Re: Roberto Rossellini (1906-1977)
Publié : 6 août 12, 11:42
Ou peut-être aussi que tu as vu trop de films contemporains américains où la tendance actuelle est aux fins sur-explicitées, rationalisantes, dépliées même en plusieurs fins bouclant les fils de la narration, la fin étant perçue comme le faîte d'une superstructure, et pas encore assez de classiques européens de la période 50-60 où le couperet tombe plus vite - avec parfois une fin ouverte à interprétation, où c'est souvent l'émotion pure et abrupte ou le motif sous-jacent qui prime face à la logique structurelle, de sorte que le spectateur peut faire son propre travail de réflexion et d'introspection après la fin. Je pense que Rosselini a beaucoup réfléchi à la fin, et qu'il s'est posé maintes fois la question de savoir quand arrêter le film. Quand tu dis que le film refile la patate chaude au spectateur, c'est justement cela qui est bien. Celui-ci, muni de cette patate (heureuse métaphore en fait) peut continuer à se nourrir de l'aliment émotionnel et intellectuel que lui a prodigué le film. Au cinéma, comme en littérature (les romans de Dostoïevski ont toujours une structure très bancale, par exemple), l'émotion est plus importante que la perfection de la structure. Un film parfaitement structuré peut ne procurer aucune émotion ou ne délivrer qu'un charme fugace. Un film à la structure plus fragile ou plus instable, peut procurer toutes les émotions du monde. Tu es frustré maintenant, mais peut-être que dans 6 mois tu continueras à penser au film, et que tu le considéreras autrement. La patate sera toujours là et tu pourras continuer à la manger.Demi-Lune a écrit :On prend un personnage, on le construit, on en fait quelqu'un de vraiment intéressant, nuancé, empathique, et au moment le plus fort du film, celui qui va déterminer son destin, on devient subitement fuyant, hâtif. C'est l'anti-climax. Il y a dans cette conclusion un caractère très expédié, très précipité, qui jure profondément, à mon sens, avec le soin, la subtilité, la dextérité avec lesquels Rossellini a traité son histoire, sa progression dramatique. Je ne vois plus que la fracture de ton et l'effet de cette fin est désamorcé. C'est pourquoi ça me paraît bâclé. L'impression que cette fin est une pirouette qui refile la patate chaude au spectateur alors que toute la construction du film appelle une résolution dramatique claire. Comprenons-nous bien : j'aime les fins ouvertes, j'aime que mon imagination soit titillée, qu'on fasse appel à elle. Mais dans Stromboli, l'affect l'emporte sur l'intellect : je suis trop frustré que Rossellini "laisse tomber" ce personnage formidable qu'est Karen au moment le plus important de son existence. Son court monologue ne signifie rien pour moi... peut-être n'ai-je pas la sensibilité (comprendre : la foi) pour apprécier à sa juste valeur la supplique divine de Karen, en tout cas je vois surtout une petite fin qui fait pschitt. Parce qu'elle ne me semble pas à la hauteur, dramatiquement et émotionnellement, de tout ce que Rossellini a bâti jusque là.