Valerio Zurlini (1926-1982)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Alligator
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Valerio Zurlini (1926-1982)

Message par Alligator »

Le ragazze di San Frediano (Les jeunes filles de San Frediano) (Valerio Zurlini, 1955) :

http://alligatographe.blogspot.com/2011 ... diano.html

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Pour son premier long métrage, Valerio Zurlini s'attache à décrire les pièges dans lesquels les êtres s'échinent à se faire prendre. Antonio Cifariello est un jeune homme écervelé, disons le trivialement : il pense avec sa bite. Aussi passe-t-il son temps à jongler avec les femmes. Les yeux plus gros que le ventre, incapable de rompre une relation ni d'en laisser échapper une nouvelle, il finit par compter cinq jeunes femmes dans son petit "harem".

Zurlini montre très bien le fonctionnement de ce séducteur, la manière dont il manipule ses victimes. Mais même si les femmes sont les jouets de persuasions faite de mille mensonges et chantages, elles ne peuvent s'empêcher de tomber amoureuse. Même quand elles découvrent le poteau rose, elles restent encore malgré elles sous le charme.

On ne peut pas parler pour autant de "petit manuel de la drague", la boulimie de Bob (Cifariello) constituant une entreprise de démolition. S'autodétruisant à petit feu, par son insatiabilité, le pauvre fait figure du parfait imbécile, mais d'une immaturité presque attendrissante, en tout cas assez comique. Finalement, le film est assez proche de ces comédies acides, comme "Les monstres" de Risi, sauf qu'ici le sketch dure tout le long du film sur un seul personnage.

Les actrices, toute d'une grande beauté, ce qui n'est pas un scoop avec Zurlini, et composent des personnages bien différents, de la jeune femme passionnée et naïve à l'aventurière vamp, dominatrice et indépendante. A ce propos, le scénario de Leonardo Benvenuti et Piero De Bernardi, d'après le roman de Vasco Pratolini, ménage des espaces bien distincts entre elles et propose de la sorte un kaléidoscope de la femme italienne des années 50.

De plus, la photographie de Gianni Di Venanzo, le futur directeur de la photographie sur "8 1/2", "Main basse sur la ville", L'éclipse" ou "Juliette des esprits", accentue les angles et les reliefs avec une rare élégance. Cela donne aux accents des personnages une passion plus émouvante encore. Et d'autre part, le plaisir visuel que l'on prend à regarder ce film n'en est que plus intense.

On peut donc dire que le film est drôle et beau à la fois. C'est toujours rassurant de découvrir que le metteur en scène prenne autant de soin à filmer son récit : ce n'est pas juste une histoire, c'est du cinéma.
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Jeremy Fox
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Le désert des tartares

Message par Jeremy Fox »

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Au début du 20ème siècle dans une région indéterminée aux confins d’un Empire d’Europe Centrale. Le Lieutenant Drogo (Jacques Perrin), frais émoulu de l’école militaire, se voit envoyé pour sa première affectation à la forteresse de Bastiano située au sommet d’une ville en ruine à la frontière avec le Royaume du Nord. Alentour, des montagnes ainsi qu’une immense étendue aride nommée le désert des Tartares, ces derniers guerriers ayant été parait-il autrefois à l’origine de la destruction de la cité s’étendant au pied de la citadelle. La place semble à priori imprenable d’autant que protégée à quelques lieues de là par une redoute dominant toute la région. Pourtant, les officiers supérieurs craignent une menace en provenance du désert depuis qu’Ortiz (Max Von Sydow), voici déjà une vingtaine d’années, dit y avoir vu des cavaliers Tartares. Malgré le danger qui en découlerait, les soldats de Bastiano espèrent en secret l’arrivée d’un ennemi afin de mettre fin à la routine et à l’ennui qui pèsent sur leurs épaules ; en effet, en cette région à l'écart de tout, le temps s’écoule sur un rythme lent, seulement ponctué par les tours de garde. Drogo souhaite quitter ces lieux au plus vite, mais il lui faudra patienter encore un peu pour demander son transfert afin de ne pas mettre en péril sa carrière…

