The Usual Suspects (Bryan Singer - 1995)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Demi-Lune
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Re: The Usual Suspects (Bryan Singer - 1995)

Message par Demi-Lune »

Rockatansky a écrit :Perso je ne vois pas le film comme un mensonge, il est juste réinterprété à la sauce Kayzer Soze pour plaire au flic mais les évenements se sont passés
Le travelling avant sur le chalutier, au tout début, synthétise tout ce que le film a de mensonger et de pute, pour moi. La caméra s'avance lentement vers un amoncellement qui n'a strictement aucun intérêt en soi. C'est du conditionnement psychologique : la caméra veut clairement focaliser l'attention du spectateur sur cet élément du décor pour induire, par la seule force d'un mouvement de caméra intriguant dans ce contexte, qu'il faut porter son regard au-delà, qu'il y a quelque chose ou quelqu'un de planqué derrière. "Le travelling est affaire de morale" disait Rivette : il y a toujours une intentionnalité derrière la mise en scène. Ce mouvement de caméra, c'est Singer, c'est son point de vue de cinéaste. Ce n'est pas du Keyser Soze. Si le gars décide de ce mouvement de caméra, c'est parce qu'il sait très bien que c'est vecteur de sens. Il te cadre quelque chose qui n'a aucun intérêt pour que tu croies que ça en a un. Sauf qu'on apprend au final qu'il n'y a personne de planqué derrière, qu'il n'y a jamais eu personne. C'est de l'enfumage total. En fait ce travelling est totalement décorrélé de toute l'histoire, il est juste là pour te planter, pour te prendre pour une chèvre. Ce n'est pas de l'auto-persuasion (je me persuade qu'il y a quelqu'un de planqué parce que le travelling a l'air de chercher quelque chose, de vouloir me montrer quelque chose), c'est de la manipulation. Singer se disqualifie dès ce moment-là pour moi, parce qu'il toise le public et trahit sa "responsabilité" de narrateur. Chais pas si je suis clair.
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Billy Budd
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Re: The Usual Suspects (Bryan Singer - 1995)

Message par Billy Budd »

Demi-Lune a écrit : Le travelling avant sur le chalutier, au tout début, synthétise tout ce que le film a de mensonger et de pute, pour moi. La caméra s'avance lentement vers un amoncellement qui n'a strictement aucun intérêt en soi. C'est du conditionnement psychologique : la caméra veut clairement focaliser l'attention du spectateur sur cet élément du décor pour induire, par la seule force d'un mouvement de caméra intriguant dans ce contexte, qu'il faut porter son regard au-delà, qu'il y a quelque chose ou quelqu'un de planqué derrière. "Le travelling est affaire de morale" disait Rivette : il y a toujours une intentionnalité derrière la mise en scène. Ce mouvement de caméra, c'est Singer, c'est son point de vue de cinéaste. Ce n'est pas du Keyser Soze. Si le gars décide de ce mouvement de caméra, c'est parce qu'il sait très bien que c'est vecteur de sens. Il te cadre quelque chose qui n'a aucun intérêt pour que tu croies que ça en a un. Sauf qu'on apprend au final qu'il n'y a personne de planqué derrière, qu'il n'y a jamais eu personne. C'est de l'enfumage total. En fait ce travelling est totalement décorrélé de toute l'histoire, il est juste là pour te planter, pour te prendre pour une chèvre. Ce n'est pas de l'auto-persuasion (je me persuade qu'il y a quelqu'un de planqué parce que le travelling a l'air de chercher quelque chose, de vouloir me montrer quelque chose), c'est de la manipulation. Singer se disqualifie dès ce moment-là pour moi, parce qu'il toise le public et trahit sa "responsabilité" de narrateur. Chais pas si je suis clair.

Spoiler (cliquez pour afficher)
Rien ne permet de dire que c'est la réalité et que le plan ne sert à rien sinon à tromper le spectateur, au contraire, le fondu enchaîné laisse à penser que ce que l'on vient de voir est ce que Verbal Kint vient de raconter et donc qu'il a dit qu'il était derrière ces cordages.
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Message par Rockatansky »

Sauf que là où demi lune a raison c'est qu'i n'y est pas, puisqu'il est devant Byrne...
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Re: The Usual Suspects (Bryan Singer - 1995)

Message par Billy Budd »

Rockatansky a écrit :Sauf que là où demi lune a raison c'est qu'i n'y est pas, puisqu'il est devant Byrne...
Oui, mais il raconte qu'il y est, le travelling, ce n'est pas Singer, c'est déjà Verbal Kint.

