Préparez vos mouchoirs (Bertrand Blier - 1978)

[Papus]

Ok, je note aussi!
Par contre le bruit des glaçons, je ne l'ai pas cité car stoppé au bout d'une quarantaine de minutes, je ne me rappelle que de l'ennui procuré. A retenter peut être un jour.

[batfunk]

Le Bruit des glaçons est sympa, mais pas inoubliable. Moi c'est Merci la vie ! sur lequel j'avais fait un blocage. J'ai le blu-ray qui attend sur une étagère

[Barry Egan]

La France de 1978 a (enfin) évolué :droit à l'avortement,contraception, droit de vote à 18 ans.. Mais de l'autre côté, des grands espaces des Valseuses et de Calmos, il ne reste plus rien. Les grands ensembles pullulent, les autoroutes aussi, la pollution gagne du terrain.. Bref, la France n'a jamais été aussi moche. Cette scène de Depardieu rendant visite à Dewaere dans cette cour d'école au bord d'une autoroute dit tout. Ce béton omniprésent, cette laideur, tout celà annonce bien évidemment la folie de Buffet Froid.

Complètement d'accord, c'est un plan marquant du film. En quelques secondes, tout est dit. Une image qui vaut plus que mille discours.

Le grand changement de Préparez vos mouchoirs, c'est le passage d'un cinéma frondeur, très porté sur la quequette à un cinéma plus intimiste., qui interroge la nature du sentiment amoureux. Car ce qui intéresse ici Blier, ce ne sont pas les deux huluberlus mais Carole Laure et le gamin .Carole Laure n'est pas simplement insatisfaite sexuellement comme Miou-Miou, elle est dépressive penchant neurasthénique. Et quand on voit l'horizon qui lui est offert, on la comprend sans problème. Appartement miteux, vie épanouissante de femme au foyer, et compagnons compréhensifs qui pensent que l'assurance des besoins matériels d'une femme suffit à son bonheur. Carole Laure, souvent décriée, est formidable en zombie traînant son spleen en petite tenue.
Alors comment sortir de cette vie étriquée et de la dépression ?
La solution de Blier:un mioche de 13 ans malheureux lui aussi, surdoué et fils de grand bourgeois. Là encore, rien n'est gratuit chez Blier. Ce gamin est ce que le puceau de Miou Miou était aux Valseuses, à savoir l'innocence, la sensibilité. Et aussi ce qui manque aux deux zozos: la maturité. Le génie de Blier est là, il s'ouvre ainsi deux nouvelles voies à explorer dans son oeuvre, à savoir les premiers troubles suscité par le sentiment amoureux et le fossé entre classes aisées et classes populaires.
Blier dépeint ce trouble physique chez le jeune garçon avec une grande justesse et parce qu'il est un adulte dans un corps d'enfant, le garçon utilise les mots justes pour décrire son désarroi et convaincre la belle Carole. C'est d'une grande pudeur et en aucun cas malsain. De cette idée d'union entre deux êtres blessés, Blier tirera un autre grand film, le bouleversant Beau-père.
Là où il rejetait d'un bloc la France bourgeoise et pompidolienne des Valseuses, Blier dresse ici un constat beaucoup plus nuancé. Le gamin bourgeois surdoué est ici la victime de son éducation raffinée et de l'idiotie de ses parents. Qui peut effectivement croire qu'envoyer un fils de patron en colonie de vacances avec les fils de ses ouviers se fera sans douleur ? Blier pointe ici le cynisme du père qui pense qu'envoyer son fils connaître l'ennemi lui permettra de mieux les contrôler quand il prendra la succession.
Il n'est pas tendre non plus avec les enfants, qui sont souvent d'une grande cruauté entre eux et rejettent facilement tous ceux qui leur sont différents.
Ce rapprochement impossible entre deux mondes trop différents, Blier en fera aussi le sujet d'un autre film, Trop Belle Pour Toi.
Un film riche et important donc, bien loin de la seule étiquette de film provocateur.

Je comprends ton point de vue mais ne le partages pas. Malgré la timidité de l'adolescent que tu notes bien, le principe même de leur rencontre me met mal à l'aise. Et puis ce n'est pas réaliste du tout. L'esprit d'un adolescent, comme son corps, n'est pas formé entièrement. Ces mots-là qu'il lui dit, ils peuvent venir d'un enfant pour qui il n'y a pas d'enjeu à la découverte d'une anatomie autre que la découverte elle-même. De la part d'un adolescent, c'est une forme de manipulation sentimentale pour obtenir la jouissance du corps de l'autre (manipulation qu'il pourrait tout autant infliger à une fille de son âge d'ailleurs), et l'abandon de la femme adulte à cette manipulation n'est pas autre chose que la reconnaissance de ce même désir, sauf que l'objet du désir est à peine pubère. Pour moi c'est malsain dans la globalité de montrer une situation pareille en espérant que son ambiguïté particulière suffise à faire sauter le verrou de l'interdiction de la pédophilie. Que les adolescents se fassent du bien ou du mal entre eux, c'est leur affaire. Ils peuvent ne pas avoir le même niveau d'innocence ou de savoir, mais il est plus probable qu'ils le partagent étant du même âge. Que les adultes profitent de leurs inexpériences pour s'accaparer leurs corps, c'en est une autre d'affaire. Mettre en scène ce type de situation, je trouve ça irresponsable. Désolé pour le gros mot.

