Le polar français des années 50-60-70

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Major Tom
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Re: Les Seins de glace (1974) / Mort d'un pourri (1977)

Message par Major Tom »

mannhunter a écrit :
Major Tom a écrit :
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ici Lautner se débarrasse de ses tics parfois embarrassants, comme les accélérés et le montage surdécoupé des scènes de cascade dont il raffoler
Qui sait, il a peut-être inspiré un autre George :mrgreen: ...j'ai un bon souvenir de ce Lautner-là, j'aimerais bien le revoir, est-il sorti en dvd (ou Blu Ray, soyons fous!)? :P
Blu-ray, non, à l'inverse de Pas de problème ! ou Laisse aller... c'est une valse. :|
DVD, oui ;) :
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mannhunter a écrit :
Major Tom a écrit :ici Lautner se débarrasse de ses tics parfois embarrassants, comme les accélérés et le montage surdécoupé des scènes de cascade dont il raffoler
Hé ho, je n'ai jamais écrit ça comme ça. :mrgreen:
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Kevin95
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Re: Le polar français des années 50-60-70

Message par Kevin95 »

MINUIT... QUAI DE BERCY - Christian Stengel (1953) découverte

Whodunit immobilier au titre bien plus énigmatique que celui du bouquin adapté : Le concierge n'est plus dans l'escalier (on dirait le tire d'un San Antonio). Mado fait tourner un immeuble parisien et la tête des locataires avant de se retrouver un couteau dans le dos. Des suspects à la pelle, le premier d'entre eux est le spectateur lui-même car impossible de ne pas avoir des envies de meurtre devant cette concierge vulgos, péteuse et grande gueule. En attendant, le flic désabusé et son amour caché enquêtent à tous les étages, multiplient les fausses pistes ou les suspects trop évidents. Faut dire que les habitants de l'immeuble ont des mines patibulaires mais presque : Erich von Stroheim en prédicateur marteau, Francis Blanche en épicier porté sur l'entre-jambe féminin (et qui met des roustes à sa femme Rosy Varte), un jeune couple rive gauche donc (pour le cinéma de papa) très snob, une vieille actrice pathétique etc. Un petit policier qu'on regarde comme on lit un roman de gare, la forme est lambda mais le récit tient en haleine et l'humour n'est pas de trop. Quant à la résolution, elle est suffisamment surprenante sans être trop tirée par les cheveux. Hormis la mort de la petite fille (pathos complétement inutile à l'intrigue) c'est bon boulot.
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Rick Blaine
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Re: Le polar français des années 50-60-70

Message par Rick Blaine »

La part des lions - Jean Larriaga (1971)
Epaté par ce film surprenant et particulièrement prenant qui voit deux amis d'enfance, un écrivain et un cambrioleur, se lancer dans un casse presque parfait. L'ouverture assez énigmatique donne d'emblée le ton d'un film à l'écriture absolument remarquable. On est pris d'un bout à l'autre par une intrigue et des personnages passionnants, il est vrai soutenus par un casting brillant (Aznavour, Hossein, Constantin, Pellegrin) et une direction artistique marquante, notamment le superbe décor retenu pour l'appartement de Hossein, qui en dit plus sur le personnage que de longs dialogues. D'une belle noirceur, La part des lions s'éloigne nettement du polar français à la papa avec notamment une conclusion d'une violence terriblement sèche qui n'aurait pas déparé dans les fleurons américains du genre à l'époque. Chose amusante, un dialogue entre Pellegrin et Hossein sur les "attaches" d'un braqueur rappelle très étrangement le fameux dialogue de Heat, Mann aurait il vu ce petit film français ? Grosse réussite en tout cas à mes yeux, un film dense et intense grâce à un montage inspiré et un script de tout premier ordre.
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Kevin95
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Re: Le polar français des années 50-60-70

Message par Kevin95 »

Rick Blaine a écrit :La part des lions - Jean Larriaga (1971)
Tourné avec quasiment la même équipe que Le Temps des loups de Sergio Gobbi. Vu que ce dernier fut une très belle surprise (et vu ta critique), il me tarde de découvrir cette Part des lions. :D
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Jeremy Fox
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Re: Le polar français des années 50-60-70

Message par Jeremy Fox »

