Sinon vu comme ce pauvre Jack Lee Thompson prend cher dans les pages précédentes du topic
je remets là quelques avis sur sa période british des années 50 où il fut très intéressant
No Trees in the Street de Jack Lee Thomson (1959)
No Trees in the Street est un saisissant polar social signé par un Jack Lee Thompson habitué à explorer les bas-fonds durant sa remarquable première partie de carrière avec des réussite comme
Yield to the Night (1956) ou
Les Yeux du témoin (1959). Le film adapte la pièce de théâtre éponyme de Ted Willis (jouée en 1948) qui en signe également le scénario. Willis en plus de ses multiples talents et d'une écriture frénétique (dramaturge, scénariste et écrivain, il figure au livre Guiness des records comme un des auteurs les plus prolifiques de la télévision, auquel s'ajoute 34 pièces et 39 scénarios de films) est aussi connu pour sa profonde sensibilité de gauche qui lui vaudra d'être secrétaire de la
Young Communist League puis un des membres les plus actifs du Parti Travailliste. On ne s'étonnera donc pas du propos profondément engagé de
No Trees in the Street dont la noirceur prolonge des tentatives hollywoodiennes comme
Primrose Path (1940) et anticipe un
Affreux sales et méchants (1976) avec une même vision glauque des bas-fonds et un semblables regard désabusé et monstrueux sur la cellule familiale.
Dans le Londres d'avant-guerre, toute la fange, la misère et la criminalité semble s'être concentrée dans le quartier de Kennedy Street. Hetty (Sylvia Syms) est une jeune femme cherchant à quitter le quartier et échapper à sa condition mais qui y est enchaînée malgré elle. Son frère Tommy (Melvyn Hayes) est au bord de la délinquance tandis que sa mère (Joan Miller) la pousse dans les bras du parrain local Wilkie (Herbert Lom) fou de désir pour elle. Jack Lee Thomson dresse un portrait sordide des lieux et de ses mœurs, la caméra arpentant les ruelles crasseuse où défilent enfants en guenilles, explore les immeubles et appartements insalubres -c'est d'autant plus impressionnant que tout est filmé en studio - mais surtout la débauche de ses habitants. Entre le père aveugle et impuissant face à la dérive de sa famille, la mère oubliant ses soucis en beuverie quotidienne et le frère sur la corde raide, le tableau est saisissant. Lorsque Tommy est entraîné par Wilkie vers un hold-up avorté, la face sombre de celui-ci se révèle et les maigres espoirs d'Hetty de le ramener dans le droit chemin. Melvyn Hayes en post adolescent chétif semble écrasé à la fois par un déterminisme social inéluctable qu'il ressent physiquement à travers la brutalité de sa mère et l'intimidation de Wilkie. La voie criminelle et particulièrement le moment où il entrera en possession d'une arme révèle son caractère faible et inconsistant à travers le sentiment de toute puissance qu'il ressent alors. Se battre pour s'en sortir semble un combat vain et inutile qu'Hetty va bientôt abandonner pour céder à la facilité. La dimension théâtrale ressurgit dans la manière dont cet appartement semble concentrer l'horizon limité des personnages que Jack Lee Thompson resserre par sa mise en scène. Lors de la scène clé où elle arrête de lutter, la voix enjôleuse et hypocrite de sa mère et les effets de l'alcool isolent Hetty (Sylvia Syms plus poignante que jamais), l'exiguïté de l'appartement devenant une prison mentale où Thompson se fige sur son visage désormais sans expression.
Ce côté étouffant se traduit également par la photographie stylisée de Gilbert Taylor dont les jeux d'ombres semblent également emprisonner les protagonistes, notamment la scène de vol nocturne. Le scénario ose des moments très dérangeants avec la démence de Tommy arme au poing et une scène de simili viol assez glaçante. Une des forces du film est de ne pas avoir de véritables méchants, c'est la spirale de la misère passée ou présente qui aura fait des personnages ce qu'ils sont. La mère indigne jouée par Joan Miller pense réellement rendre l'existence de sa famille meilleure en "vendant" sa fille, son milieu ne l'a pas accoutumée à d'autre manière de s'en sortir et le final où tout s'écroule n'en sera que plus douloureux. Même le caïd qu'incarne Herbert Lom cède à sa passion réelle pour Hetty, qui l'empêche de commettre l'irréparable lors d'une scène clé mais amène à manipuler tous son entourage pour arriver à ses fins. Quand à Tommy c'est un faible soumis à sa frustration et malgré ses exactions la figure la plus innocente du film. Les barres d'immeuble sociaux anonymes de l'Angleterre 60's, le passage de la guerre ayant détruit la Kennedy Street qu'on aperçoit dans l'épilogue figure autant l'espoir (symbolisé par les arbres ayant enfin leur place dans le quartier en allusion au titre du film) que d'autres lendemain qui déchantent pour les démunis. Ce croisement du
kitchen sink drama et du polar constitue en tout cas une vraie belle réussite méconnue. 5/6
Yield to the Night de Jack Lee Thompson (1956)
Mary Price Hilton (Diana Dors) attend son exécution dans le couloir de la mort. Alors qu’elle espère toujours un report de dernière minute, elle n’arrive pas à regretter son geste, un crime de vengeance.
