits éléments font du film un parent de cette famille de films gais et insouciants.
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