Une Vie Cachée (Terrence Malick - 2019)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Flol
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Re: Une Vie Cachée (Terrence Malick - 2019)

Message par Flol »

Jack Griffin a écrit :
Supfiction a écrit : Vu que pour ma part, je ne sais toujours pas précisemment pourquoi Franz a dit Nein, ce n'est pas évident..
Hitler=le mal=>je ne prête pas serment
Ou alors il doit penser que tuer des gens a priori innocents, ben c'est pas très très gentil quand même.
Mais je m'avance peut-être un peu.
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G.T.O
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Re: Une Vie Cachée (Terrence Malick - 2019)

Message par G.T.O »

Flol a écrit :
Jack Griffin a écrit : Hitler=le mal=>je ne prête pas serment
Ou alors il doit penser que tuer des gens a priori innocents, ben c'est pas très très gentil quand même.
Mais je m'avance peut-être un peu.
Perso, j'y vois deux étapes dans l'élaboration de cette "décision":
-comme tu le dis Flol, c'est d'abord un pacifisme (refuser de tuer les gens, se réjouir de la destruction). Un dégout se lit sur son visage lorsqu'il voit le film de propagande durant ses classes et les réactions d'autrui. Idem, lorsqu'il s'entraine à la baïonnette.
- ensuite, refuser de prêter serment à Hitler est une décision morale (le bien, le mal). Mais aussi une sorte de loyauté vis à vis des valeurs de la terre, elle-même vue comme royaume indivisible (d'où aussi sa mine déconfite face aux propos xénophobes, qui divise, désigne des ennemis, une décadence, du maire du village) et manifestation divine.
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Supfiction
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Re: Une Vie Cachée (Terrence Malick - 2019)

Message par Supfiction »

G.T.O a écrit :
Flol a écrit : Ou alors il doit penser que tuer des gens a priori innocents, ben c'est pas très très gentil quand même.
Mais je m'avance peut-être un peu.
Perso, j'y vois deux étapes dans l'élaboration de cette "décision":
-comme tu le dis Flol, c'est d'abord un pacifisme (refuser de tuer les gens, se réjouir de la destruction). Un dégout se lit sur son visage lorsqu'il voit le film de propagande durant ses classes et les réactions d'autrui. Idem, lorsqu'il s'entraine à la baïonnette.
- ensuite, refuser de prêter serment à Hitler est une décision morale (le bien, le mal). Mais aussi une sorte de loyauté vis à vis des valeurs de la terre, elle-même vue comme royaume indivisible (d'où aussi sa mine déconfite face aux propos xénophobes, qui divise, désigne des ennemis, une décadence, du maire du village) et manifestation divine.
Donc ce serait surtout par pacifisme.
Parce que Hitler=le mal c'est peut-être évident pour nous mais en 1938 et pour un autrichien ce n'est absolument pas une évidence bien au contraire, même pour un pacifiste (Et ça je trouve que ça transparaît pas dans le film, c'est ça qui me gêne un peu quelque-part).
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Jack Griffin
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Re: Une Vie Cachée (Terrence Malick - 2019)

Message par Jack Griffin »

Supfiction a écrit : Parce que Hitler=le mal c'est peut-être évident pour nous mais en 1938 et pour un autrichien ce n'est absolument pas une évidence bien au contraire
"Bien au contraire" tu y vas fort. ça serait passé sous silence tous les actes de résistance dans l'allemagne nazie. Je pense qu'effectivement Malick n'a pas besoin de dire et répéter que le régime nazie était totalitaire et violent et que cette violence faisait parti du quotidien de la population (surtout quand le pays rentre en guerre)
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tenia
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Re: Une Vie Cachée (Terrence Malick - 2019)

Message par tenia »

6.5/10
1h de moins et on tient un truc impeccable. En l'état, c'est beau mais vraiment trop long.
G.T.O a écrit :- ensuite, refuser de prêter serment à Hitler est une décision morale (le bien, le mal). Mais aussi une sorte de loyauté vis à vis des valeurs de la terre, elle-même vue comme royaume indivisible (d'où aussi sa mine déconfite face aux propos xénophobes, qui divise, désigne des ennemis, une décadence, du maire du village) et manifestation divine.
Le film fait quand même dire, en voix off ou à ses personnages, un paquet de phrases à teneur morale éclairant clairement son choix. Cela pourrait se résumer à celle-ci : "Mieux vaut subir une injustice que de la commettre".
Pour moi, c'est simplement le parcours d'un profond idéaliste qui refuse d'aller à l'encontre de ses valeurs morales. Je ne suis pas sûr, sur ce point, qu'il y ait besoin d'aller chercher plus loin.
Jack Griffin a écrit :Il est clairement montré qu'il ne part pas faire la guerre. On le voit juste s'entrainer.
C'est effectivement très clair qu'il s'entraîne et que ça s'arrête là.
Supfiction a écrit :Parce que Hitler=le mal c'est peut-être évident pour nous mais en 1938 et pour un autrichien ce n'est absolument pas une évidence bien au contraire, même pour un pacifiste (Et ça je trouve que ça transparaît pas dans le film, c'est ça qui me gêne un peu quelque-part).
La page wiki de Jagerstatter indique qu'il a été la seule personne de son village à voter contre l'Anschluss. Donc visiblement, c'était possible, et c'était son cas.
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G.T.O
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Re: Une Vie Cachée (Terrence Malick - 2019)