Edit :
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on a tendance à penser que Verbal Kint commence son histoire dans le bureau de Kujon alors qu'il est le narrateur depuis le tout début.
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Demi-Lune
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Re: The Usual Suspects (Bryan Singer - 1995)

Message par Demi-Lune »

Billy Budd a écrit :
Spoiler (cliquez pour afficher)
Rien ne permet de dire que c'est la réalité et que le plan ne sert à rien sinon à tromper le spectateur, au contraire, le fondu enchaîné laisse à penser que ce que l'on vient de voir est ce que Verbal Kint vient de raconter et donc qu'il a dit qu'il était derrière ces cordages.
J'avais oublié ce fondu enchaîné.
En fait, on peut renverser les choses : ce fondu enchaîné sur Kint tend pour moi à renforcer la "légitimité" fallacieuse du travelling. C'est l'unique survivant, donc il était planqué. Donc la caméra en avançant comme elle le faisait voulait bien nous dire qu'il était là, qu'il y avait quelqu'un, qu'il a tout vu.
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Billy Budd
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Re: The Usual Suspects (Bryan Singer - 1995)

Message par Billy Budd »

Sauf qu'il raconte déjà son histoire ...
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Re: The Usual Suspects (Bryan Singer - 1995)

Message par Flol »

Je ne comprends pas ce reproche que l'on fait à Singer de "manipuler" ses spectateurs. On ne parle pas de l'essence même du cinéma, là ?
Je sais, j'ai un peu l'impression d'enfoncer une porte ouverte...mais sérieusement, ce n'est pas ce que l'on recherche tous en regardant un film ? Se faire embarquer dans une histoire, se faire trimballer par son réalisateur, quitte à ce que ça passe par le "mensonge" ?
Je ne suis pas le plus grand défenseur du film (pas revu depuis plus de 10 ans), mais je cherche juste à comprendre.
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Re: The Usual Suspects (Bryan Singer - 1995)

Message par AtCloseRange »

Ratatouille a écrit :Je ne comprends pas ce reproche que l'on fait à Singer de "manipuler" ses spectateurs. On ne parle pas de l'essence même du cinéma, là ?
Je sais, j'ai un peu l'impression d'enfoncer une porte ouverte...mais sérieusement, ce n'est pas ce que l'on recherche tous en regardant un film ? Se faire embarquer dans une histoire, se faire trimballer par son réalisateur, quitte à ce que ça passe par le "mensonge" ?
Je ne suis pas le plus grand défenseur du film (pas revu depuis plus de 10 ans), mais je cherche juste à comprendre.
Il me semble qu'il y a une différence entre "mentir" et "enfumer". Je ne pense pas que les bons films nous mentent. Ils nous font un tour de magie mais le mensonge, c'est un peu le summum de la facilité scénaristique.
Je n'ai pas revu le film depuis longtemps (et aucunement intéressé de le faire) mais il me semble que c'est effectivement son gros problème.
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Re: The Usual Suspects (Bryan Singer - 1995)

Message par O'Malley »

Non seulement c'est de la facilité scénaristique mais aussi regarder The Usual suspects c'est la même chose que, si dans le vie, un type me raconte une anecdote personnelle pendant une demi-heure et à la fin il me dit qu'il s'agit d'une affabulation de sa part... aucun intérêt (en tout cas, pour moi qui est le récepteur de son histoire!).

Quand un cinéaste ou un scénariste me dit à la fin, tout ce que tu as vu pendant deux heures c'est des bobards, de la blague (en simple twist et sans avoir développer une réflexion tout au long du film sur le thème du mensonge), et bien je dis qu'au final, il n'y a simplement pas de film...

En revanche, si le sujet du film est annoncé d'emblée comme un film sur la subjectivité, la multiplicité des points de vue, comme Rashômon de Kurosawa ou La vérité de Clouzot, ou sur le mélange rêve-réalité comme Eyes Wide Shut de Kubrick ou Providence de Reisnais, avec toute une réflexion ou un questionnement du spectateur au moment de la projection (et après)de ce qui relève du rêve, du délire, du mensonge mais aussi de la réalité, alors là, nous sommes dans un tout autre domaine que The usual suspects n'aborde pas: tout simplement parce que Singer pose en simple twist ce que d'autres réalisateurs propose en thématique et réflexion...

