Re: Kenji Mizoguchi (1898-1956)
Publié : 14 juin 20, 20:45
Au gré d'un opportun abonnement à un service de streaming, je me suis trouvée à dévorer les 8 films du Coffret Mizoguchi en l'espace de quelques jours, en mai dernier... Mes avis sur les films découverts (inclus : de légers spoilers !)
Les amants crucifiés
« Les amants crucifiés » sont mes premiers pas dans l'univers de Mizoguchi.
Cette histoire d'amour dans le japon féodal qui met en scène des personnages au cœur pur victimes d’un système hypocrite, est un mélodrame étonnant car à la fois tragique, passionné, et particulièrement sobre et chaste. Pleureuse exaltée que je suis, et avec un titre pareil, j'avoue que j’aurais goûté à un peu moins de retenue, mais j’admet aussi volontiers que ce n’est pas forcément ce qu’il faut attendre du cinéma ou de la culture japonaise. J’ai beaucoup apprécié toute la partie introductive du film (avant que le hasard ne jette définitivement les amants sur la route et dans les bras l'un de l'autre) qui possède une belle tension dramatique et qui expose parfaitement les enjeux et intentions de chacun avec très peu de scènes, de personnages et de dialogues. On y perçoit bien les relations entre maîtres, employés ou servants, les hypocrisies des uns et des autres, la crainte perpétuelle de la honte et du déshonneur qui habite chacun quelque soit leur niveau sur l’échelle sociale... Après cette exposition, on entre dans une dimension plus mélodramatique et plus lente : les amants fuient, se découvrent puis s'aiment passionnément, avant d'accepter leur destin cruel (cette terrible image de crucifixion au début du film qui les poursuit ensuite sans cesse).
Le film est doté d’une belle mise en scène, ample et précise, et d’une photographie aux tonalités grises. La bande sonore (musique traditionnelle japonaise) est également remarquable.
7,5/10
Une femme dont on parle
Deuxième incursion dans le cinéma de Mizoguchi. Nous sommes cette fois dans le Japon actuel (celui des années 50) et dans une histoire en triangle. Une jeune fille moderne, dont la silhouette et la coiffure rappellent beaucoup Audrey Hepburn, revient vivre chez sa mère dont elle méprise pourtant le métier. Cette dernière est la tenancière d’une maison de geishas à Kyoto ; une femme d’affaire solide qui entretient un jeune amant médecin. Très vite, les cartes se retournent sur la table : la femme d’affaire est en réalité follement et sincèrement amoureuse de son docteur, tandis que celui-ci souhaiterait plutôt convoler avec une femme plus jeune et bientôt avec sa propre fille. La tragédie est nouée : mère et fille partagent toutes les deux le même amour mais aussi (et surtout) la même condition de femme. La confrontation sera magistrale de sobriété et d’efficacité : mélodramatique, intense et digne. La résolution sera elle assez consensuelle : le conflit générationnel n’aura pas lieu, la modernité embrasse la tradition (la jeune fille décide de rester chez sa mère et même d’emboîter ses pas – ceux-là même qu’elle avait pourtant en horreur).
En toile de fond de cette histoire assez simple, de belles et mélancoliques geishas paraissent et disparaissent derrière des cloisons de papier, des couches de maquillage et de nombreux kimonos… et des extraits de théâtre nô font écho de manière cruelle à la vie réelle. On regrettera que le film n’introduise pas plus de complexité dans ses imbrications entre drame familial et chroniques de la vie quotidienne en maison close. La fin laisse ainsi un petit goût d’inachevé.
Après ce film, je peux par contre affirmer que j'apprécie particulièrement chez Mizoguchi les expositions : cette manière de poser les enjeux et personnages, très simplement et très justement, avec une économie de mots et de scènes qui laissent pourtant le spectateur ressentir pleinement et pressentir aisément les événements. Serait-ce une recette magique ?
7/10
Les contes de la lune vague après la pluie
Dans le japon féodal, Mizoguchi offre un conte moral pour deux villageois ambitieux qui ne pensent qu’à s'extraire de leur condition modeste (l'un aimerait faire fortune et vivre dans la soie, l'autre aimerait être samouraï et connaître la gloire des grands guerriers) sans pourtant voir l'essentiel : l'amour inquiet de leurs deux femmes, la guerre qui menace à leur porte, et surtout le bonheur simple à portée de main qu’ils se refusent à saisir.
