The Harvey Girls (1946) de George Sidney
MGM
Sortie USA : 18 janvier 1946
"Fred Harvey, pour créer sa chaîne de restaurant le long du chemin de fer de Santa Fe, emmena des pionnières. Ces jolies serveuses, les Harvey Girls, firent la conquête de l'Ouest comme Davy Crockett et Kit Carson mais leurs seules armes étaient des steaks et des tasses de café". Pour la petite histoire, les Harvey House furent créés en 1870 dans le but d’accorder aux clients-voyageurs de la bonne nourriture à bon marché et dans un cadre calme et élégant. Les 84 restaurants de la chaîne furent développés dans 7 états tout au long du chemin de fer de Santa Fe.
La comédie musicale étant, après le western, mon second genre de prédilection, je pouvais difficilement passer sous silence le premier véritable mix des deux et donc ne pas évoquer
The Harvey Girls. Il s’agit effectivement du premier ‘musical’ cinématographique à prendre pour décor et époque le Far-West du 19ème siècle. C'est le succès à Broadway d'
Oklahoma de Richard Rodgers et Oscar Hammerstein qui lança la mode et George Sidney fut le premier à s'y engouffrer pour Hollywood. Le cinéaste n'ayant jamais réalisé de western à proprement parler et s'avérant pourtant l'un de mes chouchous, les raisons étaient nombreuses pour que j'inclue ce film au sein de mon parcours chronologique. Mais trêve de justification d’autant qu’il y en aura 5 ou 6 autres à venir par la suite!
(et puis d’abord je suis chez moi, je fais ce que je veux !) Dans le domaine de la comédie musicale, George Sidney avait déjà réalisé les années précédentes les jubilatoires
Bathing Beauty (
Le Bal des Sirènes) avec Esther Williams ainsi que
Anchors Aweigh (
Escale à Hollywood) avec le duo Gene Kelly et Frank Sinatra ; il y avait peu de chances pour, qu’avec des chansons écrites par le duo Harry Warren et John Mercer, il ne transforme pas l’essai une troisième fois. Et non seulement il réussit l’exploit mais il fait même encore mieux que précédemment.
1885. Dans le train qui la conduit à Sandrock (Nouveau Mexique) où elle doit épouser un certain H.H. Hartsey (Chill Wills), une naïve jeune fille de l’Ohio, Susan Bradley (Judy Garland), rêve à la vie qui l’attend. Elle n’a jamais vu son futur mari qu’elle ne connaît qu’à travers la correspondance qu’ils ont entretenu suite à une annonce matrimoniale. Dans son wagon, elle fait la connaissance des futures serveuses de la chaine de restaurants Harvey venues fonder une succursale dans cette ville éloignée du Far-West. Arrivé à bon port, ses espoirs romantiques s’évanouissant, Susan décide en consentement mutuel avec son ‘futur-ex époux’ de ne plus se marier. Elle souhaite néanmoins rester dans la cité bouillonnante pour faire partie des Harvey Girls. La concurrence s’avère rude avec le saloon Alhambra situé de l’autre côté de la rue ; en effet, le magistrat corrompu Sam Purvis (Preston Foster), en cheville avec Ned Trent (John Hodiak), le tenancier de l’établissement, a peur que cette ‘concurrence’ leur fasse de l’ombre. Il décide par tous les moyens détournés (incendie, menace…) de chasser les Harvey Girls de la ville. Ned, grand romantique caché, ne va pas lui être d’un grand secours puisqu’il vient de tomber sous le charme d’une d’entre elle, Susan justement. Elle apprend que, tel Cyrano, c’était lui qui écrivait les lettres au nom d’Hartsey. De prime abord très en colère, elle finit par tomber dans ses bras. Em (Angela Lansbury), une chanteuse qui dirige ‘l’escadron’ de filles légères du Saloon et qui a toujours été secrètement amoureuse de Ned, devient très jalouse de cette dernière. Le danger et le risque de ‘crêpage de chignons’ est à son comble…