De toute façon, j'ai toujours eu un problème au cinéma lorsque la caméra ment. je pense non seulement que c'est de la facilité (pour un scénariste ou un réalisateur qui ne veut ou ne peut pas construire une intrigue ou une réalisation à faux-semblants )mais cela vient de ma propre exigence de spectateur: je considère que ce que je vois à l'écran doit être la réalité (sauf cas précisés plus haut car énoncé d'emblée comme un jeu de piste ambigüe entre l'auteur et le spectateur).
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Demi-Lune
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Re: The Usual Suspects (Bryan Singer - 1995)

Message par Demi-Lune »

Ratatouille a écrit :Je ne comprends pas ce reproche que l'on fait à Singer de "manipuler" ses spectateurs. On ne parle pas de l'essence même du cinéma, là ?
Je sais, j'ai un peu l'impression d'enfoncer une porte ouverte...mais sérieusement, ce n'est pas ce que l'on recherche tous en regardant un film ? Se faire embarquer dans une histoire, se faire trimballer par son réalisateur, quitte à ce que ça passe par le "mensonge" ?
Je ne suis pas le plus grand défenseur du film (pas revu depuis plus de 10 ans), mais je cherche juste à comprendre.
moi-même, page 1 a écrit :Ce n'est pas le principe du film à twist final que je critique, j'en aime moi-même beaucoup (je pense spontanément à Psychose ou Angel heart). Usual suspects, ce n'est pas la même configuration, car le twist fonctionne autant comme une révélation que comme un reniement de ce qui précède. C'est bien ça le problème : le reniement. De la manière dont c'est amené, le film se gargarise de sa pirouette, il claironne la vacuité de son système. Je trouve ça puéril et effectivement insultant envers le spectateur, pris pour un idiot depuis le départ (ah, le fameux travelling sur le chalutier au début qui te fait croire que). Ça n'a rien à voir avec la malice d'entretenir le suspense sur le fait que Norman Bates est l'assassin, par exemple.
Comme dit ACR, il y a manipulation et manipulation. Bien sûr que le cinéma est un art de la manipulation, il fabrique quelque chose de toutes pièces. Deux images collées bout à bout créent un sens, et ce sens ne sera pas forcément le même si tu coupes deux secondes plus tôt ou deux secondes plus tard. Ou, en l'occurrence, si tu décides de faire un travelling pour cadrer quelque chose qui devient du coup important. On accepte de se faire "manipuler" en connaissance de cause, à condition que le cinéaste reste intègre vis-à-vis de sa toute-puissance, de sa capacité d'omniscience en tant que narrateur.
Pour prendre un exemple concret : dans Psychose, la caméra ne ment jamais. Elle est manipulatrice, mais dans le sens malicieux. Elle ne trahit pas les spectateurs. Hitchcock aimait trop le public et ses réactions pour ça. Il détourne simplement leur attention en agitant un chiffon rouge, mais on ne peut pas prendre la mise en scène en défaut, parce que tout n'est qu'affaire de cadrages, d'ombres et de coupes judicieusement placées. C'est tout un art.
Dans Usual suspects, non seulement il y a le problème du mensonge de la mise en scène (cf. l'affaire du travelling), mais il y a EN PLUS le mensonge du scénario, comme l'a très bien expliqué O'Malley (merci). Le twist renie TOUT. Ah bah tout ce que t'as vu, en fait, c'est du vent (oui enfin, pas tout, mais ça revient au même). Là pour moi, c'est une trahison. C'est de la manipulation que je vois comme méprisante à l'égard de l'intelligence du spectateur, qui a consenti à consacrer 1h45 à cette histoire, et qui est remercié en étant pris pour un gogo. C'est trop facile. Comme a dit O'Malley, il n'y a tout simplement pas de film dans Usual suspects.
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Flol
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Re: The Usual Suspects (Bryan Singer - 1995)

Message par Flol »

Ok je comprends mieux.
Tout ça m'a donné envie de le revoir, en tout cas.
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Re: The Usual Suspects (Bryan Singer - 1995)

Message par Harkento »

Rockatansky a écrit :Perso je ne vois pas le film comme un mensonge, il est juste réinterprété à la sauce Kayzer Soze pour plaire au flic mais les évenements se sont passés
Billy Budd a écrit :Sauf qu'il raconte déjà son histoire ...

