Hiroshi Shimizu (1903-1966)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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John Holden
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Re: Hiroshi Shimizu (1903-1966)

Message par John Holden »

bruce randylan a écrit : 2 juin 21, 11:07
John Holden a écrit : 30 mai 21, 15:18 La semaine prochaine je pense assister aux séances de lundi, mardi et jeudi. Et mardi L'organiste de la cathédrale Saint Guy à la fondation Pathé :mrgreen:
Il n'y a pas de séance le mardi à la CF :fiou:

L'organiste de la cathédrale Saint Guy me tentait bien mais pas disponible.

PS : La MCJP vient de mettre ses horaires en ligne
https://www.mcjp.fr/fr/agenda/hiroshi-shimizu
Oui je voulais dire mercredi. :mrgreen:
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bruce randylan
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Re: Hiroshi Shimizu (1903-1966)

Message par bruce randylan »

Un héritier à l'université / the boss's son at college (1933)

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Fils d'un commerçant, Fuji est plus intéressé par subtiliser de l'argent à son père et à courir après les filles... parfois au détriment des ballons de rugby, ce qui ne plaît pas à son équipe.

Une comédie étudiante trop inégale pour s'inscrire dans les réussites de la période muette de Shimizu, principalement à cause de la construction du scénario trop relâchée et de la caractérisation des personnages. Même pour une comédie, il manque un peu de substance pour que l'univers tiennent ses promesses jusqu'à la fin, surtout si on bascule dans le drame mélancolique pour les dernières scènes. C'est avant tout frustrant car il y a plusieurs scènes réussies (la pêche au scarabée ; l'amertume d'un ami ; le héros pleurant sous la douche pour cacher ses larmes) et toujours un certain don pour la mise en scène, les cadrages et le sens des extérieurs mais comme dans un certain nombre de films de cette période, j'ai le sentiment que la narration de Shimizu est parfois brouillonne, presque confuse. A se demander s'il ne manque peut-être pas tout simplement un Benshi qui comblerait certains trous.
Il semblerait que le film possède une dimension autobiographique dans le portrait du sportif. D'après ce que j'ai lu d'un autre avis sur internet, Shimizu était aussi le fils d'un marchand de soja et était plus motivé par les filles, la boisson que dans la reprise de l'entreprise familiale.
Avec ce personnage anticonformiste peu respectueux des valeurs traditionnelles et la description moderne et occidentalisé du Japon (influence du cinéma américain, match de rugby dynamique, scène dans un cabaret de luxe), ce "Boss's son" a en tout cas dû rencontrer un vif succès si on se base sur les 6 suites que Shimizu tourna les 3 années suivantes et qui sont logiquement perdues désormais.

Journal d'une famille (1938)

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Deux amis d'enfance se retrouvent à Tokyo. Le premier a quitté son amoureuse pour faire un mariage arrangé avec une femme issue d'une famille fortunée tandis que le second a pour sa part fuit avec sa fiancée avec qui il a eu un enfant. Leurs trajectoires différentes, et l'éducation opposée des deux épouses, font naître quelques ressentiments entre ces voisins.

Très joli film que ce drame à l'assurance tout en tranquillité et sobriété. Le style de Shimizu ravit dès les premiers plans par son ton apaisé, sa délicatesse quand même bien le contenu de le scène est assez cruelle : un couple se promène dans une nature idyllique avant que l'homme n'enflamme les lettres d'amour de sa bien-aimée tout en lui expliquant qu'il la quitte pour épouser la fille d'un homme riche qui lui paiera des études. Sans excès mélodramatiques ni sans forcer le trait,, Shimizu vise tout le temps juste et égratigne des valeurs conservatrices grâce à une sobriété qui n'exclut pas une réelle acuité dans ses thèmes. Un pur travail de mise en scène où la caméra et le découpage en disent fréquemment plus que les dialogues : des travellings latéraux pour décrire des intérieurs d’appartement, des temps de pauses dans interprétation, l'art de glisser un gros plan au bout moment, des mobiliers en premier plan, l'utilisation des décors qui viennent enfermer certains personnages...
Shimizu témoigne d'une belle maturité dans son style et sa direction d'acteurs qui lui permet de faire passer subtilement un certain nombres d'idées et de thèmes. A commencer l’égoïsme rétrograde patriarcal et une solidarité basée sur la compréhension entre les femmes même si elles restent encore des victimes sacrifiées (comme le destin auquel doit consentir l'ancienne maîtresse sans qu'on lui laisse vraiment la parole). De quoi oublier les facilités dans le développement du scénario qui repose beaucoup sur des rencontres fortuites et quelques aberrations géographiques qui permet à l'envie de Shimizu d'intégrer des extérieurs à valeur symbolique comme la compagne répudiée par sa belle-famille qui marche sur une route en montagne aux profondes vallées.


et un double programme propagande

L'avancée de l'armée (co-réalisé avec Kintarô Inoue, Kazuo Ishikawa, Minoru Matsui, Yasushi Sasaki et Tetsuji Watanabe - 1932)

Un film assez obscur sur lequel il n'existe pas vraiment d'informations si ce n'est qu'il n'a survécu qu'au travers de copies incomplètes et dont la bande-son est perdue à 80% (ça ne change pas grand chose, s'agissant quoiqu'il en soit d'un film muet seulement sonorisée). Si la durée indiquée par imdb est bonne, il manquerait environ 40 minutes. On sent plusieurs transitions abruptes au début, passant de plusieurs prologues historiques au Japon post-Meiji, et la fin dont il manque la ou les dernières bobines.
Ca n'aurait pas rendu meilleur ce médiocre film de propagande produit par la Shochiku, signé des cinéastes qui n'ont pas laissés de traces dans les livres d'histoires (la moitié étant mort durant la guerre faut dire), à part Sasaki dont j'ai croisé le nom quelque fois, genre l'artisan, homme à tout faire durant les 50's). Et Shimizu donc, encore qu'à l'époque il n'avait sans doute pas encore la reconnaissance à venir. On devine cependant son style au détour de un ou deux plans en extérieur quand un officier croise d'autres militaires qui l'accusent de traitrise.
Si on met de côté le premier tiers, trop parcellaire pour se faire une idée, on est devant une histoire édifiante où un soldat confie son enfant à un ami armurier pour remplir une mission d'espionnage en Mandchourie (avec un déguisement grotesque à base de fausse moustache). Outre l'hypocrisie sur le Japon proclamé comme un grand pays pacifiste (mais qui passe son temps à faire la guerre), subissant les invasions de navires occidentaux), la misogynie véhiculée est particulièrement hallucinante. Elle est déjà présente dans les relations entre enfants mais elle est encore plus éhontée dans un flash back, maladroitement greffé, où une femme est "vendue" à des étrangers contre des armes à feu que l'armurier pourra étudier. La pauvre damoiselle, pourtant fiancée, a bien-sûr l'obligation d'être fier de brader sa virginité pour la grandeur du Japon. Cela dit elle s'en sortira en abattant son violeur et en subtilisant son pistolet. L'honneur est sauf :mrgreen:
Dans l'ensemble, la réalisation est assez banale même si quelques plans dans le prologue sont parfois spectaculaires comme une caméra suspendue à une tyrolienne pour survoler une bataille ou un mur s'écroulant sur une escouade escaladant une colline. On trouve aussi quelques idées assez modernes dans le découpage du segment de la jeune fille vendue, avec des faux raccords volontaires pour l'adieu sur la plage avec son fiancé.