Un générique se déroulant avec l’image d’un train rutilant parcourant les immenses plaines de l’Ouest pour finir par longer les montagnes rougeoyantes de la fameuse Monument Valley. Un travelling descendant qui débute dans le ciel pour attraper le visage de Judy Garland debout sur la plate forme arrière d’un train derrière lequel défilent les paysages de l’Ouest américain familiers aux ‘westerners’ endurcis ; sauf que l’actrice chante une superbe ballade au cours de laquelle elle exprime ses espoirs et ses rêves à propos de sa vie future dans cette région éloignée de l’Ohio d’où elle vient mais qu’elle a voulu quitter par esprit d’aventure. La séquence suivante débute au milieu d’une rue avec ses maisons en bois la bordant et traversé par un troupeau de bêtes à corne. Au fond, les montagnes, au premier plan des cavaliers tout de noirs vêtus aux têtes bien connues par les connaisseurs du genre, celles de Jack lambert et Preston Foster. On pénètre ensuite dans un immense saloon enfumé et bariolé où s’affairent joueurs, cow-boys et filles légères ; l’amateur se sent encore en terrain connu avant qu’une spectaculaire séquence musicale annonce l’arrivée du train amenant les Harvey Girls. Nous nous rendons vite compte que nous nous trouvons au début devant un mix parfait de western et de comédie musicale ; mais il serait malhonnête d’affirmer que les amateurs de l’un et de l’autre genre pourront y trouver un égal bonheur sur la longueur. En effet, si le superbe décorum (costumes, décors, extérieurs…) est purement westernien, le ton, le style et les conventions tiennent principalement de la comédie musicale, les romances prennent vite le pas sur le mouvement et l’action. Il n’est d’ailleurs pas inintéressant de voir comment le ‘Musical s’approprie les codes du western. Mais il faut savoir que plus le film avance, plus l’intrigue fond comme peau de chagrin pour faire place à une suite de numéros musicaux qui devraient faire trouver le temps long à ceux qui souhaitaient voir un vrai western.
D’ailleurs, c’aurait du en être un avant l’intervention d’Arthur Freed ; originellement conçu comme un drame avec la reformation du couple de Franc Jeu (
Honky Tonk), Lana Turner et Clark Gable, il se transforma en comédie musicale après la désaffection de la star masculine maison déjà prise sur un tournage et après que le producteur phare de la section ‘Musical’, surpris et boosté par le succès sur scène d’Oklahoma, opère les changements qui aboutirent à cet Harvey Girls tel qu’on peut le voir aujourd’hui. Suite à tous ces changements, Gene Kelly fut même un moment pressenti pour reformer un duo avec Judy Garland après For me and my Gal. Ces multiples remaniements expliquent certainement le pourquoi de cinq scénaristes aux manettes car sinon, au vu de l’intrigue s’avérant bien banale, les arrières plan historiques et sociaux étant rapidement laissés de côté alors qu’ils semblaient devoir être passionnants, il n’y aurait pas eu de raison qu’ils soient autant pour pondre une histoire sans originalité particulière. "
Fred Harvey, c'est un pas vers la civilisation. Vous êtes le symbole de l'ordre à venir" dit à ses filles, la ‘manager’ de l’équipe de futures serveuses. Et en effet, elles auront à lutter contre les prostituées, les hommes d’affaires véreux et les tenanciers de saloons et maisons de jeux ; ces derniers pressentant qu’elles pourraient malheureusement avoir de l’influence bénéfique sur les mœurs des habitants, imaginent déjà leur future faillite. La loi du plus fort qui règne encore (on ne trouve d’ailleurs pas de shérif dans cette ville) semble devoir se terminer, les demoiselles Harvey représentant la civilisation en marche ‘risquant’ de l’enterrer définitivement après avoir apaisé les esprits et les désirs. Le quintet ayant participé à l’écriture aurait approfondi cette donnée, c’aurait probablement apporté un attrait supplémentaire à ce scénario commun mais il reste fort bien écrit au demeurant, témoin une galerie de personnage très attachante et un film qui se suit sans aucun ennui malgré la quasi absence d’action et de forts enjeux dramatiques.