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Sur une période de 22 ans, le réalisateur italien Valerio Zurlini (encore assez mal connu, ou en tout cas pas assez si l'on prend en compte son immense talent) ne tournera qu’à peine une petite dizaine de films. Une filmographie restreinte mais intéressante, intelligente, sensible et surtout très attachante, qui débute en 1954 avec d’ors et déjà une œuvre éminemment sympathique, Le Ragazze di San Frediano (Les Filles de San Frediano), pour finir en 1976 avec le film qui nous concerne ici, l’adaptation jugée irréalisable du chef-d’œuvre de Dino Buzzati, Le Désert des Tartares. Entre temps, Été Violent (Estate Violenta), La Fille à la valise (La Ragazza con la valiglia) et Journal Intime (Cronaca familiare), films tous trois mémorables, lui apportèrent le succès public et la reconnaissance critique que consacra un Lion d'Or à Venise récompensant Journal Intime. Ces trois réussites consécutives révélèrent un réalisateur qui, à l’instar d’un Richard Mulligan aux USA, n’aura pas son pareil pour décrire avec une extrême sensibilité la naissance d’un amour et la montée du désir. Puis ce seront quelques années de vaches maigres avec plusieurs échecs commerciaux successifs dont le bancal Le Professeur avec Alain Delon, pourtant l’un des films les plus intéressants que tournera l’acteur durant les années 70. La dernière contribution de Zurlini pour le septième art avant son décès en 1982 aura été d’assurer la direction du doublage de la version italienne de Mon oncle d’Amérique d'Alain Resnais.

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Mais revenons-en au dernier long métrage de ce cinéaste discret, sur le tournage duquel il luttait contre la dépression et l’alcoolisme, et pour lequel il aurait été grandement épaulé par le réalisateur français Christian De Chalonge (L’argent des autres ; Malevil…) Le sujet principal du roman étant l’ennui et l’attente, il paraissait difficilement transposable au cinéma surtout par l’intermédiaire d’une coproduction internationale à gros budget et à casting improbable, débouchant très souvent sur des monuments d’académisme. Au final, et malgré l’accueil critique très tiède de l’époque, Zurlini accouche d’une remarquable réussite qui n’a pas grand chose à envier au roman, grâce à un scénario très bien écrit et suffisamment subtil, une distribution quatre étoiles, une photographie somptueuse de Luciano Tovoli, un score entêtant d’Ennio Morricone et évidemment, comme elle le sera à chaque film, une mise en scène tout en nuances et demi-teintes. Le scénario est un modèle d’adaptation cinématographique, jamais trop littéraire mais laissant au contraire très souvent parler les images. Il faut dire que le décor naturel de la cité antique de Bam en Iran est d’une beauté hors du temps (pour les éventuels touristes qui auraient souhaité aller la voir, sachez qu’elle n’existe malheureusement plus, ayant été détruite en 2003 suite à un tremblement de terre) dont s’emparent le cinéaste et le chef-opérateur avec génie. Chaque plan en extérieur est d’une beauté à couper le souffle ; ils rappellent assez certains plans du Lawrence d’Arabie de David Lean par leur surprenante ampleur, et forment un ensemble assez harmonieux avec les séquences en studio d’un dépouillement qui vient rappeler celui des paysages qui entourent la forteresse. Pour tout dire, une splendeur visuelle constante !

