Re: Julien Duvivier (1896-1967)
Publié : 31 déc. 18, 18:18
Mis à profit des fêtes pour voir les deux Duvivier sortis cette année.
Commençons par le moins convainquant:
Untel père et fils (1939)
Une famille de français modeste de Montmartre voit génération après génération son destin boulversé par la guerre contre les allemands.
Je renvois à l'interview de Eric Bonnefille en bonus sur le contexte à l'origine de ce film "de commande" et aux péripéties de son exploitation.
C'est une curiosité mais pas vraiment un grand film. Plusieurs raisons.
Tout d'abord la structure: on assiste à 80 ans de la vie d'une famille sur 1h50. Forcément ca vas trop vite, surtout sur la seconde partie, et on n'a du mal à s'attacher aux personnages. Sans surprise seuls sortent du lot ceux de la première génération présents peu ou prou sur la durée. Sont ils passionants pour autant ?pas vraiment. Il manque au film un véritable ressort dramatique qui porterait le spectateur. On assiste donc à une suite de micro intrigues ou plutot de scènes "pointilliste". Grâce au talent de Duvivier, la plupart sont réussies: tout le film est porté par une photo et une mise en scène impeccable mais sans vrai enjeu.
Il faut dire que l'interprétation n'est pas toujours majeure. Je n'ai pas trouvé Jouvet tres convainquant alors que il était très bien dans La charrette fantôme. Suzy Prim, que je confond avec Françoise Rosay, surjoue la "sœur" courage. On a du mal à croire à son histoire. Reste Raimu, en oncle Marseillé cabotin et bon vivant: il a pour lui les meilleures scènes. Et Lucien Nat sobre mais plutot juste. A noté dix minutes avec une ravissante Michèle Morgan de 20 ans.
De nombreuses scènes sont tres réussies, comme souvent celles de groupes, où Duvivier conjugué mais mouvement de caméra et topologie ou dynamique de groupe: le mariage, la préparation de l'attaque de la commune, le passage au moulin rouge, la scène avec les écoliers ( remarquable dynamique!). Bref Duvivier filme impeccablement un "beau" film de studio sans vraiment intérêt autre qu'historique
Franchement c'est pour moi réservé aux admirateurs de Duvivier (qui trouveront leur compte dans la plastique du film) et surtout aux historiologues du cinéma français d'avant guerre.
Beaucoup plus jouissif:
L'homme du jour 1938
Un électricien travaillant à l'hôpital donne son sang pour sauver une "artiste lyrique internationale". Il fait illico la une de la presse et devient pour un temps la conque l'une de la diva.
Film secondaire dans l'œuvre de Duvivier mais fort sympathique. On peut y voir une version comique de "Panique".
C'est une sorte de farce caustique ou Duvivier tape sur tout ce qui passe ou presque, bien aidé par un Maurice Chevalier qui joue les grands benêts avec l'abattage qu'on lui connaît.
On a droit à une charge virulente contre le monde du spectacle : la cantatrice est hallucinante d'ego, de mauvais goût, de mesquinerie. La litanie des sponsors qu'il faut égrener avant les interventions radio est hilarante. Son "mari" en dragueur de minette voulantt effeuiller la marguerite est excellent.
On a droit à une collection de décors d'un mauvais goût bien drôle entre l'intérieur de l'appartement parisien avec la table qui sort du sol ou le château de province avec ses chambres immenses dont celle de la cantatrice, sommet de kitsch grandiloquent et grotesque.
On pourrait bien sûr facilement y voir une opposition entre le brave petit peuple, incarné par Chevalier et sa compagne, la ravissante Juliette May, et la haute société pervertie. Ce serait oublier la vision acide que donne Duvivier du microcosme de la pension de famille, bête, lache et méchant. C'est clairement une préfiguration de Panique. La scène de "règlement de compte" de Chevalier est réjouissante avec quelques tirades bien senties.
Je n'ai plus en tête de film de Capra, mais la force de celui ci est de ne pas se prendre au sérieux. Si la satire est féroce, on reste dans la comédie plutot décontracté. Tout cela est invraisemblable mais peu importe : exemple le passage au commissariat. D'ailleurs le seule élément vraiment faible du film est la micro intrigue avec la fleuriste : c'est le seul passage un volontairement dramatique et la sauce ne prend pas franchement.
