Le cinéma japonais

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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damdouss
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Re: Le cinéma japonais

Message par damdouss »

Rick Blaine a écrit :
damdouss a écrit :
Note de 8/10 sans doute peu révélatrice : dans le dernier Positif d'avril, le film apparaît dans la rubrique "de A à Z" comme assez dispensable même si agréable (Mifune n'ayant pas le talent de ses maîtres en tant que réalisateur...)
Chacun son avis en fait, on a le droit de ne pas partager l'avis de positif. Donc note peu révélatrice à ton goût, pas au notre.
Rick oui d'accord : moi-même je n'ai pas encore vu le film donc mon goût n'a rien à voir là-dedans (quand tu dis "pas au nôtre" : tous les forumeurs et critiques de dvdclassik ne sont pas forcément en accord les uns les autres : enfin j'espère !). Disons que c'est un autre écho qui permet aussi de faire connaître des avis différents. Un 8/10 laisserait poindre presque un quasi petit chef d'oeuvre (ce qui est peut-être le cas) mais pour une revue comme Positif qui a toujours défendu le cinéma japonais depuis des décennies, c'est aussi un avis à prendre en compte je pense... C'est pas comme si cette critique sortait de je ne sais où. Après à chacun de se faire une opinion... Et j'ai été parfois en désaccord avec des critiques de Positif !
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Rick Blaine
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Re: Le cinéma japonais

Message par Rick Blaine »

Dans ce cas ça ne veut pas dire que notre note n'est "pas révélatrice", juste qu'on n'a pas le même avis que positif. :)
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damdouss
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Re: Le cinéma japonais

Message par damdouss »

Rick Blaine a écrit :Dans ce cas ça ne veut pas dire que notre note n'est "pas révélatrice", juste qu'on n'a pas le même avis que positif. :)
Oui, sans doute : j'aurais du mettre "note à nuancer éventuellement au regard d'autres avis" :)
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Re: Topic naphtalinippon

Message par bruce randylan »

Les vingt-six martyrs du Japon (Tomiyasu Ikeda - 1931)

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Au XVIème siècle, les premiers évangélistes arrivent au Japon et commencent à convertir la population. Agacé par leur succès, le seigneur Toyotomi Hideyoshi décide d'y mettre un terme et fait arrêter 6 missionnaires et plusieurs de leur disciples.

Ce film muet produit par la Nikkatsu a connu un destin inhabituel : son contenu a attiré l'attention des missions salésiennes de Don Bosco qui l'utilisèrent comme un support promotionnel. Il fut un peu remanié, avec notamment l'ajout d'un épilogue de propagande (plans du Pape et d'une grande procession), et accompagné d'une musique composée exclusivement. Les vingt-six martyrs du Japon eu ainsi l'occasion d'être projeter dans différents pays, dont la France, mais seulement à Lille ! Une des copie de cette version fut retrouvée il y a 2-3 ans dans les archives salésiennes et fut restauré pour l'occasion. Cette version fait 65 minutes, plus courte donc qu'une autre copie toujours existante au Japon, bien qu'en 16mm et avec des inter-titres forcément différents.

Cette adaptation d'un fait historique est à prendre avant tout pour une curiosité même si le cinéaste était un un honnête artisan, voire un bon artisan, en qui les studios avait confiance pour lui confier de grosses productions et des castings trois étoiles, remplis de guest stars. C'est du travail bien fait, sans génie même si on trouve régulièrement un vrai sens du cadre et un certain lyrisme. La fin à ce titre est vraiment réussi dans sa manière de filmer les 26 croix.
La réalisation est plutôt dynamique avec pas mal de travelling, des scènes de foules bien dirigées ou une séquence de tremblement de terre avec quelques trucages bien utilisés.
Il est en revanche plus difficile de se faire une idée de la construction dramatique tant les 15-20 premières minutes semblent remaniées et condensées dans ce remontage italien : beaucoup trop d'ellipses et de scènes écourtées qui nuisent à la progression. Ainsi l’évangélisation se fait en quelques secondes et on ne comprend pas pourquoi le seigneur se fâche au point de vouloir les éradiquer (à part voir des convives porter une croix et quelques bouddhistes jaloux). On dirait qu'ils manquent aussi une séquence de torture.
La dramaturgie fonctionne mieux dans sa seconde moitié, une fois que la condamnation a été prononcée même si le dévouement et la foi des deux enfants paraissent vraiment naïfs (même si les martyrs comptaient bien des enfants de 11 et 13 ans). Ca reste tout de même trop succinct.