Beaucoup ont écrit que Judy Garland portait le film sur ses épaules ; elle a beau être touchante de par sa sensibilité et son charme, c’est être sacrément injuste envers ses partenaires qui sont loin d’être des potiches. Le casting est en effet franchement réjouissant dans son ensemble. Il est déjà fort agréable de retrouver des trognes qui ont roulé leur bosse dans le genre tel Preston Foster (
Les Tuniques écarlates) toujours aussi élégant et racé, les amusants Chil Wills et Marjorie Main ainsi que Jack Lambert qui, avec son inquiétant visage, est parfait dans son rôle de tueur (rôle qu’il tenait déjà la semaine précédente sur les écrans face à Randolph Scott dans
Abilene Town). Plus habitué des comédies musicales que du western, la délicieuse Cyd Charisse qui danse déjà divinement (c’est elle qui aurait du jouer la Salomé de Charles Lamont en lieu et place de Yvonne de Carlo), l’élastique Ray Bolger ainsi que la dynamique Virginia O’Brien, une actrice qui a vraiment trop peu tourné et qui avait pourtant une voix originale et oh combien agréable. Il ne faut pas non plus oublier Angela Lansbury, parfaite et splendidement costumée dans la peau de la prostituée jalouse. Les scénaristes ont donné à tous des personnages fort sympathiques dans la peau desquels tous ses acteurs s’en sortent très bien. Sans oublier le pauvre John Hodiak qui s’est vu villenpidé par une majorité le trouvant fade. Pour ma part, je l’ai trouvé très à l’aise dans ce rôle inhabituel de patron de Saloon romantique qui souvent part en cachette pour aller rêver devant une vallée paradisiaque qu’il a découvert derrière une montagne ; il souhaite secrètement y vivre avec la femme de sa vie qu’il n’a pas encore rencontré. La séquence qui le voit dans ce lieu magique auprès de Judy Garland est un moment d’une profonde tendresse et le fou rire qu’ils prennent avant de rentrer en ville est d’un naturel confondant ; leur couple est donc très crédible et fonctionne à merveille. Quant à Judy Garland, car elle est néanmoins la star du film, elle est exquise en même temps que désarmante de naïveté et de gentillesse dans ce rôle d’une femme moderne ayant quitté son Ohio natal qu’elle trouvait trop vieux jeu pour aller vivre une vie plus aventureuse dans le Far West. Tour à tour vulnérable et forte tête, elle est tout simplement craquante. Son visage est magnifié par la caméra de George Sidney et sa voix demeure toujours aussi belle et inimitable. Il faut l'avoir vue deux pistolets à la main aller semer la terreur dans le saloon au milieu de galants cow-boys galants jouant le jeu car plus amusés qu’effrayés…
Mais c’est aussi grâce à la virtuosité de George Sidney que ce film finalement assez peu connu en France mérite de figurer aux côtés des très belles réussites de la comédie musicale. Moins délurée que pour
The Bathing Beauty, la patte du cinéaste n’en est pas pour le moins très vite reconnaissable surtout lors des numéros musicaux : cadrages penchés, montage rapide, étonnants mouvements de caméra aériens, angles de caméras iconoclastes, arrivée des personnages ou de certains objets à flan d’objectifs sans oublier une facilité déconcertante à diriger de nombreux figurants. Lorsqu’il s’agit de filmer des scènes romantiques, Sidney n’hésite pas à filmer de très près nous offrant des portraits en gros plans absolument magnifiques. Deux séquences au moins font montre du génie du 4ème mousquetaire de la comédie musicale, la fameuse chanson de 8 minutes (qui reçu d’ailleurs l’Oscar), ‘
On The Atchison, Topeka and the Santa Fe’ au cours de laquelle il nous montre l’aisance avec laquelle il semble diriger des scènes à priori (et même très certainement) très compliquées à gérer ou, tout au contraire, ‘
I Shall Love You Through Eternity’ et son plan séquence qui débute avec l’entrée de Cyd Charisse dans le saloon en contre plongée et panoramique latéral ; attirée par Kenny Baker au piano, elle s’installe alors à ses côtés avant d’entamer des pas de danse très sobres, tournoyant autour de l’instrument avec une grâce et une finesse que la caresse de la caméra rend encore plus inoubliables. Autre marque de fabrique du réalisateur, son goût plastique absolument exquis, témoin la chanson de Virginia O’Brien dans l’atelier du maréchal-ferrant, ‘
The Wild Wild West’ où le réalisateur joue sur toutes les nuances de brun.