Sinon pour en rester à Hossein, je regrette de ne pas avoir pris chez noz le coffret réunissant "Crime et châtiments" de Georges Lampin (N&B - 1956), "Le goût de la violence" de Robert Hossein (N&B - 1961) et "Le monte-charge" de Marcel Bluwal (N&B - 1962). Fais-je bien de regretter car je viens de relire la chronique de Rick sur le Monte charge et je me mords déjà les doigts ? :oops:

Quid des deux autres ?
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Rick Blaine
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Re: Le polar français des années 50-60-70

Message par Rick Blaine »

Kevin95 a écrit :
Rick Blaine a écrit :La part des lions - Jean Larriaga (1971)
Tourné avec quasiment la même équipe que Le Temps des loups de Sergio Gobbi. Vu que ce dernier fut une très belle surprise (et vu ta critique), il me tarde de découvrir cette Part des lions. :D
Jamais vu le Gobbi, mais c'est tentant aussi.
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Kevin95
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Re: Le polar français des années 50-60-70

Message par Kevin95 »

Jeremy Fox a écrit :Sinon pour en rester à Hossein, je regrette de ne pas avoir pris chez noz le coffret réunissant "Crime et châtiments" de Georges Lampin (N&B - 1956), "Le goût de la violence" de Robert Hossein (N&B - 1961) et "Le monte-charge" de Marcel Bluwal (N&B - 1962). Fais-je bien de regretter car je viens de relire la chronique de Rick sur le Monte charge et je me mords déjà les doigts ? :oops:

Quid des deux autres ?
Crime et Châtiment se regarde même si la mise en scène est un poil empesée. Pas (encore) vu le deuxième mais il a bonne réputation. Faut pas réfléchir Jeremy, mais vivre dangereusement. :mrgreen:
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Re: Le polar français des années 50-60-70

Message par Rick Blaine »

Je rejoins Kevin sur Crime et Chatiment et je n'ai pas non plus encore vu Le goût de la violence.
Rien que pour Le monte-charge, ça pouvait valoir le coup.J'ai beaucoup d'estime pour ce qu'a fait Hossein dans le polar, en tant qu'acteur comme en tant que réalisateur (Toi... le venin par exemple)
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Re: Le polar français des années 50-60-70

Message par Jeremy Fox »

Rick Blaine a écrit :Je rejoins Kevin sur Crime et Chatiment et je n'ai pas non plus encore vu Le goût de la violence.
Rien que pour Le monte-charge, ça pouvait valoir le coup.J'ai beaucoup d'estime pour ce qu'a fait Hossein dans le polar, en tant qu'acteur comme en tant que réalisateur (Toi... le venin par exemple)

Le problème est que je n'ai pensé à relire ta critique qu'après que tu aies remonté ce topic :cry:


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Rick Blaine
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Re: Le polar français des années 50-60-70

Message par Rick Blaine »

:mrgreen:
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Re: Le polar français des années 50-60-70

Message par Commissaire Juve »

Rick Blaine a écrit :La part des lions - Jean Larriaga (1971)
Epaté par ce film surprenant et particulièrement prenant qui voit deux amis d'enfance, un écrivain et un cambrioleur, se lancer dans un casse presque parfait. L'ouverture assez énigmatique donne d'emblée le ton d'un film à l'écriture absolument remarquable. On est pris d'un bout à l'autre par une intrigue et des personnages passionnants, il est vrai soutenus par un casting brillant (Aznavour, Hossein, Constantin, Pellegrin) et une direction artistique marquante, notamment le superbe décor retenu pour l'appartement de Hossein, qui en dit plus sur le personnage que de longs dialogues. D'une belle noirceur, La part des lions s'éloigne nettement du polar français à la papa avec notamment une conclusion d'une violence terriblement sèche qui n'aurait pas déparé dans les fleurons américains du genre à l'époque. Chose amusante, un dialogue entre Pellegrin et Hossein sur les "attaches" d'un braqueur rappelle très étrangement le fameux dialogue de Heat, Mann aurait il vu ce petit film français ? Grosse réussite en tout cas à mes yeux, un film dense et intense grâce à un montage inspiré et un script de tout premier ordre.
:o :o :o

Vu. Bon ben, je suis au regret de me ranger aux côtés de ceux qui n'ont pas aimé :? . Je n'y ai vu qu'un polar riquiqui, en pattes d'eph, moustaches & cheveux longs (dans la nuque), avec des comédiens en pilotage automatique, quelques moments involontairement drôles, d'autres complètement idiots. Constantin y joue plutôt mal (la scène du porte-voix, boï boï boï), Marcel Pérès y gatouille complètement, bouuuuf !