SPOIL SPOIL SPOIL SPOIL !!!!


Mais alors complètement d'accord avec vous !
Je viens de revoir le film, que je n'avais pas vu depuis des années et j'étais également persuadé que tout ce que disait Klint Verbal lors de l'interrogatoire avec Kujan était un mensonge, mais à cette revision, rien n'est moins sûre. Pour moi, Verbal Kint raconte réellement ce qu'il s'est passé en changeant simplement les noms et les mots (d'ailleurs, quand on part de cette interprétation, ses mensonges autour de la chorale, du café, Kobayashi, etc mais fait penser à un gars qui joue avec le feu en mélangeant fiction et réalité mais le maîtrise complètement, puisqu'il berne son monde ... c'est à cela que je le juge tout simplement comme un narcissique/manipulateur qui prend plaisir à jouer avec un homme qui croit le dominer, lui, un infirme pas très malin...), mais les événements racontés sont pour moi complètement réels. Car Klint est quelque part obligé de raconter quelque chose car il se retrouve, alors qu'il allait être libéré et continuer ainsi sa carrière de criminel/génie du mal (maintenant qu'il ne craint plus rien), enfermé dans une pièce avec un flic qui ne veut pas en découdre et qui se persuade que Keaton est le grand méchant de l'histoire : c'est d'abord ça que le flic veut lui arracher ! Parce qu'il n'a jamais réussit à coincer ce Keaton et qu'il en fait une obsession ! Comme il lui tend une perche, Verbal Kint (ou "roi du verbe", pour reprendre cinephage, soit le "King verbal") se joue de son interlocuteur et lui raconte vraiment comment il est rentré en contact avec ces gens qu'il a réunit pour pouvoir par la suite assassiner le seul gars au monde qui peut l'identifier, tout en le ridiculisant en lui présentant les choses comme Kujan a surtout envie de les entendre ! C'est scène de l'interrogatoire est doublement ironique, car non seulement il a le véritable Sozë devant lui, mais en plus il lui raconte ce qu'il a vraiment fait ! Trop marrant ce Sozë en fait ! :lol:
Billy Budd a écrit :Keyser Soze, le génie du mal que personne ne connaît a tout organisé pour tuer le seul homme capable de l'identifier, il a réussi et en plus il échappe à la police pour toujours ... sauf qu'il a laissé un survivant qui l'a décrit ce qui a permis de dresser un portrait robot à la police de sorte que sa situation est désormais bien pire.
Et c'est vrai qu'il s'agit de sa seule erreur car son visage est désormais connu des forces de l'ordre. Mais c'est aussi toute l'ironie de la situation car, c'est parce qu'un flic teigneux ne voulait voir que ce qu'il avait envie de voir (c'est à dire, Keaton EST Sozë) que Klint se gaussera de son interlocuteur en lui montrant simplement la vérité .... mais en inventant purement et simplement les noms de certaines personnes. En fait, avec le recul, ça me paraît évident que ce qu'il dit est 'en partie' la vérité car c'est bel et bien son second et homme de main fidèle qui le récupère quand il sort du bâtiment à la toute fin. Il avait certes un autre nom dans le récit de Klint au moment de l'interrogatoire, mais le personnage en tant que tel existait réellement et il a en grande partie fait tout ce que son chef lui disait. En jouant à la fois son rôle de Klint auprès de la bande de Keaton, tout en étant Sozë agissant hors champ et jouant même avec les ellipses - puisqu'il est le maître du récit et donc maître de la/des situation(s) - il a bel et bien organisé ces scènes pour unir l'équipe afin de les obliger à travailler ensemble ; c'est même d'ailleurs sûre que Klint/Sozë s'est débarrassé de Fenster parce qu'il voulait rentrer chez lui, ce qui a pour effet de faire réfléchir les autres et de les remettre dans le droit chemin, c'est à dire ce qu'il a du faire et du improvisé pour arriver à ses fins quand sa propre bande lui mettait des bâtons dans les roues !... en plus la mort de Fenster est tout près de l'eau, comme ils finiront eux aussi un plus tard ce qui est annonciateur et emprunt de fatalité. Pour moi, je le redis, le récit de Klint n'est en rien un mensonge, mais une réalité maquillé pour berner un flic qui bloque le génie du mal coincé tout près de sa ligne d'arrivée ... Mais le génie du mal lui glissera entre les doigts.