Dès les premiers instants, on se laisse complètement embarquer et immerger dans ce film visuellement magnifique et très sensible. L’atmosphère est envoûtante, alternant reconstitutions précises de la vie villageoise du moyen-âge, séquences oniriques et enveloppantes, scènes de cruauté et de guerre et par instant des pointes vives d’émotion (un sanglot sera versé de mon côté lors des retrouvailles du samouraï imposteur et de sa femme devenue prostituée). Le tout est baigné dans de beaux plans à la construction étudiée et dans des mouvements de caméra souples et fluides, avec un accompagnement sonore (comme dans tous les Mizoguchi vu jusqu'à présent) très soigné et convaincant.
Je dois avouer que la partie fantastique – cette parenthèse fantasmagorique avec un spectre féminin – même si elle offre de très belles images, m’a un peu décontenancée… mais c'est le seul point de nuance que je pourrais citer au sujet de cette œuvre magnifique.
8/10
L'intendant Sansho
Un pur mélodrame. Dans un japon médiéval en nuances de gris, la femme d’un gouverneur humaniste et ses deux enfants sont contraints à l'exil. Un excès de confiance plus tard et les voilà non seulement séparés mais également réduits à l'esclavage et sous le joug de maîtres très cruels. C’est une fable initiatique sur la moralité des hommes qui se joue alors, à une époque où celle-ci n'est pas encore érigée en principe, où la distinction entre bien et mal est floue et où seules quelques lois hiérarchiques trace les contours de la Justice... Les personnages bons ne triomphent pas vraiment ici ; ils suivent et choisissent leur voie en conscience, ils inspirent le respect du spectateur, mais ils ne sont pas systématiquement récompensés dans leurs actions… Ces déclassés aux cœurs purs sont de véritables martyrs, condamnés à apprendre la cruauté de l’existence à leurs dépens et à ne jamais pouvoir trouver le repos.
Comme toujours avec le cinéaste, c'est visuellement très beau, très raffiné, avec une alternance de scènes dures et cruelles et de scènes paisibles et contemplatives, le tout formant un bel équilibre. Néanmoins, je n’ai pas été complètement emportée : il y a trop de drames et d'abnégations à mon goût, trop de pleurs, de tortures et de renoncements pour que l’immersion soit totale. L’excès de pathos a fini par me sortir un peu du film même si je suis forcée d’admettre que celui-ci regorge par ailleurs de scènes mémorables et magnifiques : la séparation, la fuite dans la forêt et surtout le sacrifice de la sœur qui coule doucement son corps dans l’eau sombre…
7/10
Les amants crucifiés
« Les amants crucifiés » sont mes premiers pas dans l'univers de Mizoguchi.
Cette histoire d'amour dans le japon féodal qui met en scène des personnages au cœur pur victimes d’un système hypocrite, est un mélodrame étonnant car à la fois tragique, passionné, et particulièrement sobre et chaste. Pleureuse exaltée que je suis, et avec un titre pareil, j'avoue que j’aurais goûté à un peu moins de retenue, mais j’admet aussi volontiers que ce n’est pas forcément ce qu’il faut attendre du cinéma ou de la culture japonaise. J’ai beaucoup apprécié toute la partie introductive du film (avant que le hasard ne jette définitivement les amants sur la route et dans les bras l'un de l'autre) qui possède une belle tension dramatique et qui expose parfaitement les enjeux et intentions de chacun avec très peu de scènes, de personnages et de dialogues. On y perçoit bien les relations entre maîtres, employés ou servants, les hypocrisies des uns et des autres, la crainte perpétuelle de la honte et du déshonneur qui habite chacun quelque soit leur niveau sur l’échelle sociale... Après cette exposition, on entre dans une dimension plus mélodramatique et plus lente : les amants fuient, se découvrent puis s'aiment passionnément, avant d'accepter leur destin cruel (cette terrible image de crucifixion au début du film qui les poursuit ensuite sans cesse).
Le film est doté d’une belle mise en scène, ample et précise, et d’une photographie aux tonalités grises. La bande sonore (musique traditionnelle japonaise) est également remarquable.
