Ann Hui & Stanley Kwan

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Profondo Rosso
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Re: Ann Hui & Stanley Kwan

Message par Profondo Rosso »

Mama Grande! a écrit : 29 sept. 21, 14:01 Juste pour te dire que même s'il n'y a pas de réponses, moi et surement plein d'autres forumeurs te lisons avec intérêt :wink:
Vivement que tous ces films deviennent facilement visibles par chez nous. Ann Hui et Stanley Kwan ont beau avoir atteint la reconnaissance depuis un moment, les distributeurs français spécialisés dans les rééditions et ressorties continuent à les bouder :(
Merci ! Sinon c'est Stanley Kwan surtout qui est boudé, on est plutôt gâté récemment sur Ann Hui, merci Spectrum fournée de juillet Eighteen Springs et septembre Love in a fallen city. Et ces dernières années Boat People et Story of Woo Viet chez eux aussi, c'est pas si mal ! D'ailleurs rien posté sur Love in a fallen city mais c'est excellent aussi, j'en dis le plus grand bien ici https://chroniqueducinephilestakhanovis ... -lian.html
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Arn
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Re: Ann Hui & Stanley Kwan

Message par Arn »

Oui j'aurais d'ailleurs bien aimé aller voir Lan Yu si j'avais été sur Paris. Mais je vais pas me plaindre d'être en vacances :)
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Profondo Rosso
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Re: Ann Hui & Stanley Kwan

Message par Profondo Rosso »

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Profondo Rosso
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Re: Ann Hui & Stanley Kwan

Message par Profondo Rosso »

Red Rose White Rose de Stanley Kwan (1994)

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C'est en Europe, lors de ses études, que Chen Bao perd son pucelage. Dès lors, il connaîtra peu de femmes et ces relations seront insignifiantes. Pour Chen bao, seules deux femmes auront une réelle importance. La première, Jiao Rui, est la femme de son meilleur ami qu'il rencontre à son retour à Shanghaï. Il l'appellera sa "rose rouge", mais la passion débridée et l'amour fou qu'ils vivent l'effraient terriblement. Il la quittera pour sa "rose blanche", Yen-li, une femme docile et pâlotte, qu'il épousera.

Stanley Kwan, grand portraitiste de la femme chinoise dans une veine contemporaine (le bien nommé Women (1985), Full Moon of New York (1989), Hold you tight (1998)) ou rétro (Rouge (1987), Center Stage (1992)) se devait de rencontrer un jour l'univers de la romancière shanghaienne Eileen Chang. Femme émancipée et ouverte sur la culture étrangère, elle acquit une grande renommée dans la Chine des années 40 et 50 avec une série de romans observant les mues de cette société et sa difficile bascule dans la modernité, notamment pour les femmes. Les adaptations de Ann Hui (Love in a fallen City (1984), Eighteen Springs (1997)) et Ang Lee (Lust, Caution (2007) sont les plus connues mais Stanley Kwan s'en montre tout à fait à la hauteur avec ce film transposant Rose Rouge et Rose Blanche publié en 1944.

Le film comme le livre ont la particularité de traiter cette thématique de la condition féminine à travers un regard masculin, celui de son héros Zhen-Bao (Winston Chao). Ce jeune homme découvre la liberté de mœurs durant ses études en Europe et notamment au contact des prostituées. C'est cette première "expérience" qui ouvre le film et amène Zhen-Bao à faire une différence entre la "bagatelle" où seul l'assouvissement immédiat des pulsions prédomine (et s'incarne dans un contexte occidental) et le "devoir" rattaché aux codes de la société chinoise qui doit le voir mener une vie stricte, sans déshonorer sa famille. Maître de ses émotions (ou prisonnier de ces dogmes), il parvient à compartimenter les deux, notamment à travers un premier amour avec Rose (Shi Ge), une jeune eurasienne d'Edimbourg prête à se donner à lui le jour de son départ mais qu'il saura repousser. Ce caractère inflexible ne s'est cependant pas encore confronté à la vraie passion amoureuse qui vous dévore. Ce sera le cas lors de son retour à Shanghai où hébergé par son ami Wang Ze Hong (Shen Tong Hua), il va tomber sous le charme de Jiao-rui (Joan Chen) l'épouse de ce dernier. Elle a passé sa jeunesse en Europe et se distingue par ses manières, son port et phrasé totalement décomplexé. Si cela peut convenir à l'ami déjà riche et indépendant de Zhen-Bao, cette liberté ne peut convenir à notre héros qui pour son ascension sociale se doit de s'inscrire dans les codes sociaux chinois et obéir à la pression familiale. Stanley Kwan excelle à installer une tension érotique palpable les regards, et gestes faussement anodins de Jiao-rui mettent les sens de Zhen-Bao en émoi. Un insert de mains qui se touchent, une tartine à beurrer, une phrase à double sens, tout est prétexte à troubler notre héros. Lorsqu'il finit par céder à son désir, il concrétise la dichotomie morale qui l'habite en distinguant les femmes honorables comme des "rose blanches" et celle où il ne recherche que le plaisir physique comme "roses rouges" en hommage à son premier amour. Lors d'une énième étreinte passionnée, Jiao-rui a pourtant une phrase lourde de sens envers lui. Le plaisir qu'elle éprouve dans ses bras se conjugue à l'amour au sens romantique du terme. Cette femme aux multiples conquêtes masculines est capable d'allier les deux quand lui pétri de préjugés ne peut s'y résoudre.

