Un héritier à l'université / the boss's son at college (1933)
Fils d'un commerçant, Fuji est plus intéressé par subtiliser de l'argent à son père et à courir après les filles... parfois au détriment des ballons de rugby, ce qui ne plaît pas à son équipe.
Une comédie étudiante trop inégale pour s'inscrire dans les réussites de la période muette de Shimizu, principalement à cause de la construction du scénario trop relâchée et de la caractérisation des personnages. Même pour une comédie, il manque un peu de substance pour que l'univers tiennent ses promesses jusqu'à la fin, surtout si on bascule dans le drame mélancolique pour les dernières scènes. C'est avant tout frustrant car il y a plusieurs scènes réussies (la pêche au scarabée ; l'amertume d'un ami ; le héros pleurant sous la douche pour cacher ses larmes) et toujours un certain don pour la mise en scène, les cadrages et le sens des extérieurs mais comme dans un certain nombre de films de cette période, j'ai le sentiment que la narration de Shimizu est parfois brouillonne, presque confuse. A se demander s'il ne manque peut-être pas tout simplement un Benshi qui comblerait certains trous.
Il semblerait que le film possède une dimension autobiographique dans le portrait du sportif. D'après ce que j'ai lu d'un autre avis sur internet, Shimizu était aussi le fils d'un marchand de soja et était plus motivé par les filles, la boisson que dans la reprise de l'entreprise familiale.
Avec ce personnage anticonformiste peu respectueux des valeurs traditionnelles et la description moderne et occidentalisé du Japon (influence du cinéma américain, match de rugby dynamique, scène dans un cabaret de luxe), ce "Boss's son" a en tout cas dû rencontrer un vif succès si on se base sur les 6 suites que Shimizu tourna les 3 années suivantes et qui sont logiquement perdues désormais.
Journal d'une famille (1938)
Deux amis d'enfance se retrouvent à Tokyo. Le premier a quitté son amoureuse pour faire un mariage arrangé avec une femme issue d'une famille fortunée tandis que le second a pour sa part fuit avec sa fiancée avec qui il a eu un enfant. Leurs trajectoires différentes, et l'éducation opposée des deux épouses, font naître quelques ressentiments entre ces voisins.
Très joli film que ce drame à l'assurance tout en tranquillité et sobriété. Le style de Shimizu ravit dès les premiers plans par son ton apaisé, sa délicatesse quand même bien le contenu de le scène est assez cruelle : un couple se promène dans une nature idyllique avant que l'homme n'enflamme les lettres d'amour de sa bien-aimée tout en lui expliquant qu'il la quitte pour épouser la fille d'un homme riche qui lui paiera des études. Sans excès mélodramatiques ni sans forcer le trait,, Shimizu vise tout le temps juste et égratigne des valeurs conservatrices grâce à une sobriété qui n'exclut pas une réelle acuité dans ses thèmes. Un pur travail de mise en scène où la caméra et le découpage en disent fréquemment plus que les dialogues : des travellings latéraux pour décrire des intérieurs d’appartement, des temps de pauses dans interprétation, l'art de glisser un gros plan au bout moment, des mobiliers en premier plan, l'utilisation des décors qui viennent enfermer certains personnages...
Shimizu témoigne d'une belle maturité dans son style et sa direction d'acteurs qui lui permet de faire passer subtilement un certain nombres d'idées et de thèmes. A commencer l’égoïsme rétrograde patriarcal et une solidarité basée sur la compréhension entre les femmes même si elles restent encore des victimes sacrifiées (comme le destin auquel doit consentir l'ancienne maîtresse sans qu'on lui laisse vraiment la parole). De quoi oublier les facilités dans le développement du scénario qui repose beaucoup sur des rencontres fortuites et quelques aberrations géographiques qui permet à l'envie de Shimizu d'intégrer des extérieurs à valeur symbolique comme la compagne répudiée par sa belle-famille qui marche sur une route en montagne aux profondes vallées.
et un double programme propagande
L'avancée de l'armée (co-réalisé avec Kintarô Inoue, Kazuo Ishikawa, Minoru Matsui, Yasushi Sasaki et Tetsuji Watanabe - 1932)
Un film assez obscur sur lequel il n'existe pas vraiment d'informations si ce n'est qu'il n'a survécu qu'au travers de copies incomplètes et dont la bande-son est perdue à 80% (ça ne change pas grand chose, s'agissant quoiqu'il en soit d'un film muet seulement sonorisée). Si la durée indiquée par imdb est bonne, il manquerait environ 40 minutes. On sent plusieurs transitions abruptes au début, passant de plusieurs prologues historiques au Japon post-Meiji, et la fin dont il manque la ou les dernières bobines.
Ca n'aurait pas rendu meilleur ce médiocre film de propagande produit par la Shochiku, signé des cinéastes qui n'ont pas laissés de traces dans les livres d'histoires (la moitié étant mort durant la guerre faut dire), à part Sasaki dont j'ai croisé le nom quelque fois, genre l'artisan, homme à tout faire durant les 50's). Et Shimizu donc, encore qu'à l'époque il n'avait sans doute pas encore la reconnaissance à venir. On devine cependant son style au détour de un ou deux plans en extérieur quand un officier croise d'autres militaires qui l'accusent de traitrise.
