Cinéphiles de notre temps

Rubrique consacrée aux DVD de films tournés avant 1980.

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Supfiction
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Re: Cinéphiles de notre temps

Message par Supfiction »

En fait il y a ambiguïté sur le mot cinéphile, car il a deux significations.

L'une est étymologique et renvoie à l'amour du cinéma - quitte à édulcorer complètement le mot et ne plus vouloir rien dire car qui n'aime pas le cinéma aujourd'hui (à part l'oncle du schpountz ?).

L'autre renvoie aux mouvements culturels et "intellectuels" principalement d'après-guerre (1944-1970).
J'ai le sentiment que ce sont des gens qui ont vécu la cinéphilie comme un combat contre et/ou pour : pour la reconnaissance artistique du cinéma, contre les cocos ou les fachos, contre l'invasion U.S. et la préservation de la production française, contre la censure gaulliste, pour la préservation des films (cf. Langlois), pour la réhabilitation d'un genre (le western) ou d'un auteur (Hitchcock, Eastwood..)..

Cette impression de combat n'est plus vraiment d'actualité, ou alors ce sont de tous petits combats, pour initier des moldus réfractaires (un ami, une nièce, un fils..) ou simplement se défendre d'accusations d'arrierisme réac (cf. topic "les vieux films c'est de la merde).
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cinephage
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Re: Cinéphiles de notre temps

Message par cinephage »

Bien sur, le terme originel renvoie à la période que tu évoques.
Mais c'était une cinéphilie relativement fermée, de happy few, qui fait qu'aujourd'hui encore on a du mal à se dire cinéphile, parce qu'on sait qu'on n'en sait pas tant que ça sur le cinéma, face à ceux qui se prétendaient détenteurs de la vérité unique (quitte à se facher très fort avec ceux qui affirmaient une autre vérité unique).

C'est un peu pour ça que j'avais pris mon pseudo de cinéphage, pour me démarquer du terme de cinéphile, justement devenu un "gros mot" sérieux et désignant un club auquel je ne pourrais prétendre appartenir.

Après, je donne l'impression de cracher dans la soupe, mais je pense qu'ils ont fait un énorme travail pour désenclaver le cinéma de son terreau de mass-entertainment et lui donner ses lettres de gloire, ses pistes d'analyse et autres. Historiquement, la cinéphilie des grands jours, c'est très important.
Mais lorsque j'ai commencer à chauffer les bancs de cinémathèque, au tournant des années 70-80, après Barthes et le structuralisme, Deleuze, les Mao et les autres intellectuels cinéphiles, le terme désignait plutôt des gens au vocabulaire surchargé de mots à 5 ou 6 syllabes, de références complexes et pas forcément très pertinentes, et se détachait de plus en plus de l'activité consistant à voir des films et à s'y intéresser.

Sauf à inventer un nouveau terme pour désigner le passionné de cinéma, je reviens donc sur ce terme de cinéphile, qui n'a plus de raisons d'être monopolisé par un certain type d'amateurs de cinéma, qui mérite d'être réactualisé, et qu'utilisent les amateurs de film du monde entier, sans forcément penser aux Macmahoniens ou aux gars de la Cinémathèque. En 2013, il est plus que temps pour l'amateur de cinéma contemporain de se réapproprier le terme, si l'on veut éviter que la notion se momifie.
I love movies from the creation of cinema—from single-shot silent films, to serialized films in the teens, Fritz Lang, and a million others through the twenties—basically, I have a love for cinema through all the decades, from all over the world, from the highbrow to the lowbrow. - David Robert Mitchell
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Supfiction
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Re: Cinéphiles de notre temps

Message par Supfiction »

Et si tout simplement un cinéphile était quelqu'un qui cherche à voir des films d'hier (et d'aujourd'hui accessoirement) et par extension qui s'intéresse à l'histoire du cinéma.
En opposition aux simples amateurs de films qui "se contentent" de voir les films qui se présentent à lui (en salle ou en vidéo) ?

Quant au terme cinéphage, il est souvent péjoratif (y compris dans le dvd en question), définissant une personne dont le seul but, serait de voir et de consommer un maximum de films, par n'importe quel média, qui n'est donc pas obligatoirement pointu et peut être sans culture cinématographique..
Bref Cinéphage, tu devrais te rebaptiser Cinephile maintenant qu'on est débarrassé du poids du mot et de son passif historique :mrgreen: !
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cinephage
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Re: Cinéphiles de notre temps

Message par cinephage »

Je pense que je suis juste un cinéphage qui est parvenu à construire une cinéphilie à partir de sa pathologie particulière... :mrgreen:
Donc je garde mon pseudo.