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A l’instar de cette forteresse sise au milieu de nulle part génialement captée par Luciano Tovoli, Le Désert des Tartares est une œuvre fascinante, sorte de huis-clos au sein d’espaces grandioses, entre cinéma métaphysique, cinéma de l’errance et film d’aventure, entre Kubrick, Antonioni et Huston. Tout comme cette description et ce mélange hautement improbable sur le papier, le postulat de départ est effectivement assez absurde, voire totalement kafkaïen : des soldats chargés depuis des années d’assurer la sécurité d’une forteresse perdue au beau milieu d’une région désertique. Évidemment, tout se trouvait déjà dans le roman de Buzzati sur lequel s’étaient penchés plusieurs cinéastes de renom, pas moins que Michelangelo Antonioni, Luchino Visconti et David Lean ; ils se cassèrent les dents et abandonnèrent le projet qui les avait pourtant grandement séduit avant de les effrayer devant l’ampleur et la difficulté de la tâche. On attendait donc évidemment le plus discret Valerio Zurlini au tournant ; et ça n’a pas manqué ! Suite à cette ‘cabale’ journalistique, le film est resté plus ou moins dans les oubliettes avant d’être récemment restauré, pour notre plus grand plaisir, allant pouvoir désormais le réhabiliter comme il le mérite. Si le film réussit à nous envouter dès les premières minutes, c’est que les auteurs n’ont pas situé son intrigue ni dans l’espace ni dans le temps. On se doute bien qu’elle se déroule au début du 20ème siècle dans un pays oriental mais sans que jamais on vienne nous le confirmer, le pays semblant même imaginaire. Il en va de même concernant la durée des évènements que les auteurs s’amusent à dilater sans prévenir, le spectateur ne sachant jamais vraiment s’il s’est passé un jour ou une année entre certaines séquences ; une utilisation de l’ellipse qui brouille encore un peu plus les pistes et qui rend le film encore plus déroutant, et par là même captivant.

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Non content de réussir l’exploit de ne jamais nous ennuyer avec un film de plus de deux heures dont la thématique principale est l’ennui, le film brosse également un tableau de l’armée assez peu glorieux, vue au travers le regard d’une recrue fraiche émoulue des écoles militaires, un jeune Lieutenant pour qui la forteresse de Bastiano est sa première affectation. Il y rencontre un officier impitoyable, faisant régner une discipline de fer afin de faire oublier l’ennui à ses hommes, capable de les emmener à la mort pour un simple plantage de drapeau au sommet d’une montagne (Giuliano Gemma), un autre ne rechignant pas à faire tuer un de ses hommes par bête respect des directives et à cause d’un mot de passe oublié (Francisco Rabal), un autre espérant fortement l’arrivée d’un ennemi afin de tromper sa langueur (Max Von Sydow) alors que son collègue rêve d'en récolter les lauriers de la gloire (Helmut Griem), ou encore un général, sous ses allures bonhommes, trop pointilleux sur la paperasse administrative (Philippe Noiret). Les autres officiers sont soit trop vieux (Fernando Rey), soit malade (Laurent Terzieff), sans compter le relativement évanescent commandant de la place (Vittorio Gassman) ainsi que le discret médecin (Jean-Louis Trintignant). [Par cette énumération des officiers en place, vous aurez ainsi eu dans le même temps un aperçu de l’imposant casting.] Néanmoins, intelligemment et sans aucun manichéisme, les auteurs ne font d’aucun de leurs protagonistes des êtres haïssables, mais au contraire, malgré leurs défauts, des êtres de chair et de sang tous plus ou moins attachants ou tout du moins non dépourvus d’humanité. Évidemment, l’immense talent de tous ces comédiens aide grandement, même si en raison de leurs différentes nationalités et comme pour quasiment toutes les coproductions de l’époque, à l’instar des films italiens, le film a été intégralement postsynchronisé, ce qui en l’occurrence renforce le trouble que nous ressentons déjà à cause de cette impression de ‘fausseté’ due à l’enregistrement des voix en studio.

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Le jeune et naïf lieutenant, plein de fougue et de rêve de gloire, découvre cet univers guindé et ses cérémonials pompiers avec ébahissement, s’étonnant aussi du luxe dans lequel les officiers déjeunent ainsi que de l’absurdité des moyens déployés pour pas grand-chose, simplement pour défendre une "frontière morte" comme on le lui explique dès son arrivée. Il règne dans cette forteresse une atmosphère assez lourde au sein de laquelle Drogo se sent immédiatement mal à l’aise au point de penser à demander sans attendre sa mutation, abordant tout d'abord le problème avec le médecin qui, connaissant les troubles psychologiques susceptibles de se produire en ces lieux, est tout prêt à le soutenir. Le jour venu (quatre mois après), il préfèrera finalement s’abstenir de solliciter son transfert, commençant à être ensorcelé par Bastiano, ses ‘habitants’, l’ambiance qui y règne et le rythme des semaines ponctué par les allers-retours à la redoute et par les tours de garde, commençant à devenir persuadé qu’il va s’y passer quelque chose, que les ‘fantômes’ Tartares vont se mettre à les attaquer. Le temps s’écoule lentement mais il finit par s’y habituer et même y prendre goût, sans se rendre compte que ces lieux le transforment progressivement en vieillard blafard comme s’ils lui avaient pompé toute sa vitalité. Jacques Perrin trouve peut-être ici son plus beau-rôle, sa métamorphose physique étant un véritable exploit des maquilleurs, le comédien étant quasiment méconnaissable en toute fin de film sans presque qu’entre temps nous nous en soyons rendu compte. Les autres comédiens, sans avoir autant de temps de présence, ne se montrent pas moins excellents eux aussi, Max Von Sydow en tête, sa dernière séquence s'avérant une des plus poignantes.