Chants pour la victoire (Kenji Mizoguchi, Masahiro Makino, Hiroshi Shimizu, Tomotaka Tasaka – 1945)

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En comparaison avec le précédent, celui-ci fait figure de chef d’œuvre. Et si on fait abstraction du fond - et de la finalité - de cette commande, on pourrait presque dire que c'est un honnête film à sketch.
Précisons quand même, et avec les pincettes de rigueur, que le film valorise surtout les japonais dans leur quotidien qui soutiennent à leur manière l'effort de guerre par leur mentalité et leur abnégation. On n'est pas vraiment dans la glorification belliqueuse ou l'auto-congratulation de l'impérialisme japonais sur les territoires brutalement conquis. C'est en ce sens moins "problématique" que Nuits de Chine par exemple. On est davantage dans la chronique d’instantanés typiquement japonais qui possède à leur façon une sensibilité typiquement japonaise, ce qui permet d'identifier par moment certains des auteurs des 13 segments plus ou moins liés. Shimizu est ainsi logiquement derrière l'épisode où un père encourage son fils de 7 ans à s'engager dans l'armée de l'air. Ce dernier s'en fiche totalement sur le moment, préférant jouer avec des maquettes d'avions en papier (et comme ses camarades les cassent souvent, le père y trouve une fierté, voyant en eux de futurs kamikazes :lol: ). Pour le coup, c'est assez frais et décalé, pas franchement dans une propagande au premier degré, à l'instar de celui qui suit une sorte de policier de campagne sautant à pied joint sur les abris anti-bombardement pour tester leur solidité (et qui cède très facilement). Il y a aussi un un assez joli segment – du à Tasaka ? – où un jeune officier militaire fait preuve de bienveillance envers un soldat ivre et somnolant dans un tramway.
Mais dans la majorité, ça reste tout de même davantage ancré dans le conflit : Mizoguchi est sans doute le réalisateur de l'épisode où une jeune femme cherche à convaincre un entremetteur de ne pas annuler son mariage avec un homme qui vient d'être mobilisé. Il a peut-être aussi signé celui bien trop très bref sur Kinyuo Tanaka se réfugiant dans un abri avec son bébé. Je vois bien Shimizu signer celui où une adolescente évoque le bombardement d'un navire japonais de la Croix rouge par l'armée américaine (oubliant bien sûr que le Japon a commis de bien pire atrocités ailleurs). On y retrouve son sens de l'épure et de la sobriété, et le travelling final qui suit son frère sur un petit sentier est typique de ceux qu'on trouve dans La femme et ses masseurs.
On a droit également un numéro de music hall (assez médiocre) ou de charmant enfants chantant innocemment qu'ils vont envoyer McArtur en enfer. Plus intéressant sont les images documentaires ou d'actualités pris sur le vif qui donnent quelques images saisissantes qu'on a pas l'occasion de voir souvent : des civils fuyant vers les abris, des travailleuses dans les usines, des quartiers en flammes...
Par contre les 20 dernières minutes sombrent dans l'éloge sans finesse des kamikazes entre pilotes sur le point de s'envoler ou des parents dont les fils sont morts et qui poussent la chansonnette avec leur instructeurs.

Dans l'ensemble, c'est une bonne curiosité, souvent oublié dans la filmographie de Mizoguchi, qui possèdent son lot de qualités, parfois cinématographiques, parfois socio-historiques. Et mine de rien, la concision narrative est souvent brillante, chaque histoire durant moins de 5 minutes en moyenne. Il faut seulement s'y lancer en toute connaissance de causes.
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bruce randylan a écrit : 9 mars 19, 00:42 Les enfants de la ruche (1948)

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Dans l'immédiate après-guerre, un soldat de retour du front se prend d'affection pour une petite bande d'orphelins vagabonds aux ordres d'un estropié sadique qui les exploite pour faire du marché noir. Alors qu'ils se rencontrent une nouvelle fois sur la route, ils décident de voyager ensemble et de gagner honnêtement leur vie.

Sans que ce soit officielle, il s'agit en réalité d'une "suite" à la Tour d'introspection tourné en 1942 (cf page précédente) : le soldat est en est un ancien élève et invite ses nouveaux camarades à y aller pour suivre une éducation.
Spoiler (cliquez pour afficher)
Ce film poursuit ses recherches visuelles et thématiques avec une approche néo-réaliste criante (et parfois douloureuse) dans son ancrage documentaire et une mise en scène qui cherche à inscrire ses personnages dans un environnement et la nature avec beaucoup de plans larges, de nombreux travellings latéraux et une grande profondeur de champ.
Qu'il s'agisse du début autour de la gare, des ruines environnante, des nombreux paysages de campagnes, des bord de mer, de pont arrondi ou des stupéfiants et glaçants vestiges d'Hiroshima, les plans sont tous plus inspirés les uns que les autres, avec un sens du cadre et d'accompagnement du mouvement qui ne manque pas de lyrisme.
Et comme dans La tour d'introspection, la notion de groupe est indissociable de la dynamique narrative.
Seule la dernière partie rompt avec cette idée en délaissant les travelling au niveau du sol pour des mouvements de caméra qui précédent la douloureux escalade d'un enfant portant sur son dos un camarade malade désireux de voir la mer depuis le sommet d'une montagne verdoyante. Une séquence tout simplement magistrale et déchirante qui mériterait d'être citer dans tous les dictionnaires du cinéma par sa perfection plastique, la justesse de ses mouvements de caméra (qui n'ont pas du être évidents à mettre en place) et sa progression quasi géométriques au milieu des lignes et courbures des flancs et arrêtes montagnardes. Sa conclusion est d'ailleurs d'une violence qui laisse pantois.