La première partie du film, celle de la passion charnelle, fonctionne comme un écrin en vase-clos. Stanley Kwan déploie son Shanghai rétro par des décors studios (l'appartement et ses chambres, le tramway...) de façon à tisser un cocon où l'extérieur et ses responsabilités n'existe pas. Le trouble du désir et de l'attente passe par des non-dits évocateurs (Jiao-rui en émoi rien qu'au bruit de l'ascenseur sur le palier annonçant le retour de son amant) et les vraies séquences extérieures ne se manifeste que quand la réalité rattrape le couple illégitime, et voit leurs liens se distendre. On observe ainsi le courage féminin de Jiao-rui prête à tout abandonner pour son homme quand Zhen-Bao exprime une lâcheté masculine soumise aux regards extérieurs. Stanley Kwan montre la séparation se faire progressivement par un jeu sur les reflets (sur les vitres, miroirs) où Zhen-Bao a très claire deux visages, celui "respectable" et rongé de culpabilité public quand le contrechamp sur Jiao-rui se fait toujours explicitement sur son visage aimant et sincère. Le réalisateur oscille habilement entre cette subtilité formelle et une littéralité plus prononcée avec l'usage de la voix-off ou même ponctuellement des paragraphes du roman d'Eileen Chang s'inscrivant à l'écran. Le but n'est pas de surligner mais plutôt de traduire le fossé entre des scènes d'amour assez crue (cela pose les bases de l'approche plus frontalement érotique de Ang Lee sur Lust, Caution dans lequel joue d'ailleurs Joan Chen). La séparation est inévitable et là encore Kwan distingue le détachement contenu de Zhen-Bao avec la douleur théâtrale de Jiao-rui dans une poignante scène d'adieu.

Les regrets de Zhen-Bao ne se révèleront que progressivement, après avoir pris pour épouse Yen Li (Veronica Yip) jeune chinoise réservée et sans expérience correspondant aux attentes de son entourage. Il fera le malheur de cette dernière en comprenant ce qui lui manque en elle et le réalisateur parvient à émouvoir avec la destinée tragique de ce nouveau personnage. Tous les codes formels qui avait servi à illustrer l'intimité de Zhen-Bao et son amante sont ici inversés pour signifier l'absence d'alchimie des jeunes mariés. La photo sombre et nuancé de la première partie cède à une imagerie immaculée exprimant l'absence de passion ambiante. L'alcôve de la chambre cède à l'espace du salon, l'union charnelle est contrainte et les gros plans capturent le désarroi de Yen Li traitée par son époux et le personnel, comme exprimé dans le roman "avec la désinvolture qui sied à une concubine" -avec pour seul refuge dans le foyer les cabinets de toilettes. Zhen-Bao est insatisfait sans pour autant en comprendre les raisons jusqu'à des retrouvailles inattendues avec Jiao-rui qui a su se remettre de leur relation. Un dialogue lourd de sens est littéralement repris du livre (le film étant très fidèle) lorsqu'elle lui dit qu'à ses côtés, elle a appris "comment" aimer et surtout "qui" aimer, le renvoyant ainsi à sa lâcheté. Ce face à face le voit lui craquer émotionnellement face à elle, stoïque et digne. Comprenant ce qu'il a perdu, Zhen-Bao en oublie cette vaine quête de responsabilité et se perd, avant un possible renouveau lors d'une conclusion ambiguë où c'est davantage son épouse qui en ressort endurcie. Une très belle adaptation et un superbe mélodrame intimiste, une réussite de plus pour Stanley Kwan. 5/6
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Profondo Rosso
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Re: Ann Hui & Stanley Kwan