Pour la définition du cinéphile, je suis assez d'accord avec ta définition, assez proche de celle que j'énonçais un peu plus haut, mais j'ai l'impression que ce n'est pas si simple.
Même chez les cinéphiles, il y a celui qui ne jure que par le cinéma des 70ies, et rejette le cinéma des années 50, d'autres n'aiment pas le muet... Donc tous n'explorent pas toute l'histoire du cinéma. Et j'ai du mal à considérer un passionné de cinéma, même contemporain, qui verrait et reverrait les films, écrirait dessus, et discuterait avec passion de ces films, comme un non-cinéphile. De même, je détecte une grande passion chez les amateurs de films d'horreur, qui touche à une certaine forme de cinéphilie, même s'ils cherchent plus à visionner le dernier Rob Zombie ou le Djinn de Tobe Hooper que l'Aurore de Murnau.
La réalité de la cinéphilie est assez difficile à définir...
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Re: Cinéphiles de notre temps

Message par Supfiction »

Pour moi, le mot chercher est essentiel.
Peu importe qu'un cinéphile s'intéresse à une décennie ou une autre, ou un genre exclusivement, l'essentiel est de chercher à voir plutôt que d'absorber ce qu'on lui présente.
Quant au stéréotype du type qui prend des notes en sortant de la salle, analyse, décortique etc, je ne m'y retrouve pas totalement, même si c'est ce que nous faisons ici à des degrés diverses..
Il y a aurait en quelques sortes tout une palette de cinéphiles, du cinéphile hardcore, le classikien qui fait des classements, analyse et critique les films, jusqu'au cinéphile plus passif qui se contente de chercher à voir des films de tel ou tel auteur ou décennie (sans faire d'analyse/classement/critique), ce qui est déjà énorme en soi.

En quelques sortes, les classikiens sont déjà presque tous des cinéphiles de niveau 2..
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Re: Cinéphiles de notre temps

Message par cinephage »

Supfiction a écrit :Pour moi, le mot chercher est essentiel.
Peu importe qu'un cinéphile s'intéresse à une décennie ou une autre, ou un genre exclusivement, l'essentiel est de chercher à voir plutôt que d'absorber ce qu'on lui présente.
Quant au stéréotype du type qui prend des notes en sortant de la salle, analyse, décortique etc, je ne m'y retrouve pas totalement, même si c'est ce que nous faisons ici à des degrés diverses..
Il y a aurait en quelques sortes tout une palette de cinéphiles, du cinéphile hardcore, le classikien qui fait des classements, analyse et critique les films, jusqu'au cinéphile plus passif qui se contente de chercher à voir des films de tel ou tel auteur ou décennie (sans faire d'analyse/classement/critique), ce qui est déjà énorme en soi.

En quelques sortes, les classikiens sont déjà presque tous des cinéphiles de niveau 2..
J'aime bien cette notion de recherche. Je pense qu'en effet, tous les types que j'évoquais sont des gens qui cherchent à mieux connaître l'objet de leur passion, qu'il s'agisse du cinéma dans sa globalité ou d'un seul pan de ce dernier (ciné asiatique, cinéma pré-code, la liste est longue...). Le cinéphile est bien un quêteur, quelqu'un qui cherche. Là, je suis assez convaincu.
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Re: Cinéphiles de notre temps

Message par Supfiction »

Lu dans les echos cet article très intéressant évoquant la rivalité entre Borde et Langlois :
Le cinéphile de la Garonne
Par Marc-Antoine Hartemann | 31/01

Comment la collection de films de quelques amoureux du 7e art est devenue la Cinémathèque de Toulouse, l’une des plus importantes archives cinématographiques de France et une institution de réputation mondiale.


Pourquoi créer une cinémathèque ? À notre époque où un nombre infini de films est disponible en DVD, en Blu-Ray, sur les centaines de chaînes du câble et du satellite, en télé-chargement, en vidéo à la demande, sur Internet… il est difficile de se figurer la pauvreté de l’offre cinématographique dans les années cinquante. Le seul moyen de voir un film qui ne passait plus en salle était d’en posséder une copie pellicule. C’était coûteux, vétilleux d’utilisation, encombrant et si votre film n’avait aucun intérêt commercial vous pouviez vous brosser pour le trouver. Des pans entiers de l’histoire du cinéma restaient donc inconnus et, plus grave, en danger de disparaître définitivement faute de soins.

Dans un texte consacré à l’histoire de la Cinémathèque de Toulouse, Raymond Borde, l’âme des lieux, le créateur de l’institution, a fort bien raconté ses virées dans les campagnes à la recherche de films avec des amis, et les discussions de marchands de tapis auxquelles ses modestes finances l’obligeaient pour acheter les précieuses boîtes à des gitans pas encore désignés à la vindicte qui l’été projetaient en roulotte tout un répertoire de films ayant quitté les circuits commerciaux. Il a aussi dit la sourde opposition des producteurs et distributeurs, pour qui tout collectionneur devait être soit un concurrent, soit un pirate (déjà !).

