J'ai l'impression que c'est une manière de nous préparer à la révélation finale, plus le film avance plus le personnage de Louis Lewanski se déshumanise, on passe de la figure romanesque de 1910 à l'incel de 2014, pour arriver ensuite à la chute sur ce protagoniste en 2044. Il y a l'archétype masculin idéalisé du passé, le pire du "présent" et ce que l'on imagine de son devenir dans le futur.Wulfa a écrit : ↑16 févr. 24, 12:34 Un choix m'a cependant fait un peu de mal : celui de faire jouer par le protagoniste masculin des paroles tenues par le tueur Elliott Rodger durant le segment de 2014, aux mots près. C'est d'une grande violence, et jette un trouble vraiment très désagréable sur le personnage de Louis Lewanski auquel on a ensuite du mal à s'attacher encore.
La Bête (Bertrand Bonello - 2024)
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Re: La Bête (Bertrand Bonello - 2024)
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Re: La Bête (Bertrand Bonello - 2024)
Je crois bien, oui. Mais si quelqu'un a vu le film plus récemment que moi, je suis également preneur de la confirmation, car je crois me souvenir qu'il y a deux portes en fait, la 240 et la 241. Et preneur aussi d'une explication, pour peu que cela ait une réelle importance : à quoi diable sert l'espèce de monolithe à côté duquel s'assoit Léa Seydoux dans ces espèces de vestiaires (?), et qu'elle touche chaque fois ?
Sinon, je remarque que le film, qui m'a fait passer par différents états durant la séance (captivé, inquiet, dubitatif), s'est quand même durablement niché dans un coin de mon esprit et que son énigme revient régulièrement m'assaillir à coup d'images fortes. Attention, La bête reste pour moi un opus un peu boiteux et inégal et ne me semble pas avoir la même plénitude, dans la concrétisation de son ambition formelle et historique, que L'Apollonide ou Saint Laurent, ni le pouvoir de fascination d'un geste radical comme Nocturama. Mais c'est quand même un projet stimulant dans ses méandres jusque dans ses loupés, et qui n'appartient finalement qu'à son auteur, l'une des voix les plus passionnantes du ciné français contemporain - l'un de ceux dont je vois systématiquement les films parce qu'il y a toujours quelque chose de marquant à glaner, même si ça ne doit être qu'à l'échelle de deux ou trois scènes seulement. Profondo évoquait plus tôt certains films de Resnais mais La bête me fait plus simplement beaucoup penser à Coma, le précédent film de Bonello qui a été peu vu, je crois, et qui reste objectivement un petit truc dans sa filmographie, un essai post-Covid tourné vite fait dans son coin aux expérimentations parfois un peu cheap, mais dont les forces souterraines m'avaient plongé dans un malaise tenace. S'y nichait en effet quelque chose d'inquiétant, anxiogène, comme une sauvagerie prête à éclater après tous les confinements sanitaires subis. La bête me semble dopée à cette angoisse métaphysique (et ce, dès son ouverture très réussie), comme si Bonello devenait de plus en plus pessimiste sur la nature humaine, et c'est assez passionnant de le voir jouer sur une forme de récapitulation de sa propre filmographie au travers de l'entrelacement des différentes strates (le côté proustien/viscontien de la première partie, le côté thriller glacial à la Bret Easton Ellis de la seconde, le côté rêve dépressif /cauchemar éveillé de la troisième), tout en prenant un malin plaisir à dérégler le système, à offrir avec les films susnommés des variations étranges et lointaines (presque comme des bugs, illustrés in concreto à l'image), mettant de fait tous les sens du spectateur en alerte. C'est dans sa nature de "film instable" que je trouve La bête le plus convaincant, car tout ne se vaut pas à mon sens. Pas fan non plus de l'acteur là, George MacKay, avec sa tête stressante et dont on a bien du mal à croire qu'il puisse à la base susciter une telle passion du personnage de Léa Seydoux.
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Re: La Bête (Bertrand Bonello - 2024)
Je n'avais pas à ce point considéré que le personnage faisait progresser un archétype. Je m'étais surtout focalisé sur les contraintes liées à leur histoire d'amour empêché au gré des périodes. Ton analyse me convainc et atténue un peu ma gêne ! Le choix est donc radical et clivant, mais plutôt cohérent !Profondo Rosso a écrit : ↑16 févr. 24, 14:23 J'ai l'impression que c'est une manière de nous préparer à la révélation finale, plus le film avance plus le personnage de Louis Lewanski se déshumanise, on passe de la figure romanesque de 1910 à l'incel de 2014, pour arriver ensuite à la chute sur ce protagoniste en 2044. Il y a l'archétype masculin idéalisé du passé, le pire du "présent" et ce que l'on imagine de son devenir dans le futur.
Il s'agit de son travail sans responsabilité, qu'elle aimerait quitter pour un poste plus prestigieux. Elle doit simplement vérifier la température de serveurs de données.
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Re: La Bête (Bertrand Bonello - 2024)
Au départ, j'ai aussi pensé que c'était ça, mais j'ai un doute.