Message par Profondo Rosso »

Love after love le dernier film d'Ann Hui sorti en 2020 et adaptant de nouveau Eileen Chang sera disponible sur MUBI à partir du 18 mars. https://mubi.com/fr/films/love-after-love-2020
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Profondo Rosso
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Re: Ann Hui & Stanley Kwan

Message par Profondo Rosso »

Rétro Stanley Kwan à venir en avril grâce à Carlotta



Amours déchus correspondant à Love unto wastes qu'on trouvait dans le coffret HK Vidéo. Dommage de ne pas avoir Women ou Full Moon in New York mais peut-être qu'ils seront dans le futur coffret bluray.
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Jeremy Fox
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Re: Ann Hui & Stanley Kwan

Message par Jeremy Fox »

Carlotta ressort ce mois en copies restaurées quatre films de Stanley Kwan, cinéaste hongkongais dont l’œuvre compte parmi les fleurons de ce qu'a produit l'île au tournant des années 90 : Amours Déchus, Rouge, Center Stage (Director's Cut) et Lan Yu. Jean Gavril revient sur ce dernier, le plus fameux du lot.
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Mama Grande!
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Re: Ann Hui & Stanley Kwan

Message par Mama Grande! »

Amours déchus / Love unto wastes (Stanley Kwan, 1986)

Un petit coup de cœur que voilà.
Un playboy hongkongais s'amuse avec des jeunes filles en quête de gloire dans la colonie britannique, aime sans jamais vraiment s'engager. L'une d'elles meurt assassinée, et un détective de 10 ans son aîné entre dans leurs vies.
Là où un Wong Kar-wai 10 ans plus tard (désolé pour la comparaison) romantisera la solitude urbaine et les amours déçus, les rendra esthétiques, Stanley Kwan faisait le pari inverse: observer ces jeunes rêver de paillettes et de fêtes, mais avec le recul des aînés (incarné par le détective). Ici, les fêtes se terminent dans le vomi, un avortement laisse des lésions utérines et des hémorragies, les cigarettes donnent un cancer précoce (bon c'est pas explicite mais on peut le suggérer quand même), et ce qui pourrait être un succès professionnel n'apporte qu'indifférence et lassitude. Bref, des "amours de caniveaux", comme j'aime comprendre le titre original. Stanley Kwan veut que l'on se pose deux questions essentielles, qui n'en sont au fond qu'une seule: "qu'est-ce que l'amour?", "qu'est-ce que dire je t'aime?". Cela pourrait être lourd et rabâché, mais c'est montré avec tellement de finesse et de tendresse, d'humour aussi, que l'on a juste envie d'y réfléchir en même temps que ces jeunes Chinois égarés. La réponse esquissée par Stanley Kwan est loin de tout rêve hollywoodien, mais plus dans la fuite de la modernité et du divertissement urbain faussement clinquant, incarnée par une escapade dans la campagne taiwanaise, où l'on entend le "Je t'aime" le plus bouleversant.
Dernière modification par Mama Grande! le 14 avr. 24, 23:52, modifié 1 fois.
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Re: Ann Hui & Stanley Kwan

Message par Mama Grande! »

Center Stage (director's cut)

Enthousiasme un peu plus modéré pour cet opus.
J'ai été très content de revoir Maggie Cheung au sommet de sa beauté, y compris et surtout lorsqu'elle apparaît naturelle, jeune actrice déjà aguerrie et aimant son métier, souriante, filmée au camescope sans artifices. Quelle beauté, quel magnétisme, quel charme. Elle nous manque :( Elle livre une interprétation superbe de cette jeune star au destin tragique, qui a vécu pleinement avec autant de vitesse qu'elle s'est retirée de la vie. Ses amours, ses amitiés, sont montrées avec la finesse et la douceur que j'aime tant chez Kwan.
Mais malgré l'intérêt pour cette actrice, tout comme la curiosité de plonger dans l'industrie du cinéma chinois, j'ai souvent trouvé le temps long. Peut-être est-ce dû à la director's cut? A la reconstitution certes très belle mais qui parfois à mon sens cède à l'esthétisme ronflant et écrasant d'un Chen Kaige? Ou aux aller-retours trop fréquents entre le présent (l'équipe de cinéma) et le passé (le film)? Ce choix est audacieux, et c'est ce qui permet à Center Stage d'échapper à l'académisme, mais je trouve qu'il parasite parfois l'émotion, notamment pendant le sommet de mélodrame que constitue le climax, à partir de la dernière danse de Maggie Cheung, moment de grâce absolue.
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