Yasuzô Masumura (1924-1986)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Spike
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Re: Yasuzô Masumura (1924-1986)

Message par Spike »

Spike a écrit : 24 sept. 20, 13:19
The Eye Of Doom a écrit : 23 sept. 20, 23:18J’ai enchaine sur Tatouage.
(...)
La copie est plutot belle mais le dvd souffre de probleme et de definition. Un bluray serait bien venue.
C'est sorti au Japon dans ce format il y a environ 6 mois. Sauf exception, il faut en général attendre quelques années avant que les éditeurs occidentaux ne leur emboîtent le pas (soit parce que les studios japonais refusent purement et simplement de licencier le master HD, soit parce qu'ils en demandent un prix exorbitant, soit parce qu'ils imposent un achat groupé avec d'autres titres moins intéressants - par peur de l'import récursif par les consommateurs nippons).
Tatouage sortira finalement en BR en France chez La Rabbia.
The Eye Of Doom
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Re: Yasuzô Masumura (1924-1986)

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Re: Yasuzô Masumura (1924-1986)

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Black Test Car (1962)

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Deux constructeurs automobiles s'espionnent pour essayer de connaître les détails et les prix d'une nouvelle voiture de sport que chacun est sur le point de lancer.

Yasuzo Masumura avait réalisé avec Géants et jouets (1958) une brillante satire au vitriol dépeignant la déshumanisation de la société japonaise moderne entrant dans l'ère du capitalisme glacial. On pénétrait le cadre oppressant des grandes corporations à travers le regard du salaryman, acteur et victime de la course à la réussite sociale/matérielle effrénée quel qu'en soit le prix. Le film rejoignait certes des films hollywoodiens de l'époque explorant les même thèmes (La Blonde explosive de Frank Tashlin (1957), L’Homme au complet gris de Nunally Johnson (1956), La Tour des ambitieux de Robert Wise (1954) et Patterns de Fidler Cook (1956)) mais en observait sous l'angle comique les aspect plus spécifiques à la société japonaise. Après la capitulation et la défaite lors de la Deuxième Guerre Mondiale, l'abnégation, la dévotion et le sens du sacrifice ne peuvent plus exister sous l'angle nationaliste militaire, et du coup ces vertus s'immiscent désormais dans le monde du travail avec le salaryman comme nouveau soldat en col blanc. Cette figure du salaryman sera d'abord au centre d'un sous-genre littéraire appelé le keizai shōsetsu, et notamment le roman de Toshiyuki Kajiyama dont est adapté Black Test Car.

L'histoire nous place au cœur de la concurrence féroce opposant deux constructeurs automobiles, le challenger ambitieux Tiger Car et la grande compagnie établie Yamamoto. L'objet de leur affrontement symbolise également cette mue sociale à lancer le premier coupé sport au Japon. L'essor économique et technologique du pays amène un règne des apparences qui éclipse la voiture familiale au profit du coupé sport, plus moderne, rapide et tape à l'œil. Le film s'ouvre sur le test secret qu'effectue Tiger Car de son modèle Pioneer mais des journalistes en embuscade photographie la sortie de route du véhicule et publient les images. Rapidement le chef de division Onoda (Hideo Katamatsu) constate des fuites internes profitant à la concurrence de Yamamoto qui lance un prototype curieusement similaire. Dès lors tous les coups sont permis dans une glaçante guerre d'espionnage industriel. Masumura nous dépeint tout d'abord le jeu de pouvoir pyramidal à la japonaise, où tout se joue à l'ancienneté et où il faut savoir attendre son heure. Les stratégies partent ainsi des jeunes loups menés par Onoda et remontent des cadres vieillissant pour arriver jusqu'au patron malade et sous perfusion qui donnera sa validation. La réussite commerciale du projet et la motivation de chacun relève donc de la théorie du "ruissellement" qui coule vicieusement jusqu'à la vie intime des salariés. Onoda promet ainsi à son bras droit Asahina (Jiro Tamiya) de faire de lui son chef d'équipe en cas de succès, et ce dernier promet à sa petite amie hôtesse de bar (Junko Kano) d'avoir les moyens de l'épouser si elle soutire des informations aux employés Yamamoto qui consomment dans son établissement.