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Le film devait en revanche être sans doute plus évocateur pour le public japonais des années 30 puisqu'il faisait plusieurs parallèles avec le tremblement de terre meurtrier de 1923. Le sort des chrétiens était également en résonance avec la situation du pays en 1931 qui venait de connaitre deux tentatives de coups d’état et qu'un début de pression se faisait sentir sur les artistes et les intellectuelles.
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Message par bruce randylan »

Toujours dans les bootleg :oops:

Safari 5000 (Koreyoshi Kurahara - 1969)

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Lassée de vivre dans des hôtels et dans l'angoisse, la compagne d'un pilote de rally décide de le quitter après que ce dernier se soit lancé dans un nouveau défi malgré un grave accident de voiture. Son ancien copilote, un français, fait parti d'une équipe adverse.

Après quelques années d'inactivité, l'un des outsider de la nouvelle vague japonaise revient derrière la caméra grâce au comédien Yûjirô Ishihara (également producteur) pour un film d'automobile sous influence du Grand Prix de John Frankenheimer, au point de viser la même durée : 3h. On y retrouve des ambitions internationales avec un casting surprenant où en dehors de poids lourds japonais (Yûjirô Ishihara, Ruriko Asaoka et dans des seconds rôles Tatsuya Nakadai ou Toshiro Mifune), on trouve les français Emmanuelle Riva, Jean Claude Drouot ou Alain Cuny !
Les langues alternent ainsi japonais, anglais et français avec une certaine fluidité, pour ne pas dire homogénéité. Contrairement à ce que je craignais les acteurs français s'en sortent plutôt bien, avec un jeu pas trop rigide ni trop emprunt de tics de la nouvelle vague française. Par contre l'acteur noir en fait plutôt des caisses.
L'histoire alterne courses automobiles, entraînements et pas mal d'intrigues sentimentales avec doutes, ancien amant et séparation. Est-ce que tout cela justifie 3 heures ? C'est pas évident même si les 3h passent plutôt pas si mal malgré un grave manque de fonds. Les personnages restent finalement très superficiels et contrairement à l'excellent Un type méprisable (qui avait déjà un crise en couple sur fond de road movie et rally), Kurahara ne parvient à lui donner davantage de profondeur ou une dimension plus existentielle. De plus, Kurahara, qui filma au début de sa carrière certaines séquences parmi les plus stimulantes et exaltantes à l'intérieur de voitures, accouche d'une mise en scène assez conventionnelle, encore que ça donne une certaine élégance à certains moments plus intimistes et que ça confère aux séquences automobiles un réalisme plutôt immersif. C'est évidement le cas pour la course finale qui dure pratiquement une heure, qui fut tourné durant un véritable rally en Afrique, et qui reste toujours prenante.
Malgré ses limites et son manque d'originalité ou de surprises, ça reste plaisant à suivre, en partie grâce aux comédiens et à un montage qui donne une cohérence à son rythme. La bande originale (assez réputée chez les connaisseurs) de Toshirô Mayuzumi est également très sympa.

Longtemps oublié ou visible dans des versions tronquées (sans doute celles pour l’international de 130 minutes ou environ 1h30), le montage intégral a été reconstruit il y a quelques années et est exploité en DVD/blu-ray au Japon désormais (sans sous-titres).

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Message par Ender »

Je copie-colle mon avis publié dans le topic consacré au cinéaste :

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L'Ecole Shiinomi - Shimizu Hiroshi (1955)

Les films de l'âge d'or d'avant-guerre réalisés par Shimizu, particulièrement Monsieur Merci (Arigatô-san), restent ses plus célèbres et célébrés (espérons que la rétrospective à venir à la Cinémathèque élargisse encore leur renommée), sans doute à juste titre. Plus tard, Les Enfants de la ruche en 1948 creusait joliment la veine réaliste du cinéaste, mais le goût de Shimizu pour la tendre observation des jours et des peines tirait vers un sentimentalisme appuyé ; il livrait un lamento d'après-guerre un peu trop typique et tiède. Très en retrait cette fois d'autres portraits des souffrances de l'époque, les chefs-d'œuvre contemporains des maîtres les plus fameux (Les Femmes de la nuit de Mizoguchi ; Chien enragé de Kurosawa ; et sur un sujet plus proche, Récit d'un propriétaire d'Ozu).