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Il y a un côté profondément romantique mais également pathétique à voir ces soldats désœuvrés rêvant de l'apparition d’éventuels ennemis pour les sortir de leur léthargie par l'engagement d'un combat. A l'instar de cet espoir un peu fou sans cesse reculé, Il s'agit donc également d'un film sur la frustration, le cinéaste jouant aussi sur celle du spectateur, lui refusant parfois des images qu’il s’attendait impatiemment à découvrir (comme tout simplement les Tartares du titre), ou bien lui en cachant d'autres comme lors de cette scène où Drogo s’évanouit après avoir vu une chose l’ayant grandement choqué ou surpris, et dont nous n’aurons pas l’occasion de savoir vraiment de quoi il s'agissait. Comme on a pu le constater lors de la description de son script, Le Désert des Tartares aborde donc aussi les thématiques de la discipline militaire, de la démence découlant de l’ennui (nous même ne savons pas vraiment à la fin si nous avons vu ou non la charge des Tartares, l’hypothèse d’un mirage n’étant pas totalement évacuée), de l’utilité ou non de l’armée dans certaines circonstances ou certains lieux, et plus globalement de l’absurdité de nos existences. Mais il pose bien plus de questions qu’il n’en résout ; de là une grande partie du durable envoutement causée par cette histoire hautement symbolique sur la destinée humaine. Aucun élément féminin (que ce soit en images ou en paroles hormis au tout début ), très peu d’action excepté une superbe chasse au sanglier d’une belle vigueur ainsi que la montée d’un col en plein hiver, mais néanmoins jamais d’ennui ressenti grâce aussi à une évocation des ennemis au travers d’images presque fantastiques (le cheval blanc seul au milieu du désert éclairé par la lune, des silhouettes embrumées, d’étranges lumières à l’horizon...)

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Un film abstrait et fantomatique d'où sourd une profonde mélancolie. Mais aussi un film d’aventure sans action, un film de guerre sans combats, un film romantique sans femmes ; de quoi décourager ou frustrer pas mal de spectateurs non avertis ! Quoi qu’il en soit, une aventure humaine psychologiquement passionnante pour cette adaptation hallucinée du beau roman de Dino Buzzati, poignant récit de l’échec et de la résignation, Drogo devant quitter la forteresse au moment même où il allait enfin se passer quelque chose : ou comment l’attente de toute une vie se défile au moment même où les légendes et chimères qu’un homme s’était construit pour donner un sens à sa présence en ces lieux hiératiques allaient enfin prendre forme. Une ironie du destin qui vient mettre un terme à ce curieux film de Valerio Zurlini, point final de sa remarquable filmographie encore bien trop méconnue.
Alligator
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Re: Les jeunes filles de San Frediano (Valerio Zurlini - 195

Message par Alligator »

Cristaldifilm l'a sorti en dvd mais sans sous-titres malheureusement.

http://www.amazon.com/ragazze-san-fredi ... B003V56H0I
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Jeremy Fox
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Re: Valerio Zurlini (1926-1982)

Message par Jeremy Fox »

C'est reparti pour une ou deux mises en ligne par jour avec pour commencer la critique du Désert des Tartares et le test du Bluray Pathé
ptitbouton
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Re: Le Désert des Tartares

Message par ptitbouton »