Si on met de côté le premier tiers, trop parcellaire pour se faire une idée, on est devant une histoire édifiante où un soldat confie son enfant à un ami armurier pour remplir une mission d'espionnage en Mandchourie (avec un déguisement grotesque à base de fausse moustache). Outre l'hypocrisie sur le Japon proclamé comme un grand pays pacifiste (mais qui passe son temps à faire la guerre), subissant les invasions de navires occidentaux), la misogynie véhiculée est particulièrement hallucinante. Elle est déjà présente dans les relations entre enfants mais elle est encore plus éhontée dans un flash back, maladroitement greffé, où une femme est "vendue" à des étrangers contre des armes à feu que l'armurier pourra étudier. La pauvre damoiselle, pourtant fiancée, a bien-sûr l'obligation d'être fier de brader sa virginité pour la grandeur du Japon. Cela dit elle s'en sortira en abattant son violeur et en subtilisant son pistolet. L'honneur est sauf
Dans l'ensemble, la réalisation est assez banale même si quelques plans dans le prologue sont parfois spectaculaires comme une caméra suspendue à une tyrolienne pour survoler une bataille ou un mur s'écroulant sur une escouade escaladant une colline. On trouve aussi quelques idées assez modernes dans le découpage du segment de la jeune fille vendue, avec des faux raccords volontaires pour l'adieu sur la plage avec son fiancé.
Chants pour la victoire (Kenji Mizoguchi, Masahiro Makino, Hiroshi Shimizu, Tomotaka Tasaka – 1945)
En comparaison avec le précédent, celui-ci fait figure de chef d’œuvre. Et si on fait abstraction du fond - et de la finalité - de cette commande, on pourrait presque dire que c'est un honnête film à sketch.
Précisons quand même, et avec les pincettes de rigueur, que le film valorise surtout les japonais dans leur quotidien qui soutiennent à leur manière l'effort de guerre par leur mentalité et leur abnégation. On n'est pas vraiment dans la glorification belliqueuse ou l'auto-congratulation de l'impérialisme japonais sur les territoires brutalement conquis. C'est en ce sens moins "problématique" que
Nuits de Chine par exemple. On est davantage dans la chronique d’instantanés typiquement japonais qui possède à leur façon une sensibilité typiquement japonaise, ce qui permet d'identifier par moment certains des auteurs des 13 segments plus ou moins liés. Shimizu est ainsi logiquement derrière l'épisode où un père encourage son fils de 7 ans à s'engager dans l'armée de l'air. Ce dernier s'en fiche totalement sur le moment, préférant jouer avec des maquettes d'avions en papier (et comme ses camarades les cassent souvent, le père y trouve une fierté, voyant en eux de futurs kamikazes
). Pour le coup, c'est assez frais et décalé, pas franchement dans une propagande au premier degré, à l'instar de celui qui suit une sorte de policier de campagne sautant à pied joint sur les abris anti-bombardement pour tester leur solidité (et qui cède très facilement). Il y a aussi un un assez joli segment – du à Tasaka ? – où un jeune officier militaire fait preuve de bienveillance envers un soldat ivre et somnolant dans un tramway.
Mais dans la majorité, ça reste tout de même davantage ancré dans le conflit : Mizoguchi est sans doute le réalisateur de l'épisode où une jeune femme cherche à convaincre un entremetteur de ne pas annuler son mariage avec un homme qui vient d'être mobilisé. Il a peut-être aussi signé celui bien trop très bref sur Kinyuo Tanaka se réfugiant dans un abri avec son bébé. Je vois bien Shimizu signer celui où une adolescente évoque le bombardement d'un navire japonais de la Croix rouge par l'armée américaine (oubliant bien sûr que le Japon a commis de bien pire atrocités ailleurs). On y retrouve son sens de l'épure et de la sobriété, et le travelling final qui suit son frère sur un petit sentier est typique de ceux qu'on trouve dans
La femme et ses masseurs.
On a droit également un numéro de music hall (assez médiocre) ou de charmant enfants chantant innocemment qu'ils vont envoyer McArtur en enfer. Plus intéressant sont les images documentaires ou d'actualités pris sur le vif qui donnent quelques images saisissantes qu'on a pas l'occasion de voir souvent : des civils fuyant vers les abris, des travailleuses dans les usines, des quartiers en flammes...
Par contre les 20 dernières minutes sombrent dans l'éloge sans finesse des kamikazes entre pilotes sur le point de s'envoler ou des parents dont les fils sont morts et qui poussent la chansonnette avec leur instructeurs.
Dans l'ensemble, c'est une bonne curiosité, souvent oublié dans la filmographie de Mizoguchi, qui possèdent son lot de qualités, parfois cinématographiques, parfois socio-historiques. Et mine de rien, la concision narrative est souvent brillante, chaque histoire durant moins de 5 minutes en moyenne. Il faut seulement s'y lancer en toute connaissance de causes.