Chaque camp à sa taupe chez l'adversaire et tout le film est une haletante partie d'échec d'espionnage industriel où le gagnant sortira son produit le premier, avec les meilleures caractéristiques techniques et commerciales en étant renseignés des mouvements de l'autre. C'est à la fois un film noir et un film d'espionnage au vu des méthodes de chacun. Le chef de Yamamoto est Mawatari (Kichijirô Ueda), ancien agent secret de l'Armée Impériale avec les méthodes sous-terraines sournoises qui vont avec, toujours invisibles et dont on ne constate les effets dévastateurs que trop tard. Onoda représente donc en quelque sorte la jeunesse aux dents longues et la modernité qui va devoir aller plus loin pour triompher de son aîné. Plus le film avance, plus Masumura filme les cadres de Tiger Car comme des gangsters (une réplique cinglante en fin de films dira qu'ils ne se différencient désormais guère des yakuzas). On escalade du soudoiement et pot de vin ordinaire au chantage, à l'enlèvement, la séquestration et autre manipulation. Le scénario réserve des coups de théâtre aussi vertigineux que jubilatoires (on en dira le minimum pour maintenir la surprise) qui déshumanise à chaque fois un peu plus les protagonistes, notamment Asahima cédant à un avilissement toujours plus coupable.

Le film est aussi glaçant que ludique devant les exactions dont les protagonistes sont capables et le filmage alerte et étouffant de Masumura ne relâche jamais la pression. Dans Géants et jouets Masumura poussait jusqu'à l'absurde la légendaire dévotion des salarymen à leur compagnie, cette fois c'est jusqu'à l'abject au vue de certains rebondissements, que ce soit Asahina qui va prostituer sa petite amie ou une confrontation finale stupéfiante de noirceur. La conclusion laisse la porte ouverte à la rédemption, mais c'est au prix de l'abandon de ses ambitions, la réussite n'autorisant pas la conscience morale. 5,5/6
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Re: Yasuzô Masumura (1924-1986)

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The Black Report (1963)

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Un procureur enquête sur la mort d'un grand industriel de produits alimentaires. Il doit lutter contre un avocat véreux et une avalanche de faux témoignages.

Le succès de Black Test Car (1962) va entraîner pour le studio Daiei la production d'une série de films affiliés de cet intitulé "Black" qui creuse le même sillon croisant le thriller et une certaine dimension sociale. 11 films seront produit entre 1962 et 1964 et Yasuzo Masumura qui avait lancé le mouvement avec l'excellent Black Test Car remet le couvert en réalisant ce Black Report. Au premier abord le film est moins original que le haletant récit d'espionnage industriel de Black Test Car, puisqu'il s'agit là d'un "procedural" plus classique. Le jeune procureur Kido (Ken Utsui) enquête sur le meurtre d'un riche industriel, avec en point d'orgue s'il mène l'affaire à bien, une promotion à Tokyo. Très vite il a la conviction que le crime a été commis par la femme de la victime (Mieko Kondô) et son amant Hitomi (Shigeru Kôyama) mais malgré les concordances, l'arrivée de l'avocat véreux de la défense va tout compliquer.

L'un des éléments qui démarque d'emblée The Black Report, c'est sa description des spécificités judiciaires japonaise. Tous les indices même les plus flagrants sont à même d'être contestés et la preuve la plus indiscutable réside dans les aveux du suspect. Pour les obtenir la police et la justice possèdent des moyens de pression surprenants (arrestation arbitraire, torture psychologique, interrogatoire sans avocat) destiné à faire plier la volonté du suspect quoiqu'il en coûte. L'orientation dramatique du film semble justifier ce système qui permet d'obtenir rapidement des résultats (et de l'avancement) mais le hic réside lorsqu'on tombe sur un adversaire sachant en jouer. Yamamoto (Eitarô Ozawa), avocat corrompu et roublard va ainsi faire tenir son client pourtant coupable, et siphonner tous les témoignages à charge par la corruption. Le naïf Kido croit en la justice et pense que l'ensemble de ses preuves suffiront, mais sans aveux tout devient soudainement discutable au mépris de revirement invraisemblable des témoins. Masumura semble ainsi dans la première partie valider l'instruction agressive et à charge, que ce soit le filmage alerte de l'enquête, le climat claustrophobe des interrogatoires. Les scènes de procès (ou là aussi le système sans jury diffère grandement de la justice occidentale) sont une scène de théâtre où l'on vient jouer sa partition, où la conviction prend le pas sur la logique puisque l'argument intouchable des aveux n'a pas été obtenu. C'est un jeu de dupe où seuls les plus fourbes peuvent gagner, se nourrissant de l'égoïsme et la cupidité de leur semblables. Dans le système de pouvoir pyramidal japonais, l'avocat véreux qui ne travaille que pour lui-même prend moins de risque à mentir et n'a rien à perdre quand Kido procureur du service public pouvait certes espérer une promotion, mais dont la disgrâce sera totale en ayant cru au fonctionnement de sa justice.