La sortie tant remise du « Désert des Tartares » en DVD/BluRay est enfin effective. Il était temps , un an après la réédition du film sur le grand écran en version restaurée. Il n’est pas utile de revenir sur le thème du film.Tout a été dit sur l’attente, le caractère dérisoire de la vie humaine et l’inéluctable arrivée de la mort. Dans le bonus, le critique et historien Jean Gili le dit fort bien.Il est bon, par contre, de revenir sur la genèse du film, tant les approximations et les erreurs sont fréquentes et complaisamment véhiculées. Tout est fait pour nous faire croire que Valerio Zurlini est à l’origine du projet. Jacques Perrin a l’honnêteté de dire dans le même bonus :« Quand je lui ai envoyé l’adaptation qu’André Brunelin avait faite du roman de Buzzati, il en a été enchanté et a accepté aussitôt de le réaliser ».On ne saurait mieux dire.En fait, le véritable auteur du « Désert » est sans conteste son producteur, Jacques Perrin, n’en déplaise aux tenants de la « politique des auteurs » !C’est lui qui a acheté les droits du roman, lui qui,avec la productrice Michèle De Broca, a engagé André Brunelin pour en assurer l’adaptation dès 1971, après de nombreuses versions insatisfaisantes dans les années 60 (effectivement, on dit que Visconti ou Antonioni furent un temps intéressés par le sujet), lui qui a engagé Jean-Louis Bertucelli pour la réalisation (raison pour laquelle il est crédité au générique comme co-scénariste), lui qui a repéré les fabuleux décors de la citadelle de Bam en Iran avec Brunelin et Bertucelli.Lui enfin, qui après s’être « séparé » de Bertucelli, a demandé à Zurlini (au dernier moment) de réaliser le film (Perrin dit que Zurlini était tellement satisfait que rien n’a pratiquement été changé au scénario).
On comprend bien l’affection et l’admiration que Perrin vouait au cinéaste avec lequel il avait débuté dans « La fille à la valise » et « Chronique familiale (« Journal intime » en français) » . Du coup, cette réédition se présente comme un hommage posthume à Zurlini dont les mérites sont certes incontestables. Cinéaste singulier dont la sensibilité s’accorde à l’atmosphère et aux personnages du « Désert », permettant un film moins glaçant que ce qu’aurait pu en tirer un Antonioni.Mais est-il besoin de travestir à ce point la réalité quant à la genèse du film ? Zurlini était très « fatigué » durant le tournage, au point même d’être hospitalisé en plein tournage (Trintignant l’a révélé dans une interview).De nombreuses scènes furent tournées par Christian de Chalonge ( réalisateur seconde équipe dont le rôle se trouva agrandi comme plusieurs "contributaires" le disent)). La superbe photo de Tovolli a fait le reste. Sans rien enlever aux mérites et au talent réel de Zurlini,ce beau film est plutôt une réussite collective (scénario, mise en scène, photo, musique, acteurs ; il faut particulièrement insister sur la performance remarquable de Jacques Perrin_sans doute son plus beau rôle !_et sur celles de VonSydow, de Trintignant ou de Gemma) portée par un acteur-producteur déterminé jusqu’à aujourd’hui à porter haut cette belle œuvre de Buzzati.
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Jeremy Fox
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Re: Valerio Zurlini (1926-1982)

Message par Jeremy Fox »

Les Films du Camélia ressortent en salles cette semaine Des filles pour l'armée de Valerio Zurlini. Une chronique signée Justin Kwedi.
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Jack Carter
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Re: Valerio Zurlini (1926-1982)

Message par Jack Carter »

Il ne passe pas à Lyon :|
Edit : si, à partir du 27 juillet :D
1 seule salle à Paris, tu parles d’une sortie....
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The Life and Death of Colonel Blimp (Michael Powell & Emeric Pressburger, 1943)
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Profondo Rosso
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Re: Valerio Zurlini (1926-1982)

Message par Profondo Rosso »

Journal intime (1962)

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En Italie, Enrico, un journaliste, après avoir appris le décès de son frère, se souvient de leur enfance… Après le décès de leurs parents, les deux garçons se retrouvent séparés : Lorenzo, le cadet, adopté par un majordome aisé, aura une enfance heureuse tandis qu’Enrico, livré à lui-même, passera une adolescence misérable. Plus tard, on découvre que Lorenzo est atteint d’un mal incurable...