Message par G.T.O »

tenia a écrit : Le film fait quand même dire, en voix off ou à ses personnages, un paquet de phrases à teneur morale éclairant clairement son choix. Cela pourrait se résumer à celle-ci : "Mieux vaut subir une injustice que de la commettre".
Pour moi, c'est simplement le parcours d'un profond idéaliste qui refuse d'aller à l'encontre de ses valeurs morales. Je ne suis pas sûr, sur ce point, qu'il y ait besoin d'aller chercher plus loin.
Certes, une voix-off portant souvent sur des enjeux moraux, mais qui n’éclaire pas vraiment son « choix ». Mais une voix qui interroge la présence du Mal dans le monde, ou bien encore qui éprouve une certaine liberté à vouloir cesser de survivre.

tenia a écrit :
Supfiction a écrit :Parce que Hitler=le mal c'est peut-être évident pour nous mais en 1938 et pour un autrichien ce n'est absolument pas une évidence bien au contraire, même pour un pacifiste (Et ça je trouve que ça transparaît pas dans le film, c'est ça qui me gêne un peu quelque-part).
La page wiki de Jagerstatter indique qu'il a été la seule personne de son village à voter contre l'Anschluss. Donc visiblement, c'était possible, et c'était son cas.
Intéressant. C’est effleuré dans le film. Notamment lorsque Franz évoque son pays, inquiet de son sort : « Qu’est-ce qui arrive à mon pays ? Attaché sans doute mais pas au point comme le lui suggère l’évêque de servir aveuglément sa patrie annexée au Reich. Double refus: refus d’allégeance de l’Autriche à l’Allemagne du Reich, et refus d’allégeance à Hitler.
Dernière modification par G.T.O le 19 déc. 19, 19:19, modifié 2 fois.
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tenia
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Re: Une Vie Cachée (Terrence Malick - 2019)

Message par tenia »

G.T.O a écrit :
tenia a écrit : Le film fait quand même dire, en voix off ou à ses personnages, un paquet de phrases à teneur morale éclairant clairement son choix. Cela pourrait se résumer à celle-ci : "Mieux vaut subir une injustice que de la commettre".
Pour moi, c'est simplement le parcours d'un profond idéaliste qui refuse d'aller à l'encontre de ses valeurs morales. Je ne suis pas sûr, sur ce point, qu'il y ait besoin d'aller chercher plus loin.
Certes, une voix-off portant souvent sur des enjeux moraux, mais qui n’éclaire pas vraiment son « choix ». Mais une voix qui interroge la présence du Mal dans le monde, ou bien encore qui admet avoir une certaine liberté, â vouloir cesser de survivre.
Il m'a semblé que ce qui nous était narré illustrait le parcours et les valeurs du protagoniste (et sa femme, à la rigueur). Donc quand on nous dit des choses de ce genre, cela nous permet de compléter l'idée qu'on peut se faire de Franz, ses valeurs, ses motivations. Cela s'inscrit probablement dans un cadre plus large ("dans le monde"), mais le film explore tout de même cela à travers le prisme de son protagoniste. On va dire que je pense que les deux niveaux se mélangent, et que si le film utilise le personnage pour explorer un cadre plus large, certains éléments plus larges sont aussi appliquables à Franz.
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Flol
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Re: Une Vie Cachée (Terrence Malick - 2019)

Message par Flol »

tenia a écrit :Cela pourrait se résumer à celle-ci : "Mieux vaut subir une injustice que de la commettre".
C'est aussi la phrase que j'ai citée un peu plus tôt dans le topic, et c'est pour moi la plus bouleversante du film (avec la citation finale de George Eliot) et celle qui le résume le mieux.
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Re: Une Vie Cachée (Terrence Malick - 2019)

Message par Alexandre Angel »

tenia a écrit : "Mieux vaut subir une injustice que de la commettre".
Le contraire de ceux qui disent : "Mieux vaut être baiseur que baisé"
Toute une conception de l'existence.
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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Re: Une Vie Cachée (Terrence Malick - 2019)

Message par El Dadal »

De par sa nature et sa technique, il me semble qu'il s'agit du plus kubrickien des films de Malick.
Si les figures de mise-en-scène ne sont jamais gratuites chez le texan, elles me paraissent encore plus justifiées ici, trouvant dans un cadre et une narration limpides des vecteurs de sens décuplés. La raideur, l'austérité et la quasi ascèse de Une vie cachée sont en filigrane de tous ces tourbillons bucoliques, cercles de vie et autres sursauts émotionnels qui parsèment l'œuvre à intervalles réguliers. Comme un film tenu en laisse courte, à base de travellings cherchant la fuite dans un en-avant qui ne trouve pas de conclusion, qui achoppe, qui avance d'un pas pour reculer de deux... Donc totalement au diapason de son protagoniste, jamais sentencieux ou condescendant, car n'offrant aucune réponse, si ce n'est la foi accrue dans sa foi. Aucune dimension prosélyte pourtant chez Malick, comme un Kubrick observateur-juste des turpitudes et vicissitudes d'une humanité fluide - l'ironie en moins.