Et concernant le travelling et le fondu enchaîné du début, ce petit zoom amorcé sur le cordage (que Singer montrera 3 fois) est une manière pour Sozë de se dédoubler en Verbal Klint. On ne verra au début qu'un plan fixe qui pourrait dans un premier temps nous faire croire que quelqu'un est bien caché derrière ce décor, mais pour moi, cette scène symbolise simplement le dédoublement vertigineux du personnage de Sozë en Klint qui va devoir entrer en scène et berner son monde en se faisant passer pour le seul survivant de ce carnage et en être le seul et unique témoin !
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El Dadal
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Re: The Usual Suspects (Bryan Singer - 1995)

Message par El Dadal »

Revu pour la première fois depuis au moins quinze ans, avec pas mal de plaisir. Je suis ainsi du côté des défenseurs et de leurs argumentaires.

Tout dans sa conception est suave, opération séduction du spectateur comme de l'inspecteur. Le film explore ce qu'on peut appeler le "plaisir du mensonge", quelque chose de finalement très banal, très humain, lié à la notion de pouvoir, de domination, de supériorité, et donc d'orgueil. Qu'on me jette la première pierre si le moindre forumeur ici présent n'a pas déjà concocté un mensonge, aussi véniel soit-il, et savouré ce sentiment enivrant de victoire narrative sur son interlocuteur (en langage 2023, on parlerait aussi de pervers narcissiques :mrgreen:). La force de la persuasion, par l'attention aux détails, aux goûts, à l'adaptation, est ainsi à l'œuvre, parce que Verbal, en réalité une figure hautement crainte du crime et du mal, est humilié par un flic totalement aveuglé et lui-aussi imbu de lui-même. Une sorte de rétribution quelque part. Mais là où le film est fort, comme le soulignaient certains (et ce "détail" m'avait échappé à l'époque), c'est que lors de ce travelling final sur les pas de Verbal qui se révèle Keyser à mesure que la caméra remonte sur son visage, il finit par arborer un petit rictus de satisfaction, alors que nous, spectateurs, assistons en réalité à la prise de conscience par les forces de l'ordre de sa vraie nature (merci 1995 et les fax qui mettaient trois plombes à nous parvenir hein !), ce qui n'est bien entendu pas le fin mot de l'histoire. Dans le monde diégétique de Usual Suspects, on se dit qu'ils n'en resteront pas là et mobiliseront toutes leurs forces pour le retrouver (issue incertaine, au vu des moyens déjà contractés par Söze pour parvenir à ses fins, mais pas impossible). C'est juste que le film décide de s'arrêter là, en suspens...
Car non, tout le film n'est pas une invention. Verbal ne fait que modifier certains aspects de l'histoire à son avantage, mais il lui faut composer avec certains éléments indubitables (la parade d'identification, les interpellations la précédant, le braquage de la voiture de police à New York, l'explosion et les cadavres repêchés à la fin...). C'est un numéro d'équilibriste entre faits réels, fiction et réécriture. On est en droit d'en contester certains sur l'autel de la méfiance envers le témoignage de Verbal (le fait que Keaton connaisse déjà Verbal et lui permette ainsi d'intégrer le groupe, le meurtre du fourgue par Verbal dans le parking...) mais impossible de jeter le bébé avec l'eau du bain.
On notera au passage l'incroyable théâtralité de l'ensemble du film, qu'elle soit donc due à sa narration ou au jeu des comédiens, qui usent tous beaucoup du langage corporel, qu'au style visuel (là encore, je n'y avais pas vraiment fait attention) : choix des focales, des cadres, des décors très minimalistes... Peut-être s'agissait-il partiellement de contraintes budgétaires ayant affecté le style (The Usual Suspects n'était en rien un blockbuster en 1995), mais cette orientation le sert en tout cas à merveille. Le film fait certes son âge, mais il a cependant développé un côté presque innocent malgré lui, depuis qu'on ne bouffe plus que de la révélation finale à répétition, et paraît presque simple dans son déroulé. Il est particulièrement dégraissé, allant à l'essentiel et ne s’embarrassant pas de fioritures (1h45 au compteur, générique compris, c'est appréciable).

Mention++ à John Ottman, le Keyser Söze derrière la création du film, lui qui donne à la fois un aspect onirique au film avec sa partition incroyable, et manipule ses rouages en supervisant un montage d'une grande fluidité. Si le film se tient autant, c'est certainement grâce à lui.
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