
6.07- Ah Sing Vs. Wyoming (Le procès de Ah Sing)
Réalisation : Charles S. Dubin
Scénario : Irve Tunick
Guest stars : Edmond O'Brien
Première diffusion 25/10/1967 aux USA
DVD : VOSTF - VF
Note : 7/10
Le Pitch : Ah Sing, le cuisinier de Shiloh, décide de quitter les Grainger pour aller s'occuper de son propre restaurant à Medicine Bow. Alors qu’il va demander son autorisation pour ouvrir son établissement, le juge de paix le lui refuse par le seul fait d’être chinois ; les ranchers ne veulent pas contrarier le juge de paix qui doit actuellement résoudre un problème de voisinage qui les concerne. Mais Ah Sing qui tient absolument à mener son idée à terme va se battre seul comme un beau diable pour faire cesser cette injustice, son affaire étant portée par un avocat alcoolique (Edmond O’Brien) jusque devant la Cour suprême…
Mon avis : De prime abord, deux intrigues semblent se chevaucher dans ce très bon épisode puisqu’il débute par une réunion entre ranchers qui s’inquiètent du déclenchement probable d'une sanglante 'War Range' ; en effet un de leurs voisins vient de barricader sa propriété, ce qui condamne par la même occasion l’accès de leurs bêtes dans les pâturages qui se situent de l’autre côté des terres de ce gêneur. Puis l’on s’intéresse à un tout autre sujet, celui du départ de la maison des Grainger de leur cuisinier, un chinois du nom de Ah Sing. Les trois membres de la famille ne cachent pas leur tristesse et plaisantent les capacités de cuisinière d’Elizabeth comme quoi ils vont dorénavant mal être nourris. Sa fiancée n’allant pas tarder à arriver aux États-Unis, Ah Sing a en fait décidé de travailler désormais à son compte en ouvrant un restaurant à Medicine Bow. Il a déjà loué un local et y a fait tous les arrangements pour que son établissement puisse commencer à proposer ses services dans les jours qui viennent. Seulement, alors qu’il l’inaugure avec des invités qu’il apprécie plus que tout et notamment les Grainger, Ryker vient faire le rabat-joie en lui demandant de fermer son restaurant tant qu’il n’aura pas été demander l’autorisation au juge de paix. Ce qui semble aisé et devoir être réglé en quelques minutes ne va pas l’être, Ah Sing tombant sur un os en la personne de Temple qui refuse de lui accorder la licence par peur du ‘péril jaune’ ; pour la tranquillité de la ville, il ne veut pas que l’un des membres de cette communauté puisse avoir pignon sur rue, estimant que les chinois représentent déjà un peu 'la racaille' qui met le 'bazar' dans les rues de San Francisco… On ne peut plus actuel comme sujet ; la transposition est assez facile et parions qu'il résonnera très clairement pour beaucoup en ces périodes de xénophobie galopante.
Bref, d’un côté une réflexion sur le racisme, de l’autre une guerre des ranchs qui s’annonce : quel rapport entre les deux ? L’auteur Irve Tunick y répond avec clarté et intelligence, nous octroyant par la même occasion un scénario parfaitement bien agencé. Les ranchers emmenés par Grainger vont rencontrer le juriste Luke Evers afin qu’il trouve une solution à leur problème de voisinage. Ce dernier leur conseille d’aller demander au juge de paix de leur rédiger une injonction afin d’assigner en justice l’importun pour qu’il daigne retirer les barrières qui risquent de provoquer une véritable tragédie parmi les troupeaux de bovins. On se souvient qu’il s’agit du même homme qui refuse que Ah Sing ouvre son restaurant. Et donc, même si Grainger veut absolument défendre son ex-cuisinier et cette décision discriminatoire, Evers lui recommande de ne pas se mêler de cette affaire auquel cas le juge de paix risque de ne pas vouloir s’occuper de la question qui les préoccupe encore plus et qui risque de faire couler le sang. Les Grainger se voient en quelque sorte dans l’obligation de ne rien entreprendre pour porter secours au jeune chinois qui se voit ainsi privé de toute l’aide qu’on aurait pu lui apporter mais qui ne va pas se démonter pour autant, rouvrant son établissement à la fin de chacun de ses emprisonnements (séquences chez le shérif assez cocasses au cours desquelles Ryker profite des dons culinaires de son prisonnier). Une situation qui met néanmoins très mal à l’aise toutes les parties mais qui donne à l’épisode une intéressante complexité et une belle dignité, John Grainger, quitte à se fâcher avec ses amis, allant tenter de recoller les morceaux dans les deux affaires en demandant du soutien à une de ses vieilles connaissance, un juriste avili par l'alcool.
Ce personnage est tenu par Edmond O’Brien, comédien que tout le monde connait au moins de visage : il fût le policier infiltré dans le chef d’œuvre de Walsh, L’enfer est à lui (White Heat) ; il tint aussi des rôles de grande importance dans des chefs d’œuvres comme La Comtesse aux pieds nus (The Barefoot Comtessa) de Joseph Mankiewicz ou L’Homme qui tua Liberty Valance de John Ford ; enfin les aficionados de westerns l'apprécient bien puisqu’il en tourna une bonne dizaine, que ce soit dans de médiocres séries B Paramount, celles de Byron Haskin entre autres, ou dans de grands films comme La Horde sauvage (The Wild Bunch) de Sam Peckinpah. Dans la peau de cet avocat déchu car alcoolique et qui ne cherche à trouver aucune excuse à son vice (ce n’est pas banal au sein d’une fiction hollywoodienne), il s’avère parfait, son discours final - permettant un happy end de circonstance mais tout à fait émouvant - fustigeant avec une grande dignité l’atteinte à la liberté individuelle et aux fameux 5ème et 14ème amendements de la constitution. Ses partenaires, que ce soit Aki Aleong dans le rôle de Ah Sing, Lloyd Bochner (Le Point de non-retour de John Boorman ; Fureur Apache de Robert Aldrich) dans celui de l’avocat représentant le Wyoming contre le restaurateur chinois, ou Robert Ellenstein (3h10 pour Yuma de Delmer Daves ; La Mort aux trousses d’Alfred Hitchcock) dans celui du juge de paix raciste mais qui comprendra in fine son erreur, ils sont tous parfaitement bien dirigés, personne ne cabotinant outre mesure là où il était assez aisé de tomber dans ce piège de la surenchère.
Direction d’acteurs aux petits oignons, scénario solidement charpenté, réalisation toute à fait honorable… un épisode peut-être un poil bavard et qui manque d’un peu de puissance mais qui n’en demeure pas moins constamment captivant et surtout d’une belle dignité dans sa défense des minorités et des droits civils, dans la critique de la pudibonderie américaine, de l’injustice et de la xénophobie ambiante. Il marque la dernière apparition de Charles Bickford dans le rôle du patriarche de Shiloh puisque le comédien décèdera d’une infection sanguine deux semaines après la diffusion télévisée de l’épisode. Notons qu’il s’agit peut-être là de sa meilleure interprétation dans ce rôle et qu’il tire ainsi sa révérence avec les honneurs malgré le fait qu’il ait mis du temps à rentrer dans la peau de son personnage et qu’il ne nous fera pas oublier pour autant en tant que propriétaire de Shiloh ni Lee J. Cobb ni John Dehner. Rendons cependant un dernier hommage à ce formidable acteur que l'on a vu dans des centaines de films et dont les adieux s’avèrent si ce ne sont mémorables néanmoins tout à fait dignes d’intérêts. "Something that is morally wrong can never be legally right" ; telle est la morale hautement recommandable de cet épisode qui ne l’est pas moins !
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