Il y a bien d’autres chansons au cours du film, toutes plus belles et entêtantes les unes que les autres, que ce soit celle qui ouvre le film, ‘
In The Valley Where The Evenin' Sun Goes Down’ chantée par Judy Garland en passant par ‘
It’s a Great, Big World’ par le trio Garland/Charisse/O’Brien (Cyd Charisse, piètre chanteuse, ayant été doublée) ; on y trouve certains morceaux au montage survitaminé tel ‘
To be a Harvey Girl’ ou une éblouissante démonstration de claquette et de danse dégingandé par l’étonnant Ray Bolger qui ne s’était jamais remis de sa scène acrobatique coupée dans
Le Magicien d’Oz (on peut heureusement la voir dans les bonus DVD de ce dernier film) ou encore la scène de valse vers la fin du film qui se termine par un long plan séquence parfaitement maitrisé. Les équipes artistiques de la MGM s'en sont données à cœur joie niveau photo, décors et costumes ; c'est chatoyant à profusion. Le ton est chaleureux, enjoué et même si la plupart des séquences musicales pourront paraître un poil trop étirées, le bonheur demeure constant. Une comédie musicale westernienne pleine de rythme et de charme dans laquelle les Indiens sont vêtus en multicolores, les Cow-boys sont rasés de près, les prostituées sont d’une rare élégance, les Bad Guys sont romantiques, les bagarres homériques se déroulent entre femmes, les rixes à poings nus au milieu d’un gigantesque incendie pour rendre le tout plastiquement plus beau et où tout se termine par des mariages et réconciliations.
Arthur Freed, qui ne s’était pas trompé beaucoup jusqu’à présent, eut à nouveau du flair car son film empocha le jackpot ; ses recettes furent au moins deux fois plus fortes que son coût initial. Les amateurs de chevauchées et de morts violentes auront évidemment du passer leur chemin mais les autres auront été probablement conquis par cette brillante reconstitution pleine d’humour et de romantisme. Pas très bien considéré par les historiens du cinéma, j’invite néanmoins à lui redonner sa chance ; il le mérite amplement.
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Annie Reine du Cirque (Annie Get your Gun, 1950) de George Sidney
MGM
Avec Betty Hutton, Howard Keel, Louis Calhern, J. Carrol Naish, Edward Arnold, Keenan Wynn...