Trop souvent réduite à son sex-appeal ravageur qui en faisait le pendant anglais de Marilyn Monroe, Diana Dors prouva pourtant plus d'une fois son réel talent dramatique comme dans le film noir
The Unholy Wife (1957) ou ce
Yield to the Night. Elle y retrouve Jack Lee Thompson qui l'avait déjà dirigé à deux reprises dans
The Weak and the Wicked (1954) et
An Alligator Named Daisy (1955).
Yield to the Night adapte le roman éponyme de Joan Henry (déjà adaptée justement par Jack Lee Thomson et Diana Dors avec
The Weak and the Wicked) paru en 1954 mais le film eu un écho particulier tant sa trame se rapprochait d'un fait divers récent. En 1955, la star des nuits londonienne Ruth Ellis tua son amant par balles son amant David Blakely avant de se rendre à la police et après jugement elle fut la dernière femme condamnée à mort en Angleterre après une longue controverse médiatique.
On peut penser au départ voir dans
Yield to the Night un plaidoyer contre la peine de mort et équivalent au beau film de Robert Wise Je veux vivre (1958). Rien de tout cela en fait mais plutôt un superbe portrait de femme. Le film s'ouvre sur séquence brutale où l'on découvre Mary Price Hilton (Diana Dors) arpenter la ville d'un pas déterminé jusqu'à arriver devant une maison où elle guette la sortie d'une femme qu'elle va abattre froidement de plusieurs coup de feu rageur. Jusque-là réduite à une simple silhouette, la caméra daigne enfin nous révéler son visage arborant les traits magnifiques de Diane Dors cependant altéré par un regard de démente. Nous retrouverons notre meurtrière quelques mois plus tard, en prison et en attente de sa date d'exécution ou de possible grâce. Toute la tension du film repose sur cette échéance et le récit se partage entre cette attente angoissée et un récit en flashback où le découvre les circonstances qui ont conduit Mary au crime. La première rencontre avec l'homme qui causera sa perte est déjà placée sous un jour un jour funeste, puisqu'il se rend à la boutique de luxe où elle travaille afin d'acheter un parfum pour une autre. Tombée folle amoureuse de ce Jim (Michael Craig) elle va quitter son mari pour vivre pleinement cette passion. Pourtant celle qui se sera placée entre dès le premier jour ne cesse de hanter Jim qui malmène Mary tout comme il l'est lui-même par Lucy, l'amante richissime qui l'éconduit. On assiste ainsi à un triangle amoureux tragique où l'obsession amoureuse est décalée. Un terrible rebondissement attisera une haine meurtrière chez Mary qui va donc froidement tuer sa rivale et en payer le prix.