Quand elle va au bar 1980 et qu'elle se fait servir une vodka, elle règle sa commande en apposant sa main sur un petit rectangle sur le comptoir.
Les scènes dont parle Demi-Lune, elles interviennent après ses sessions, et la voix dit alors "moins 92 " (ce qui semble froid, quelle que soit l'unité, pour une température). Je me demande si ce n'est pas un débit, pour règlement, de ses séances.
Sinon, film curieux, pas très aimable, pas toujours très bien suturé entre ses différentes parties, mais indéniablement très riche dans ce qu'il dit de notre monde, et dans sa capacité à produire du cinéma (je crois que personne n'a mentionné la scène de nage sous l'eau, dans la partie 1910, que j'ai trouvée très forte).
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Re: La Bête (Bertrand Bonello - 2023)
Ah oui, et sinon, je me suis demandé pendant tout le film pourquoi Finnegan Oldfield prenait un accent anglais...
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Re: La Bête (Bertrand Bonello - 2024)
Je crois que Profondo mentionnait, à raison, la beauté du plan conclusif de cette séquence. Mais effectivement, c'est l'un des temps forts du film. Son surgissement m'a fait penser aux intuitions spontanées, et pas forcément logiques par rapport à la cohérence interne du film (que fout subitement toute cette eau dans l'atelier alors que la crue de la Seine semblait appartenir à une autre chronologie?), d'un Argento des grandes heures. Je crois que Bonello est fan du réalisateur. Il y a un petit côté Inferno, le romantisme noir en lieu et place de l'épouvante.
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Re: La Bête (Bertrand Bonello - 2024)
Pas vu le film mais je me le suis dit également rien qu'en regardant la BA. On dirait un cliché romantique, échappé d'une pub pour un parfum.
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.
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Re: La Bête (Bertrand Bonello - 2023)
Je ne sais pas si c'est une boutade, mais il s'agit plutôt de George Mackay. Concernant le choix de cet acteur, en l'occurrence, Bertrand Bonello en parle dans son interview au CNC.
Pourquoi avoir choisi George Mackay pour reprendre le rôle qui devait être tenu par Gaspard Ulliel ?
Une fois passé le choc de la mort de Gaspard, ma décision immédiate a été de ne pas le remplacer par un comédien français pour qu’il n’y ait aucune comparaison possible. Sans quoi je n’aurais pas pu faire le film. J’aurais passé mon temps à imaginer comment Gaspard aurait joué telle ou telle scène… Pour choisir George, par-delà son talent, j’ai eu besoin de le voir avec Léa. Une seule scène m’a suffi pour être certain de leur alchimie.
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Re: La Bête (Bertrand Bonello - 2023)
J'ignorais tout du film avant de le voir, et en voyant apparaître l'acteur (sachant qu'il n'y a pas vraiment de générique de début), j'ai vraiment pensé que c'était Finnegan Oldfield, et j'ai donc trouvé curieux cet accent.
C'est en sortant de la salle que j'ai compris mon erreur.
Mais avouez qu'il y a une ressemblance avec Tahar Rahim, quand même !
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Re: La Bête (Bertrand Bonello - 2023)
Ils sont tout à fait ressemblants oui ! J'ai aussi hésité durant la séance, incapable que j'étais de retrouver son nom.
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Re: La Bête (Bertrand Bonello - 2023)
Bonnello ne trouve pas son public et c'est bien dommage.
Son film de SF inspiré par Henry James est une oeuvre de haute tenue, formellement splendide, constamment surprenante, renvoyant à la fois à un certain cinéma actuel européen (L'année dernière à Marienbad et Alphaville) et à un cinéma de genre plus populaire (Argento ou Craven). J'oublie très vite les films que je vois, et celui-là continue de me trotter dans la tête 2 semaines après sa découverte.
Certes, on pourra trouver ce film assez froid, à apprécier plus avec l'intellect qu'avec ses tripes, et c'est peut-être ce qui rebute le public. Mais c'est dommage, car cette froideur, loin d'être complaisante, est entièrement justifiée par le propos, par cette peinture d'une société qui fuit les sentiments. Que ce soit dans la haute société codifiée à l'ancienne, dans la débauche impersonnelle et superficielle des années 2010, ou dans un futur proche où les passions humaines sont pathologisées. Un voyage dans les époques qui fait réfléchir sur le monde. C'est suffisamment précieux pour que l'on lui donne sa chance.
Son film de SF inspiré par Henry James est une oeuvre de haute tenue, formellement splendide, constamment surprenante, renvoyant à la fois à un certain cinéma actuel européen (L'année dernière à Marienbad et Alphaville) et à un cinéma de genre plus populaire (Argento ou Craven). J'oublie très vite les films que je vois, et celui-là continue de me trotter dans la tête 2 semaines après sa découverte.
Certes, on pourra trouver ce film assez froid, à apprécier plus avec l'intellect qu'avec ses tripes, et c'est peut-être ce qui rebute le public. Mais c'est dommage, car cette froideur, loin d'être complaisante, est entièrement justifiée par le propos, par cette peinture d'une société qui fuit les sentiments. Que ce soit dans la haute société codifiée à l'ancienne, dans la débauche impersonnelle et superficielle des années 2010, ou dans un futur proche où les passions humaines sont pathologisées. Un voyage dans les époques qui fait réfléchir sur le monde. C'est suffisamment précieux pour que l'on lui donne sa chance.