Il y a une ironie cinglante mettant en lumière les limites de cette méthode judiciaire japonaise (y compris un élément absent du film, celui de faire avouer et emprisonner un innocent) le pouvoir des apparences peut retourner une culpabilité pourtant avérée. On retrouve cette idée vue dans Black Test Car de duel psychologique entre deux vision et génération entre le roublard expérimenté Yamamoto et le vertueux Kido, sauf que ce dernier n'est pas prêt à s'avilir pour gagner. Pas aussi singulier que le film précédent mais très intéressant donc. 4,5/6
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Re: Yasuzô Masumura (1924-1986)

Message par The Eye Of Doom »

Merci pour ces revues.
Je me serais bien laissé tenter mais deja que l’anglais avec Ssa, c’est juste ( mais mieux que sans ssa bien sur), le japonais avec ssa , c’est mal de tete assuré et comme je ne vise que le jlpt 5 l’an prochain, je suis pas pret de saisir les conversations en vo.
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Re: Yasuzô Masumura (1924-1986)

Message par Profondo Rosso »

The Eye Of Doom a écrit : 5 déc. 20, 16:32 Merci pour ces revues.
Je me serais bien laissé tenter mais deja que l’anglais avec Ssa, c’est juste ( mais mieux que sans ssa bien sur), le japonais avec ssa , c’est mal de tete assuré et comme je ne vise que le jlpt 5 l’an prochain, je suis pas pret de saisir les conversations en vo.
Franchement si tu te débrouilles un minimum en anglais ça se suit sans trop de difficultés je pense, ça se tente ! :wink:
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Re: Yasuzô Masumura (1924-1986)

Message par The Eye Of Doom »

Il y a Mad Fox chez Arrow qui me tente bien (le film a l’air superbe). Si ca passe, je recidiverais.
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Re: Yasuzô Masumura (1924-1986)

Message par Rick Blaine »

Profondo Rosso a écrit : 5 déc. 20, 19:02
The Eye Of Doom a écrit : 5 déc. 20, 16:32 Merci pour ces revues.
Je me serais bien laissé tenter mais deja que l’anglais avec Ssa, c’est juste ( mais mieux que sans ssa bien sur), le japonais avec ssa , c’est mal de tete assuré et comme je ne vise que le jlpt 5 l’an prochain, je suis pas pret de saisir les conversations en vo.
Franchement si tu te débrouilles un minimum en anglais ça se suit sans trop de difficultés je pense, ça se tente ! :wink:
Oui carrément, ce n'est pas compliqué à suivre.
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Re: Yasuzô Masumura (1924-1986)

Message par -Kaonashi- »

The Eye Of Doom a écrit : 5 déc. 20, 19:43 Il y a Mad Fox chez Arrow qui me tente bien (le film a l’air superbe). Si ca passe, je recidiverais.
je te le conseille, mais par contre c'est un film de Tomu Uchida, pas de Masumura.

Profondo rosso : je suppose que tous ces titres de Masumura sont récupérés à droite à gauche ?
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Re: Yasuzô Masumura (1924-1986)

Message par Profondo Rosso »

The Eye Of Doom a écrit : 5 déc. 20, 19:43 Il y a Mad Fox chez Arrow qui me tente bien (le film a l’air superbe). Si ca passe, je recidiverais.