Dans L'Ecole Shiinomi, drame de 1955, il reste peu de choses du ton doux-amer et de la subtilité morale des œuvres des années 1930. Il faut attendre la deuxième partie du film pour lui découvrir une réelle originalité.
La première nous conte les malheurs de la famille d'un enseignant dont le fils aîné, puis cadet, souffrent de la polio. Le schématisme et le sentimentalisme de ce drame familial peuvent provoquer des allergies : les parents sont irréprochables, les camarades de classe cruels, les séquences d'hôpital à forte teneur lacrymale se succèdent. Qu'il est désagréable d'être entraîné dans une grise mécanique, répétitive, d'émotions ! Triste échafaudage, plate montagne russe. Quand le deuxième enfant tombe malade, on commence à se demander dans quelle histoire de talk-show des familles on nous embarque.

Néanmoins, le film opère à ce moment un virage, en vient à son véritable sujet. Pour répondre à l'acharnement du sort, les parents modèles dépensent leur fortune afin de fonder une école dédiée aux enfants malades, à la fois un havre et le prototype d'un système éducatif adapté pour eux (rééducation physique, encouragements à la confiance en soi et aux autres, expression de soi par l'initiation artistique...). Cette deuxième partie, chronique de l'expérience pédagogique, délaisse jusqu'à un certain point les lourdeurs de la fiction et les accents pathétiques pour l'observation plus spontanée, le plan large à échelle du groupe dont est saisie la dynamique, l'attention aux activités quotidiennes des enfants au rythme de leur démarche heurtée. Le changement de ton est audible, la musique d'accompagnement sirupeuse est mise en sourdine et laisse la place aux chants de la classe. Shimizu retrouve les décors qu'il affectionne : le cadre naturel de l'école bâtie dans les hauteurs, entourée de montagnes et jouxtant la rivière, symbolise bien le deuxième souffle d'un film qui s'aère enfin. Shimizu a réuni de véritables enfants malades et respecte la méthode semi-documentaire qu'exige le tournage d'un tel film. Chronique de la socialisation scolaire des enfants et de méthodes d'enseignement progressistes ; inserts sur les dessins enfantins avec documentation de leur évolution dans le temps... L'Ecole Shiinomi rappelle irrésistiblement, dans ses meilleurs moments, les documentaires éducatifs de Hani Susumu, Les Enfants dans la classe ou Les Enfants qui dessinent, exceptionnels exemples de cinéma-vérité et exacts contemporains du film de Shimizu. La première partie du film pourrait passer rétroactivement pour une trop longue introduction, sur des rails de fiction sommaires et maladroits, pour un beau projet essentiellement documentaire, si la fin du film ne renouait pas avec les morales trop univoques du "drame à sujet", les niaiseries en musique, les facilités de scenario, qui donnent à nouveau le sentiment que Shimizu a perdu la formule alchimique, le mystérieux équilibre de ses grands petits films d'avant-guerre.
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Message par bruce randylan »

Swordsman of the 2 Sword Style (Sadatsugu Matsuda - 1956)

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Après son défi avec Sasaki Kojiro, Miyamoto Musashi est bientôt traqué par des proches du sabreur vaincu.

Une fois n'est pas coutume, cette adaptation commence pour ainsi après la fin du célèbre diptyque le sabre et la pierre/la lumière parfaite. La quête de sérénité, retiré des combats, n'est pas vraiment de mise et le film offre régulièrement des passes d'armes entre Miyamoto et ses poursuivants (un clan et une épouse en quête de vengeance). Les premiers affrontements sont assez remarquables, dynamiques et assez modernes avec un montage très nerveux, des mouvements rapides coupés dans leur élans, de multiples variations dans le point de vue, des travellings latéraux à toute vitesse et des répétitions de plans...
Ca m'a plutôt surpris de Sadatsugu Matsuda qui est plutôt un cinéaste académique qui privilégie la concision et les ellipses aux accélérations fugaces. Des marques de fabrique qu'on retrouve tout de même ici mais peut-être moins percutantes que ce que j'ai pu voir jusque là chez lui. Sa mise en scène alterne académisme de pur studio et classicisme, principalement lors des extérieurs qui font preuve d'un joli sens du cadrage et d'intégration des paysages.
En revanche le scénario n'est clairement pas à la hauteur du personnage et de sa mythologie. Malgré quelques tentatives de romanesque, les personnages restent décevants et loin de développer la richesse du roman. Un peu comme le jeu de Kataoka Chiezo, certes impassible et dégageant une forte présence physique, mais à qui il manque un je-ne-sais-quoi d'âme.
Si on met de côté ses racines et qu'on le prend pour un chambara de 1956 signé par un bon artisan, c'est un divertissement tout ce qui a de plus honnête et dans la bonne moyenne.