7,5/10
Une femme dont on parle
Deuxième incursion dans le cinéma de Mizoguchi. Nous sommes cette fois dans le Japon actuel (celui des années 50) et dans une histoire en triangle. Une jeune fille moderne, dont la silhouette et la coiffure rappellent beaucoup Audrey Hepburn, revient vivre chez sa mère dont elle méprise pourtant le métier. Cette dernière est la tenancière d’une maison de geishas à Kyoto ; une femme d’affaire solide qui entretient un jeune amant médecin. Très vite, les cartes se retournent sur la table : la femme d’affaire est en réalité follement et sincèrement amoureuse de son docteur, tandis que celui-ci souhaiterait plutôt convoler avec une femme plus jeune et bientôt avec sa propre fille. La tragédie est nouée : mère et fille partagent toutes les deux le même amour mais aussi (et surtout) la même condition de femme. La confrontation sera magistrale de sobriété et d’efficacité : mélodramatique, intense et digne. La résolution sera elle assez consensuelle : le conflit générationnel n’aura pas lieu, la modernité embrasse la tradition (la jeune fille décide de rester chez sa mère et même d’emboîter ses pas – ceux-là même qu’elle avait pourtant en horreur).
En toile de fond de cette histoire assez simple, de belles et mélancoliques geishas paraissent et disparaissent derrière des cloisons de papier, des couches de maquillage et de nombreux kimonos… et des extraits de théâtre nô font écho de manière cruelle à la vie réelle. On regrettera que le film n’introduise pas plus de complexité dans ses imbrications entre drame familial et chroniques de la vie quotidienne en maison close. La fin laisse ainsi un petit goût d’inachevé.
Après ce film, je peux par contre affirmer que j'apprécie particulièrement chez Mizoguchi les expositions : cette manière de poser les enjeux et personnages, très simplement et très justement, avec une économie de mots et de scènes qui laissent pourtant le spectateur ressentir pleinement et pressentir aisément les événements. Serait-ce une recette magique ?
7/10
Les contes de la lune vague après la pluie
Dans le japon féodal, Mizoguchi offre un conte moral pour deux villageois ambitieux qui ne pensent qu’à s'extraire de leur condition modeste (l'un aimerait faire fortune et vivre dans la soie, l'autre aimerait être samouraï et connaître la gloire des grands guerriers) sans pourtant voir l'essentiel : l'amour inquiet de leurs deux femmes, la guerre qui menace à leur porte, et surtout le bonheur simple à portée de main qu’ils se refusent à saisir.
Dès les premiers instants, on se laisse complètement embarquer et immerger dans ce film visuellement magnifique et très sensible. L’atmosphère est envoûtante, alternant reconstitutions précises de la vie villageoise du moyen-âge, séquences oniriques et enveloppantes, scènes de cruauté et de guerre et par instant des pointes vives d’émotion (un sanglot sera versé de mon côté lors des retrouvailles du samouraï imposteur et de sa femme devenue prostituée). Le tout est baigné dans de beaux plans à la construction étudiée et dans des mouvements de caméra souples et fluides, avec un accompagnement sonore (comme dans tous les Mizoguchi vu jusqu'à présent) très soigné et convaincant.
Je dois avouer que la partie fantastique – cette parenthèse fantasmagorique avec un spectre féminin – même si elle offre de très belles images, m’a un peu décontenancée… mais c'est le seul point de nuance que je pourrais citer au sujet de cette œuvre magnifique.
8/10
L'intendant Sansho
Un pur mélodrame. Dans un japon médiéval en nuances de gris, la femme d’un gouverneur humaniste et ses deux enfants sont contraints à l'exil. Un excès de confiance plus tard et les voilà non seulement séparés mais également réduits à l'esclavage et sous le joug de maîtres très cruels. C’est une fable initiatique sur la moralité des hommes qui se joue alors, à une époque où celle-ci n'est pas encore érigée en principe, où la distinction entre bien et mal est floue et où seules quelques lois hiérarchiques trace les contours de la Justice... Les personnages bons ne triomphent pas vraiment ici ; ils suivent et choisissent leur voie en conscience, ils inspirent le respect du spectateur, mais ils ne sont pas systématiquement récompensés dans leurs actions… Ces déclassés aux cœurs purs sont de véritables martyrs, condamnés à apprendre la cruauté de l’existence à leurs dépens et à ne jamais pouvoir trouver le repos.
Comme toujours avec le cinéaste, c'est visuellement très beau, très raffiné, avec une alternance de scènes dures et cruelles et de scènes paisibles et contemplatives, le tout formant un bel équilibre. Néanmoins, je n’ai pas été complètement emportée : il y a trop de drames et d'abnégations à mon goût, trop de pleurs, de tortures et de renoncements pour que l’immersion soit totale. L’excès de pathos a fini par me sortir un peu du film même si je suis forcée d’admettre que celui-ci regorge par ailleurs de scènes mémorables et magnifiques : la séparation, la fuite dans la forêt et surtout le sacrifice de la sœur qui coule doucement son corps dans l’eau sombre…
7/10