Dans la filmographie de Valerio Zurlini, Été violent (1959), La Fille à la valise (1961) et Journal intime (1962) forment un triptyque dépeignant le lien affectif complexe et contrarié de deux personnages dans un contexte historique et/ou social difficile. Dans Été violent (1959) et La Fille à la valise, une certaine veine romanesque dominait en relatant des romances alors que Journal intime va nous relater une déchirante relation fraternelle. Prématurément orphelins, Enrico (Marcelo Mastroianni) alors âgé de huit ans et Lorenzo (Jacques Perrin) encore nourrisson sont séparés lorsqu'un bienfaiteur nanti prend en charge le cadet tandis qu'Enrico sera livré à lui-même. La route des deux frères ne se recroisera qu'à l'âge adulte et montrera le fossé né entre eux de cette longue séparation, mais aussi les éléments de rapprochement possibles. Ils sont tout d'abord dans l'évitement lors de leurs premières retrouvailles, Enrico dissimulant sa présence en retrouvant inopinément Lorenzo quand ce dernier feint de ne pas le voir avant de révéler qu'il l'a reconnu. On comprend que chacun connaissait l'existence et l'apparence de l'autre malgré la rupture précoce et sans doute cela les a mutuellement rongé tout au long de leur enfance.

Cela se manifeste à travers leurs caractères antinomiques témoignant de ce passif. Enrico après une enfance misérable végète en tant que journaliste et refuse d'étouffer dans un métier laborieux qu'il n'a pas choisi, refusant leur déterminisme social auquel il est assigné. Lorenzo est au contraire un jeune homme oisif et insouciant, indifférent à ses études et à sa future carrière. Zurlini montre ce lien fraternel se renouer par les souvenirs enfouis ou inconnus pour chacun de leur famille. Une des plus belles scènes voit Lorenzo s'endormir paisiblement à la description que lui fait Enrico de leur mère qu'il n'a vu quand photo. On sent les traits de Lorenzo s'apaiser et le faire redevenir un garçonnet en quête d'affection maternelle, et plus globalement de racines. Cette fibre familiale qui les unit s'incarne dans le beau personnage de la grand-mère (Sylvie) dont les dernières forces ne subsistent que par ce bonheur de voir ses petits-enfants unis. Au premier abord le contexte social semble moins prononcé que dans les films précédents mais participent en fait pleinement à la caractérisation des personnages. L'arrière-plan de misère ambiante, de la montée du fascisme et de la guerre est un fil rouge sans qu'il intervienne directement sur l'intrigue. Enrico ayant appris tôt à survivre navigue entre les différents aléas socio-économiques de cette période quand Lorenzo s'en montre incapable. Son enfance confortable joue contre lui puisqu'il n'aura jamais la détermination, la volonté et même l'endurance physique d'accepter une existence plus rude lorsque son tuteur initial n'aura plus les moyens de l'entretenir. C'est un éternel homme-enfant s'accrochant à ce frère aîné peu à peu agacé par cette passivité.

C'est nettement plus introspectif que les autres célèbres adaptations du romancier Vasco Pratolini de cette période (Chronique des pauvres amants de Carlo Lizzani (1954), Rocco et ses frères de Luchino Visconti (1960), La Viaccia de Mauro Bolognini (1961)) où la condition sociale et la destinée intervient plus rudement dans l'existence des personnages. Ici le film s'ouvre directement sur l'annonce de la mort de Lorenzo, et les flashbacks porté par la voix-off mélancolique de Enrico nous le font apparaître, par sa présence chétive et son teint blafard comme déjà condamné. Son incapacité à s'établir dans quoi que ce soit anticipe une existence en sursis qui n'aura pas le temps de laisser de trace. Jacques Perrin souvent symbole d'une jeunesse meurtrie dans le cinéma italien de l'époque (La Fille à la valise et l'année suivante La Corruption de Mauro Bolognini) est particulièrement touchant d'impuissance mentale comme physique tout au long du récit, magnifiquement soutenu par un Mastroianni compatissant. Zurlini installe une atmosphère automnale déprimante où plane ce spectre de la mort, par la photo de Giuseppe Rotunno et le choix d'environnements plus sinistres les uns que les autres (l'hospice où croupit la grand-mère, la pension misérable où vit Enrico, le luxe passé et décrépit du tuteur de Lorenzo et bien sûr l'hôpital). Ce n'est que lorsque tout semble perdu, que l'inéluctable fin se dessine que les deux frères surmontent leurs différences. Lorenzo affiche enfin une rage de survivre alors que son corps meurtri ne le lui permet plus Enrico devient trop tard le soutien indéfectible qu'il aurait dû être. Un très beau film mais sûrement aussi l'un des plus déprimants de la filmographie de Zurlini qui ne manque pourtant pas de récits tragiques. 5/6
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Thaddeus
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Re: Valerio Zurlini (1926-1982)