Avec cette collection embryonnaire, Borde organisa des séances de ciné-club dont les petits bénéfices permirent d’acheter d’autres films, ce qui permit d’organiser d’autres séances, et il se retrouva vite à ne pas savoir où mettre les nouveaux films achetés avec ces nouveaux bénéfices – par expérience, tout collectionneur finit par se trouver confronté à un problème de rangement. Entre rencontres avec des forains et association avec des structures de cinéma éducatif, Borde et ses amis se trouvèrent en 1962 à la tête de 532 longs métrages (dont 185 muets) et 845 courts métrages, sans avoir eu droit à un sou de subvention (la première arriva en 1969 et se montait royalement à 10.000 francs). Fonder une structure pérenne pour conserver tout ceci n’était pas inutile. Ce fut fait le 12 février 1964.

Points de vue divergents

Il est difficile de résumer l’histoire de la Cinémathèque de Toulouse sans parler des rapports entre Borde et Henri Langlois, l’un des fondateurs de la Cinémathèque française en 1936. Leur amour commun du cinéma aurait dû rapprocher les deux hommes, une conception opposée du rôle des cinémathèques en fit des ennemis jurés.

Tout avait pourtant commencé avec cordialité mais les choses tournèrent vite à l’aigre, Borde se plaignant de relations de seigneur à vassal. La fondation effective de la Cinémathèque de Toulouse visait aussi se libérer de la tutelle de Paris. Lorsqu’en 1968 Langlois fut débarqué de son poste par un Malraux inquiet d’une gestion hasardeuse, Borde se fendit d’une lettre à la presse où il prenait acte de la décision et s’en félicitait. Dans le même temps, des obscurs comme Truffaut, Resnais, Hitchcock, Renoir ou Chaplin aidèrent Langlois à retrouver ses fonctions et il continua à incarner la cinéphilie à lui tout seul jusqu’à recevoir un Oscar d’honneur en 1974 « pour sa dévotion à l’art du film, sa contribution massive à préserver son passé et sa foi inébranlable en son avenir ». Des dents ont dû grincer au bord de la Garonne : dans un entretien de 1991, 14 ans après la mort de Langlois, Borde s’en sert encore comme d’un croquemitaine. Mais dans la lutte entre le pot de fer et le pot de terre, les deux pots tinrent.

Cette opposition pourrait être anecdotique, elle peint très bien Borde et les difficultés de conservation du patrimoine cinématographique à l’époque. Que dit-il dans sa lettre aux journaux? « Aucun de mes collègues n’a jamais pris sa collection pour un prolongement de soi ». « La pellicule demande une surveillance pointilleuse », une « grande humilité du conservateur devant la chose conservée ». « [Langlois] ne tenait aucun inventaire, (…) se désintéressait de son rôle de conservateur pour devenir seulement un montreur de films. » Borde se décrit en creux. Une vision « artiste » et tapageuse où l’on empile en vrac tout ce que l’on peut en montrant ce que l’on aime (et seulement ça) heurtait son approche discrète et rigoureuse dans la tenue des collections, des programmes et des comptes, comme sa volonté d’ouverture là où un Langlois voyant des complots partout pratiquait le culte du secret. Cinquante ans après, on s’aperçoit que les deux avaient raison, Langlois parce qu’il rendit public avec un sens inné de la publicité les problèmes de préservation, Borde parce qu’il souhait mettre en commun les réserves de toutes les archives.

Une cinémathèque, même si elle se veut une aventure collective (elle « réalisait l’utopie marxiste » a écrit Borde, exclu du PC en 1958) finit presque toujours par s’incarner en un homme. Malgré qu’il en ait, Borde « fut » la Cinémathèque de Toulouse, et sa personnalité transparaît dans les collections. Grâce à lui, Toulouse possède aujourd’hui encore des trésors introuvables ailleurs : films français de l’entre-deux guerre (qui n’intéressaient guère Langlois), films politiques, productions du sud de la France, films Russes échangés du temps de l’URSS. Dix ans après sa mort, la Cinémathèque continue comme il l’aimait de proposer plus de programmes thématiques que de monographies de réalisateurs ou d’acteurs. Surtout, elle a eu en 2012 la visite de 82 784 spectateurs. 82 784 personnes ont pu y découvrir des films qu’il leur aurait sans doute été impossible de voir ailleurs. N’est-ce pas là le plus important legs de Raymond Borde ?
Marc-Antoine Hartemann
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