Aznavour -- dont le personnage s'appelle Eric -- m'a fait penser à Eric Zem*** tout du long ; notamment pendant la séance de dédicaces (physiquement parlant seulement). :lol:

C'est un rendez-vous manqué, en dépit de ma forte tolérance au nanar en tous genres.
Je ne l'ai pas payé cher, mais... ourgl... :?
Dernière modification par Commissaire Juve le 27 juin 18, 23:46, modifié 1 fois.
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Message par Commissaire Juve »

UP !
Rick Blaine a écrit :
Kevin95 a écrit :Pas encore vu Le Gang des otages qui, parait-il, est très proche de ce film.
Ah oui, je l'avais oublié celui-là. Pour le coup c'est très réussi, assez proche effectivement des Aveux... pour son originalité narrative, mais nettement meilleur à tous point de vues il me semble. Un casting très audacieux et une superbe photo de Coutard. Il faut le voir celui là, grand polar.
Je me suis refait le Gang des otages en début de soirée. Je pense l'avoir apprécié davantage qu'au premier visionnage. Et qu'est-ce que Bulle Ogier était jolie ! Image

Comme le film relate une prise d'otages ayant réellement eu lieu (10 avril 1972), j'ai cherché à savoir ce que les preneurs d'otages étaient devenus. Si l'on s'en tient à la distribution : ...
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... le personnage de Cauchy a pris 20 ans (mais a tenté de s'évader plusieurs fois), celui de Bulle Ogier a pris 12 ans, et celui de Gilles Ségal a pris perpète !
Le hic, c'est que les scénaristes ont mélangé des trucs pour les deux hommes : prêtant à Cauchy des éléments biographiques du personnage de Ségal.

Sinon, j'ai vu que Robert Broussard en parlait dans ses mémoires (c'était sa première affaire d'otages ; mais il n'était pas encore commissaire à l'époque). Apparemment, il faisait partie des poursuivants à la fin. Il raconte que c'est "Bulle Ogier" ( :mrgreen: ) qui conduisait, et qu'elle conduisait vachement bien (dans le film, on voit effectivement qu'elle est bonne conductrice, mais...
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... à la fin, pendant la fuite, ce n'est pas du tout elle qui conduit.
Et pour la conclusion de l'histoire, les scénaristes ont simplifié :
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... Les trois malfrats ont réussi a s'emparer de la dernière voiture en prenant la fille en otage. Le coup de Christian Barbier -- "Allons, les enfants... déconnez pas -- est un gros raccourci. En réalité, il y a eu une petite poursuite, la police a réussi à bloquer la voiture, et "Christian Barbier" est allé désarmer "Bulle Ogier" qui menaçait de tuer la propriétaire de la voiture !
J'ai essayé de trouver une photo d'Evelyne S*** (pour voir si elle était aussi jolie que Bulle Ogier) ; sans succès. En tout cas, elle était bien enragée.

J'avais testé le DVD il y a cinq ans (ça file). Ça aurait pu faire un BLU découverte sympa.

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Re: Le polar français des années 50-60-70

Message par kiemavel »