Et cherchez pas, c'est du bootleg en VOSTA.
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Message par Rick Blaine »

bruce randylan a écrit : A Colt is my passport (Takashi Nomura - 1967)

Il s'agit d'un excellent film noir très flegmatique et en grande partie mutique où l'on retrouve avec grand plaisir Joe Shishido qui renoue avec un rôle de tueur solitaire et minutieux proche de celui de la Marque du tueur (sorti justement la même année). Je ne connaissais pas Takashi Nomura mais il livre un excellent boulot avec une réalisation précise, limpide et parfaitement clinique et millimétrée à l'image de son héros. Le noir et blanc en scope est tout aussi classe avec ce sens du cadre virtuose typique du cinéma japonais de cette période, agrémenté d'une photo très contrastée.
Le final est grandiose avec Shishido qui s'apprête seul à faire face à des ennemis en surnombres. Une longue séquence anthologique, divinement découpée jouant à merveille de l'immense espace vide et d'une blancheur aveuglante. On pense alors fortement à Sergio Leone mais avec une dimension quasi surréaliste par son contexte que certains considèrent comme existentialiste.
Ces dernières minutes méritent largement à elle seule un visionnage et excuse quelques baisses de rythme. Mais le film est tout de même régulièrement réjouissant et inspirée. Chaudement recommandé ! :D
Globalement en ligne avec ça, même si j'ai quelques réserves sur le milieu du film, lorsque Shishido et son bras droit se cachent, où une stylisation excessive à tendance à rendre le récit un peu brouillon. Mais pour l'ouverture remarquable alors que l'on suit la préparation et l'execution du contrat, pour ce final sublime parfaitement mené et pour Joe Shishido, parfait dans ce rôle de tueur mutique fascinant qui est à lui seul un fil conducteur pour le spectateur, voilà un film particulièrement plaisant.
La mise en scène de Nomura est inspirée, comme la photographie remarquable, et la B.O. très réussie. Au final effectivement un film réjouissant, pour les amateurs de Yakuza eiga.
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Message par Spike »

Rick Blaine a écrit :
bruce randylan a écrit : (...) j'ai quelques réserves sur le milieu du film, lorsque Shishido et son bras droit se cachent, où une stylisation excessive à tendance à rendre le récit un peu brouillon.
Personnellement, le problème que j'ai avec cette partie du film provient du fait qu'on sent qu'elle sert surtout à approfondir la caractérisation des personnages et à gonfler le côté émotionnel du film, au détriment parfois de la logique (i.e. notre duo de tueurs retourne se planquer dans un endroit où leurs poursuivants savent qu'il leur a déjà servi de cachette - ceci afin de présenter des séquences "émotion" avec la serveuse).
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Message par Rick Blaine »

Spike a écrit :
Rick Blaine a écrit :
Personnellement, le problème que j'ai avec cette partie du film provient du fait qu'on sent qu'elle sert surtout à approfondir la caractérisation des personnages et à gonfler le côté émotionnel du film, au détriment parfois de la logique (i.e. notre duo de tueurs retourne se planquer dans un endroit où leurs poursuivants savent qu'il leur a déjà servi de cachette - ceci afin de présenter des séquences "émotion" avec la serveuse).
Oui, c'est totalement vrai.
Même si en fin de compte, ce n'est pas ce que l'on retient à la sortie du film, il y a quand même à redire sur la logique du film à ce moment là.
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Message par bruce randylan »

Curieusement, j'ai plus trop de souvenirs de cette partie centrale :mrgreen:


Prosperities of vice (Akio Jissoji - 1988)

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La future sortie du coffret Arrow consacré au cinéaste m'a donné envie de commencer à approfondir le Mr dont je n'ai vu que la courtisane en fin de compte.