Pourtant malgré ses qualités indiscutables et plusieurs moments aussi touchants et poétiques que graves et amers (la jeune femme se cachant dans les ruines d'Hiroshima, un garçon appelant sa mère à chaque fois qu'il voit l'océan où celle-ci se noya), Les enfants de la ruche n'est pas aussi bouleversant et immersif qu'on aurait souhaité. J'aurais du mal à expliquer vraiment pourquoi. Il y a quelques réponses probables : une musique trop présente et un traitement des personnages trop théoriques qui n'ont pas la véracité de la mise en scène et du contexte... Tout en reconnaissant qu'il s'agit d'une œuvre absolument majeure du cinéma japonais de l'après-guerre.
Il faut croire en tout cas que Shimizu tenait à ces enfants (et pour cause, il avait adopté lui-même plusieurs orphelins à la fin de la guerre), il donna une nouvelle suite intitulé : Ce qui est advenu des enfants de la ruche (1951). Va falloir que je trouve ça !
Et donc :
Ce qui sont devenus les enfants de la ruche (1951)

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Vivant désormais dans une sorte de petite ferme auto-gérée, les enfants de la ruche vivent et se débrouillent eux-mêmes, même si toujours accompagnés de leur protecteur et seul adulte. La venue d'une journaliste va de nouveau attirer l'attention sur eux.

Une étonnante "suite" dont le premier tiers est assez original par sa dimension mélangeant mise en abîme et docu-fiction. La journaliste débarque en effet dans la petite communauté - en train de se construire une école - mais attire dans une premier temps de la méfiance à cause de précédents reporters venus chambouler leur quotidien. La journaliste avoue être surprise de voir qu'un des enfants est toujours en vie puisqu'il décédait à la fin du film Enfants de la ruche ! Ce dernier lui répond qu'il a découvert aussi son décès lors de la projection en salle, alors qu'on lui avait "juste demandé de fermer les yeux et faire semblant de dormir" lors du tournage. De plus, la publicité que ces enfants attirent malgré eux font venir des curieux bien attentionnés mais souvent maladroits comme deux adolescentes qui, à trop vouloir les aider, finissent pas les blesser.
A priori, la troupe des jeunes comédiens est bel et bien celle que Shimizu adopta à la fin de la guerre et c'est lui qui aurait acheté cette ferme pour qu'ils puissent s'y installer. Quelque part, c'est presque dommage que le réalisateur n'assume qu'à moitié cette parenté dans son film et ne joue pas lui même le rôle du tuteur/protecteur.
Cette brouille entre réalité et fiction est passionnante sur le papier mais ne fonctionne qu'à moitié sur l'écran. La volonté de donner une dimension "narrative" n'est pas franchement convaincante et le dernier acte s'avère même plutôt ratée, peu crédible et même trop rapidement bâclée dans son refus de donner une résolution dramatique à une fugue. L'approche est plus touchante et réussie quand Shimizu opte pour l'observation et la description de leur quotidien sans prendre partie ni leçon de morale : cultiver, préparer à manger, la honte de faire encore pipi au lit, les provocations entre un garçon et une fille...

A ce niveau, j'aurais préféré que le cinéaste privilégie le vrai documentaire sur ces enfants atypiques qui devraient se suffire à eux-mêmes au lieu de chercher à créer ce suspens tiède autour de 2 nouveaux enfants, profitant de leur hospitalité pour voler leur affaire avant de prendre la fuite. Pourtant l'idée de confronter différents groupes d'orphelins n'étaient pas mauvaises mais la narration donne trop l'impression que Shimizu navigue à l'oeil avant de décréter arbitrairement que son récit peut s'arrêter net. Cette sortie de la communauté est d'autant plus frustrante qu'elle annonçait la confrontation avec d'anciens personnages (l'unijambiste) et surtout avec l'évolution du Japon. En choisissant aussi de décrire la vie en autarcie, Shimizu coupe ses personnages à la fois de mouvements mais aussi du temps contemporain à son tournage. On perd ainsi autant en lyrisme qu'en force sans forcément gagner en retour. Heureusement, on conserve l'humanité, la délicatesse et une certaine justesse ; ce qui reste l'essentiel.

Reste a voir à quoi ressemble Les enfants du grand Bouddha qui serait le dernier volet de cette série
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L'idiot sentimental (1956)

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Pour espérer conquérir une chanteuse de cabaret, déjà entretenue par plusieurs clients, un commercial détourne l'argent de ses clients. Il ne tarde pas à se faire arrêter au grand désespoir de sa mère qui va demander de l'aide à sa maîtresse.

Un mélodrame qui commence sous de bien mauvais auspices avant - heureusement - de corriger le tire.
Le premier tiers est totalement fade, impersonnel et transparent, entre 2 chansons qui sentent le remplissage (histoire d'atteindre les 70 minutes ?), des décors sans caractère, une photo un peu plate et une mise en scène dans l'ensemble inodore. On ne peut pas dire qu'on prenne beaucoup de plaisir à cette histoire par ailleurs assez conventionnelle pour un univers qui ne semble pas correspondre à la sensibilité du cinéaste.
Mais c'est oublié qu'il est lui-même le scénariste, adaptant une histoire de Matsutarô Kawaguchi (l'auteur de pas mal de Mizoguchi). Une fois que le soupirant est mené derrière les barreaux, l'histoire se recentre sur la chanteuse qui se sent obligée d'aller voir les escroqués pour tenter de les convaincre de changer l'argent volé en argent prêté afin de faire libérer le responsable ; non pas amour ni culpabilité mais pas sentiment de responsabilité envers la mère du prévenu. Cette tournure du scénario est un peu plus intéressante et originale même si je trouve que le développement n'est pas aussi fort qu'on pourrait l'espérer. Le film date certes de 1956 mais j'imagine ce que ça aurait donné entre les mains d'un Masumura par exemple et qui aurait mieux mis en valeur les compromissions morales de l'héroïne obligé de se rabaisser pour accomplir sa tâche, renvoyant à sa propre condition. On aurait sans doute gagner en noirceur et ambiguïté (prostitution, chantage, hypocrisie, dérive du capitalisme...) mais Shimizu n'étant pas Masumura, il effleure ces aspects pour mettre davantage en avant une femme entre abnégation, sacrifice et empathie comme il l'a déjà fait dans sa carrière. Ca lui inspire quelques idées accompagnant l'état de lassitude et de fatigue tel les travellings ne moins en moins dynamiques qui suivent l'héroïne dans les escaliers menant à son appartement.
La fin, refusant le happy end de la réconciliation, est assez belle avec une amer mélancolie où triomphe surtout la solitude, portée par une photographie nocturne enveloppante.
Les 10-15 dernières minutes donnent in extremis une réelle saveur à L'idiot sentimental, sans gommer tout de même le sentiment d'être passer à côté d'une grande œuvre. Doublement frustrant donc.
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Le chant de la brume (1956)

