Dans le cadre du Festival
Toute la mémoire du monde, la cinémathèque collabore avec la Fondation Pathé pour diffuser une sélection des westerns muets. Outre
Haceldama, le premier film de Duvivier (pas folichon), deux programmes autour du génial Jean Durant (à 2-3 titre près, ils sont dans l'incontournable coffret
Gaumont le cinéma premier Vol. 2), il y a deux autres programmes centré la compagnie
Pathé Exchange (la filière américaine) et cerise sur le gâteau : un William S. Hart !
Le problème, c'est que ça tombe pendant les séances de la cinémathèque... Intelligent ça
Enfin, aujourd'hui j'ai pu tenter le premier programme sur
Pathé Exchange composé de six court-métrages d'une durée chaque d'une dizaine de minutes, tournés entre 1912 et 1914. Il semblerait qu'ils soient tous signés par James Young Deer, le cinéaste officiel de la société qui tourna pas moins de 200 films de 1910 à 1914 (il en resterait une quinzaine). Sa femme, une indienne, y jouait souvent le rôle principal.
Aucun chef d'oeuvre à première vue dans ces petites production tournées à la chaîne qui multipliaient les mêmes histoires d'amour impossible, de sauvetage in extremis, de vengeance ou de guerre de tribus.
Celà dit, certain sont plus soignés que d'autres, y compris dans la reconstitution et les détails naturalistes. Le vrai intérêt vient, comme souvent dans cette période muette, des indiens rarement diabolisés, souvent victimes de colonisateurs sans scrupules et prêt à payer de leur vie la défense de femmes blanches menacées par des tribus plus belliqueuses.
Amour d'indienne (1911 ?) est un mélodrame sans grande originalité (une indienne est séduite puis abandonnée par un soldat) mais qui bénéficie d'un magnifique coloriage au pochoir, d'une interprétation assez touchante et d'une vraie compassion du cinéaste. Le scénario n'est pas bien construit avec une fin abrupte très maladroite mais l'émotion fonctionne avec son indienne condamnée à la solitude et à être considérée comme une curiosité par les femmes blanches.
Justice of Manitou (1912) évoque la justice à deux vitesses des blancs avec leur parodie de procès qui innocente immédiatement les cowboys sans la moindre enquête. De gros problèmes d’interprétations et de montage (l'action est suivie par les personnages restés dans leur tente alors que les faits se déroulent à plusieurs centaines de mètres, derrière une forêt
) mais il y a quelques bonnes idées comme l’exécution sur la tombe de la première victime.
The arrow of deviance (1914) traite d'un groupe d'indiens qui décide de vivre en dehors des réserves qu'on leur impose. Pas grand chose de mémorable ici, la narration n'étant pas passionnante et le film ne prenant pas vraiment parti.
When the blood call (1913)souffre aussi d'une narration brouillonne pour une psychologie trop succincte. Ici un blanc élevé par des indiens refuse de tuer la femme d'un officier et l'aide à s'enfuir.
A redskin's mercy (1913) L'histoire est très proche du précédent (un indien sauve une blanche) mais la réalisation est plus intéressante avec une belle variété de lieux de tournages et quelques recherches sur le cadre et la profondeur de champ. Malheureusement le rythme ne suit pas et il ne se passe parfois rien à l'image pendant plusieurs longues secondes.
Dévouement d'indien (1913) traite encore une fois d'un indien (un serviteur) qui aide cette fois une famille à échapper à la mort. C'est de loin le plus intéressant du lot avec cette fois un bien meilleur travail sur le rythme, le mouvement, les déplacement dans la profondeur de champ où les protagonistes viennent du fond de l'image jusqu'au premier plan (avec dans le fond de l'image leurs poursuivants, toujours sur leur pistes). Beaucoup de péripéties, de rebondissements, une dramaturgie plus poussée (tout le monde ne sera pas sauvée ; le héros est pris un moment pour un des bourreaux) et une photo de meilleure qualité en font un bon petit film.
Logiquement, (à moins de zapper un court documentaire inédit de Flaherty
) je ne pourrais pas assister au deuxième programme Pathé Exchange qui comprend 3 films.
The desert man / la cité du désespoir (William S. Hart - 1917)
C'est clairement la séance à ne pas manquer de ce petit focus western muet. Non seulement la cinémathèque ne diffuse plus de films de Hart depuis 2011 mais en plus c'est un film assez rare puisqu'il s'agit de l'unique copie au monde... par ailleurs incomplète : sur les 4 bobines initiales, il manque l'avant dernière.
Sans être du niveau fantastique de
hell's Hinge (le seul Hart que j'avais vu jusque là), c'est un solide western qui confirme la paternité sur l'oeuvre de Clint Eastwood. Si
Hell's Hinge évoquait furieusement
Impitoyable, on retrouve dans celui-là la figure d'un solitaire qui constitue une famille presque malgré lui.
Le ton est donc moins sombre et plus chaleureux avec un humour renforcé comme le sort réservé au barbier tyrannique. Ca ne veut pas dire que le film est dénué de profondeurs ou de noirceur. Au contraire ! C'est une oeuvre parcourue par l'amertume et les rêve brisés : entre l'ouverture dérangeante sur la femme et son enfant maltraités, la mort de celle-ci dans le désert, les désillusions amoureuses, les promesses manipulatrices et la résignation/abandon (l'héroïne est sur le point de se laisser aller à la prostitution par dépit !).
Malgré un manque de budget, la réalisation demeure admirable avec un vrai sens du découpage qui donne une intensité dramatique tant dans l'émotion (les secondes précédent le moment où Hart va surprendre la femme qu'il aime dans les bras d'un autre homme) que dans l'action (une fulgurante course à cheval, le final nerveux dans le bar). Une mise en scène précise et rigoureuse qui n'abuse pas trop des gros plans pour que les visages gardent une vraie force émotionnelle quand ils sont à l'image. Il va sans dire que les acteurs sont excellents, surtout dans leur timing, tout en finesse avec pause et geste suspendu/hésitant.
Et derrière la caméra, Hart fait preuve d'imagination pour ré-hausser le niveau plastique de son film comme une très belle photographie, jouant des clairs/obsurs/contre jours soignés mais sans ostentation. J'ai beaucoup aimé aussi la manière subtile dont le décor de la petite ville est conçue pour traduire son aspect malade : les proportions sont trop carrées, les fenêtres légèrement décalées, les bâtiments sont espacées de manière irrégulières, les planches de construction sont, à l'inverse, trop régulières pour rendre les demeures accueillantes etc... Bref il ressort un sentiment un peu malsain à se balader dans les rues.
J'espère maintenant ne plus attendre 4 ans pour découvrir un nouveau film de William S. Hart.
Je vais essayer de faire du forcing à Jean-François Rauger et Serge Bromberg la prochaine fois que je les croise.
Le film repasse vendredi et samedi