Il s'agit ici de variations autour du Marquis de Sade située, dans les années 20 où le directeur d'une pièce de théâtre, fasciné par l'auteur, pousse ses comédiens – d'anciens criminels - dans leur retranchement. Peut-être au delà de ses espérances.
Produit par la Nikkatsu, le film appartient au courant Ropponica qui prit le relai des Roman Porno, avec j'imagine le même genre de contraintes et de libertés.
C'est ainsi un pur ovni cinématographique qui ne ressemble à rien avec une réalisation entre surréalisme, baroque coloré, abstraction, mise en abîme, rêve/cauchemar éveillé pour un exercice de style formel ahurissant de virtuosité avec une photographie aussi théâtrale qu'artificielle, des dé-cadrages très poussés, un montage labyrinthique et une grande variété dans le découpage.
A ce niveau formel, c'est avant tout un spectacle fascinant plus qu'une œuvre qu'on suit pour son histoire ou ses personnages. Ce n'est sans doute pas innocent venant de la part de Jissoji qui cherche à créer le sentiment de vertige et de malaise naissant des tentatives de manipulation qui échappe au directeur du théâtre. On peut regretter que les comédiens (du théâtre et du film) soient des pantins et ne créent pas d’empathie mais l'inventivité de la mise en scène est suffisante pour me tenir en état d'hypnose durant 80 minutes. :D



C'est disponible en DVD chez Mondo Macabro, VOSTA donc
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Journey Into Solitude de Koichi Saito (1972)

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Une jeune fille quitte la maison et part seule en voyage. Elle éprouve les joies et l'amertume du monde adulte...

Journey Into Solitude est une œuvre emblématique du réalisateur Koichi Saito. Après des débuts en tant que photo de plateau au sein de la Nikkatsu, Saito durant les années 60 et 70 signera une série de film en parfaite résonance esthétique et thématique de la jeunesse de l'époque. Versant esthétique cela passe par un côté stylisé et pop que l'on retrouve dans son premier film Tsubuyaki no Jō (1968) sous influence des œuvres anglaises de Richard Lester ou de Claude Lelouch. Pour la dimension thématique Saito va se spécialiser dans les 70's dans les récits d'errance et de retour à la nature, impliquant des personnages juvéniles. Son film le plus célèbre dans cette veine est certainement La Ballade de Tsugaru (1973) qui lui vaudra une certaine renommée internationale. Tous les éléments de cette formule se trouvent déjà dans le magnifique Journey into Solitude, adapté d'un roman de Kukiko Moto.

Le postulat des plus simples voit une adolescente de 16 ans (Yôko Takahashi) fuguer de chez elle pour prendre la route et explorer l'île de Shikoku. Ce cadre est un célèbre lieu de pèlerinage bouddhiste pour les japonais dont les 1 200 km de route abritent 88 temples en l'honneur du moine du Kūkai. Autant d'information que notre héroïne partie à l'aventure ignore et apprendra au fil des rencontres. La bande-son folkeuse de Takuro Yoshida (portée par une ritournelle entêtante) pose une tonalité rieuse ou mélancolique selon l'humeur de la jeune fille tandis que la mise en scène de Sato magnifie dans de saisissants plans d'ensemble les somptueux décors naturels. Sato perd la frêle silhouette de la fille dans le panorama ou s'attarde sur son sourire radieux dans les premières heures enjouées du voyage. La voix-off du personnage énonce les lettres envoyées à sa mère mais constituent tout autant un dialogue intérieur restant habilement nébuleux quant aux raisons de sa fuite. Les micros flashbacks laisse également entendre une relation mère/fille conflictuelle mais en conservant le mystère pour simplement faire passer l'affection mutuelle qu'elles se vouent malgré la séparation.