Oui surtout que tu as pas mal d'autres Masumura uniquement disponible comme ça.
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Re: Yasuzô Masumura (1924-1986)

Message par The Eye Of Doom »

-Kaonashi Yupa- a écrit : 5 déc. 20, 21:55
Profondo rosso : je suppose que tous ces titres de Masumura sont récupérés à droite à gauche ?
Les deux titres sont sortis ensemble écemment chez Arrow.
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Re: Yasuzô Masumura (1924-1986)

Message par Profondo Rosso »

The Eye Of Doom a écrit : 5 déc. 20, 23:26
-Kaonashi Yupa- a écrit : 5 déc. 20, 21:55
Profondo rosso : je suppose que tous ces titres de Masumura sont récupérés à droite à gauche ?
Les deux titres sont sortis ensemble récemment chez Arrow.
Oui il n'y a que pour les introuvables qu'on la joue à droite à gauche :mrgreen:
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Re: Yasuzô Masumura (1924-1986)

Message par -Kaonashi- »

The Eye Of Doom a écrit : 5 déc. 20, 23:26
-Kaonashi Yupa- a écrit : 5 déc. 20, 21:55
Profondo rosso : je suppose que tous ces titres de Masumura sont récupérés à droite à gauche ?
Les deux titres sont sortis ensemble écemment chez Arrow.
Ah super, je n'avais pas suivi ça ! :o
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Re: Yasuzô Masumura (1924-1986)

Message par The Eye Of Doom »

Compte a rebourd avant le brexit !!!
J’hesite a prendre le dvd de Red angel a 10€ chez zavvi
La copie a l’air terrible selon Dvdbeaver.
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Re: Yasuzô Masumura (1924-1986)

Message par Profondo Rosso »

La Chatte japonaise (1967)

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Un ingénieur sans histoire et qu'on ne voit jamais accompagné a un secret : il héberge chez lui une belle adolescente sortie du ruisseau dont il veut faire la femme de ses rêves.

Le thème de l'amour obsessionnel est un thème central de Yasuzo Masumura, dont il a exploré le versant fétichiste dans La Bête aveugle (1969), morbide et suicidaire avec La Femme de Seisaku (1965), sacrificiel et romantique sur La Femme du docteur Hanaoka (1967) et L'Ange rouge (1966). Cette approche se prête particulièrement bien à l'univers de l'écrivain Jun'ichirō Tanizaki que Masumura a brillamment adapté deux fois avec Passion (1964) et Tatouage (1966). Masumura retrouve Tanizaki avec La Chatte japonaise où il transpose Un amour insensé, roman fondamental dans l'œuvre de l'auteur. Publié en 1924, il s'agit du roman qui entame la seconde et plus fameuse partie de carrière de Tanizaki. A l'image de ce Japon du début du XXe siècle, Tanizaki est dans sa vie et ses premières œuvres sous haute influence de la culture occidentale. Fortement ébranlé par le tremblement de terre de Kantô du premier septembre 1923 où il échappe de justesse à la mort, Tanizaki entame un virage dans ses écrits. Il célèbrera désormais les valeurs et la culture japonaise dans la fiction ou des textes plus poétiques tout en posant un regard méfiant sur cette influence occidentale. C'est le cas Un amour insensé avec la passion de son héros pour une femme-enfant capricieuse représentant la vision la plus néfaste de la moga (modern girl prononcée à la japonaise), ces jeunes femmes japonaises émancipées de l'ère Taisho, tant dans leurs allures vestimentaires que leur mœurs libres associées également à ce penchant occidental.