Scénario : Sidney Sheldon d'après un livret de Herbert & Dorothy Fields
Musique : Irving Berlin
Photographie : Charles Rosher (Technicolor)
Une production Arthur Freed (MGM)
Couleur - 107 mn - 1950
Sortie USA : 17 mai 1950
Quelques années avant la naissance du western au cinéma qui contribuera à développer le mythe d’un Far West romancé, agité, coloré et aventureux, c’est surtout grâce au spectacle de Buffalo Bill que les européens (et même les Américains d’ailleurs) auront pu découvrir les grands mythes de cet Ouest indompté ainsi que les clichés qu’ils véhiculaient dès lors ; des millions de spectateurs purent alors assister les yeux éberlués à des reconstitutions spectaculaires de chasse au bison, d’attaques de diligence par des indiens farouches et bariolés, à l’arrivée in extremis de la cavalerie au son du clairon, à des acrobaties à cheval, à du rodéo et autres séances de tir à la carabine par des virtuoses dont la fameuse Annie Oakley, héroïne du film de George Sidney après avoir déjà empruntée les traits de Barbara Stanwick dans le médiocre
La Gloire du Cirque (Annie Oakley) de George Stevens en 1935. De 1883 pour sa première représentation à Omaha (Nebraska) avec pour nom ‘
The Wild West Rocky Mountain and Prairie Exhibition’ jusqu’en 1912 (le Show s’étant entre temps fait renommer ‘
The Buffalo Bill's Wild West Show’), le spectacle de William Cody destiné à recréer l’atmosphère de l’Ouest sauvage américain connait un important succès partout où il passe mais il n’arrive pourtant pas à entrer dans ses frais. Après une tournée européenne qui lui assure la notoriété, il rentre aux USA sans un sou et décide de s’associer avec son concurrent le plus direct, Pawnee Bill, le célèbre chef Sioux Sitting Bull finançant cette nouvelle association. C’est un peu cette histoire que nous raconte la comédie musicale de George Sidney en même temps que l’évocation de la vie de 'la fille la plus rapide de l'Ouest' et la romance imaginaire la liant avec un autre tireur d’élite, Frank Butler.
Champion de tir que la modestie ne risque pas d’étouffer, Frank Butler (Howard Keel) est la grande attraction du Show de Buffalo Bill. A Cincinatti où le spectacle s’arrête, on lui trouve un adversaire en la personne d’Annie Oakley (Betty Hutton), une femme rustre, impétueuse et sans éducation. Annie qui n’est jamais sortie de sa campagne tombe en pamoison devant ce bellâtre de Frank qui n’y fait pas attention préférant se vanter devant elle de ses nombreuses conquêtes féminines, achevant de lui fendre le cœur en lui décrivant sa femme idéale. Quoiqu’il en soit, un concours de tir est organisé entre eux deux ; Annie en sort vainqueur et devient l’assistante de l’homme dont elle est tombée folle amoureuse. Buffalo Bill (Louis Calhern) tente, à l’insu de Frank, de faire d’Annie la nouvelle vedette de son spectacle, soutenu par Sitting Bull (J. Carrol Naish) qui ne cesse de tarir d’éloge sur cette femme qu’il décide de prendre sous sa protection. Ne supportant pas qu’on lui vole la tête d’affiche, ce matamore de Frank quitte la troupe pour se rendre chez sa principale concurrente, celle de Pawnee Bill (Edward Arnold). Buffalo Bill part en tournée de l’autre côté de l’Atlantique où Annie est fêtée par toutes les têtes couronnées européennes. Mais Frank lui manque grandement…
Quatre ans après
The Harvey Girls, déboule donc sur les écrans de cinéma américain le deuxième ‘musical westernien’, en provenance de Broadway cette fois (plus de 1000 représentations par Ethel Merman dans le rôle titre) mais à nouveau réalisé par George Sidney. Si
Annie Reine du Cirque est dans nos contrées assez peu connu, il n’en est pas de même de l’autre côté de l’Atlantique où il bénéficie d’une grande notoriété. Ce fut non seulement l’un des plus gros succès de l’année 1950, l’un des ‘musicals’ qui rapporta même le plus à la MGM, mais aussi, le fait qu’il soit ensuite quasiment devenu invisible durant pas moins de trois décennies lui a fait acquérir un statut de film culte. Ce qu’on sait moins, c’est que ce fut également l’un des tournages les plus laborieux de l’histoire de la comédie musicale. Ce devait être au départ un nouveau véhicule pour Judy Garland qui aurait retrouvé à cette occasion 'The Wizard of Oz', à savoir Frank Morgan, le tout sous la direction du génial Busby Berkeley. Mais Howard Keel, suite à une chute de cheval, est blessé et Frank Morgan meurt inopinément durant le tournage. Quant à Judy Garland, fatigué physiquement, psychologiquement et nerveusement, elle ne supporte pas le traitement sans ménagement que lui fait subir le dictatorial metteur en scène. On le prie de faire ses bagages et il est immédiatement remplacé par Charles Walters qui avait toujours rêvé de réaliser ce film d’autant plus que le scénariste est le même que celui qui lui avait écrit son premier succès, le superbe
Parade de Printemps (Easter Parade). Malgré qu’elle ait préenregistrée toutes les chansons écrites par Irving Berlin, au vu son déplorable état de santé, Judy Garland est à son tour suspendu. C’est en lisant la presse que Charles Walters apprend qu’il est lui aussi remplacé par George Sidney dont le père est vice-président du studio du lion.