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Accompagné de sa fille et son époux, un professeur retourne dans un chalet au milieu d'une vallée montagnarde où il fit ses recherches. Sa visite coïncide avec le jour de la lune d'automne, où 10 ans plus tôt et au même endroit il avait connu une brève relation platonique avec sa secrétaire alors que son mariage battait de l'aile.

Se déroulant uniquement dans le chalet - et ses alentours -, Shimizu délivre un joli mélodrame assez dépouillé, sans sous-intrigues, sans "aération" narratif et tourné en grande partie en extérieur (même une grande partie des intérieurs sont tournés sur place et ouvrent que la nature). Le récit est construit autour de 3 flash-backs espacés de 3 ans en général pour raconter la succession de rendez-vous manqués entre le professeur (Ken Uehara) et sa secrétaire (Michiyo Kogure) qui n'auront pu échanger qu'un baiser avant d'être séparé. Mais l'amour indéfectible qu'ils se portent les poussent à se rendre régulièrement dans ce chalet à la même date, sans deviner que l'autre a eu le même désir. Il en découle une cruelle atmosphère mélancolique entre souvenirs, retrouvailles impromptues, malentendus et faux espoirs (l'aubergiste interprétant mal l'anglicisme "papa"). Il fallait bien le tact et la délicatesse de Shimizu pour faire passer ce scénario qui avait tout pour être édifiant avec ses hasards bien trop calculés. Le cinéaste suspend donc souvent le temps, enferme ses personnages dans des espaces différents selon leur états d'âmes et les grave dans un paysage idyllique tout en étant menaçante par cette imposante montagne en arrière plan. Les "longs" travellings sont assez majestueux à ce titre et participe à ce romantisme hors du temps. Après, l'ensemble est un peu hiératique dans interprétation ou le découpage d'où par moments un rythme un peu relâché dans le second et troisième flash-back. La conclusion est en revanche une petite merveille de sensibilité où la douleur muette est plus ressentie que vraiment comprise par les autres protagonistes qui s'effacent avec une pudeur très émouvante.
C'est bel et bien dans ces moments d'une fausse simplicité que la mise en scène et la direction de Shimizu trouvent et expriment toute sa grâce.
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Re: Hiroshi Shimizu (1903-1966)

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Les enfants qui ont besoin d'une mère (1956)

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Cherchant inlassablement son fils qui a disparu subitement, une mère parcours les différents orphelinats du pays. Elle s'attache à l'un de ces foyers et y devient éducatrice.

Comme le titre l'indique, nous sommes devant un nouveau drame mettant en scène des orphelins. Et pour son dernier film dans ce registre, le cinéaste "accouche" de l'un de ses meilleurs films, y compris dans ce corpus. Cela tient avant tout grâce à une meilleure retenue sentimentale : pas de musique surlignante, moins de chantage affectif, dramaturgie sobre mais émouvante. Le message paraît un peu moins forcé aussi, sans doute parce qu'il navigue entre les enfants et cette mère. Il y a ainsi souvent un contre-poids aux scènes qui passent par le jeu d'observation de témoins et dans un traitement du découpage et de la mise en scène qui brillent par leur simplicité évidente. Les émotions sont pourtant riches et nombreuses qu'il s'agisse de celles de la mère ou des enfants du foyer. Une fois de plus la direction des jeunes comédiens est une merveille de justesse et de sobriété qui nous font vibrer entre espoirs, déception, impatience et fragilité. On y trouve évidement beaucoup de moments touchants avec une admirable économie de moyen : une femme re-mariée dont l'époux l'encourage à aller chercher son premier enfant à l'orphelinat, un chérubin courant après le bus de son père après l'avoir rejeté dans un premier temps, l'écriture et lecture de lettres, la découverte froide d'un décès... Sans oublier le final qu'on devine forcément à l'avance mais qui ne peut que faire monter les larmes par sa chaleur et son humanisme. Ca pourrait être du tire-larme pompier mais Shimizu évite tout de même pas mal de pièges en refusant par exemple de montrer de face l'agonie d'un enfant en train d'écrire à sa mère, ne dévoilant vaguement que son dos et ses mains.
Sur la forme, c'est une nouvelle fois du grand Shimizu, tant dans ses paysages, que la composition du cadre, la profondeur de champ, la limpidité du montage ou la qualité du noir et blanc.


Pourquoi sont-elles devenues ainsi (1956)

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Dans un pensionnat pour jeunes filles désœuvrées ou délinquantes, le quotidien est chamboulée par l'arrivée d'une nouvelle venue aux origines aisées.

Shimizu délaisse les enfants pour les adolescentes et on sent qu'il est moins à l'aise dans ce domaine, malgré un grand nombre de qualité à commencer par une forme toujours aussi pertinente et affutée comme ce château féodal qui surplombe dans quasi chaque plan les jeunes filles comme pour mieux rappeler qu'elle évolue dans une société rétrograde et conservatrice : impossibilité de trouver un emploi de ré-insertion, ragots des voisins, famille qui n'hésite pas à les vendre comme geisha, question de l'avortement... Shimizu ne vise d'ailleurs pas tant le machisme des hommes (très absents ici en réalité) que la société entière puisque ce sont souvent les mères qui témoignent d'un profond cynisme ou mépris pour leur propre fille.
Seulement l'optimisme, la sororité et la bienveillance parait ici plus artificielle que quand il s'agit d'enfants de 8 ans. On a du mal à toujours croire que ces anciennes droguées, voleuses ou prostituées deviennent de douces brebis en confectionnant des masques souriants. On va dire que ça manque un peu d’âpreté, mais peut-être est-ce du aussi à la censure car il ne m'a pas paru claire que l'une des pensionnaire était enceinte (peut-être du à un moment d’inattention de ma part, la concision de Shimizu pouvant faire rater des informations importantes en quelques secondes) et que la question de l'homosexualité semble vaguement suggéré au début avant d'être éclipser.
Ce sont en tout cas les moments les plus crues et sordides qui fonctionnent le mieux : l'adolescente qui saute à plusieurs reprises d'un mur de 2 mètres de hauts en espérant avorter, la désillusion de ne pouvoir intégrer de nouveau le marché de l'emploi ou la honte d'une geisha croisant ses anciennes camarade. Ces moments semblent plus réalistes que la scène de l'accouchement ou les grands sourires d'épinale que s'échangent régulièrement les pensionnaires.
Un sentiment d'autant plus inégal qu'il fait partie des films de Shimizu qui manquent à mes yeux d'ossature et d'une réelle construction dramatique, les différents destins pouvant être totalement interchangeables dans un récit qui possèdent beaucoup trop de moments de flottements.