Message par Thaddeus »

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Été violent
La volupté d’être, on ne la goûte à son juste prix qu’au seuil du désastre et de la grande peur. Cet été violent, c’est celui de 1943 qui voit les derniers sursauts du fascisme italien. Autour d’une plage proche de Rimini, quelques jeunes oisifs tentent d’oublier les réalités du moment. Tout ici dégage un charme insinuant auquel contribuent le moelleux de l’écriture, la présence sensuelle des corps, le style flâneur mais précis qui restitue la douceur de la durée, propre à capter les ruses et les hésitations du sentiment en train de naître. À travers cette belle et passionnelle histoire d’amour, remarquable d’acuité psychologique, le film cueille la fragilité des instants parfaits, la grâce irremplaçable de purs "bonheurs d’expression", d’autant plus émouvants qu’ils sont arrachés aux duretés de l’existence. 5/6

La fille à la valise
Aïda est une fille-mère abandonnée qui se heurte à la vie telle une mouche enfermée dans un bocal, et qui nourrit de constantes illusions sur les intentions des hommes à son égard. Perpétuellement déçue par les adultes, elle ne rencontrera le véritable amour désintéressé que dans les yeux virginaux d’un garçon de seize ans. Le film pourrait jouer sur les codes d’un mélodrame calibré alors qu’il s’agit d’une confession désenchantée sur les douleurs intimes, les distances de classe et le poids des conventions sociales. Excellant à filmer les intérieurs bourgeois de Parme aussi bien que les plages de l’Adriatique, Zurlini double ainsi sa peinture sensible des émois adolescents d’un superbe portrait de femme exploitée, convoitée, humiliée, à laquelle Claudia Cardinale prête son incommensurable splendeur. 5/6

Journal intime
Avec l’adaptation du roman de Pratolini, l’auteur trouve le terrain où exercer le double effet d’un intimisme à la fois contenu et exaspéré, de l’accorder à la sombre concentration d’un Mastroianni décavé, presque dostoïevskien, et à la lumineuse tristesse de Jacques Perrin. Rien de plus nu, de plus mélancolique que cette élégie d’un autodidacte sans fortune, aux poumons faibles, qui voit mourir son jeune frère et se remémore son enfance florentine, ses espoirs et ses déceptions. Par le recours exclusif aux demi-teintes, tant dans la narration que dans l’image qui coalise jaunes pâles et contre-jours pudiques en une unité de tons pastellisés, il maintient un climat intensément dramatique et pourtant feutré, crépusculaire, presque nécrophilique malgré les effusions d’amour fraternel qui s’y manifestent. 4/6

Le professeur
Il y a encore du Dostoïevski chez ce professeur qui fait penser à un prince Mychkine en rupture de classe, légèrement christique, enclavé dans le microcosme hybride et interlope d’une Rimini dont la solitude brumeuse exhale une couleur tendre et délavée. Quintessence des paysages/états d’âme qui sont un peu la métaphore de sa sensibilité, le substrat social permet au cinéaste de dépasser les limites du mélo post-néoréaliste, ancré dans le petit monde des vitelloni, et de cultiver une mélancolie insidieuse, superbement rendue par l’articulation des thèmes du rachat, du péché, du désarroi, de la tentation du jeu et du plaisir, des désastres de l’échec, du déferlement des passions. Delon, revêtu du pardessus légendaire de James Dean (icône du mal de vivre) livre ici l’une des ses plus belles prestations. 5/6