[batfunk]

Et puis ce n'est pas réaliste du tout. L'esprit d'un adolescent, comme son corps, n'est pas formé entièrement. Ces mots-là qu'il lui dit, ils peuvent venir d'un enfant pour qui il n'y a pas d'enjeu à la découverte d'une anatomie autre que la découverte elle-même. De la part d'un adolescent, c'est une forme de manipulation sentimentale pour obtenir la jouissance du corps de l'autre (manipulation qu'il pourrait tout autant infliger à une fille de son âge d'ailleurs), et l'abandon de la femme adulte à cette manipulation n'est pas autre chose que la reconnaissance de ce même désir, sauf que l'objet du désir est à peine pubère.

Tu oublies le principal, ce gamin de 13 ans ressent réellement ces premiers émois sexuels et cherche aussi un amour maternel qu'il n'a pas. C'est un garçon intelligent, curieux, qui va naturellement essayer de combler ses lacunes. Qu'il essaye d'arriver à ces fins en suscitant la charité, ça me semble logique vu que ça n'est pas avec sa prestance qu'il va y arriver.
Quant à l'accord de Carole Laure, il tient surtout à son statut de femme dépressive, qui cherche surtout du réconfort. C' est le gamin qui aborde Carole Laure, pas l'inverse, Carole Laure n'est en aucun cas attirée sexuellement au début, elle cède juste devant l'audace du gamin et son propre besoin d'affection.

Pour moi c'est malsain dans la globalité de montrer une situation pareille en espérant que son ambiguïté particulière suffise à faire sauter le verrou de l'interdiction de la pédophilie

Je ne sais pas de quelle génération tu es Barry, mais là encore, tu plaques les valeurs morales de 2022 sur celles de 1980.C'est regrettable, mais le verrou de la pédophilie avait déjà sauté à l'époque en 1980:en 1990, Gabriel Mazzneff était encore invité sur le plateau d'Apostrophes par Bernard Pivot...

Tu te trompes de combat, Bertrand Blier bénéficie d'un contexte social "favorable" pour aborder un sujet difficile et rarement évoqué, à savoir les premiers émois adolescents.
Il a conscience de la dangereuse ligne blanche qu'il ne faut pas franchir: Carole Laure ne séduit pas le gamin, le gamin a la maturité d'un adulte(P. T. Anderson utilisera ce procédé dans Licorice Pizza) et c'est filmé très pudiquement. Il ne défend absolument pas la pédophilie, j'en veux pour preuve l'affaire de l'affiche du film Beau-père. Blier avait refusé l'affiche où l'on voyait Arielle Besse, 14 ans, torse nu. Une autre affiche plus sobre existait. Lorsque le producteur a passé outre, Blier avait trouvé ça dégueulasse pour la jeune actrice et nuisible pour son film, qu'il considère comme "une romance entre deux êtres blessés" et pas un film de cul.

Il va de soi que le film de Blier serait impossible à faire aujourd'hui mais pour moi, il n'y a aucun sujet social tabou au cinéma, tout tient à la qualité du traitement. ]Dans ton cas,si tu es logique avec toi même tu devrais aussi accuser de promotion de pédophilie des films comme Licorice Pizza de Paul Thomas Anderson, Noce Blanche de Brisseau, Un Été 42 de Mulligan ou encore Harold et Maude D'Hal Hashby.
Préparez les mouchoirs est un film audacieux, d'une grande tenue et totalement maîtrisé.

[Barry Egan]

Je ne partage pas les valeurs morales "de 2022" (je serais bien incapable de les décrire), je pars juste des miennes. La subtilité narrative déployée par les narrateurs de fiction ne cachera pas les effets délétères des misères affectives qui s'étalent dans les faits divers des journaux. La brutalité de la pédophilie au quotidien c'est justement le contraire d'une histoire d'amour.

Affirmer que le gamin recherche un amour maternel est faux. L'amour maternel implique l'interdiction du rapport sexuel. Un garçon intelligent ne confond pas sa recherche d'amour maternel et ses émois sexuels. S'il le fait, c'est à la femme vers qui le porte cette confusion de mettre le holà. Laisser le personnage de Carole Laure céder à son propre besoin c'est en faire d'avance une bien mauvaise mère, qui sera incapable de fixer des limites à ses enfants. Oui, je trouve ce film franchement dangereux. Le bonheur ne consiste pas à suivre ses propres sentiments au point de les confondre avec ses intérêts !

