Revu le film récemment, et j'ai cherché, mais je n'ai pas trouvé de topic dédié. (SPOILERS pour celles et ceux qui ne l'ont pas encore vu).
The Usual Suspects, en cette année 1995, est un film qui est arrivé comme un chien dans un jeu de quilles. Tandem de réalisateur et de scénariste encore inconnu (ou presque), casting sans tête d'affiche réellement identifiable pour le public, polar aux multiples flashbacks et à l'arrivée un énorme succès critique et surtout public qui continue d'avoir des fans éperdus (et rançon de la gloire d'amener des détracteurs acharnés, appellant à l'arnaque).
Pourtant, dès le générique et la sublime musique de John Ottman (monteur du film également, ce qui explique la belle qualité de l'ensemble), nous voyons les noms défilés sur une eau trouble, nocturne mais curieusement apaisante. Mais la caméra reste bien à la surface de ce trouble pour plonger immédiatement le spectateur vers une atmosphère sur laquelle nous allons croire ou accepter d'entrer (selon le nombre de fois que l'on visionne le film).
On pourrait réduire The Usual Suspects à cet extrait de The Player de Robert Altman :
Mais Singer et son scénariste n'ont pas oublié pour autant d'en fair un polar. Mais ce polar s'inscrit logiquement dans un domaine entièrement subjectif, qui se joue sur plusieurs niveaux. Les "flash-backs" sont à la fois ce que le flic imagine, ce que le suspect raconte. Le spectateur en voit l'addition et s'engouffre avec délectation dans un récit aux multiples idées.
L'enveloppe du film est basée sur une mise en scène élégante et précise, qui suit impeccablement les rouages diaboliques du scénario. Diabolique? Un qualificatif que je n'utilise pas par hasard, car le Diable est cité souvent dans cette oeuvre jubilante. Keyser Söze (que l'on peut traduire par "roi de la parole" = Verbal Kint) est une figure du Mal, revendiquée comme tel, un mythe qui prend de plus en plus une forme concrète, mais qu'on aura jamais réellement appréhendé. La place du Diable apparaît là où on ne l'attend pas forcément. Elle est symbolisée par des flammes (pas original mais efficace) mais également par deux traces de sang (la séquence de l'ascenceur, la séquence de l'attaque du fourgon), qui ressemblent étrangement à deux flammes et qui montrent l'omniprésence de cette figure méphistophélique (ou par extension l'omniscience du narrateur, qui serait cette figure emblématique).
Mêlant en parallèle le témoignage d'un rescapé du massacre du bateau (qui représente uniquement une forme de vérité dans le scénario de McQuarrie), Singer joue constamment sur la manipulation du spectateur (dans le sens hitchcockien du terme), les faux-semblants et les chausses-trappes, imbriquant plusieurs strates avec une aisance remarquable.
Film de genre, en même temps que film sur le cinéma et sur l'art de raconter une histoire, The Usual Suspects est ce que Singer a réussi de mieux, et qu'il n'a jamais réussi à surpasser.
Une note pour les comédiens formidables, avec l'explosion (pour un rôle pourtant écrit à l'arrache au départ) de Benicio Del Toro et, je le répète un Kevin Spacey qui prouvait quel grand comédien il est (toujours).