Le désert des Tartares
Adapter le roman de Buzzati relevait de la gageure. Comment rendre par l’image la respiration d’une œuvre récusant les schémas traditionnels du récit dramatique et l’abstraite sécheresse des traités symboliques et métaphysiques ? Comment faire ressentir l’asphyxie volontaire d’un homme vaincu par son mirage, frustré de la tangibilité de son désir et conscient de l’inanité de tout sursaut devant la sombre fatalité ? Zurlini a su trouver des réponses convaincantes. Le Fort Bastiano est un lieu hors du temps, un enclos prisonnier de ses rites et de ses servitudes absurdes, voué à ses légendes. Et en même temps que l’enlisement, l’illusion fait son nid dans les replis du désert caillouteux. Un film rigoureux, exigeant, qui puise dans l’attente, le creux et le vide un climat envoûtant de réalisme fantasmatique. 4/6


Mon top :

1. La fille à la valise (1961)
2. Le professeur (1972)
3. Un été violent (1959)
4. Journal intime (1962)
5. Le désert des Tartares (1976)

Si, au tournant des années 50-60, la mélancolie est inscrite au sein du cinéma italien, alors celui de Valerio Zurlini en incarne le plus haut degré. Exprimant une sensibilité très originale dans le genre codé du mélodrame post-naturaliste, il a insinué à travers ces quelques films un déchirement existentiel par lequel le malheur des êtres apparaît moins comme la résultante d’un divorce entre leurs aspirations et un contexte social hostile que d’un état dépressif qui les fige dans la contemplation d’un bonheur approché et perdu, désiré mais inaccessible. Sa rareté et son caractère isolé ne rendent que plus précieuse l’œuvre de cet artiste secret, que l’on peut rapprocher à certains égards d’Antonioni.
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manuma
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Re: Valerio Zurlini (1926-1982)

Message par manuma »

Passage express sur ce topic pour chaudement recommander Le Soldatesse, drame de guerre magnifique de bout en bout. Je le range même au dessus de Estate violente et La Prima notte di quiete, qui m'avaient pourtant pas mal marqué à l'époque.
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Supfiction
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Re: Valerio Zurlini (1926-1982)

Message par Supfiction »

manuma a écrit : 21 mai 23, 11:00 Passage express sur ce topic pour chaudement recommander Le Soldatesse, drame de guerre magnifique de bout en bout. Je le range même au dessus de Estate violente et La Prima notte di quiete, qui m'avaient pourtant pas mal marqué à l'époque.
Probablement l’un des plus beaux rôles de Marie Laforet.
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manuma
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Re: Valerio Zurlini (1926-1982)

Message par manuma »

Supfiction a écrit : 21 mai 23, 19:33 Probablement l’un des plus beaux rôles de Marie Laforet.
Effectivement, elle est formidable, et, en ce qui me concerne, je ne l'avais jamais vu aussi bonne qu'ici (mais pas vu Plein soleil, cela-dit)
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Jack Carter
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Re: Valerio Zurlini (1926-1982)

Message par Jack Carter »

manuma a écrit : 21 mai 23, 20:43 (mais pas vu Plein soleil, cela-dit)
:shock:
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Re: Valerio Zurlini (1926-1982)

Message par manuma »

Jack Carter a écrit : 21 mai 23, 23:47 :shock:
Je sais, je sais... Mais j'ai quand même vu Jeux interdits, gamin :D ...ainsi que tout ce qu'à fait Clément à partir des Félins.

D'ailleurs, tu viens de me faire penser qu'il y a sur la plate-forme d'Arte Quelle joie de vivre, que je veux voir depuis très longtemps.

Pour en revenir, sur une ligne, à Le Soldatesse, j'ai été surpris d'y retrouver comme un petit avant-gout du Désert des Tartares, avec cette sensation de menace invisible en terre désolée qui enrobe une partie du récit.
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Doppler
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Re: Valerio Zurlini (1926-1982)

Message par Doppler »

Question : je vois sur le wikipedia que le Désert des Tartares a été tourné en italien. Pourtant l'édition bluray promeut le français, ce que je comprends avec le casting. Qu'en est-il vraiment ? Est-ce qu'il a été tourné en français et italien en fonction des acteurs puis redoublé ? Vous conseilleriez quelle version ? Merci !
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