Un homme marche dans la ville - Marcel Pagliero - 1950
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Peu après la guerre, dans une ville du havre partiellement détruite, Jean (J.P Kérien) dirige une équipe de dockers. Il tente d’obtenir auprès du contremaitre Ambilarès une promotion pour son ami André (Robert Dalban) mais il essuie un refus catégorique ce qui met en rage André qui est peu après renvoyé pour avoir maltraité un docker africain. Jean, qui jusque là repoussait les avances de Madeleine (Ginette Leclerc), la femme d’André, finit par lui céder un après midi où elle était venue le relancer jusque chez lui et le regrette aussitôt. Le soir même, devinant ce qui venait de se passer, André part dans la nuit à la recherche de Jean. Le lendemain, il est retrouvé mort sur un chantier naval …
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Sortis bien cabossés de la guerre, les prolos du réalisme-poétique à la française sont dorénavant plus réalistes que poétiques. Pas un pour rattraper l’autre les dockers ! D’ailleurs la façon dont sont décrits ici les « masses laborieuses » n’a plu à personne puisque le film a le privilège d’avoir été détesté voire boycotté aussi bien par la centrale catholique du cinéma que par le parti communiste et la CGT ! Le film fut accusé de misérabilisme et d’irrespect pour le monde ouvrier. Or, s’il n’est certes pas tendre avec les dockers, ce n’est pas un film hargneux. Il dépeint simplement un milieu, une époque et une ville avec infiniment de noirceur, voilà tout. Car même la ville est absolument déprimante. Le Havre est une ville dévastée, parsemée de zones blanches sans un seul bâtiment debout et où seuls quelques tas de pierre subsistent au milieu d’immenses étendues rasées. Quelques pâtés de maisons sont restés debout et l’on peut voir que nombre des façades restantes sont criblées d’impact. Certains bâtiments ont été remontés à la hâte, comme le bar en préfabriqué tenu par Albert (Yves Deniaud, en cafetier plus vrai que nature, lui-même sévère buveur, et qui est très bien servi par le dialoguiste .. mais pas trop non plus, on n’est quand même pas chez Audiard). Son bar est surpeuplé car sortis du boulot, tous les dockers et les marins ne pensent qu’à une chose : se bourrer la gueule ! En dehors de Deniaud, on croise d’autres figures de l’époque : Dora Doll en prostituée. Frehel en logeuse des travailleurs immigrés (victimes du racisme de certains collègues, exploités, malades, parfois battus et vivants les uns sur les autres) ou André Valmy, excellent en policier souriant et placide, un brin cynique et qu’on pense indifférent au sort de l’accusé mais qui se montre finalement loyal, efficace et brave type. Mais ces personnages secondaires sont assez peu pittoresques, les dialogues fleurent rarement les bons mots d’auteur et les acteurs sont « sobres » comparativement à ce qu’on peut voir dans nombre de films du genre à l’époque.


Car Marcel(lo) Pagiero, qui avait été acteur et metteur en scène en Italie et qui avait travaillé avec Rosselini, n’avait pas oublié son passé italien puisqu’on est ici plus proche de l’atmosphère du néoréalisme que du polar à la française dans lequel on croit d’abord être plongé. On n’est pas vraiment dans un banal film criminel et ce qui intéresse visiblement Pagliero, c’est surtout la peinture du milieu où survient le crime. L’identité même du tueur donne immédiatement à comprendre que ce fait divers est secondaire dans l’histoire, de même que ses principales conséquences : l’enquête policière, les soupçons qui pèsent sur Jean et l’aspect « faux coupable ». Sauf que cette situation entraine une méprise tragique pour le plus passionnant des personnages, c’est à dire pour Madeleine, l’épouse de la victime. On la découvre vivant dans un logement gris, exigu et triste dans un immeuble faisant face à l’un de ces terrains vagues laissés par les bombardements. Elle est manifestement dégoutée par un mari (le devoir conjugal est visiblement une corvée) qu’on croit simplement râleur et aigri (au travail) mais qui est, surtout en privé, carrément colérique et violent (excellent Dalban). Mal mariée, elle se jète au cou de Jean … sans qu’on puisque parler d’une garce ; précision utile puisque Ginette Leclerc a tenu bien souvent cet « emploi ». D’un coté, elle fait un tel rentre-dedans qu’on s’interroge sur la nature de sa relation avec son mari, et plus largement sur la bouillante Madeleine elle même bien qu’elle ne soit pas du genre à coucher n’importe où et surtout pas utile puisqu’elle repousse sèchement les avances du contremaitre Ambilarès (qui est par ailleurs détesté par tous). Je ne suis pas un grand fan de Ginette Leclerc mais le personnage, pour ambigu qu’il soit, finit par toucher et c’est amené de manière assez fine à partir du moment où l’on comprend qu’elle s’illusionne sur Jean puisqu’elle croit que son amant d’un jour a tué son mari par amour pour elle. Dans ce sombre drame où Pagliero n’épargne pas grand monde, malgré les apparences, elle est finalement celle qui est la moins maltraitée. Car entre l’alcoolisme massif, la bêtise ordinaire et le racisme (un docker profère des insultes au passage d’un collègue noir), le milieu n’est pour le moins pas enjolivé et même Jean, un brave type mais qui se montre un peu lâche avec Madeleine, n’est pas épargné. Au final, seulement deux hommes feront preuve d’un peu de sagesse et de tolérance, ce sont les hommes qui ont sans doute la plus grande expérience de leurs semblables : le patron de bar et le flic qui tenteront de calmer et de raisonner Jean lorsque la vérité sera découverte. Trop tard … Excellent film qui pour sa noirceur et sa peinture simple et juste d’un milieu rejoint l’un des grands films de Verneuil : Des gens sans importance