La danseuse (1957)

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Une jeune fille rend visite à sa sœur, danseuse dans le quartier d'Asakusa où elle vie avec un musicien dans un modeste appartement. Elle est rapidement repérée par le chorégraphe de la revue de sa sœur qui l'invite à rester chez elle. Celle-ci regrette bientôt sa proposition devant l'absence de gêne de sa cadette alors que son couple traverse une crise, ne parvenant pas à avoir d'enfant.

Si Le chant de la brume était totalement champêtre, La danseuse est intégralement citadin et plongée dans le tumulte effervescent d'Asakusa, ses rues bondées, ses cabarets, ses petites terrasses entourées de néons et ses logements réduits. Shimizu est pourtant bien inspiré par ce contexte, bien plus que dans l'Idiot sentimental. Entre sens des espaces clos, nombreux travellings sophistiqués et utilisation des longues focales, Shimizu parvient à rendre palpable la promiscuité. On trouve à quelques reprises une tension charnelle et une érotisation des corps qu'on imaginait pas forcément chez lui. Tout cela est évidement au service d'un récit plus complexe qu'il n'en a l'air pour une relation triangulaire qui passe beaucoup par les non-dits des dialogues et le tempo de la direction d'acteur ou du montage. Il en résulte une vraie subtilité dans la mise en scène qui en dit beaucoup. Il suffit de comparer la scène entre la sœur et son beau-frère sur le toit (plan large mettant en valeur les immeuble phalliques de l'arrière plan) et le même décor quand se dernier essaye de se réconcilier avec sa compagne. Le cadrage crée cette fois des frontières entre les personnages tandis que les valeurs de plans sont aussi plus intimistes et joue la pudeur en s'attardant davantage sur le sol où les gouttes d'une pluie éparse semblent guider les pas entre les deux amants qui cherchent à se retrouver après leur brouille.
Je regrette juste que Machiko Kyô en fasse trop dans le minaudage. Ce n'est pas le cas de ses partenaires avec une formidable Chikage Awashima dans le rôle de la grande sœur.

A noter quand même que la fin est du pur Shimizu :mrgreen:
Spoiler (cliquez pour afficher)
Le couple recommence à zéro leur vie pour s'installer à la campagne pour s'occuper d'une école primaire.
La dernière partie de la carrière du cinéaste – au studio Daiei - n'est jamais vraiment évoquée dans les dictionnaires de cinéma japonais, et les films n'ont dans l'ensemble que peu été montrés, elle mérite pourtant d'être vraiment redécouverte. Demain, la Cinémathèque diffusera ses 2 ultimes réalisations et j'en attends désormais beaucoup.
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Re: Hiroshi Shimizu (1903-1966)

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beb a écrit : 26 juin 21, 17:27
Je viens de la voir à la mcjp, et je n'ai pas grand chose à rajouter, c'est un film d'une poésie incroyable sur un fond social qui fait froid dans le dos en cette année 1936. J'ai encore des frissons de l'apparition presque onirique de cette ouvrière coréenne
:D
Ravi que ça te plaise. Tu penses en voir d'autres ?


J'ai fini ma rétro en salles de mon côté (il m'en reste 4 à découvrir à la maison dont un qui n'était pas dans cette rétrospective 8) ) mais j'ai pris du retard ici. Je reviens d'abord sur ses 2 ultimes réalisations.

Le cheminement d'une mère (1958)

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Le directeur d'un cirque accepte de devenir le PDG d'une grosse société et doit donc changer de milieu social. Son épouse, spécialiste du trapèze, qui a trop vécu une vie foraine, multiplie les maladresses dans ce nouveau monde au point d'humilier sans s'en rendre compte son mari et sa fille.

Premier film en scope pour Shimizu et on ne le sent pas toujours confiant dans son utilisation de l'écran large, se contentant de cadrer trop souvent les personnages au milieu de l'image. Lui qui a su généralement parfaitement utiliser l'espace, la profondeur de champ ou les décors n'a pas l'air de trouver comment exploiter ce format pour l'intégrer à son histoires ou ses personnages. Il faut reconnaître que le scénario n'est pas des plus stimulants et qu'il le prive de tournages en extérieur : chapiteau, intérieur de maison, salle de classes, bureau, réception mondaine... On est dans du studio à 95% du temps, ce qui semble le paralyser et réduire la mobilité de la caméra. Les artifices de l'intrigue n'en ressortent que plus visibles avec une trame tout de même bien trop prévisible et convenue pour des péripéties qu'on anticipe aisément et des ficelles d'un autre temps (le concours de choral diffusé à la télévision). On est dans du mélodrame formaté, pas désagréable mais totalement désuet et aux effets appuyés, déjà à l'époque. On peut tout de même remercier Shimizu de ne jamais sacrifier ses comédiens qui restent ce que le film à offrir de mieux. L'interprétation reste digne, sobre et sincère, parvenant à donner de la substance aux personnages. Ca ne fait pas oublier les clichés mais ça leur donne au moins une certaine épaisseur qui parviennent même à émouvoir et à faire preuve de tendresse comme la mère chantonnant dans les coulisses du cirque ou la fille ne voulant pas blesser sa mère et prenant sur elle.


L'image de la mère (1959)

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Un veuf vivant avec son fils accepte de se remarier avec une femme, elle-même veuve avec un petite fille. Mais le garçon de 6-7 ans, dont le décès de la mère est trop récent, refuse d'appeler sa belle-mère "maman".