Le scénario de Ichirō Ikeda transpose l'intrigue de l'ère Taisho au Japon contemporain. On pourrait penser que c'est une manière, avec notamment l'occupation américaine encore récente du pays, de transposer dans le Japon d'aujourd'hui cette thématique de l'influence occidentale néfaste mais à l'aune d'éléments culturels du moment comme pu le faire un Shohei Imamura dans Cochons et cuirassés (1961). Il n'en sera rien même si les tenues de Naomi ou une scène dans un club de danse exprime cet élément de manière sous-jacente. Ce qui intéresse Masumura c'est précisément cette dimension d'obsession amoureuse de l'ingénieur adulte Joji (Shōichi Ozawa) pour l'adolescente Naomi (Michiyo Ōkusu). Dans le roman Joji rejette la tradition maritale japonaise et cherche à modeler à son goût Naomi tant dans son allure que dans son éducation pour justement en faire l'équivalent japonais du canon de beauté occidental (avec plusieurs évocations des stars hollywoodiennes d'alors comme Mary Pickford). Masumura élimine cette veine sociétale pour se concentrer sur l'intimité du couple et en scruter l'aspect aliénant. Le réalisateur s'attarde longuement sur les albums photos que Joji constitue en accompagnant toutes les étapes de l'éclosion de la beauté de Naomi, l'assurance de ses traits, la rondeur croissante de ses formes, la blancheur de sa peau. Naomi gagne dans ses images fixes un mystère immédiatement estompée par le rapport à la fois infantile et sensuel entretenu avec Joji. Le domicile conjugal est un terrain de jeu où le plaisir naît de la régression quand Naomi fait de Joji se cheval qu'elle fait dévaler à travers la maison, pour aboutir à un rapprochement charnel plus adulte. Cette aliénation naît de l'échec de l'entreprise initiale hypocrite. Joji vise à faire de Naomi une jeune femme éduquée comme pour justifier sa simple et unique obsession de son corps et Naomi comprenant cela (ce qui se devine par l'effronterie croissante de ses regards dans les albums photos), renonce à tout effort pour s'élever intellectuellement. C'est finalement son attrait qui lui a permis de s'extraire de la fange de son milieu social dont elle a honte, et la soumission de Joji nourrira son égoïsme et narcissisme.

Plus encore que dans le roman, les deux personnages conçoivent mutuellement l'instrument de leur perte. Joji a fabriqué un monstre sur lequel il n'a plus prise, et Naomi malgré ses multiples infidélités revient toujours instinctivement à son bienfaiteur seul à même pardonner ses écarts, d'assurer le train de vie auquel elle s'est habituée - comme elle le constatera avec la désinvolture d'un amant plus jeune. Shōichi Ozawa est parfait en petit homme terne, étriqué et complexé, forcé de façonner et garder son idéal de beauté par la protection matérielle et l'autorité masculine de façade. La sournoiserie de Michiyo Ōkusu est à la fois explicite et insidieuse. Sa silhouette constamment dénudée, ses postures constamment provocantes, sont un rappel perpétuel à Joji de ce qu'il pourrait perdre s'il cherchait à trop cadenasser la jeune femme. Naomi alterne caprice enfantin, invective blessante et séduction indécente pour toujours mieux manipuler Joji et parvenir à ses fins. Masumura installe une atmosphère sensuelle et colorée dans la mise en valeur de atours de Naomi par les cadrages et la photo de Setsuo Kobayashi, où le trouble est constant avec quelques sommets comme la nuit à quatre où Naomi affole les sens de ses voisins de lit. Masumura dessine par l'image le dilemme par un plan d'ensemble où surplombant le lit elle est offerte à tous à l'horizontale, puis un gros plan la voyant offrir spécifiquement son pied à Joji qu'elle sait friand de cette partie de son corps. L'espace de la maison est à la fois celui de la proximité, du rapprochement et des jeux érotiques complices, mais aussi celui de la frustration où Naomi se dérobe au désir dévorant de Joji avant d'en disparaître complètement. Comme le soulignera un dialogue, Naomi est comme une délicieuse liqueur dont on veut toujours retrouver l'ivresse malgré les réveils douloureux. A l'inverse Joji est aussi un socle indispensable à l'équilibre d'une Naomi n'ayant jamais appris à se débrouiller par elle-même. Cette aliénation, cette relation dominant-dominé est finalement fondamentale dans le fonctionnement de leur couple et Masumura le fait plus explicitement ressentir que dans le roman (plus ironique) où Joji paraissait avant tout comme la victime soumise et consentante de Naomi- qu'on devine malgré tout réellement amoureuse ici, le détail de l'affectueuse étreinte finale de la dernière scène étant crucial. Ce n'est cependant pas une vraie infidélité à Tanizaki qui empruntera plus ouvertement cet angle dans Journal d'un vieux fou. C'est en tout cas en parfaite cohérence avec l'approche de Masumura qui transforme les postulats les plus troubles (La Bête aveugle en tête) en romance certes tordues, mais romance tout de même comme ici où s'estomperont les notions de possessions et de jalousie inhérentes à une relation "classique". 5/6

Quelques captures en spoiler de Michiyu Okusu qui fait quand même bien saigner du nez :mrgreen: :oops:
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