Ils en parlèrent ...
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Jacques Lourcelles : Croisement original entre un entrelacs tragique digne du « réalisme poétique » d’avant guerre et une volonté d’observation et de véracité documentaire proche du néo-réalisme. Si ce croisement est si réussi, il le doit à la maturité du style du réalisateur et notamment à la justesse des dialogues et de l’interprétation. (Dans « Dictionnaire du cinéma ». Bouquins)

Gérard Legrand : Pagliero en a tiré un singulier poème visuel sur la solitude humaine dans une ville en ruines. La rudesse stylisée et efficace de l’action, l’économie des expressions et du dialogue, l’emploi extrêmement intéressant d’un cadre exceptionnel (le port Du Havre en reconstruction et les difficultés du métier de docker) font de ce film, qui fut à sa sortie l’objet d’absurdes polémiques, l’une des rares tentatives réussies de néo-réalisme italien transplanté en France. (Dans « Dictionnaire mondial des films ». Larousse)

Georges Sadoul : La production avait été réalisé avec le soutien du syndicat des dockers mais quand elle leur fut présentée, ils la critiquèrent vivement. Le film resta longtemps sans trouver de distributeur, puis alors qu’une longue grève des dockers se poursuivaient, il fut présenté soudain en mai 50, dans les deux plus grandes salles de Paris. La circonstance provoqua une réaction accusant Pagliero de « démoralisation de la classe ouvrière ». Pour ma part, après avoir remarqué que P. Lafargue n’avait pas eu raison d’attaquer Zola pour avoir, au lendemain de la Commune, montré des ouvriers ivrognes dans L’assommoir, j’ajoutai : " Zola prouva qu’il considérait le peuple comme autre chose qu’une matière à des études naturalistes. Marcel Pagliero, s’il est vraiment sincère, démontrera par la suite si son film a été une erreur et non pas une insulte préméditée". (Les lettres françaises, mars 1950). L’erreur était surtout imputable au critique, qui ne doutait pourtant point, en s’opposant timidement à une critique terroriste, de la sincérité de Pagliero. (Dans : Dictionnaire des films. Microcosme)

Sadoul apporte donc des précisions intéressantes sur la réception du film à l’époque, puis fait une sorte de timide et tardif -mais louable- mea culpa personnel
Jean A. Gili a écrit un bouquin sur Marcel(lo) Pagliero
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John Holden
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Re: Le polar français des années 50-60-70

Message par John Holden »

Excellente étude de moeurs moite, âpre, et sans complaisance en effet.
Gangrené par un fatum caractéristique du film noir, dû en partie à la photographie contrastée et sophistiquée de Nicolas Hayer, collaborateur de Becker, Clouzot, Decoin entre autres, le film est également admirablement servi par un casting homogène où personne ne tire la couverture à soi, et chacun semble impliqué et sincèrement convaincu.
10 ans, plus tôt, sensiblement dans le même milieu, et avec le même ton inéluctable, Jacques Constant avait réalisé un autre très beau film d'atmosphère, Campement 13, encensé à juste titre par Paul Vecchiali dans son encinéclopedie.
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Re: Le polar français des années 50-60-70

Message par kiemavel »

John Holden a écrit : 30 nov. 20, 01:13 ... Campement 13, encensé à juste titre par Paul Vecchiali dans son encinéclopedie
Jamais vu et même totalement inconnu. Mais j'ai lu un autre commentaire positif du fiable HarryLime qui tient boutique sur PM/Rak
Du coup c'est déjà acheté

J'ai failli oublier : Vive René !
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