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Re: La Bête (Bertrand Bonello - 2023)
Je suis assez d'accord, en un peu moins enthousiaste, avec le beau texte de Profondo Rosso. Et j'ai également pensé à Inferno lors de la belle scène sous eau de la première partie. Pour les références, comme quelqu'un l'a mentionné aussi, je crois que l'ombre de Lynch est un peu trop présente, et c'est pour moi une limite du film. Surtout que contrairement à son modèle, Bonello a beau être doué pour nous installer des mystères et une structure labyrinthique, il finit quand même par nous donner pratiquement toutes les réponses, au final il ne reste plus grand chose pour que le spectateur puisse continuer à imaginer ou à s'approprier le film.
Sinon c'est également une expérience marquante sur l'actrice/persona Léa Seydoux qui est quasiment de tous les plans et nous donne à voir de nombreuses métamorphoses. Femme-poupée dans un superbe plan où elle se fige, qui préfigure la scène aquatique où elle devient Ophélie ; mannequin solitaire et perdue dans l'époque contemporaine, femme du futur qui tente de purifier ses affects mais finit par nous donner un cri lynchéen. Et encore une dernière belle séquence que je voudrais sauver, cette fois-ci avec un mystère qui n'est pas révélé : entretien avec l'IA, la caméra s'approche de plus en plus, on lui montre une image, elle pleure (ce qui m'a fait aussi renvoyé à son rôle chez Dumont). L'image reste hors-champ, image manquante qui permet à l'héroïne comme au personnage de rester encore un peu au-dessus de la machine.
Sinon c'est également une expérience marquante sur l'actrice/persona Léa Seydoux qui est quasiment de tous les plans et nous donne à voir de nombreuses métamorphoses. Femme-poupée dans un superbe plan où elle se fige, qui préfigure la scène aquatique où elle devient Ophélie ; mannequin solitaire et perdue dans l'époque contemporaine, femme du futur qui tente de purifier ses affects mais finit par nous donner un cri lynchéen. Et encore une dernière belle séquence que je voudrais sauver, cette fois-ci avec un mystère qui n'est pas révélé : entretien avec l'IA, la caméra s'approche de plus en plus, on lui montre une image, elle pleure (ce qui m'a fait aussi renvoyé à son rôle chez Dumont). L'image reste hors-champ, image manquante qui permet à l'héroïne comme au personnage de rester encore un peu au-dessus de la machine.
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Re: La Bête (Bertrand Bonello - 2024)
J'avoue ne pas comprendre pourquoi tout le monde parle d'une influence de Lynch sur ce film. Il n'est pas tellement question d'onirisme et de zones d'ombre que d'un mélange des temporalités, qui n'est pas spécifique à l'auteur de Twin Peaks. Allez pour quelques scènes plus orientées thriller je veux bien, et même là, je pense plus au genre thriller en général qu'à un auteur en particulier.
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Re: La Bête (Bertrand Bonello - 2024)
Pour moi, l'influence de Lynch se trouve d'abord dans la structure labyrinthique et la fantasmagorie. Je trouve que c'est particulièrement présent dans la partie Los Angeles, avec la grande maison qui devient angoissante, une présence menaçante qui semble imprégner les images de caméra de surveillance, ça fait assez Lost Highway. On pourrait parler aussi du jeu entre faux et vrai, mise en abyme du cinéma comme illusion artificielle (les écrans verts chez Bonnello, le club Silencio ou Inland Empire chez Lynch).
Et puis bien sûr la référence la plus évidente dans le dernier plan de La Bête
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Re: La Bête (Bertrand Bonello - 2024)
Attention nombreux spoilers sur le film de Bonello et sur Twin Peaks dans le message suivant.
Je suis tout à fait d'accord avec Kiké sur la principale limite du film (à mon sens) qui est la trop grande influence de Lynch, notamment dans le segment de Los Angeles. En plus de la maison labyrinthique et des doubles, nous avons aussi l'histoire de la voyante (nouvelle femme à la bûche) baignée dans cette lumière rouge où l'on distingue en arrière plan de la vidéo un couloir tout à fait dans la lignée de la première partie de Lost Highway. La séquence bonus sous QR CODE me semble également être un hommage peu subtil aux avertissements de Dale Cooper dans Twin Peaks : Fire Walk With Me.
Je suis tout à fait d'accord avec Kiké sur la principale limite du film (à mon sens) qui est la trop grande influence de Lynch, notamment dans le segment de Los Angeles. En plus de la maison labyrinthique et des doubles, nous avons aussi l'histoire de la voyante (nouvelle femme à la bûche) baignée dans cette lumière rouge où l'on distingue en arrière plan de la vidéo un couloir tout à fait dans la lignée de la première partie de Lost Highway. La séquence bonus sous QR CODE me semble également être un hommage peu subtil aux avertissements de Dale Cooper dans Twin Peaks : Fire Walk With Me.
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