Les rencontres sont révélatrices du besoin paradoxal de l'adolescente de s'arrêter alors qu'elle ne fait qu'avancer. L'intégration à une communauté (la troupe de théâtre ambulant), les premiers émois sexuels, les amitiés furtives, la quête initiatique du personnage ne consiste pas à se retrouver dans la solitude mais bien de trouver les autres. Ainsi même les individus douteux deviennent par le besoin d'interaction de l'héroïne des interludes lumineux comme cet homme aux mains baladeuses au cinéma qui finira penaud par lui payer un déjeuner. L'imagerie se fait ample pour s'oublier le paysage tandis que l'obsession des corps et de leur contact symbolise le sentiment d'attrait et de rejet ressenti par l'adolescente. Ces corps selon qu'ils soient alanguis, caressants, admirés ou au contraire malmenés, méprisés (le chauffeur routier raillant la mauvaise odeur de la fille) et rejetés anticipent et/ou précèdent les pauses ou les départs du personnage. L'apaisement ne viendra que lorsque, poussé à la rupture, s'abandonne et se laisse à son tour soigner. L'atmosphère rurale évoque un Japon plus ancien qui ne semble observé que de manière furtive mais qui s'incarne enfin dans la dernière partie où un point d'attache semble enfin se dessiner. Le schéma de rapprochement fébrile et pressant ne débouche plus sur la fuite mais sur une affection délicieusement indéterminée. Yôko Takahashi est magnifique de présence solaire, incertaine entre candeur enfantine et désir féminin qui s'affirme et dont Sato scrute les contradictions avec belle sensibilité. Une touchante et inoubliable errance. 5/6

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The Rendezvous de Koichi Sato (1972)

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Koichi Sato avait exploré sa thématique de l'errance existentielle à travers le beau coming of age pastoral Journey Into Solitude (1972). Avec The Rendezvous il va creuser ce sillon à travers un poignant drame romantique. Un jeune homme élégant et turbulent rencontre une jolie femme d'âge mûr durant un voyage en train. Il tente maladroitement de lier connaissance malgré l'attitude fuyante de sa voisine, ils vont poursuivre leur périple en commun quand ils descendront à la même station. On en saura plus très tardivement sur le passif des personnages mais quelques indices et réactions habilement distillées permettent de les deviner, que ce soit le rictus crispé de la femme (Keiko Kishi) en lisant un fait divers dans le journal ou encore la dégaine et comportement de marlou du jeune homme typique du yakuza. Tout dans le visage mélancolique, le langage corporel résigné, trahit chez la femme une forme de renoncement que Sato accentue en figeant sa silhouette solitaire dans de superbe paysage naturel ou encore dans des environnements urbains mornes. A l'inverse l'agitation enfantine constante du jeune homme laisse deviner chez lui l'attente de quelque chose, de quelqu'un qui changerait son existence. La parole rare et le stoïcisme de l'une comme la logorrhée angoissée de l'autre dissimulent une même solitude, que les pérégrinations (le recueillement sur la tombe de la mère de la femme) et les confidences (le passé d'orphelin de l'homme) révèleront.

Ils vont raviver et combler leurs manques émotionnels respectifs à travers leur fragile romance que Sato saisit avant tout par l'image. La coiffure stricte de la femme contribue notamment à cette mise en retrait du monde, qu'elle brise lors d'une scène où elle relâche ses cheveux et se maquille pour s'exposer à nouveau au monde, en se rendant à nouveau désirable pour un homme et en somme en s'aimant elle-même par cet apprêt. La dernière partie voit le jeune homme faire montre d'une fragilité qui dénote tout autant de son arrogance initiale, au bord des larmes et retardant toujours plus l'inéluctable séparation. Le travail sur le découpage, les raccords regards et les compositions de plans trahissent l'influence de Lelouch (mimétisme renforcé par le score jazzy et mélancolique de Yasushi Miyakawa) dans l'esthétique de Sato qui illustre d'envoutants moments romantiques suspendus et furtifs (l'homme posant son manteau pour serrer la main de la femme secrètement). La superbe photo de Noritaka Sakamoto façonne ainsi un écrin délicat, à la fois naturaliste et stylisé. Vrais dans leurs sentiments mais secrets dans leur passif, le couple voit pourtant ce dernier les rattraper lors de la poignante conclusion, non sans une promesse qui donne son joli titre francisé au film. 5/6

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Message par Profondo Rosso »

Evening Primrose de Tatsumi Kumashiro (1974)