Quelle magnifique film testament !
Pour son dernier film, Shimizu livre non seulement l'un de ses meilleurs films mais une merveille de sensibilité, d'écriture, de caractérisation psychologique et de finesse dans la direction d'acteur (on pense assez à Visages d'enfants de Jacques Feyder avec qui il partage une partie de l'argument et la justesse dans le traitement). Contrairement au Cheminement d'un mère, Shimizu a cette fois trouvé comment utiliser le scope pour servir la dramaturgie, notamment en enrichissant l'ancrage social et le rapport des personnages à leur habitat. Le recours (et le retour) au tournage en extérieur apporte beaucoup il est vrai et le rend plus vivant, plus aéré. De plus, les gros plans de visages gagnent aussi en expression. Et c'est bien le point fort du film : une direction brillante des comédiens. On retrouve une nouvelle fois une formidable Chikage Awashima (pourquoi cette actrice m'avait échappé jusqu'ici ?) même si c'est évidement les deux enfants qui impressionnent, d'autant plus qu'il s'agit à priori de leur unique rôle au cinéma. Ils sont d'une profonde justesse à chaque instant, et c'est encore plus stupéfiant pour la plus jeune qui est toujours d'un impeccable timing dans son jeu. Ca n'a pas du être un mince affaire pour obtenir cette prestation, surtout pour la tétanisante scène où le jeune héros maltraite sans ménagement sa petite sœur pour avoir laissé échapper son pigeon voyageur. J'ai rarement vu une telle intensité dans une scène entre deux enfants de cet âge et on se demande si les cris d'effrois de la cadette sont vraiment feints !
Malgré cette séquence, le film possède surtout une profonde mélancolie dû à l'impossibilité du garçon d'exprimer ses émotions. L'intelligence du scénario est d'ailleurs de ne pas chercher à créer inutilement de l'antagonisme. Si L'image de la mère touche autant c'est déjà car le garçon est conscient que sa belle-mère est une personne gentille et attentionnée, ce qui augmente d'autant plus sa douleur de ne pas réussir à l'appeler "maman". C'est davantage ceci qui le paralyse qu'un mépris ou un refus du remariage. Il y a à ce titre une sublime et lumineuse séquence (inspirée d'Harold Lloyd ?) où le garçon se laisse aller à témoigner son affection à celle-ci mais seulement au travers de son manteau accrochée à un cintre.
Le film aurait pu être un authentique chef d’œuvre si Shimizu ne se laissait pas aller dans la toute dernière ligne droite à un sentimentalisme inutile et malheureusement trop étiré avec une longue séquence de lecture d'une lettre qui explicite ce qu'on devinait des états d'âmes du garçon, et qui aurait dû se suffire à eux-mêmes. Sorti de ce regret, c'est une œuvre bouleversante et magistrale, toujours à fleur de peau et qui évitait justement le pathos et les grands éclats, privilégiant les regards fuyants, les silences gênés et un sentiment de solitude universel.

C'est vraiment un titre à redécouvrir et à réhabiliter après des décennies d'oubli. Il semblerait qu'à l'époque de sa sortie, Shimizu était considéré comme un has-been depuis quelques années et plus grand monde n'avait d'égard pour lui. Il est amusant de constater que le premier Oshima (sorti la même année) possède quelques similitudes avec ce film-ci (enfants avec pigeons voyageurs), accentuant sans doute sa désuétude. L'insuccès de ses derniers films ont sans doute accéléré leur stockage sur des étagères poussières. Contrairement aux autres titres de cette rétrospective, ces films n'ont jamais été sous-titrés en anglais semble-t-il et n'ont été exhumés que très récemment. On peut avancer qu'il s'agit de vraies révélations pour beaucoup.
Rétrospectivement, si L'idiot sentimental et le cheminement d'une mère sont en effet plus négligeables, Le chant de la brume, La danseuse et l'image de la mère sont de grandes réussites qui n'ont pas pris de ride.
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Re: Hiroshi Shimizu (1903-1966)

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bruce randylan a écrit : 27 juin 21, 12:51J'ai fini ma rétro en salles de mon côté (il m'en reste 4 à découvrir à la maison dont un qui n'était pas dans cette rétrospective 8) ) mais j'ai pris du retard ici. Je reviens d'abord sur ses 2 ultimes réalisations.
Merci pour tous ces précieux retours ! Je suis ennuyé de ne pas pouvoir assister à cette rétro, et tes avis permettent en tout cas de se faire une bonne idée des films, dont ceux impossibles à dénicher par d'autres moyens.

Dernier Shimizu découvert de mon côté : Ohara Shôsuke-san, de 1949. Sans hésitation le meilleur Shimizu d'après-guerre vu jusqu'à présent, très louable pour le portrait nuancé, creusé, qu'il propose de la période.
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Re: Hiroshi Shimizu (1903-1966)

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Re: Hiroshi Shimizu (1903-1966)

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beb a écrit : 28 juin 21, 11:18je crois que les films d'avant 1935 sont rarement réussis, à part la perle éternelle, donc je vais plutot pencher pour les parlants :mrgreen:
Il y a Jeunes filles japonaises au port qui est très réussi, parmi les muets ! Il est surprenant : c'est un mélodrame assez outré et rocambolesque.

Mais pour ce que j'en ai vu, je trouve que l'apogée du cinéaste se situe effectivement entre le milieu des années 30 et le début des années 40. Avec un trio magique, Monsieur Merci, Une femme et ses masseurs et L'Épingle à cheveux, films à la touche si légère, presque aériens. Puis le diptyque Les Enfants dans le vent et Les Quatre Saisons des enfants, plus terrestres, plus lourds - mais comme l'est un fruit mûr sur sa branche - qui font penser par exemple aux films autobiographiques de Hou Hsiao-hsien, avec un demi-siècle d'avance.
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Re: Hiroshi Shimizu (1903-1966)

Message par bruce randylan »

Ender a écrit : 27 juin 21, 13:48
bruce randylan a écrit : 27 juin 21, 12:51J'ai fini ma rétro en salles de mon côté (il m'en reste 4 à découvrir à la maison dont un qui n'était pas dans cette rétrospective 8) ) mais j'ai pris du retard ici. Je reviens d'abord sur ses 2 ultimes réalisations.
Merci pour tous ces précieux retours ! Je suis ennuyé de ne pas pouvoir assister à cette rétro, et tes avis permettent en tout cas de se faire une bonne idée des films, dont ceux impossibles à dénicher par d'autres moyens.
Thanks !