Quand à la fin, elle est tres surprenante dans sa forme (sur le fond, on se doute depuis longtemps que Chevalier vas retourner à ses amours):
On assiste à un tres curieux dédoublement de Chevalier, celui apparaissant dans son propre rôle face à l'électricien. Tête à tête étrange sur le métier du musical qui ne s'improvise pas. On a droit à une version de Prosper avec Chevalier et son mauvais imitateur.
Globalement le film alterne assez habilement moments chantés, comédie, critique caustique, et scènes plus dramatiques.
Eric Bonnefille dans son interview a raison de mettre en évidence le côté moderne du film, dans sa critique de la machine à créer des héros du jour consommables et de la publicité. Mais aussi plus surprenant comme précurseur du clip musical.
Tirant comme toujours bénéfice des décors, c'est un festival d'excellent Duvivier dans tout les registres: bain de foule, scènes plus intimes, montée dramatique (tout le passage de l'audition de Chevallier est une leçon de mise en scène). Duvivier a encore cette forme libre et dynamique qui caractérise son style du début des années trente et qu'il abandonnera (malheureusement pour moi) pour une forme certes toujours totalement maîtrisée mais plus classique.
C'est donc très fortement recommandable !
Il y a deux versions et au vu des différences la finale est bien meilleure.
En attendant le bluray de Avec le sourire...
Avec lequel le film forme une sorte de dyptique.
Voir aussi page 11 les Avis de Bruce Randylan et Ann Harding ...
Je ne résiste pas à un cross-over avec The Deuce que je regarde actuellement, en citant les paroles de Prosper Yop La Boum:
Quand on voit passer le grand Prosper
Sur la place Pigalle
Avec son beau petit chapeau vert et sa martingale,
A son air malabar et sa démarche en canard
Faut pas être bachelier pour deviner son métier
Prosper yop la boum
C'est le chéri de ces dames
Prosper yop la boum
C'est le roi du macadam
Comme il a toujours la flemme
Y n'fait jamais rien lui-même
Il a son "Harem"
Qui de Clichy à Barbés
Le jour et la nuit sans cesse
Fait son petit business
Et le soir, tous les soirs
Dans un coin d'ombre propice
Faut le voir, faut bien l'voir
Encaisser les bénéfices
Il ramasse les billets
Et leur laisse la monnaie
Ah quel sacrifice
En somme c'est leur manager
Et yop la boum, Prosper!
....
Décidément la dégaine et les pratiques du souteneur sont intemporelles...
Commençons par le moins convainquant:
Untel père et fils (1939)
Une famille de français modeste de Montmartre voit génération après génération son destin boulversé par la guerre contre les allemands.
Je renvois à l'interview de Eric Bonnefille en bonus sur le contexte à l'origine de ce film "de commande" et aux péripéties de son exploitation.
C'est une curiosité mais pas vraiment un grand film. Plusieurs raisons.
Tout d'abord la structure: on assiste à 80 ans de la vie d'une famille sur 1h50. Forcément ca vas trop vite, surtout sur la seconde partie, et on n'a du mal à s'attacher aux personnages. Sans surprise seuls sortent du lot ceux de la première génération présents peu ou prou sur la durée. Sont ils passionants pour autant ?pas vraiment. Il manque au film un véritable ressort dramatique qui porterait le spectateur. On assiste donc à une suite de micro intrigues ou plutot de scènes "pointilliste". Grâce au talent de Duvivier, la plupart sont réussies: tout le film est porté par une photo et une mise en scène impeccable mais sans vrai enjeu.
Il faut dire que l'interprétation n'est pas toujours majeure. Je n'ai pas trouvé Jouvet tres convainquant alors que il était très bien dans La charrette fantôme. Suzy Prim, que je confond avec Françoise Rosay, surjoue la "sœur" courage. On a du mal à croire à son histoire. Reste Raimu, en oncle Marseillé cabotin et bon vivant: il a pour lui les meilleures scènes. Et Lucien Nat sobre mais plutot juste. A noté dix minutes avec une ravissante Michèle Morgan de 20 ans.
De nombreuses scènes sont tres réussies, comme souvent celles de groupes, où Duvivier conjugué mais mouvement de caméra et topologie ou dynamique de groupe: le mariage, la préparation de l'attaque de la commune, le passage au moulin rouge, la scène avec les écoliers ( remarquable dynamique!). Bref Duvivier filme impeccablement un "beau" film de studio sans vraiment intérêt autre qu'historique
Franchement c'est pour moi réservé aux admirateurs de Duvivier (qui trouveront leur compte dans la plastique du film) et surtout aux historiologues du cinéma français d'avant guerre.
