bruce randylan a écrit :Et voilà le dernier Guerman qu'il me restait à voir !
Mon ami, Ivan Lapchine (1983)
Un adulte se remémore son enfance à la fin des années 30 quand il vivait avec son père, policier.
Plus que perplexe devant cette oeuvre de transition qui fait clairement la passation entre Vingt jours sans guerre et Khroustaliov, ma voiture !. Le cinéaste cherche à se débarrasser de la narration pour ne garder que des moments creux et des souvenirs anodins (on se remémore pas que des événements marquants après tout) avec une réalisation qui joue le flou avec sa caméra qui est épisodiquement en vue subjective (les autres protagonistes la regardent souvent directement dans les yeux ou furtivement du coin de l'oeil) mais en entretenant le mystère sur l'origine de cette focalisation tandis que le film passe de la couleur, au noir et blanc en passant par le sépia sans que ces changements correspondent à une hiérarchie temporelle ou la personnalisation d'un narrateur.
Le résultat ? Malheureusement une oeuvre imperméable qui laisse très rapidement sur le carreau. Ce qu'on ne nous raconte pas (puisqu'il n'y a pas de narration) ne nous donne aucune raison à nous intéresser au film. Un peu comme si vous trouviez l'album photo d'un inconnu, uniquement constitué de photographies ratés d'événements sans importance à première vue : au bout de quelques pages, on a envie de passer à autre chose... Il y a bien un mince fil conducteur (la vie du policier) mais c'est un fil bien mince.
Et contrairement à Khroustaliov, ma voiture , la mise en scène n'est pas encore assez aboutie et affirmée pour créer ce chaos fascinant et ce tourbillon hypnotique au cœur de ses deux films suivant
Quand on commence VRAIMENT à trouver le temps long, une enquête policière vient aérer enfin un récit qui jusque là n'était enfermé que dans des chambres minuscules et des couloirs étroits. Les plans extérieurs apporte un vrai salut d'autant qu'une "vraie" intrigue s'installe. Mais cette sous-intrigue m'a donné le sentiment d'être un film dans le film, totalement indépendant de la (très longue) première partie.
J'aurais envie de vanter les touches d'humour, les personnages simples ; j'aurais aimé saluer le courage de ce genre d'oeuvre personnelle, originale, intransigeante en marge de toute modes, conventions et formes connues ; j'aurais souhaiter trouver des choses passionnantes dans la forme (il y a en évidement)... Mais non. Ce Ivan Lapchine m'a uniquement ennuyé... Terriblement ennuyé.
Je te trouve assez sévère avec ce film, qui a effectivement pour défaut une distanciation excessive, mais comporte aussi quelques très beaux moments de cinéma, des plans superbes, et une évocation de souvenirs d'enfance avec quelque chose de proustien dans l'approche (petites touches, divers éléments).
Je crois aussi que le film se comprend par rapport à l'époque à laquelle il se rapporte, c'est-à-dire le début des purges staliniennes, notamment du fait que l'on nous montre la pauvreté partout répandue, le marché noir, et comment le bandit, par le partage de ses gains, apparait comme une figure immensément populaire, alors que le policier commence à faire peur (notamment par l'adjoint de Lapchine, qui fait menace arbitrairement sa gardienne et picole comme un trou). On est comme dans un point de basculement dans l'univers soviétique, lorsque le rapport entre le peuple et le système serait en train de basculer de l'adhésion populaire à la peur du pouvoir (ce qui, historiquement, est le cas).
En tout cas, pour moi le film est tout à fait intéressant, et ses qualités compensent largement ses défauts (mais c'est vrai qu'on gagnerait à un peu plus d'implication ou d'émotion).