Un peu pris par le FFCP et le boulot, je reprends où j'en étais :oops:


Sous les fleurs de pêchers (1951)

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Depuis sa séparation avec son mari, Amiko est devenue une artiste de kamishibai (sorte de petit théâtre ambulant, narré ou chanté, utilisant du papier découpé). Non seulement, ses confères masculins n'apprécient pas le succès qu'elle rencontre auprès des enfants, mais sa profession – surtout pour une femme - est dévalorisée par la société. Elle fait ainsi croire à son jeune fils hospitalisé qu'elle est institutrice en maternelle et l'encourage à accepter sa nouvelle maman.

Un petit film dans tous les sens du terme : 70 minutes et une histoire très modeste qui manque cruellement de substance. On a l'impression qu'il manque une bobine au début tant la présentation est un peu hasardeuse : pourquoi est-elle séparée ? Pourquoi son fils est malade ? Pourquoi ce métier ?
Les artifices de l'histoire n'en ressorte que davantage et l'on en vient à se demander quelle est la finalité du film... comme s'il ne reposait que sur quelque scènes clés : l'enfant en ré-éducation essayant de traverser un rivière sur un petit pont, la mère se cachant derrière un masque (qui sont de très jolies scènes en tant que tel, digne du talent de Shimizu).
C'est un peu maigre et l'absence de développement digne de ce nom ne permet jamais de s'intéresser au destin de la mère. On peut toujours apprécié quelques scènes, plans en extérieur ou des moments isolés comme sa relation humoristique avec un rival devenue masseur, tout en regrettant cette superficialité très frustrante qui donne le sentiment que Shimizu a tourné ça faute de mieux, avec les moyens du bords, en attendant de rebondir.

Les enfants du grand Bouddha (1952)

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Une partie des enfants de la ruche se sont déplacés à Nara où ils subsistent en jouant les guides au milieu des temples bouddhiques historiques préservés par la guerre.

Ce troisième et dernier volet des Enfants de la ruche (4ème si on inclut La tour d’introspection) est avant tout une curiosité à l'origine improbable puisqu'il est co-produit par une association œuvrant pour la sauvegarde du patrimoine historique de Nara. On navigue entre le drame social et la stricte brochure touristique où les jeunes guides décrivent en long, en large et en travers l'histoire des sites emblématiques de Nara : les temples, les statues, leurs sculpteurs, leurs différentes reconstructions... Entre les visites, il y quelques scènes décrivant le quotidien des enfants. L'un a été adopté par une école bouddhique et communique ainsi à Hota, le plus débrouillard et intègre de la bande, les informations à donner aux visiteurs. Et ce dernier forme aussi d'autres orphelins.
Les limites du projet se devinent assez rapidement. Le destin des enfants de la ruche ne suit pas vraiment de cohérence avec les 2 précédents films. Rien n'explique pourquoi et comment ils ont abandonné leur ferme, pourquoi ils ont choisi Nara ou ce que sont devenus les autres membres de la troupe. De plus, il n'y a pas réellement d'intrigues ou de progression dramatique même si quelques éléments interviennent de temps en temps : le père disparu de Hota qui pourrait peut-être être rapatrié (s'il est vivant), des nouvelles recrues qui volent l'argent d'une cliente, l'hésitation d'être adopté... et encore, tout cela reste tout de même maladroit à l'instar de cette femme sortie de nulle part et voulant remplacer son fils décédé.
Parfois ça peut donner au contraire de très jolis moments comme Hota constatant l'extrême précarité de son camarade aux habits en lambeaux ou le pique-nique surplombant Nara où l'on disserte sur la guerre, les années perdues et sur ce qu'il reste de traditionnels et d'authentiquement japonais après les bombardements et de villes rasées. La fin pourrait être également être poétique si elle n'était pas expédiée si rapidement.
Enfin, la partie "touristique" fait plutôt bien son boulot en mettant régulièrement en valeur le patrimoine historique, culturelle et artistique de la ville d'autant que Shimizu a l'opportunité de filmer des endroits ou des choses que le visiteur lambda n'a pas toujours accès, même si ça reste très didactique. Les moments, vraiment réussis, où Hota découvre – et nous avec - pleinement la grâce et la finesse d’exécution des statues de "gardiens" restent trop rares. Je me demande en fait si la narration n'aurait pas du être centrée sur la relation entre Hota et l'artiste marginal que les enfants prennent pour un rival au début et qui traînent dans les mêmes coins qu'eux.
Toutefois, et à un niveau totalement subjectif, pour avoir été à Nara presque 2 ans jours pour jours avant la découverte des Enfants du grand Bouddha, j'ai pris un certain plaisir de la (re)découvrir tel qu'elle était en 1952, loin de la foule de touristes (dont je faisais partie) et de l'urbanisation galopante. A la rigueur, j'étais même déçu de ne pas voir dans le film Horyu-ji qui se trouve dans la banlieue de Nara.

En parallèle de ce tournage, Shimizu a tourné deux courts-métrages (sans doute sur le même budget). Le documentaire Les vieux bouddha de Nara, présenté également à la cinémathèque, dure 36 minutes et présente à l'instar du long-métrage les différentes attractions culturelles de Nara avec une voix-off adulte égrenant grosso modo les mêmes informations historiques que communiquait Hota (date de construction/reconstruction, artiste sculpteur, mise en valeur de certains détails...) et on y retrouve en grande partie les mêmes plans ou les mêmes valeurs de cadre mais sans les comédiens. C'est un peu moins exhaustif curieusement, avec le temple Kasuga absent. Pour un novice non-japonais, on va dire que ça fait beaucoup d'informations à assimiler en peu de temps, tout en donnant envie de venir sur place contempler tout ça. Il est à ce titre dommage que le documentaire ne fut pas tourné en couleur.
Le second court-métrage est une fiction La vieille dame et les enfants du temple Toshodai-ji qui ne fut jamais exploité a piori et semble désormais perdu. Comme il est resté inédit, il n’apparaît pas dans toutes les filmographie du cinéaste. On trouve sur youtube, une vidéo en japonais de 2-3 minutes qui se base sur quelques photos commentées.
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Re: Hiroshi Shimizu (1903-1966)

Message par bruce randylan »

Quelques courts-métrages ou fragments

Les amis (1940)
De ce court métrage, il ne subsiste que les 10 dernières minutes. C'est bien dommage car il avait été tourné en Corée sous la colonisation, rarement filmé, et les extérieurs offre de très jolis paysages entre campagne, forteresse et remparts à l'abandon (serait-ce Nahamsamseong ?).
Pour ce qu'on peut en juger, l'histoire de ce film de propagande était sans doute moins lénifiante que d'habitude en décrivant une amitié sincère entre le fils d'un japonais muté en Corée et un garçon coréen. Ainsi, ils échappent aux brimades de l'un d'eux en échangeant de costumes. Miser sur la solidarité, compréhension et la complicité, plutôt que le discours colonisateur et paternaliste est plutôt représentatif de la patte de son auteur.

