La grande évasion – High Sierra de Raoul Walsh (195) – Ida Lupino, Humphrey Bogart, Cornel Wilde, Joan Leslie. D’après un roman de W.R. Burnett. Scénario : John Huston & Burnett.
Walsh a vu balbutier le cinéma et Hollywood faire ses premiers pas. Il s’est frotté à tous les genres souvent avec une audace doublée d’une belle énergie. Les années 30 furent un peu poussives mais la décennie suivante se révéla d’une autre ampleur. En 1941 sort La grande évasion - High Sierra. La même année que Citizen Kane de Welles, Le faucon maltais de Huston et Qu’elle était verte ma vallée de Ford. L’Europe est à feu et à sang et en décembre, l’attaque de Pearl Harbour aura pour conséquence l’entrée des États-Unis dans la deuxième guerre mondiale. Le film sera projeté pour la première fois à Paris fin 1947.
On préfèrera le titre original qui contient tout en symbole le destin d’un homme rêvant de liberté. Cet homme, c’est Roy Earle (Humphrey Bogart) fraîchement sorti de prison et contraint de faire un dernier coup pour remercier celui à qui il doit sa libération. Un dernier coup et tourner la page d’un passé criminel.
- De la cité au sommets de la Sierra Nevada : Walsh délaisse l’urbain et son architecture au profit des grands espaces. Il substitut l’asphalte à la poussière, le béton à la roche, un bungalow en bordure d’étang aux diners et aux entrepôts. Et ce en totale cohérence avec le lien que Roy Earle entretien avec la terre où il a grandi et dont il garde des souvenirs forts. Cette proximité avec le monde rural facilite les échanges avec les gens du coin et ce n’est sans doute pas par hasard qu’il tombe amoureux de Velma (Joan Leslie), la fille d’un fermier. Roy « Mad dog » n’est pas en quête de rédemption. Ce qu’il cherche c’est une forme d’apaisement, celui que procure un foyer dans une bourgade sans histoire. A mesure qu’on s’éloigne de la ville, on prend aussi des distances avec la caractérisation classique du gangster souvent survolté et gangréné par une ambition dévorante ou un désir de vengeance. La ville abîme et corrompt, elle n’est jamais un havre de paix. C’est aussi ce que nous dit Marie (Ida Lupino) quand après s’être affranchie d’une famille toxique, elle a échoué dans un cabaret de L.A. avant de suivre Babe (Alan Custis) et Red (Arthur Kennedy), les deux complices arrogants et inexpérimentés avec lesquels Roy doit faire le coup.
Roy, lui joue selon les règles et les fait respecter si nécessaire. Il a un code d’honneur, une parole, des valeurs, une rigueur qui devrait suffire à le mener en ligne droite aux buts qu’il s’est fixés : réussir le casse de l’hôtel pour liquider la dette qu’il a envers Big Mac et demander Velma en mariage. Mais à mesure que l’action progresse, il est contraint de rectifier toutes les sorties de route. Des débordements brutaux ou idiots de ses complices, aux obstacles de plus en plus nombreux qui surgissent après « la bavure » du casse. Sa droiture s’exprime aussi dans sa relation aux femmes qu’il traite en égales et respecte. Il ne relègue pas Marie à la cuisine, juste bonne à s’acquitter des tâches ménagères, ne la déloge pas d’un coup de pied et ne la tabasse pas comme Babe. Non, il lui tend une cigarette, l’écoute et lui offre sa protection.
Walsh est fidèle aux thèmes qui traversent son œuvre : le destin d’un homme plutôt que d’une communauté dont il se préoccupe néanmoins. Soit, Roy « Mad dog » est le pivot du film autour duquel gravitent les personnages secondaires mais aucun n’est sacrifié pour autant, ni réduit à un emploi de faire-valoir. Walsh leur ouvre un espace pour exister dans le champ et le hors champ. Ainsi, on peut imaginer le chemin mental que parcourt Velma après l’intervention qui la délivre de son handicap. Comprendre sa soif de s’amuser afin de rattraper le temps perdu. De même pour Marie dont le passé, suggéré par quelques répliques dessine un personnage féminin cabossé par une existence sinueuse et désenchantée. Elle est, en quelque sorte, l’alter ego de Roy. L’amour qui les lie finalement s’enracine dans un vécu « accidenté » et se révèle d’une grande maturité. On pourra, en revanche, critiquer le personnage d’Algernon (Willie Best), roulant des yeux et adoptant tous les tics des acteurs noirs de l’époque. La faute à l’époque justement et au traitement que leur imposait Hollywood. N’étant pas adepte de « l’effacement », ce qui à mes yeux est une hérésie totale, je pointe ce rôle comme trace historique à garder en mémoire et exception à la règle que je viens d’énoncer.
A mesure que j’écris, je m’aperçois que High Sierra est un film dense, novateur à l’époque de sa sortie. Bénéficiant d’un découpage précis, de scènes au calibrage idéal, de morceaux de bravoure, d’une interprétation impeccable, il demeure, à sa révision, essentiel dans l’œuvre de Raoul Walsh.