Ce n’est pas pour autant que le tournage peut reprendre de suite car la nouvelle actrice choisie en remplacement doit encore terminer un film qu’elle a en cours à la Paramount avec qui elle est sous contrat. Il s’agit de Betty Hutton qui s’impose face à Betty Garrett ou Doris Day (cette dernière ne sera pas en reste puisqu’elle tiendra un rôle de cabotine à peu près similaire trois ans plus tard, toujours aux côtés d’Howard Keel dans
Calamity Jane de David Butler). Louis Calhern reprend le rôle de Buffalo Bill et George Sidney doit donc refilmer toutes les séquences déjà tournées qui voyaient ce personnage en scène. Ces innombrables changements, imprévus et retards font augmenter dangereusement le cout de production mais l’immense succès public le rentabilisera largement, la MGM tenant là l’un de ses plus gros hits de la décennie. Qu’en est-il du résultat ? De la part de George Sidney, le film s’avère assez décevant, l’un de ses plus faibles plastiquement et techniquement parlant au point d’avoir laissé passer des faux raccords assez ahurissants. Ce qui ne veut pas dire grand-chose pour ceux comme moi qui le considèrent comme faisant partie des plus grands réalisateurs hollywoodiens avec des sommets inégalés tels
Kiss me Kate ou
Scaramouche ! Ce n’en est donc pas moins une comédie musicale westernienne euphorisante et fichtrement agréable pour ceux qui accepteront un sacré coup de mou dans la seconde partie du film lors de la séquence qui s’éternise un peu trop du retour de la troupe aux USA par bateau, et pour ceux qui ne craignent ni les décors en cartons pâte, ni le cabotinage éhonté, ni la vulgarité assumée ni le kitsch le plus délirant.
Car George Sidney est un des rares à pouvoir se permettre de se vautrer dans cette 'fange' sans que ça lui en soit reproché grâce surtout à l’efficacité et la virtuosité de sa mise en scène, à la mise en place de plans osés et étonnants (encore ces figurants passant d’un coup devant la caméra donnant un aspect foisonnant à quelques séquences, les vues du concours du tir filmées en face voyant les pigeons d’argile éclater à l’avant de l’écran…) qui font passer la pilule. Nous en avions eu la preuve dans ce petit chef-d’œuvre démentiellement baroque qu’était
Le bal des Sirènes (Bathing Beauty) ; le cinéaste réitère le temps d’au moins un numéro que tous les amateurs de bon goût devront fuir au plus vite, le très amusant ‘
I’m Indian too’. Il suffit, pour ceux qui ont le DVD, de comparer cette séquence à la même tournée précédemment par Berkeley ou Walters avec Judy Garland pour s’en convaincre ; la version Garland semble plate et d’une extrême sagesse à côté de la version explosive filmée par George Sidney ! Sinon, preuve que le cinéaste s’est quand même moins amusé que précédemment, le premier numéro ‘
Colonel Buffalo Bill’, pendant du célèbre ‘
On The Atchison, Topeka and the Santa Fe’ au début de
Harvey Girls, se révèle nettement moins enthousiasmant au niveau de la pure mise en scène, les mouvement de caméra étant moins fluides et aériens même si la gestion de l’espace par George Sidney est toujours aussi appréciable. Dans l’ensemble, quand même donc beaucoup moins d’innovations stylistiques ou d’idées de mise en scène puisque la plupart des chansons sont filmées frontalement sans quasiment de recherche dans le découpage ou le montage ; peut-être aussi pour garder intact l’esprit du spectacle d’origine qui se jouait sur scène face aux spectateurs ?! En tout cas, les chorégraphies mises en place par Robert Alton sont loin d’être inoubliables.