Keijo (1940) est un documentaire de 24 minutes sur Séoul (nommé Keijo à l'époque) qui à l'avantage d'être dénué de toute voix off, se limitant à un simple accompagnement musical. Les les bienfaits de l'occupation japonaise sont moins glorifiées que dans les équivalents taïwanais et son discours passe majoritairement par le montage. On devine que les japonais ont apporté l’électricité, l'éclairage de nuit, le développement ferroviaire, le tramway, des bâtiments administratifs « solides »... C'est aussi et surtout un bon témoignage historique de la ville tel qu'elle l'était en 1940 entre maisons traditionnelles entassées les unes sur les autres, la présence plus marquée des collines, le mélange des deux cultures, ou des moments du quotidien comme des femmes battant le linge. Ca en devient ainsi assez précieux (même si je suis pas expert sur les archives survivantes)

Le forgeron de la forêt (1929) est pour le moment le plus vieux film conservé de Shimizu, du moins sous une forme assez complète. La copie ayant survécu est en effet une version condensée de 30 minutes, genre pathé baby.
Ironiquement, il s'agit du remake d'un film de John Ford qui n'a survécu lui aussi que sous une forme parcellaire : The village blacksmith. Pour ce qu'on peut en comparer, la version japonaise a l'air très proche de celle américaine, avec notamment la dispute un soir orageux qui tient vraiment du décalque.
Dans sa narration de 40 minutes (où l'on sent les trous dans la narration), c'est un mélodrame, sans trop de surprise, mâtiné d'intrigue policière dont le sujet tourne autour d'un homme accusé à tort d'un vol alors qu'il voulait aider son frère handicapé à remarcher. Malgré la proximité esthétique et formelle avec Ford, le film a suffisamment d'éléments pour qu'on évoque quand même un sujet personnel pour Shimizu : les défis entre enfants (conduisant ici à la chute d'un arbre), le quotidien dans les villages ruraux, les personnes avec un handicaps, les relations entre enfants et parents... Mais comme je disais, avec cette durée réduite de 50 minutes (au lieu de 93 d'après imdb), on peut difficile se faire une réelle idée du film, surtout avec la prédisposition de Shimizu pour les moments en creux qui font le sel de son cinéma.
Pour les curieux, on le trouve sur youtube (sans sous-titres)
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Re: Hiroshi Shimizu (1903-1966)

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La cloche de Sayon (1943)

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Un autre film de propagande pour encourager le dévouement et l'engagement des Taïwanais envers les colonisateurs et occupants Japonais en se basant sur un fait divers réel où une élève se noya en aidant son professeur japonais lors de la traversée d'une rivière.
Le film a sa petite réputation pour être l'un des rares (si ce n'est le seul ?) film japonais tourné en Taïwan ayant survécu. On retrouve l'actrice sino-japonaise Shirley Yamaguchi (alias Li Xianglan), connut pour avoir tourné d'autres films du genre comme Nuits de Chine en 1940 (ce qui manqua de peu de la faire condamner à mort à la libération). Ce n'est pas son interprétation qui aide à atténuer le trait : non seulement, elle a 10 ans de plus que son rôle (et ça se voit), mais en plus son positivisme mièvre est surlignée jusqu'à l’écœurement avec sourire béa, enthousiasme forcé et grands yeux de biches. Rien n'est fait non plus pour rendre crédible ou touchant le final où Sayon trouve la mort. J'ai presque envie de croire que Shimizu – à qui on a sans doute imposé ce projet – fait exprès de rendre la scène grotesque, comme si sa mort n'avait aucune justification psychologique ou narrative. Ca arrive totalement gratuitement et, surtout, une fois que le professeur de Sayon est à l'abri.
Shimizu est beaucoup plus investi dans la réalisation quand il s'agit de dépeindre la vie et le quotidien des petits villages isolés en montagne avec tout le sens du cadre et des extérieurs qui le caractérise : élevage d'animaux, jeux d'enfants, agriculture en terrasse, un certain folklore, les costumes, les sentiers... Les 10-15 premières minutes sont admirables à ce titre et transpire le documentaire et l'authenticité... qui prennent un méchant coup quand Shirley débarque avec sa dégaine d'autochtone sorti de disneyland (coiffure, costume, attitude). Le film ne retrouvera jamais cette qualité inaugurale mais possède souvent une bonne tenue esthétique qui évite que la dimension "politique" du projet ne prenne trop le devant.
On est quand même soulagé que ça ne dure que 75 minutes .


Le cœur de l'aube (1941)

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Une étudiante délaisse les études pour travailler dans une compagnie de transport en commun pour subvenir aux besoins de sa famille. Et plus qu'être receveuse, ce qui l'intéresse est la mécanique et la conduite, métiers alors réservés aux hommes.

Ce modeste film donne l'impression que vouloir surfer sur le succès de Mr. Thank you en reproduisant une partie de sa formule avec une succèssion de scénettes construites au gré de rencontres avec divers passagers. Si on perd en fraîcheur, il y a suffisamment de bons moments pour accepter de faire la route en si plaisante compagnie : un accouchement, une vieille pingre qui n'a pas de monnaie, une mariée contrainte de pousser le bus enlisé (détail curieux, les passagers et les employés du bus s'étonnent de la voire manger une boulette de riz – il doit y avoir une référence culturelle m'échappant). Comme dans Mr. Thank you, il y a dans ce refus de la narration conventionnelle, qui privilégie au contraire l'épisodique, l'anecdote et la déambulation, une certaine vision de l'humanité tendre et chaleureuse. Un humanisme ancré dans son époque et son pays qui passe inévitablement pas un tournage en extérieur pour Shimizu qui démontre une nouvelle fois son acuité visuelle (je me répète certes mais c'est vraiment indissociable de sa personnalité et des thèmes de sa filmographie).
En revanche, la construction autour de l'héroïne est inévitablement plus conventionnelle entre deux prétendants et des tensions avec une rivale, même si on trouve au moins un très joli moment (autour d'une gifle). Et malgré quelques fausses notes comme une maladresse exagérée quand elle prend le volant pour la première fois, ca reste un joli portrait d'une femme indépendante et moderne.
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