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Le cinéma de Tatsumi Kumashiro s’est constamment placé sous le signe de l’insoumission. Le registre contraignant des Roman Porno de la Nikkatsu va paradoxalement lui apporter la liberté qu’une première carrière plus traditionnelle ne lui avait pas autorisée. Plaçant les trois ou quatre scènes érotiques de rigueur du genre, Kumashiro célèbre ainsi une insoumission souvent placée sous le signe de la jeunesse et du féminisme dans des œuvres comme Sayuri, strip-teaseuse (1972), Les Amants mouillés (1973) ou encore La Femme aux cheveux rouges (1979). Evening Primrose creuse le même sillon libertaire, à cheval entre esthétique expérimentale, érotisme trouble et une vraie dimension politique par sa nature de film historique. Le film a pour cadre le Japon de l’ère Taisho (1912-1926), période trouble qui voit le pays agité entre élans nationalistes et militaristes contrebalancés par une montée des mouvements anarchistes, tandis que paradoxalement les arts et les mœurs s’ouvrent à des penchants plus hédonistes. Toutes ces contradictions se bousculent à travers le trio de héros du film, enfermés chacun à leur manière dans une idéologie, un milieu social ou encore des désirs refoulés. Daijiro (Yoshiro Aoki) est le meneur d’un groupe d’anarchiste que l’on voit en action lors d’une loufoque scène d’ouverture où un coup de force plus ou moins préparé contre une caserne tourne court. Cette entrée en matière ridiculise ainsi la « cause » pour bien nous signifier que la vraie liberté n’est pas là. L’acolyte Tanigawa (Kenji Takaoka) est un jeune homme impuissant qui vient également compenser cette frustration par l’adrénaline de la rébellion mais n’y trouve pas son compte non plus. Tout bascule avec la rencontre de la belle Shino (Yoko Takahashi), fille de bonne famille engoncée dans un milieu bourgeois étouffant.

Quel que soit leur parcours et/ou statut social, les personnages paraissent tout autant entravé, ce que Kumashiro fait passer par motifs et idées formelle immédiatement identifiables, les mantras politiques de Daijiro, les crises de Tanigawa dès qu’il approche une femme ou encore le « chaperon » se profilant dans l’ombre de Shino au moindre de ses gestes. Des rebondissements farfelus (Shino prise en otage par les anarchistes mais qui ne voudra plus les quitter) fait virer le film vers le road-movie où l’on explorera l’intime de chaque membre du trio. Chaque étape est un renoncement volontaire qui les déleste de leurs origines et qui les place en défiance de l’institution militaire (la scène de hold-up en uniforme) de droite, mais aussi l’idéologie de gauche tout aussi contraignante à sa manière (le combat entre anciens frères d’armes après la prise d’otage). Les élans de liberté passent symboliquement par une fuite dans les airs en ballon ou encore les scènes charnelles où l’érotisme trouble se dispute à une approche feutrée loin des excès du Roman Porno. Il s’agit en effet de capturer la passion amoureuse de Daijiro, observer la séduction et l’innocence dégagée par Shino (Yoko Takahashi déjà merveilleuse en héroïne fugueuse dans Journey into solitude (1972) en une nouvelle fois envoutante ici). L’un des aboutissements de cette odyssée sera notamment la magnifique scène où Tanigawa semble enfin suffisamment libéré pour enfin s’unir à Shino. Les chansons, qu’elle soit comptines enfantine ou hymnes politiques rythment le récit, exprimant l’hésitation entre fantaisie et rattachement au réel des personnages.

On pense à un Bande à part ou un Jules et Jim (François Truffaut se fit d’ailleurs élogieux à l’époque envers Kumashiro) par la liberté de ton de l’ensemble pour accompagner ce triangle amoureux, le tout porté par la toujours stupéfiante tenue visuelle du cinéma d’exploitation japonais des 70’s (photo superbe de Shinseku Himeda, dont le final avec Shino face à un ciel couchant, somptueux). Encore une belle réussite pour Kumashiro. 4,5/6

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Re: Topic naphtalinippon

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La Ballade de Tsugaru de Koichi Saito (1973)

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Une hôtesse de bar de Tokyo est en fuite avec son amant dont la tête est mise à prix pour avoir tué un chef de gang. Elle l'emmène dans un village de pêcheurs à Tsugaru, le temps que ses ennemis l'oublient, et avec l'espoir de fonder une famille.

La Ballade de Tsugaru est certainement le film le plus connu au Japon et à l'international de Koichi Saito. Comme dans nombre de ses œuvres des années 70, il s'agit d'un récit rural où le contact à la nature participe d'un épanouissement, d'un rapprochement des personnages qui peut s'exprimer par la maturité d'une jeune fille dans Journey Into Solitude (1972) ou une éphémère romance dans The Rendezvous (1972). La Ballade de Tsugaru est donc une des œuvres emblématique du courant du retour à la nature ou plus spécifiquement du furusato (pays natal) qui retrouvera d'ailleurs un regain à la fin des 80's à l'aune des désillusions de la bulle économique.

