Pier Paolo Pasolini (1922-1975)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Jeremy Fox
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Re: Pier Paolo Pasolini (1922-1975)

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Accatone par Jean Gavril Sluka ; tous les autres films du coffret Carlotta non encore chroniqués le seront tout au long de janvier et février 2023
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Thaddeus
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Re: Pier Paolo Pasolini (1922-1975)

Message par Thaddeus »

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Accatone
S’il semble à première vue accuser l’héritage du néoréalisme et cumuler les influences de De Sica et Visconti, le premier long-métrage de l’auteur s’en démarque pourtant par un goût déroutant, presque contre-nature, de l’onirisme naturaliste : miséreux, proxénètes et damnés du caniveau sont filmés avec une naïveté virginale, sur une musique de Bach qui fait naître comme une ferveur mystique et prête à cette chronique du sous-prolétariat un caractère presque sacral. Angelot souillé marqué par la fatalité, pauvre type cherchant à s'extraire de la fange pour un ailleurs illusoire, Accatone est ce jeune homme brutal, violent, ignare mais pourtant avide de pureté, ce marginal habité par une désespérance dont il ne se défera que dans l’affranchissement et l’expiation de la mort. 4/6

Mamma Roma
Même décor blanc et funèbre de bas-fonds romains, de tristes terrains vagues où les jeunes désœuvrés s’exercent à la délinquance, de pavés nocturnes foulés par les maquereaux et les prostituées. Parasité par des accents buñueliens, le mélodrame prête le flanc à une lecture freudienne (l’attirance d’Ettore pour Bruna, portrait craché de sa mère en plus jeune) et perpétue la fatalité du déterminisme social et de l’impossibilité d’échapper à sa condition. Comme dans Bellissima treize ans plus tôt, la Magnani se démène, impose l’emprise et l’opiniâtreté d’un amour maternel dévorant, aussi égoïste qu’éperdu : scandée par des longs travellings arrière qui sont autant de logorrhées introspectives, sa trajectoire syncrétise dans la gangue du lieu commun l’expression d’un destin tragique. 5/6

L’évangile selon saint Matthieu
Déclinaison singulière et très personnelle du texte biblique, ce mythe lyrico-épique, conté d’une façon nationale-populaire selon l’expression même de son auteur, est d’autant plus surprenant qu’il émane d’un artiste que l’on sait farouchement athée et marxiste. Il a de quoi laisser partagé : l’alternance des styles, des musiques et des tonalités, le caractère composite d’une expression empruntant tour à tour aux peintures médiévales, au symbolisme du muet, à la nervosité du reportage contemporain, distille autant de fascination que de perplexité. Et pour quelques séquences sublimes (en particulier le calvaire et la mise en croix), il faut se farcir les logorrhées explicatives et les lourdeurs de la parabole évangélique. Mais les images ont quelque chose de sacré, et leur épaisseur spirituelle est indéniable. 3/6

Des oiseaux, petits et gros
Le générique est chanté façon bardes d’autrefois. Cette première incongruité donne le ton d’un périple burlesque qui modifie sans la dénaturer la perspective tragique de Pasolini. Celui-ci met ses pas dans ceux de Chaplin et de Laurel et Hardy, et formule les préceptes marxistes et chrétiens par le biais d’un absurde délirant. On y suit donc deux vagabonds allant par les chemins, écoutant le bavardage d’un corbeau philosophe qui raconte l’évangélisation médiévale des oiseaux (parfaitement, messieurs dames), les contradictions politiques, l’irrémédiable injustice du monde des hommes, mais aussi la propension de chacun à intégrer une pensée pour mieux la dépasser. Les épisodes sont inégaux mais la parabole est drôle et incisive, dotée d’un sens prononcé de la beauté urbaine. 4/6

Œdipe roi
L’inspiration résolument composite du cinéaste, à la fois marxiste et existentielle, impose un traitement de choc à la tragédie de Sophocle, qu’elle catapulte entre deux épisodes contemporains parmi les dunes antiques du désert marocain. Mais qu’il soit soumis au châtiment d’un père militaire, dans la banlieue romaine des années soixante, ou qu’il règne sur un peuple de trognes tannées, en son royaume de sable et de raphias, Œdipe demeure cet être en quête d’absolution, tourmenté par une faute qu’il n’a pas commise. Tout en vision sauvages et hétéroclites, traversé par une volonté d’insoumission dont la grossièreté fournit une caution paradoxale à la noblesse des idées, cet exercice de corde raide et d’anachronique modernisation est exécuté avec une témérité qui force l’admiration. 5/6

Théorème
Franc-tireur par excellence, braconnant dans les allées de la mythologie grecque et des idéologies contemporaines, Pasolini est aussi pour beaucoup un hérétique marqué par les influences de Freud et de Gramsci. Il entend à nouveau apporter sous forme de parabole un message polémique sur le monde moderne. Ses convictions révolutionnaires trouvent à s’épanouir pleinement à travers cette histoire d’atomisation sociale, qui voit un mystérieux visiteur bouleverser l’équilibre psychique, sexuel et culturel d’une famille de bourgeois milanais. Sans doute conçu comme un exorcisme provocant, un cri de révolte contre l’imposture, nourri d’une poésie triviale à forte assise populaire, le film me vaut un ennui poli : je le trouve intéressant dans ses idées mais froid et assez vermoulu dans leur formalisation. 3/6