En revanche les chansons le sont presque toutes, la quasi intégralité composée par Irving Berlin qui signait ici une de ses partitions les plus réussies. Il faut dire aussi qu’Howard Keel est probablement l’un des plus grands chanteurs hollywoodiens (si ce n’est me concernant le meilleur à condition d’adhérer à sa puissante voix de baryton) et que Betty Hutton s’avère ici elle aussi une chanteuse de premier ordre. Le premier, du haut de ses 1.90, allait être propulsé au sommet du vedettariat dès cette comédie musicale ; il n’en était pourtant qu’à son deuxième essai en tant que comédien au cinéma ; avec son sourire enjôleur et son élégance coutumière, il interprète seul la plus belle mélodie du film, ‘
My defenses are down’ et en duo avec Betty Hutton un véritable morceau d’anthologie, l’un des plus drôles jamais vus dans un film musical, ‘
Anything you can do I can do better’. Sa partenaire bénéficie de plusieurs chansons soit amusantes (‘
Doin'what comes natur'lly’) soit émouvantes (‘
They say it's wonderful‘), déployant autant de talent dans les deux styles ; dommage que la chanson qui nous aurait rendu son personnage encore plus attachant, ‘
Let’s go West again’, ait été coupée au montage (les veinards que nous sommes peuvent néanmoins la retrouver sur le DVD). Il est aussi un numéro qui propose la chanson la plus célèbre à propos des mérites du monde du spectacle (avec le ‘
That’s Entertainement’ dans
Tous en Scène – The Band Wagon de Vincente Minnelli), la fameuse ‘
There's no business like show business’ qui reçut d’ailleurs un Oscar pour l’occasion. Ces merveilleuses mélodies sur des paroles souvent pleines d’humour nous feront souvent oublier le comique appuyé de l’ensemble (qui pourra facilement en rebuter plus d’un) et la faible teneur du scénario qui ne brille ni par sa finesse ni par son intelligence.
Ce n’est cependant pas ce que nous nous attendions obligatoirement à trouver devant un tel spectacle (qui n’est pas comparable avec ce que nous propose Vincente Minnelli par exemple), ce qui fait que nous nous contentons de ce dernier sans chercher plus loin d’autant que les comédiens nous offrent de savoureuses compositions. Howard Keel, promu vedette du jour au lendemain, dans la peau de ce poseur fanfaron et arrogant est franchement très à son aise ; sa partenaire n’est pas en reste dans ce qui restera son rôle le plus célèbre avec celui qu’elle tiendra deux ans plus tard dans
Sous le plus grand Chapiteau du Monde (The Greatest Show on Earth) de Cecil B. DeMille. Dans un registre qui ne fait pas dans la dentelle, elle cabotine avec un enthousiasme non feint pour notre plus grand plaisir car rien ne saurait résister à son abattage et à sa bouillonnante personnalité. Seul Doris Day aurait pu faire aussi bien
(ah bon, vous vous y attendiez à celle là ?) ; elle ne se gênera pas pour nous le prouver trois ans plus tard en tenant le rôle d’une Calamity Jane tout aussi survoltée. Si l'ensemble est peu passionnant dans son intrigue, le film est néanmoins tout à fait regardable grâce aux superbes chansons d'Irving Berlin, au talent habituel des techniciens de l'équipe d'Arthur Freed (pétaradant technicolor jusqu’à ce coucher de soleil d’une géniale fausseté) et à la mise en scène toujours aussi efficace (même si moins inspirée qu'habituellement) du grand George Sidney. Beaucoup d’énergie à défaut d’autre chose mais quelle énergie de la part notamment de son interprète principale !