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Au départ c'est d'ailleurs l'aspect le plus intime du furusato qui semble s'exprimer avec l'héroïne Isako (Kyōko Enami) de retour dans son village natal situé dans la préfecture d'Aomori, au nord de l'île de Honshū. Elle est en fuite avec son amant Tetsuo (Akira Oda) yakuza recherché par des complices. Elle a autrefois quitté ce village en compagnie du fils d'un pêcheur local pour Tokyo avant que leur histoire tourne court. Ce retour se nourrit donc essentiellement de regrets, notamment pour sa famille disparue et plus particulièrement son père et son frère morts en mer. Isako va donc tenter de s'amender de ses fautes en payant une pierre tombale à sa famille. Tetsuo par son apparat déplacé de yakuza et ses attitudes boudeuses figure totalement le citadin m'as-tu vu hors de son élément. On suit son ennui manifeste dans ce désert rural où il n'a que faire, jusqu'à sa rencontrer Yuki (Mihoko Nakagawa) une jeune fille aveugle avec laquelle il va se lier d'affection. La mise en scène de Koichi Saito souligne autant la beauté pastorale des décors naturels qu'il sème la dépression par les environnements abandonnés (signe du déclin économique de la région) et exprime ainsi la dualité du film. L'envoutement de ces lieu ne fonction que dans ce qu'on y trouve, même malgré soi, plutôt que de ce qu'on vient y chercher de manière explicite.

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La rédemption d'Isako va ainsi tourner court au fil des désillusions, des rencontres glauques (cet affreux patron de bar joué par Hideo Satō) et finalement des souvenirs douloureux qui se rattachent à ces lieux. A l'inverse Tetsuo oscille entre son cynisme citadin et le vrai envoutement qu'exerce progressivement cette nature sur lui, au contact de la Yuki. Sato passe par la caractérisation des personnages pour saisir l'attrait de cette campagne plutôt que sur une vision passéiste et traditionnelle des mœurs rurales. Celles-ci relèvent ainsi parfois de la superstition et du rejet notamment pour Yuki dont les origines la mettent au ban de cette communauté, et Tetsuo hésitera longtemps entre céder à une brutalité facile envers elle plutôt que de laisser exprimer sa tendresse. La tradition n'importe que dans ce qu'elle laisse entrevoir de différent aux héros, et jamais dans ce qu'elle leur impose. Yuki refuse ainsi d'être la disciple d'une sinistre prêtresse locale mais rêve par contre de devenir une goze, ces musiciennes aveugles itinérantes qui jouent du shamisen (instrument japonais traditionnel, sorte de luth à trois cordes) pour gagner leur vie. C'est l'occasion pour le réalisateur de nous offrir de magnifiques visions où il nous immerge dans des inserts de peintures de Shin'ichi Saitō représentant de manière poétique les gonzes. De la même manière les travaux de pêche ne sont observés que du point de vu exalté de Tetsuo quand il daignera enfin s'immerger dans ces coutumes locales.

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Koichi Saito n'exalte donc pas la nature comme remède à tous les maux, mais en fait un terreau de construction intime pour les personnages "vierges" (et on rejoint finalement le propos de Journey into Solitude). On apprendra ainsi que Tetsuo qui n'a connu que la ville de Tokyo est un orphelin, dont le refuge imprévu dans ce village va offrir des racines et en quelque sorte un père d'adoption avec le personnage du pêcheur. Il en va de même pour Yuki élevée par sa grand-mère qui va s'ouvrir aux autres au contact de Tetsuo. Isako qui traîne une culpabilité et un passif trop lourd ne peut s'inscrire dans ce renouveau, ce havre de paix qui n'en est pas ou plus un pour elle (le scénario laisse d'ailleurs planer une ambiguïté quant à son rôle dans le dénouement). La Ballade de Tsuguru brille ainsi par sa célébration d'une ruralité non sous forme de retour en arrière, mais de renouveau partant de ce que le passé a de meilleur. On savoure donc ce bonheur simple jusqu'à un douloureux retour sur terre final. 5/6

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