Le questionnement du sentiment religieux et/ou de la foi chez Malick se fait plus écrasant et plus pressant, mais chaque nouveau film vient en fait apporter un éclairage nouveau sur les figures du passé/des films passés. Ici, les déchirements de la guerre ou les déchirements intérieurs de Tree of Life qui donneront vie à la trilogie moderne laissent place à la fois à un recroquevillement et un dépassement (figures de la spirale et du travelling avant). Franz doit faire sa mue, se perdre et se transcender face à l'acharnement des cercles concentriques (famille, village, conté, pays, idéologie) à le faire abjurer, s'il veut non pas donner un sens à l'épreuve mais simplement découvrir sa nature profonde. La fin du film n'offre qu'un répit et une réponse de cinéma : nous ne serons pas dans l'intimité de Franz lors de ses derniers instants (à la différence de Scorsese avec Silence sur un sujet finalement similaire). Dans cette optique, il m'apparaît désormais logique que Malick boucle la boucle avec son The Last Planet à venir. Dans cette recherche d'épure, peut-être parviendra-t-il à égaler Rossellini et Pasolini dans leur grandeur œcuménique. En tout état de cause, Une vie cachée est déjà une expression parfaite du sens de la litote avec lequel Malick résiste au flétrissement du cœur.

La droiture morale n'est jamais ni la plus simple à entretenir ni la plus séduisante. Mais ce jusqu'au-boutisme offre à Franz une échappatoire, et au film une résonance, dont les vertus me semblent incalculables.
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G.T.O
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Re: Une Vie Cachée (Terrence Malick - 2019)

Message par G.T.O »

Belle critique El Dadal ! :D
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Supfiction
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Re: Une Vie Cachée (Terrence Malick - 2019)

Message par Supfiction »

Pour le « sens de la litote », c’est un euphémisme. :P
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Re: Une Vie Cachée (Terrence Malick - 2019)

Message par Grimmy »

Je n'étais pas allé en salles depuis des années, mais j'ai fait l'effort pour le Malick. Hé ben j'ai adoré. Un poil long mais magnifique quand même.
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Re: Une Vie Cachée (Terrence Malick - 2019)

Message par Barry Egan »

Pour ma part, pas trop trop convaincu. Je fais partie de ceux qui pensent "il fait toujours la même chose". Encore que celui-ci me semble plus porté sur les visages, sur les êtres humains, et moins sur la nature. Le mysticisme est plus intérieur, alors que les voice-overs ne sont pas aussi envahissantes que d'habitude - le personnage principal est d'ailleurs plutôt silencieux. Mais entendre la même symphonie de Gorecki sur des images tournées et montées de la même façon... C'est magnifique et lassant à la fois.
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Re: Une Vie Cachée (Terrence Malick - 2019)

Message par Papus »

Ce dernier avis tombe à pic. C'est en effet le sentiment que j'ai eu sur quasi toute la première heure, je commençais à voir le plateau de tournage et le réalisateur derrière sa caméra, parfois trop mouvante à mon goût (même si c'est complètement à propos comme le dit Eldadal un peu plus haut), ces images hyper nettes soutenues par la musique (très belle au passage) presque constante m'ont fait l'effet de voir une longue pub' voulant à tout prix créer l'émotion en ne proposant que gros plans de visages pensifs, taciturnes, tristes, joyeux, de nouveau taciturnes, pensifs etc cette succession ultra condensée du premier tiers a bien failli me faire décrocher, malgré des photos de nature magnifiques et magnifiées par le regard de ces protagonistes.
La mine de chien battu de Valérie Pachner n'a aussi pas aidé, avec ces longs moments de pose dans la mi défiance mi "serieusement ? On en est là ?", bref j'ai trouvé tout ça beaucoup trop répétitif.
Et puis viens le premier pic d'émotion, au détour d'un plan où les amoureux assis dans l'herbe qui bouge au gré du vent se mangent avec les yeux, profitent de ce temps qu'ils ont encore à partager, au détour d'une phrase appuyé par une note, d'une image d'homme perdu dans cette misère d'humanité... Le propos l'a emporté et finalement la forme aussi. Je n'étais pas revenu vers Malick depuis Le Nouveau monde et je ne regrette pas de l'avoir retrouvé.
J'ai beaucoup pensé à Hunger, je pense ne pas être le seul, et au Rapport de Brodeck de Manu Larcenet (que je recommande vivement aux amateurs de bd).
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