Porcherie
Que l’homme cherche à survivre dans une étendue désertique ou qu’il soit aliéné par un confort bourgeois de cynisme et de fric, il est soumis à la même loi impitoyable : manger ou être mangé. Telle est la morale désabusée de cette allégorie provocatrice qui ne s’embarrasse d’aucune vraisemblance mais recourt à des symboles crus pour transmettre ce que Pasolini, déçu du communisme et du christianisme, a de différent, de discriminatoire, de puissamment singulier. Mû par une ironie toute brechtienne, l’artiste témoigne de sa détresse indignée face aux incertitudes de son époque, et il est aisé de percevoir dans les deux jeunes gens du film les métaphores de son insoumission à la logique criminelle de la société, de son déchirement personnel. 4/6

Médée
Après Œdipe Roi, Pasolini poursuit sa représentation des civilisations antiques qui éclairent tout à la fois ce que nous sommes aujourd’hui que et ce que nous avons perdu. Cette Médée dévastée par la confrontation avec une culture étrangère symbolise la nostalgie consciente du cinéaste pour le rapport qu’entretenaient les êtres mythiques avec la Nature. De ce conflit, le Centaure bifrons, tantôt païen soumis aux dieux, tantôt homme et sceptique moderne, est le reflet. L’originalité de l’esthétique, surtout sensible dans la dimension "art brut" du monde barbare, le style archaïsant associé aux niveaux allégoriques de la mise en scène, le mélange ou la réitération des temps et des espaces (voir la scène prémonitoire qui se répète dans son accomplissement réel), tout participe d’une certaine fascination. 4/6

Le décaméron
Pasolini pioche dans le recueil de Boccace une dizaine de contes autour de la séduction, de la sexualité et de la mort, en témoignant d’une réelle ambition artistique dans la qualité des évocations médiévales. On le sent à nouveau violemment hostile à toute forme de bienséance et de maniérisme, en empathie avec les valeurs spirituelles du petit peuple, des marginaux et des humbles gens, dont il cherche à révéler les forces vitales. Enfilant les sketches comme autant de fables disparates, saturées d’atteintes aux bonnes mœurs et de gags plus ou moins lourds, le film, badin et provocateur, libre et ouvertement hédoniste, confond trop souvent poésie et grossièreté, truculence et vulgarité. Cette marque de fabrique pasolinienne est singulière mais franchement pénible. 3/6

Les contes de Canterbury
Rarement Pasolini fût aussi éloigné de l’art de générosité et d’harmonie auquel il aspirait sans doute. Principalement motivé par le goût de la bravade, il provoque ici en bonne et due forme l’ordre moral et toutes les polices du bon goût. C’est bien gentil mais il est assez difficile de retirer autre chose de ces contes polissons que des chairs lourdement étalées, des copulations paillardes, un humour gras à base d’accoutrements grotesques et de situations obscènes, racontées à la va-comme-je-te-pousse et filmées n’importe comment. Avec une combinaison singulière d’amateurisme et de maniérisme, le cinéaste brasse à pleine pâte érotisme de charcuterie et scatologie satisfaite : il vaut mieux replacer ce geste de mutinerie dans le contexte de sa genèse pour en apprécier (un peu) la subversion. 3/6

Les mille et une nuits
Dernier volet de l’ensemble que son auteur a baptisé la Trilogie de la vie. Si la sultane Shéhérazade est absente de cette poignée de légendes charnelles et sanglantes, c’est bien l’exotique parfum de l’Orient que Pasolini tente d’insuffler aux images rugueuses de ces évocations mytho-historiques. Une fois de plus, le cinéaste témoigne d’un goût très personnel du détail scabreux et du développement polisson, prend un malin plaisir à étouffer toute forme de beauté (harmonieuse ou consensuelle, à chacun de choisir) au profit d’une expression impure, volontiers disgracieuse, et s’attarde sur les corps nus et les fornications de ses jeunes adolescents pour mieux célébrer les puissances vitales contre les dérives de la modernité et de la logique de la surconsommation. Les deux heures sont assez inégales. 3/6


Mon top :

1. Mamma Roma (1962)
2. Œdipe roi (1967)
3. Porcherie (1969)
4. Médée (1969)
5. Des oiseaux, petits et gros (1966)

Pasolini est un poète écorché se situant au croisement du mythe et du réalisme, de la transgression suicidaire et du bric-à-brac prolétarien, traversé de moments de sérénité passagère, mais dont la vision assez glauque n’est pas sans me laisser régulièrement distant.
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Jeremy Fox
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Re: Pier Paolo Pasolini (1922-1975)

Message par Jeremy Fox »

Enquête sur la sexualité par Jean Gavril Sluka
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Re: Pier Paolo Pasolini (1922-1975)

Message par Jeremy Fox »

Jean Gavril Sluka poursuit le défrichage du coffret Pasolini avec Des oiseaux petits et gros
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Re: Pier Paolo Pasolini (1922-1975)

Message par Jeremy Fox »

Toujours par Jean Gavril, Oedipe roi
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Re: Pier Paolo Pasolini (1922-1975)

Message par Jeremy Fox »

Fin du défrichage du coffret Pasolini avec Carnet de notes pour une orestie africaine
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Barry Egan
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Re: Pier Paolo Pasolini (1922-1975)

Message par Barry Egan »

Accatone

Très beau film sur le parcours d'un homme dont on ne sait trop ce qu'il pense, Franco Citti étant assez impénétrable. Si on se base seulement sur l'image et la bande-son, ça parle de rédemption, sauf que le gars ne semble pas la chercher, ou alors pas consciemment, ou pas du tout. Ce flou sur les motivations du personnage rend le film très profond. La peinture du milieu se fait bizarrement attachante. Le tournant du film avec la jeune Stella qui arrive dans la vie du proxénète est vraiment bien fichu.

Je recommande la chronique Classik qui est de haute volée et en remercie le rédacteur.
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