[batfunk]

Je ne partage pas les valeurs morales "de 2022" (je serais bien incapable de les décrire), je pars juste des miennes. La subtilité narrative déployée par les narrateurs de fiction ne cachera pas les effets délétères des misères affectives qui s'étalent dans les faits divers des journaux. La brutalité de la pédophilie au quotidien c'est justement le contraire d'une histoire d'amour.

Affirmer que le gamin recherche un amour maternel est faux. L'amour maternel implique l'interdiction du rapport sexuel. Un garçon intelligent ne confond pas sa recherche d'amour maternel et ses émois sexuels. S'il le fait, c'est à la femme vers qui le porte cette confusion de mettre le holà. Laisser le personnage de Carole Laure céder à son propre besoin c'est en faire d'avance une bien mauvaise mère, qui sera incapable de fixer des limites à ses enfants. Oui, je trouve ce film franchement dangereux. Le bonheur ne consiste pas à suivre ses propres sentiments au point de les confondre avec ses intérêts !

Je pense qu'on va en rester là,tu fais, comme d'autres, une réaction épidermique au film. Là où je ne vois, comme Blier, que la rencontre entre deux êtres blessés, tu ne vois qu'un film politique véhiculant des valeurs amorales. Pas de soucis pour moi, chacun a une sensibilité et un parcours personnel différent.
Un Conseil, evite toi par contre le visionnage de Beau-père, sauf si tu aimes maugréer sur la perte des valeurs dans nos sociétés occidentales

[Barry Egan]

Il n'y a rien d'épidermique dans ma réaction. L'existence de mon épiderme, je la dois justement à la pédophilie et à l'inceste ! Comme nous tous !

[Papus]

Affirmer que le gamin recherche un amour maternel est faux. L'amour maternel implique l'interdiction du rapport sexuel. Un garçon intelligent ne confond pas sa recherche d'amour maternel et ses émois sexuels.

C'est sûr, c'est pas comme si le monde psychanalytique ne décortiquait pas la question depuis près d'un siècle
Tout n'est pas si cloisonné comme tu le dis, peut être que pour toi si, mais le monde de l'affect et du subconscient est bien plus complexe pour un bon nombre d'être humains, la quantité d'ouvrages/films colossale en témoigne et prouve que ces questions sont récurrentes dans l'histoire de l'Homme.
Enfin bon, comme dit Batfunk, je pense pas non plus que ça serve à débattre plus là dessus, mais j'ai pas pu m'empêcher d'y mettre mon grain face à ton absolutisme qui me dérange autant que te dérange ton interprétation d'un message pro-pédophile dangereux que serait le film de Blier.

[Watkinssien]

Je suis d'accord sur les avis élogieux de ce très beau Blier, comédie sentimentale tordue à souhait, qui reconstruit brillamment les thématiques de Les Valseuses.

Je trouve ce film à la fois pathétique dans le bon sens du terme et très drôle, parfaitement interprété de surcroît. Il y a un passage qui me fait toujours pouffer de rire à chaque que je le revois:

Spoiler (cliquez pour afficher)

Depardieu et Dewaere se font un film sur Mozart qui viendrait taper à leur porte. Et on toque la porte, ils ouvrent et c'est le voisin incarné par Michel Serrault qui en a ras le bol de la musique forte qui l'empêche de dormir. Réaction de Depardieu avec une réplique savoureuse: "Toi, tu fermes ta gueule et tu viens écouter à Mozart avec nous!"

[batfunk]

Je suis d'accord sur les avis élogieux de ce très beau Blier, comédie sentimentale tordue à souhait, qui reconstruit brillamment les thématiques de Les Valseuses.

Je trouve ce film à la fois pathétique dans le bon sens du terme et très drôle, parfaitement interprété de surcroît. Il y a un passage qui me fait toujours pouffer de rire à chaque que je le revois:

Spoiler (cliquez pour afficher)

Depardieu et Dewaere se font un film sur Mozart qui viendrait taper à leur porte. Et on toque la porte, ils ouvrent et c'est le voisin incarné par Michel Serrault qui en a ras le bol de la musique forte qui l'empêche de dormir. Réaction de Depardieu avec une réplique savoureuse: "Toi, tu fermes ta gueule et tu viens écouter à Mozart avec nous!"

Un film que le Bertrand Blier exsangue d'aujourd'hui aurait totalement raté
Film charnière comme je l'ai dit, avec effectivement Michel Serrault, que l'on retrouvera dans Buffet Froid l'année suivante