Après avoir montré les tourments de cette passion amoureuse et son issue tragique, on s'attardera donc sur le quotidien de la prison. Jack Lee Thomson filme la répétition de ce quotidien où en isolement, Mary voit défiler les journées au fil de ses repas, promenades et visites de sa famille. Ces angoisses et sa peur de mourir constituent également une monotonie glaçante entre ces crises de colère et les pas de la directrice approchant sa cellule pour possiblement lui donner la décision fébrilement attendue. Jack Lee Thomson fait de la cellule un véritable espace mental dont chaque recoin est désormais connu par cœur par Mary, et notamment cette porte sans poignée menant à la pièce où elle sera peut être exécutée. Diane Dors offre une prestation puissante, les scènes en flashback offrant d'elle l'image sexy et glamour que l'on connaît mais dans une veine plus trouble tandis que les scènes en prison constituent une vraie mise à nu. Presque sans maquillage (où alors forcé pour l'enlaidir), son visage alterne les attitudes mornes, absentes et résignée avec la pure démence où en nage elle hurle au monde sa peur de mourir. Cette rage ne semble pas pouvoir trouver d'apaisement, cet amour passionnel encore vivace ne lui faisant pas regretter son geste. Ni la douleur de ses proches, ni les visiteurs bienveillants, ni la gardienne avec laquelle elle se liera (excellente Yvonne Mitchell) et pas même la religion ne sauront donner un semblant de paix intérieur âme tourmentée. Cette approche donne donc au film un aspect à la fois froid et clinique face à l'issue inéluctable mais aussi profondément mélodramatique grâce à la prestation habitée de Diane Dors pour laquelle on éprouve malgré tout de la compassion. La conclusion est à l'image de ce double langage, la répétitivité et l'aspect mécanique n'étouffant pas l'émotion qui nous gagne durant les dernières images implacables. 5/6
Les yeux du témoin (Tiger Bay) de Jack Lee Thompson (1959)
Gillie, une fillette de 12 ans, a vu le jeune marin polonais Korchinsky abattre sa petite amie avec un révolver. Gillie lui subtilise l'arme, mais lorsque la police la découvre en possession du révolver, elle invente des histoires, car des liens particuliers se sont tissés entre elle et le meurtrier...
Une très belle découverte que ce déroutant mélange de thriller et de récit initiatique sur l'enfance. Le film marque la première apparition à l'écran de la jeune Hayley Mills, fille de l'acteur John Mills (également là dansle rôle de l'inspecteur de police) dont l'impressionnante performance lui vaudra une pluie de récompense et d'être l'enfant star des productions Disney du début 60's.
Tout le film est affaire de dualité, entre ombre et lumière, innocence et manipulation, attachement et rejet. Le jeune et avenant marin polonais Korchinsky revenu de mer découvre que sa fiancée l'a trompée et est entretenue par un autre homme, et face au violent rejet qu'elle lui oppose la tue dans un moment d'égarement. La jeune Gillie (Hayley Mills) témoin de la scène va parvenir suite à un concours de circonstance à s'emparer de l'arme du crime un revolver et une poursuite va alors s'engager. Le film prend alors un tour étonnant puisque passé quelques haletantes séquences à suspense le scénario cesse soudain d'opposer poursuivant et poursuivie pour les rapprocher. Des signes avant-coureurs nous auront montrés que les deux personnages incarnent finalement deux solitudes qui ne pouvait que se reconnaître. Elevé sans passion par sa tante, Gillie est une fillette livrée à elle même cachant son mal être et le rejet des autres dans une exubérance et une mythomanie mettant à rude épreuve son entourage. Quant à Korchinsky, il a vécu toute sa vie en mer et quant son seul rattachement à la terre et une vie normale le trahit cruellement, c'est un véritable déchirement.
Le ton du film oscille ainsi constamment entre la dureté du récit policier et une certaine candeur dans la relation entre ses deux personnages. Jack Lee Thomson alterne visuellement une authenticité qui annonce le "free cinéma" des 60's avec son Cardiff portuaire et cosmopolite, une stylisation typiquement "film noir" lors des séquences nocturnes où la ville prend un tour oppressant dans les yeux de la fillette (et l'esprit agité de Korchinsky) et un naturalisme tout en douceur lors de tout les échanges entre Gillie et Korchinsky. Toutes ses facettes peuvent même s'entrecroiser comme lors de ce moment ambigu (qui se renouvellera lors de la conclusion) où Korchinsky a l'occasion de se débarrasser radicalement de cette gamine gênante mais ne peut s'y résoudre. Horst Buchholz en écorché vif trop nerveux mais au coeur tendre est épatant de bout en bout et Haley Mills en petite teigne est parfaite et déploie un registre impressionnant pour son jeune âge dans un récit aussi sombre. Jack Lee Thomson envisageait d'ailleurs au départ le rôle pour un petit garçon avant d'être soufflé par les capacités de Hayley Mills.
Les repères sont si perturbés que le personnage le plus droit et équilibré du film en deviendrait presque antipathique avec l'inspecteur de police joué par John Mills traquant le coupable sans relâche. sa pugnacité sans faille est d'ailleurs l'occasion de vingt dernière minutes soufflante de suspense en pleine mer où Jack Lee Thomson (qui signe là un de ses tous meilleurs films) déploie des trésors d'inventions pour faire grimper la tension. Si (forcément) la morale est sauve au final, le film nous aura brillamment emmené tout du long dans des émotions inattendues. 5/6