Beaucoup plus jouissif:
L'homme du jour 1938
Un électricien travaillant à l'hôpital donne son sang pour sauver une "artiste lyrique internationale". Il fait illico la une de la presse et devient pour un temps la conque l'une de la diva.
Film secondaire dans l'œuvre de Duvivier mais fort sympathique. On peut y voir une version comique de "Panique".
C'est une sorte de farce caustique ou Duvivier tape sur tout ce qui passe ou presque, bien aidé par un Maurice Chevalier qui joue les grands benêts avec l'abattage qu'on lui connaît.
On a droit à une charge virulente contre le monde du spectacle : la cantatrice est hallucinante d'ego, de mauvais goût, de mesquinerie. La litanie des sponsors qu'il faut égrener avant les interventions radio est hilarante. Son "mari" en dragueur de minette voulantt effeuiller la marguerite est excellent.
On a droit à une collection de décors d'un mauvais goût bien drôle entre l'intérieur de l'appartement parisien avec la table qui sort du sol ou le château de province avec ses chambres immenses dont celle de la cantatrice, sommet de kitsch grandiloquent et grotesque.
On pourrait bien sûr facilement y voir une opposition entre le brave petit peuple, incarné par Chevalier et sa compagne, la ravissante Juliette May, et la haute société pervertie. Ce serait oublier la vision acide que donne Duvivier du microcosme de la pension de famille, bête, lache et méchant. C'est clairement une préfiguration de Panique. La scène de "règlement de compte" de Chevalier est réjouissante avec quelques tirades bien senties.
Je n'ai plus en tête de film de Capra, mais la force de celui ci est de ne pas se prendre au sérieux. Si la satire est féroce, on reste dans la comédie plutot décontracté. Tout cela est invraisemblable mais peu importe : exemple le passage au commissariat. D'ailleurs le seule élément vraiment faible du film est la micro intrigue avec la fleuriste : c'est le seul passage un volontairement dramatique et la sauce ne prend pas franchement.
Quand à la fin, elle est tres surprenante dans sa forme (sur le fond, on se doute depuis longtemps que Chevalier vas retourner à ses amours):
On assiste à un tres curieux dédoublement de Chevalier, celui apparaissant dans son propre rôle face à l'électricien. Tête à tête étrange sur le métier du musical qui ne s'improvise pas. On a droit à une version de Prosper avec Chevalier et son mauvais imitateur.
Globalement le film alterne assez habilement moments chantés, comédie, critique caustique, et scènes plus dramatiques.
Eric Bonnefille dans son interview a raison de mettre en évidence le côté moderne du film, dans sa critique de la machine à créer des héros du jour consommables et de la publicité. Mais aussi plus surprenant comme précurseur du clip musical.
Tirant comme toujours bénéfice des décors, c'est un festival d'excellent Duvivier dans tout les registres: bain de foule, scènes plus intimes, montée dramatique (tout le passage de l'audition de Chevallier est une leçon de mise en scène). Duvivier a encore cette forme libre et dynamique qui caractérise son style du début des années trente et qu'il abandonnera (malheureusement pour moi) pour une forme certes toujours totalement maîtrisée mais plus classique.
C'est donc très fortement recommandable !
Il y a deux versions et au vu des différences la finale est bien meilleure.
En attendant le bluray de Avec le sourire...
Avec lequel le film forme une sorte de dyptique.
Voir aussi page 11 les Avis de Bruce Randylan et Ann Harding ...
Je ne résiste pas à un cross-over avec The Deuce que je regarde actuellement, en citant les paroles de Prosper Yop La Boum:
Quand on voit passer le grand Prosper
Sur la place Pigalle
Avec son beau petit chapeau vert et sa martingale,
A son air malabar et sa démarche en canard
Faut pas être bachelier pour deviner son métier
Prosper yop la boum
C'est le chéri de ces dames
Prosper yop la boum
C'est le roi du macadam
Comme il a toujours la flemme
Y n'fait jamais rien lui-même
Il a son "Harem"
Qui de Clichy à Barbés
Le jour et la nuit sans cesse
Fait son petit business
Et le soir, tous les soirs
Dans un coin d'ombre propice
Faut le voir, faut bien l'voir
Encaisser les bénéfices
Il ramasse les billets
Et leur laisse la monnaie
Ah quel sacrifice
En somme c'est leur manager
Et yop la boum, Prosper!
....
Décidément la dégaine et les pratiques du souteneur sont intemporelles...